Toute bonne phar­ma­cie acha­lande les bou­gies d’o­reilles dites bou­gies Hopi. On dit qu’une fois allu­mée dans votre oreille, elle vous retire en un seul coup les mau­vaises pen­sées ET le céru­men, cette petite pâte jau­nâtre savou­reuse qui encrasse votre conduit.

Il y a au moins quatre rai­sons d’être aga­cé par ce com­merce.

La pre­mière réside dans le fait qu’il n’est pas pos­sible d’é­va­luer si on a effec­ti­ve­ment moins de mau­vaises pen­sées après, puisque « mau­vaise pen­sée » est une caté­go­rie bien nébu­leuse.

La deuxième se loge dans le céru­men. Mélange de sécré­tions des glandes séba­cées et glandes de trans­pi­ra­tion apo­crine, le céru­men est si vis­queux que la pres­sion néga­tive néces­saire pour aspi­rer le céru­men aspi­re­rait du même coup votre oreille interne – ce qui, je le concède, règle d’un seul coup les acou­phènes et les nui­sances sonores du voi­si­nage. Ana­lyses faites, le dépôt que l’on retrouve à la fin de la com­bus­tion n’est pas comme on pour­rait le pen­ser du dépôt de céru­men cras­seux, mais bien des dépôts de cire liés à la com­bus­tion de la bou­gie.

Miam.

Cela fait plus de 25 ans que des études sortent et pointent l’i­nef­fi­ca­ci­té, et la dan­ge­ro­si­té rela­tive de la pra­tique, qui entraîne par­fois des brû­lures : See­ly & al (1996)1, le col­lègue Edzard Ernst (2004)2, McCar­ter & al. (2007)3 et bien d’autres. Lisa Roa­zen a fait une mise au point salu­taire, « Why Ear Cand­ling Is Not a Good Idea » sur le site Qua­ck­watch.

La troi­sième rai­son est la trame argu­men­ta­tive, comme sur ce paquet pro­duit par l’en­tre­prise fran­çaise Abel Frank­lin : « une bonne vieille méthode trans­mise par les Anciens ».

Dans notre jar­gon, on appelle ça la rhé­to­rique du vieux pot, car c’est dans les vieux pots qu’on fait, dit-on les meilleures soupes. Or on ne sait pas vrai­ment de quels Anciens on parle, et à plus forte rai­son, ce n’est pas parce qu’une tech­nique est ancienne qu’elle est effi­cace. Pen­sons à l’u­sage de la poudre de momie, de la thé­riaque, des lave­ments, des sai­gnées sys­té­ma­tiques, autant de tech­niques qui ont per­du­ré du fait de leur ancien­ne­té et non du fait de leur effi­ca­ci­té. Les sai­gnées par exemple n’ont réel­le­ment d’in­té­rêt que dans quelques mala­dies pré­cises, comme l’hé­mo­chro­ma­tose, la poly­glo­bu­lie (ou mala­die de Vaquez), la por­phy­rie cuta­née et l’œ­dème aigu du pou­mon. On relè­ve­ra éga­le­ment que ce n’est pas non plus parce qu’une méthode est récente qu’elle est for­cé­ment bonne. « Le temps ne fait rien à l’af­faire », écri­vait Georges Bras­sens. Ce qui démontre l’ef­fi­ca­ci­té propre d’une tech­nique ce sont ses preuves expé­ri­men­tales.

La qua­trième rai­son est l’ar­gu­ment dit « de l’exo­tisme ». Il semble que nous aimions lors­qu’une tech­nique nous semble venir d’un peuple loin­tain et si pos­sible consi­dé­ré comme « pri­mi­tif ». Est-ce l’in­ven­tion de l’en­tre­prise Bio­sun & Revi­tal Ltd d’a­voir pré­sen­té ces bou­gies comme des bou­gies « Hopis » ? Les Hopis, contrac­tion de Hopi­tu-shi­nu­mu, font par­tie du groupe amé­rin­dien des Pue­blos, au nord-est de l’A­ri­zo­na, dans la région des Four Cor­ners. Quand on contacte le Hopi tri­bal Coun­cil, ce que j’ai fait avec des étudiant·es, Vanes­sa A. Charles, res­pon­sable des rela­tions publiques, répond inlas­sa­ble­ment : « La bou­gie auri­cu­laire n’est pas et n’a jamais été une pra­tique menée par le peuple Hopi ». Si vous êtes déçu·e, ce que je peux com­prendre, ras­su­rez-vous, on trouve des bou­gies qui se reven­diquent de la Chine ancienne, de l’Égypte ancienne, et même… de l’At­lan­tide.

C’est ce qua­trième point qui m’a­gace le plus, car il sou­ligne une forme d’an­thro­po­lo­gie pri­mi­ti­viste qu’on croi­rait enter­rée depuis long­temps. Cet appel à l’exo­tisme ne fonc­tionne que parce que nous, public euro­péen, avons une repré­sen­ta­tion des cultures amé­rin­diennes assez pauvre, for­te­ment glo­ba­li­sante, et on pré­sume ces gens « plus proches de la nature » et par voie de consé­quence dépo­si­taires de savoirs thé­ra­peu­tiques anté-indus­triels, donc for­cé­ment meilleurs. On rit de Her­gé et de sa repré­sen­ta­tions des « indiens » dans Tin­tin en Amé­rique (1932), mais 90 ans plus tard, Bio­sun & Revi­tal Ltd, Abel Frank­lin et nous-mêmes peut-être tom­bons dans le même tra­vers et entre­te­nons le même genre de sté­réo­type. Au fond que chacun·e fasse ce qu’iel entend avec ses oreilles (j’aime cette phrase), mais par pitié, fou­tons la paix aux Hopis.

Par­fois je rêve de gens Hopi­ti-shi­nu­mu d’A­ri­zo­na qui vont en phar­ma­cie ache­ter des bou­gies savoyardes (ou cha­ren­taises, ou bre­tonnes) avec men­tion « une bonne vieille méthode trans­mise par les Anciens savoyards » pour enle­ver leurs mau­vaises pen­sées.

 

Notes

  1. See­ly, D.R.; Qui­gley, S.M.; Lang­man, A.W. (1996). « Ear candles : Effi­ca­cy and safe­ty ». Laryn­go­scope. 106 (10): 1226–9.
  2. Edzard Ernst (2004). « Ear candles : a triumph of igno­rance over science ». The Jour­nal of Laryn­go­lo­gy & Oto­lo­gy. 118 (1): 1–2.
  3. McCar­ter, et al. Ceru­men Impac­tion Ame­ri­can Fami­ly Phy­si­cian, May 15, 2007).

1 réponse

  1. Crise en Thème dit :

    Faire une insom­nie, « révi­ser » le sujet des bou­gies Hopi et me retrou­ver au bord du fou rire à cause de cette der­nière phrase.
    Mer­ci pour cet article mais du coup je pense avoir réveillé ma moi­tié

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