(Atten­tion : auto-pro­mo)
Je tombe par hasard sur l’ar­ticle de David Larous­se­rie, du Monde, il y a quatre jours : il a écrit sur Hen­ri Broch, en par­lant de notre bou­quin « 50 ans de zété­tique, entre­tien » (),
édi­té chez BOD, rayon Spi­ri­tua­li­té ! (spi­ri­tueux, encore, je dis pas…), avec nos têtes de vain­queurs dans une couv faite par l’ami Fran­çois B, prix modique, 14 euros.
Voi­ci l’ar­ticle.
Hen­ri Broch, ou la culture du doute
Au fil d’un entre­tien, le père de la zététique revient sur cette dis­ci­pline peu académique qui pour­fend les pseudo‑vérités.

Pour fêter les 50 ans des pre­miers articles de son direc­teur de thèse, Hen­ri Broch, Richard Mon­voi­sin a décidé de l’interviewer pour reve­nir sur une dis­ci­pline peu académique mais très scien­ti­fique : la zététique. Ce nom savant, qu’Henri Broch, né à Nice en 1950, a dif­fusé en France, ne désigne pas l’étude de phénomènes natu­rels par­ti­cu­liers, mais décrit plutôt une méthode, une manière d’appréhen­der les problèmes, une « bous­sole métho­do­lo­gique » comme le résument les deux auteurs. Armé de cet esprit cri­tique, autre façon de résumer la zététique, Hen­ri Broch s’est ren­du célèbre en démon­tant bon nombre de phénomènes para­nor­maux, telle la liquéfaction du sang de saint Jan­vier, conservé dans une ampoule à Naples, de mythes archéologiques, comme le suaire de Turin, ou diverses allégations spec­ta­cu­laires, notam­ment la mémoire de l’eau. Il est aus­si célèbre pour avoir lancé, en 1986, avec le magi­cien Gérard Majax, un défi aux préten­dus déten­teurs de pou­voirs para­normaux (télépathes, voyants, sour­ciers) qui accep­te­raient de mon­trer leurs qua­lités en res­pec­tant un pro­to­cole dis­cuté avec son équipe. La récom­pense de 500000 francs puis, faute de réussite, d’un mil­lion de francs, et fina­le­ment de 200000 euros, n’a jamais été versée. Cette même année 1986, il créait un ser­vice Mini­tel, 36 15 ZET, qui pro­po­sait de la littérature démys­ti­fiant le para­nor­mal et don­nait quelques clés métho­do­lo­giques.
 

best-sel­ler avec char­pak
Une dizaine d’années plus tard, Hen­ri Broch fait entrer offi­ciel­le­ment la zététique à l’univer­sité de Nice par des cours et la création d’un labo­ra­toire, qui dis­pa­raîtra à sa retraite, en 2014. Avec le phy­si­cien Georges Char­pak, Prix Nobel en 1992, il publie un best-sel­ler, Deve­nez sor­cier, deve­nez savant (Odile Jacob, 2002), qui moque les char­la­tans du para­normal et livre cer­tains de leurs secrets. Le long entre­tien mené par Richard Mon­voi­sin balaye ces épisodes mar­quants, sans omettre les ten­sions exis­tantes entre différents cercles zététiciens en France ou même dans le monde. Le lec­teur savou­re­ra l’humour et la rigueur d’Henri Broch dans le regard qu’il porte sur ces contro­verses. L’échange vaut aus­si pour l’illustration qu’il donne de l’évolu­tion d’une des branches du cou­rant ratio­na­liste, bien décrit par le sociologue Syl­vain Lau­rens dans Mili­ter pour la science (Édi­tions de l’EHESS, 2019). Le parcours, com­mencé ado­les­cent en s’intéres­sant à une grotte de sa région, se pour­suit par des études scien­ti­fiques et un enga­ge­ment double, poli­tique (com­mu­niste) et citoyen (pour la culture scien­ti­fique), afin de dif­fu­ser les connais­sances. Hen­ri Broch est, en revanche, peu disert sur l’attitude de cer­tains ratio­na­listes ou zététiciens qui, de la cri­tique du paranor­mal, sont passés à la défense peu sub­tile de toute avancée tech­nos­cien­ti­fique (OGM, nucléaire, pes­ti­cides), sans mon­trer beaucoup d’ouverture d’esprit envers d’autres sciences humaines, sociales

David Larous­se­rie, Le Monde, mer­cre­di 5 juillet 2023

J’en pro­fite pour racon­ter deux anec­dotes.

La pre­mière, c’est que j’ai cho­qué Hen­ri, avec mon intro, ah ah oh oh oh j’en pouffe encore, mais il ne m’a même pas deman­dé de la retou­cher. La seconde, c’est que je lui ai fou­tu la lar­miche à l’œil avec ma conclu­sion du livre, je ne pen­sais pas que c’é­tait pos­sible, mais si. Fina­le­ment il n’y a pas que les sta­tues qui pleurent. Je vous la file­rai si vous la deman­dez (la conclu, hein, la lar­miche je n’ai pas réus­si à la recueillir). Der­rière tout·e zété­ti­cienne, fina­le­ment, il y a un petit coeur qui pal­pite.

En atten­dant, l’in­tro ça donne ça :

« Hen­ri, tu es un peu la légende de la zété­tique contem­po­raine : trop ancien pour t’être four­voyé dans les réseaux  sociaux, assez jeune pour avoir goû­té l’ère Inter­net. Tu revêts un carac­tère un peu spé­cial en fran­co­pho­nie, car si tu n’as évi­dem­ment pas inven­té le scep­ti­cisme métho­do­lo­gique, en tout cas tu l’as dépous­sié­ré, et tu l’as affu­blé d’un nom qui lui reste acco­lé. Tu as aus­si créé une démarche assez rigo­riste, dont je me reven­dique modeste héri­tier, et tu as ancré la zété­tique que nous autres jeu­nots appe­lons la zété­tique « à l’ancienne » : celle du para­nor­mal, du sur­na­tu­rel et de l’histoire mys­té­rieuse. À l’ancienne parce qu’elle fait moins recette qu’auparavant, les sujets zété­tiques ayant évo­lué dou­ce­ment durant les vingt der­nières années : qui dit para­nor­mal dit man­cies, qui dit man­cies dit pseu­do­mé­de­cines et dérives pseu­do­psy­cho­lo­giques, qui dit sujets thé­ra­peu­tiques dit inter­ac­tion avec les spi­ri­tua­li­tés
nou­velles, qui dit spi­ri­tua­li­tés nou­velles dit intru­sions spi­ri­tua­listes dans les sciences, expé­ri­men­tales comme sociales. (…) Entre ratio­na­listes, on ne se berce pas d’illusions

Keith Richards

: plus on vieillit, plus la pro­ba­bi­li­té de mou­rir est grande. Je ne veux attendre ni d’être moi-même mori­bond, ni de te voir mori­bond, être alors obli­gé de faire de la trans­com­mu­ni­ca­tion ins­tru­men­tale avec l’au-delà, ou ten­ter l’exégèse de tes cour­riers intimes pour retra­cer les grandes lignes d’une his­toire dont tu es le dépo­si­taire éclai­ré et l’acteur prin­ci­pal. Je vais essayer de te poser les ques­tions que se pose­ront tes conti­nua­teurs, quand pous­sière tu seras rede­ve­nu et que nous autres conti­nua­teurs de ton œuvre aurons, ‒ comme Keith Richards le fit avec les cendres de son père ‒ snif­fé un rail des tiennes. »

Après lec­ture il m’a­vait dit : « c’est… un peu spé­cial, quand même », avec son petit accent niçois. J’en ris encore bête­ment sous ma couette.
 

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