Discutant avec Jean, un de mes bons amis, de ressources sur le validisme (j’en ai parlé régulièrement – pas assez ! – dans mes pages, comme ici), je me permets de ré-exhumer quelques documents, dont un certain nombre de sonores.
Je mets en bleu les ressources qu’on m’a refilées ensuite, et que je n’ai pas encore compulsées.
Attention : j’essaie de toujours utiliser « personne en situation de handicap », et non « handicapé·e », pour rappeler le caractère social et politique du handicap. Si le terme handicapé·e apparait ci-dessous, ce n’est pas de ma plume.
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Ouvrages et brochures
Je commence par quelques ouvrages qui m’ont fortement marqués.
Zig Blanquer, pour qui j’ai un immense respect, qui a produit les premières brochures francophones sur le sujet, a compilé récemment Nos existences handies, chez Monstrograph (07/01/2022) | |
Saunora Taylor a fait éditer le troublant Braves bêtes aux éditions du Portrait en 2019 (j’ai fait avec Tim Gallen une recension dessus qui dort dans un tiroir) | |
De chair et de fer, Vivre et lutter dans une société validiste, de Charlotte Puiseux (La découverte, 2022) | |
Les brochures anti-validistes de Harriet de Gouges (je les ai toutes lues, commandées ici https://www.harrietdegouge.fr/post/722180767599427584/des-brochures) | |
Les éléments de campagne des Dévalideuses. | |
Handicap à vendre, de Thibault Petit, Les Arènes (2022) |
Pour les aidant·es, Annabelle Lion recommande « Manuel à l’intention des parents ayant un enfant présentant de l’autisme »
Predferl m’indique la brochure « I Am Not Broken : Anarcho-Nihilist Survival & Disability Against Industrial Society » (ici).
Sylvain Dassous me recommande les travaux de Patrick Fougeyrollas avec le RIPPH, et quelques anthropologues français comme Charles Gardou, Henri-Jacques Stiker, Ravaud (mais je n’ai pas le détail encore).
Un gentil internaute dont j’ai perdu le nom m’a recommandé la série Special de Ryan O’Connell (sur Netflix).
Une autre m’a indiqué Handi-gang de Cara Zina (2017), aux éditions Libertalia.
Documentaires & films
Je ne connais pas beaucoup de films qui ne se servent pas de la personne en situation de handicap comme nauséeuse leçon de vie pour valide, comme Rain Man, Forrest Gump, Hors normes ou Intouchable.
Me viennent Birdy, d’Alan Parker, Vol au-dessus d’un nid de coucous, de Miloš Forman, Elephant Man de David Lynch ou Le huitième jour de Jaco van Dormael, mais je les ai vus il y a trop longtemps et je ne sais pas si ça représente une critique du capacitisme.
Me vient surtout Miracle en Alabama (The Miracle Worker) d’Arthur Penn (1962) sur l’extraordinaire Helen Keller. Et j’en profite pour vous rappeler cette superbe BD
Quant au documentaire qui m’a le plus scotché, il s’agit sans conteste de Crip Camp : la révolution des éclopés de Nicole Newnham et Jim LeBrecht, disponible depuis peu sur Netflix.
On m’a également parlé de Defiant Lives, de Sarah Barton mais je ne l’ai pas vu.
Mon amie Annabelle Lion m’a également envoyé la série Un mètre 20, de María Belén Poncio et Rosario Perazolo Masjoan (2021) diffusée en ce moment sur Arte.
Et elle me parle de Yo, También un film réalisé par Álvaro Pastor et Antonio Naharro, avec Pablo Pineda, grand militant espagnol porteur de trisomie 21.
Audios & podcasts
Handicap : la hiérarchie des vies
Question audio, je commence par cette série de France Culture d’il y a deux ans, intitulé « Handicap : la hiérarchie des vies », de Clémence Allezard et réalisé par Assia Khalid, qui livre un certain nombre des références culturelles et bibliographiques que j’aimerais bien ne pas voir tomber dans l’oubli des pages web.
Il y a des transcriptions disponibles pour chaque épisode, effectuées bénévolement et collectivement par Charlie, auditrice engagée pour que les contenus radiophoniques soient accessibles à tou·te·s, Mathilde, une auditrice soucieuse, et Clémence Allezard, la productrice de la série.
#1 Quand la politique empêche
Qu’est-ce qu’une vie empêchée ? Empêché d’exercer les droits civiques les plus basiques, d’étudier, de se déplacer, de choisir ses lieux de vie, de sociabilités. Ces vies structurellement contraintes nous racontent une organisation sociale validiste.
Comme pour les discriminations sur la base du genre, de la race, de l’orientation sexuelle, les discriminations sur la base du handicap sont fortement naturalisées. La domination va de soi, puisque les êtres sont naturellement, biologiquement inférieurs. Or, cette domination, aussi, est socialement construite. Professeur d’espagnol et membre du CLHEE, Elena Chamorro explique :
“Je me dis une personne handicapée, mais j’entends handicaper dans le sens passif du terme, c’est-à-dire que je me considère handicapée puisque la société m’handicape“.
L’avocate Elisa Rojas, également membre du CHLEE en fait la même analyse : “Le fait que je sois une personne handicapée a participé à ma construction et ça fait partie de mon expérience et de mon identité, mais ce n’est pas le seul élément constitutif de mon identité même si, ça ne me dérange pas de dire que je suis une personne handicapée. Il n’empêche que le handicap est une construction sociale née de la volonté d’un groupe social d’exclure un autre groupe social qui n’est pas considéré comme étant conforme à la norme définie par ceux qui ont le pouvoir de la définir.”
Qu’est-ce qu’être handicapé ? Qu’est-ce qui fabrique, socialement, du handicap ? “Handicap” c’est une réalité médicale mais c’est aussi une réalité administrative, des parcours fastidieux, extrêmement médicalisés, des demandes d’aide examinées avec suspicion.
C’est une réalité sociale, des personnes isolées, exclues du champ social comme de celui du désirable, des corps, des existences rendues vulnérables par l’indifférence politique, l’isolement, le manque d’infrastructures, de moyens…
Être handicapé, c’est une réalité économique, une précarité et une dépendance organisées, qu’elle soit une conséquence de la conjugalisation des aides ou des conditions de travail dans les établissements spécialisés (ESAT), être handicapé, c’est ne pas avoir de place dans le système capitaliste à cause de corps jugés improductifs, incapables d’être performants, autonomes. C’est une place dans un système de dominations.
La notion de “validisme” a été introduite en 2004 par Zig Blanquer avec une brochure “la culture du valide (occidental)”. Ce concept, ou cet outil conceptuel, permet de révéler et d’analyser les rapports sociaux de pouvoir par le prisme du handicap. Penser l’oppression subie par les personnes ne correspondant pas à la norme d’un corps “sain”, “bien portant”, “valide”, une norme érigée par la pensée médicale. La psychologue Charlotte Puisieux l’évoque ainsi :
“C’est une expérience collective de domination, c’est-à-dire que c’est le fruit de politiques pensées par et pour les valides qui organisent le monde pour elle. Le validisme, ça nous empêche d’aller à l’école, de travailler, d’avoir une vie sociale, amoureuse… il faudrait prendre votre vie quotidienne et vous imaginez d’être empêché dans tout.”
Liens
- Chronologie : évolution du regard sur les personnes handicapées. En ligne sur le site Vie publique.
- Isabelle Ville : Le handicap comme ” épreuve de soi ”. Politiques sociales, pratiques institutionnelles et expérience. Mémoire d’habilitation à diriger des recherches, université Rennes 2, 2008.
- Les désignations du handicap. Des incapacités déclarées à la reconnaissance administrative. Article d’Isabelle Ville, Jean-François Ravaud et Alain Letourny, in Revue française des affaires sociales, 2003.
- Le tragique et la chance, encore des handicaps. Conférence de Julia Kristeva prononcée le 29 mars 2012 au collège des Bernardins.
Lien vers la transcription de l’épisode 1 – « Quand la politique empêche »
#2 Des institutions enfermantes
La France est condamnée en 2021 par l’ONU pour sa politique de placement en institution des personnes handicapées, qualifiée de “lieux de privation de liberté”. Rencontres hors les murs et dans une clinique psychiatrique qui se propose de les faire tomber.
En 2016 et 2017, la rapporteuse de l’ONU, Catalina Devandas-Aguilar, visite la France en vue de vérifier que sa politique respecte ses engagements internationaux en matière de droits des personnes handicapées. Dans son rapport final publié en 2017, elle dénonce la loi de 2005 comme non-conforme à la Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées et demande à ce qu’elle soit revue dans son intégralité. Parmi les éléments pointés du doigt, le fait que la France préfère préconiser une amélioration de ces institutions plutôt que leur fermeture définitive. Elle rappelle que ces institutions, en vue des conventions internationales, sont des lieux de privation de liberté, qu’elles isolent et ségrèguent les personnes, les privent de la possibilité de décider par elles-mêmes dans la vie de tous les jours ; les empêchent de choisir les personnes avec qui elles vivent, ou encore, imposent un emploi du temps et des habitudes.
Les témoignages des personnes handicapées sur ces institutions sont édifiants, ainsi, Eugénie se rappelle : “Mes dernières hospitalisations, tout le monde était mélangés et il n’y avait pas d’activité, on était tous dans une pièce entassés avec un petit jardin et il ne se passait rien de la journée, on ne faisait que fumer, ruminer et cachetonner sans parler”; Zig Blanquer évoque lui “l’enfer” pour les qualifier ; Elisa Rojas parle “d’expérience d’humiliation, d’abus de toute sorte, il n’y avait pas d’autre choix que d’en sortir”; et Cy Jung explique, toujours être dans la crainte de ces institutions :
“Je vis dans la peur de l’incarcération. Je suis une femme, je suis handicapée depuis que je suis toute petite, j’avais ma place qui était réservée dans une institution. J’ai 58 ans et 50 ans après, j’ai toujours peur, peur de l’État, peur de l’incarcération, peur que l’on m’empêche”.
Nous donnons la parole à des personnes qui ont fait l’expérience de ces institutions spécialisées : IME, foyer de vie. Et nous nous interrogeons aussi : Peut-on “soigner l’institution” ? C’est en tout cas la proposition de la psychothérapie institutionnelle, qui depuis les années 50, sous l’égide des psychiatres Jean Oury, François Tosquelles, entre autres, et malgré des normes d’hygiène de plus en plus contraignantes aujourd’hui, dénonce l’enfermement dans les structures de soin, la “pathologie asilaire”, et tente de soigner sans les murs, en repensant continuellement les asymétries de pouvoir entre soignés et soignants.
Nous nous rendons à la clinique de Chailles, la Chesnaie, héritière de ce mouvement où les histoires racontées par les pensionnaires sont bien différentes : “A la Chesnaie, on ne nous mène pas d’un point à point A, à un point B, ici, on est acteur de ce qui se passe » ; “J’aime bien être prise en charge à la clinique. Quand j’arrive ici, je me sens en sécurité.” ; “Ce que j’ai appris ici et ce que je trouve formidable, c’est que la parole d’un patient, d’un pensionnaire vaut la parole d’un soignant. On est vraiment sur le même terrain d’égalité.” ; “Ici, ce n’est pas que la maladie, mais aussi la vie à côté. Il y a plein de vie ici”.
Avec :
- Zig Blanquer, auteur de Nos existences handies,
- Camille, psychiatrisée et militante antipsy,
- Elisa Rojas, avocate, membre du CLHEE (Collectif Lutte et Handicaps pour l’Egalité et l’Emancipation),
- Antoine Capet, cofondateur de Brutpop, ancienne éducateur spécialisé,
- Mouloud Massi & leurs camarades de l’IME Robert Doisneau,
- Cy Jung, écrivaine,
- Christine, Eugénie, Lætitia & Marie-Hélène, pensionnaires de la clinique de Chailles la Chesnaie, Jean Gaillot et Gwenvael Loarer, moniteurs à la Chesnaie.
- Avec les comédien-ne‑s Sarah Wehbe et de Marc Colmar.
Liens
- Loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, en ligne sur le site Légifrance.
- Rapport de la Rapporteuse spéciale de l’ONU sur les droits des personnes handicapées en France, janvier 2019.
- Tosquelles et Oury, parce que c’était eux… Article de Pierre Delion paru dans Chimères, n°84, 2014.
- A propos du film documentaire Les voix de la Chesnaie réalisé par Alex Venel et Cyrille Vauzelle. A lire sur le site de France 3 Centre-Val-de-Loire (novembre 2019).
- Lien vers la transcription de l’épisode 2 – « Des institutions enfermantes »
#3 Lutter ensemble contre le validisme
En France, la notion de validisme est introduite en 2004 par Zig Blanquer. Sa brochure “la culture du valide (occidental)” circule dans une relative confidentialité au cours des années 2000, principalement dans les milieux queer, anarchistes, ou initiés. Depuis, les réseaux sociaux ont changé la donne. De nombreux comptes militants ont fleuri, et y circulent abondamment ressources, témoignages, et luttes antivalidistes, permettant conscientisation et politisation, mais aussi, de conjurer l’invisibilité et les “oublis” historiographiques.
Des collectifs antivalidistes ont ainsi vu le jour en France depuis 2016 parmi lesquels on peut citer le CLHEE (Collectif Lutte et Handicaps pour l’Egalité et l’Emancipation), le Collectif pour la Liberté d’Expression des Autistes (CLE Autistes), Les Dévalideuses, le collectif handiféministe l’association Handisocial ou encore des collectifs nés à l’occasion de la mobilisation pour déconjugaliser l’AAH comme Objectif Autonomie et Le prix de l’amour.
Cécile Morin, professeure d’histoire-géo, membre du CLHEE explique : “On est présentée comme d’éternels objets de soins, de protection, certainement pas comme des sujets capables de lutter contre notre domination qui résulterait d’une fatalité biologique. L’enjeu, est de lutter contre l’intériorisation que peuvent avoir les personnes handicapées d’elles-mêmes. Il faut comprendre que cette domination est historiquement et socialement construite, qu’elle est le produit de rapports de force et pas d’une condition biologique. Il faut absolument que l’on arrive à dénaturaliser cette domination et c’est ce qu’on fait sous la bannière de l’antivalidisme, parce que cette notion est porteuse d’un fort potentiel émancipateur”.
Récemment, des voix se sont élevées contre des violences policières ayant visés des hommes handicapés racisés. Des hommes au comportement étrange (souvent autiste ou en crise), jugés alors dangereux du fait à la fois de leur carnation et de leur agitation. Des articles sont parus, ont donné des noms : “Eliott”, SaÏd M’Hadi, Babacar Gueye… Nous tentons d’historiciser ces morts suspectes, “ces vies sacrifiables” selon le collectif Cases rebelles qui a fait un travail de recensement de ces violences.
Michaëla Danjé, cofondatrice du collectif, raconte les histoires de “cette population qui ne compte pas” comme celle de Serge Partouche mort à Marseille :
“La personne qui a prévenu la police a bien dit qu’il était autiste, ça a été converti en ‘handicapé mental’ sur la fiche de poste, puis a été traduit par ‘individu dangereux’ par l’opérateur s’adressant aux policiers et Serge Partouche en est mort. Il y a tout un vocabulaire, une fabrique de mots pour justifier un ensemble d’événements, comme par exemple le terme ‘forcené’ qui permet de ne pas avoir à justifier qu’il y a une personne qui a été abattue”.
Avec :
- Elisabeth Auerbacher, cofondatrice du Comité de Lutte Handicapés en mai 1973,
- Odile Maurin, présidente de l’association toulousaine Handi social,
- Cécile Morin, professeure d’histoire-géo, membre du CLHEE,
- Gildas Brégain, historien du handicap, Rizzo Boring, dessinatrice, activiste,
- Charlotte Puiseux, psychologue, autrice de De chair et de fer, vivre dans une société validiste.
- Camille, psychiatrisée et militante antipsy,
- Michaëla Danjé et Xonanji, cofondatrice du collectif Cases rebelles.
- Avec les comédien-ne‑s Sarah Wehbe et de Marc Colmar.
Liens
- La culture du valide (occidental) : texte de Zig Blanquer (2004).
- Qu’est-ce que le validisme ? Article publié sur le site du magazine Beaview qui a pour mission de promouvoir l’égalité des droits et la citoyenneté des personnes handicapées.
- Site des Dévalideuses, collectif féministe qui démonte les idées reçues sur le handicap.
- Introduction à la théorie crip : par Charlotte Puiseux, en ligne sur son site.
- « Il faut que les valides sachent remettre en question leurs privilèges » : entretien avec Céline Extenso et Charlotte Puiseux paru dans le magazine Mademoizelle le 8 mars 2021.
#4 Quelle place pour les handis dans les fictions ?
Freaks, monstres exhibés, ou laids et super-méchants, ou encore héroïques car simplement ils existent. Cantonnés à un humanisme apolitique et larmoyant. Les représentations dominantes des personnes handicapées participent également de leur exclusion. De quels régimes d’images ou de représentations des personnes handicapées hérite-t-on ? Freaks, monstres exhibés, ou affreux, laid, super-méchant, chez Kubrick par exemple…
La militante handicapée australienne Stella Young, appelle “l’inspiration porn”, la pornographie de l’inspiration. Une mise en scène voyeuriste destinée à inspirer et rassurer les valides.
Le théoricien de la danse allemand Kai Van Eikels, également handicapé, parle lui d’affect bourgeois de la compassion.
L’anthropologue espagnole Melania Moscoso insiste sur l’idéologie néolibérale qui sous-tend ces récits dominants, elle écrit :
“Le super héros infirme, dont les déficiences physiques sont exhibées avec une obscénité didactique, est la preuve fallacieuse que les seules limitations valides sont celles que l’on rencontre en son for intérieur. Il n’y a plus d’handicapés, d’infirmes et de paralysés, il n’y a plus non plus d’opprimés, ni d’injustice. Il n’y a que des perdants, des fainéants et des vagabonds.”
No Anger, chercheuse et performeuse analyse : “Je pense qu’un des mécanismes de domination consiste à enfermer les corps dominés dans des narrations qui les réduisent au final à un seul aspect fantasmé. Il y a un passage dans une chanson d’Anne Sylvestre, ‘Une sorcière comme les autres’, qui illustre bien cette idée : ‘Je vous prie ne m’inventez pas, vous l’avez tant fait déjà’. C’est le regard du dominant qui crée et impose une narration que les corps dominés subissent”. Quant à Elisa Rojas, avocate, membre du CLHEE, elle explique : “Si on a des représentations aussi hors-sols et aussi déconnectées de la réalité, notamment sociale des personnes handicapées, c’est parce qu’elles sont produites par des personnes qui ne sont à la fois pas concernées et qui n’ont pas de réflexions critiques sur ces représentations.” avant d’ajouter : “La fonction sociale des personnes handicapées, c’est de rassurer les personnes valides.”
Qui a la main sur la mise en scène, la chorégraphie, la narration des corps, des réalités, des expériences, handicapées ?
Sans doute le ton change-t-il radicalement, quand les subalternes peuvent parler. Comme au théâtre de Morlaix où la troupe Catalyse collabore depuis une trentaine d’années avec des travailleurs handicapés mentaux de l’Esat (Établissement et service d’aide par le travail) que nous avons suivis lors de répétitions et qui témoignent de leur passion pour le théâtre.
Une troupe avec à sa tête Madeleine Louarn, ancienne éducatrice spécialisée, qui constatant que rarement les handicapés parlaient pour eux, a eu cette volonté de créer un théâtre afin de leur donner la parole : “ Le dernier spectacle, la moitié des textes, c’est eux qui les ont écrits. Évidemment, il y a du soutien puisque certains ne savent pas lire et écrire, on trouve alors d’autres biais pour que ça puisse se faire. Mais ça reste leur parole. Ça reste eux. Ça reste la façon dont leur rire, leur vision se construit“.
Par ailleurs, elle explique : “J’ai souvent pensé que les limites qu’on voyait sur un plateau ou que l’on définissait du handicap étaient surtout les nôtres. Notre incapacité à comprendre à savoir par où ça passe et nos énervements, nos conventions, mais toutes tout travail artistique a forcément une nécessité de déplacement“.
Avec :
- Christelle Podeur, Tristan Cantin, Sylvain Robic, Emilio Le Tareau et Jean-Claude Pouliquen interprètes de l’Atelier Catalyse,
- Madeleine Louarn, metteuse en scène,
- No Anger , chercheuse et performeuse,
- Cy Jung , écrivaine,
- Elena Chamorro , professeure d’espagnole, et membre du CLHEE (Collectif Lutte et Handicaps pour l’Egalité et l’Emancipation),
- Charlotte Puiseux , psychologue, autrice de De chair et de fer, vivre dans une société validiste .
- Zig Blanquer , auteur de Nos existences handies ,
- Elisa Rojas , avocate, membre du CLHEE (Collectif Lutte et Handicaps pour l’Egalité et l’Emancipation),
- Michaëla Danjé, cofondatrice du collectif Cases rebelles ..
- Avec les comédien-ne‑s Sarah Wehbe et de Marc Colmar.
Liens
- L’invisibilisation des artistes handicapé-e‑s : texte de la conférence de No Anger donnée à Grenoble le 6 novembre 2021. En ligne sur son site, A mon geste défendant.
- Le « cripping up », ou le malaise des handicapés joués par des valides à l’écran. Article publié dans Slate, décembre 2020.
- L’art du handicap : entretien avec Sarah Heussaff, commissaire de l’exposition Autonomous Spaces (mai-juin 2017). A lire sur le site du magazine Mouvement.
- La représentation du handicap à l’antenne et l’accessibilité des programmes de télévision aux personnes handicapées. Rapport annuel 2019 du CSA
Attention ! Handicapée méchante. Une femme par-delà le handicap
Je ne peux que vous encourager à écouter cette émission de 2018 sur Elisabeth Auerbacher, dans Une histoire particulière, sur France Culture, en deux parties, de Philippe Roizès, réalisé par Assia Khalid (encore).
Atteinte d’un spina bifida, paralysée des jambes, Elisabeth Auerbacher n’a pas réellement connu l’enfermement familial et institutionnel que subissent les handicapés dans les années 50 et 60. Elle a eu la chance d’être issue d’une famille suffisamment à l’aise financièrement et de bénéficier d’une scolarité au milieu des enfants valides. Mais c’est bien dans une France où le handicap est caché, honteux, suscite la charité et les regards condescendants, qu’elle a grandi.
« L’infantilisation, c’est quand on vous empêche de faire ce que vous avez à faire ; pour vous garder comme un bébé. vous êtes toujours le petit, le bon petit handicapé. La notion de honte ne vient pas de l’école, ça vient complètement des proches dans la famille ». (Elisabeth Auerbacher)
Un regard qui marque, suscite la frustration, le désarroi puis la colère. C’est aussi cette rage qui lui permet de s’affirmer et de se construire, à partir de son handicap mais également de le dépasser. Quelques décennies sont passées, les handicapés sont un peu plus considérés aujourd’hui comme partie prenante de la société. Est-ce que le handicap, vraiment c’est une souffrance ? La souffrance, elle est par les autres qui vous renvoient à quelque chose. Mais au-delà du manque d’ambition des pouvoirs publics et de la servilité des grandes associations, est prise toute la mesure du chemin qu’il reste à parcourir pour gagner la bataille d’un véritable droit à la vie.
Avec Elisabeth Auerbacher et Nicolas Houguet.
Bibliographie :
- Louis-Albert Serrut, Commentaire sur ceux qui ne marchent pas à l’usage des marchants, Editions de la rose, 2015
- Charlotte de Vilmorin, Ne dites pas à ma mère que je suis handicapée, elle me croit trapéziste dans un cirque, Grasset, 2015
- Cara Zina, Handi-Gang, Libertalia, 2017
- Pascal Jacob, Liberté Egalité Autonomie, Dunod, 2018
Filmographie :
- Andrés Di Tella, 327 Cuadernos, Gema Films et Lupe Films, 2015
#2 Le comité de lutte des handicapés
A l’approche de la victoire de la gauche aux élections de 1981, Elisabeth Auerbacher fait le choix de la réforme plutôt que celui de la révolution.
Les handicapés… ils sont gentils, on ne les entend pas trop, on n’a pas trop envie de les voir non plus. Pourtant, comme toute minorité, comme toute réalité subjective, ils ont des espoirs, des revendications, des combats, des droits. Elisabeth Auerbacher leur a consacré une grande partie de sa vie. Longtemps, en France, les handicapés ne sont pas sortis de leur environnement familial ou étaient confiés à des institutions religieuses où ils vivaient en milieu fermé, loin de toute vie sociale.
« Dans les années 50–60, on ne voit pas d’handicapés dans la rue ! Ça n’existe pas ! »
Au handicap, vécu alors comme une fatalité, la seule réponse demeurait la charité. Et puis, la déferlante de contestation de Mai 68 a favorisé la prise de parole de catégories de la population qui ne l’avaient pas ou si peu : les femmes, les homosexuels, les psychiatrisés, les prisonniers et… les handicapés. Elisabeth Auerbacher, handicapée de naissance fut la fondatrice du premier collectif de réflexion et d’action sur le handicap. Minoritaire, ce groupe fit pourtant connaître avec force ses revendications qui s’avérèrent plus tard des pistes de travail des gouvernements et associations. Bien des choix et étapes de la vie d’Elisabeth Auerbacher furent dictés par cet engagement premier. Ce portrait est l’occasion de retracer son parcours et de mesurer le chemin parcouru.
C’est à l’université qu’Elisabeth Auerbacher a découvert la misère psychologique des handicapés, rassemblés dans un même secteur, coupés de la convivialité de la cafétéria qui leur était interdite. La destruction des trois marches qui l’en séparait lui attire l’intérêt de différentes personnes. Ensemble, ils fondent en 1973 le Comité de lutte des handicapés. Ce fut l’occasion d’une analyse politique du handicap, d’une réflexion sur la place réservée aux handicapés dans un système basé sur la rentabilité.
« A partir du moment où vous décidez et que vous analysez que c’est la société qui doit s’adapter ; à partir de là, la personne handicapée fait partie du monde ».
Le collectif multiplie les actions visibles et musclées pour faire entendre sa voix et ses revendications, jusqu’aux scissions internes et l’explosion du groupe. Prenant conscience des similitudes de traitement des handicapés et des détenus des prisons françaises, Elisabeth Auerbacher se rapproche du Comité d’action des prisonniers, pourfendeur du système carcéral. Puis, elle choisit de devenir avocate pénaliste.
Avec Elisabeth Auerbacher et Gérard Leblanc.
Bibliographie :
- Grégoire Ichok, Le travail des malades et des infirmes, Marcel Rivière, 1931
- Elisabeth Auerbacher, Babeth, handicapée méchante, Stock, 1982
- Pascal Doriguzzi, L’histoire politique du handicap, L’Harmattan, 1998
Filmographie :
- Gérard Leblanc (avec la collaboration du Collectif Cinéthique, du Comité de lutte des handicapés et du Groupe information asile), Bon pied, bon œil et toute sa tête, Collectif Cinéthique 1978 / Papier Gâchette 2014
Dans le Cours de l’histoire, en 2021, Xavier Mauduit a retracé une histoire du handicap.
Handicap, une histoire
L’histoire du handicap est un champ de recherche en pleine expansion. Sources archéologiques et archivistiques nous aident à esquisser l’histoire du handicap avec ses violences, ses luttes et sa prise en compte par la société civile et par l’État.
#1 Prendre en charge le handicap, une affaire d’État ?
La définition du mot « handicap » a évolué au fil du temps, de course hippique à « déficience physique ou mentale ». La loi du 11 février 2005 en donne une définition légale, inspirée de la classification internationale, mais depuis quand le handicap est-il devenu une affaire d’État ?
Avec
- Gildas Brégain Docteur en histoire, chargé de recherche au CNRS à l’École des hautes études en santé publique (laboratoire ARENES). Il est l’auteur de Pour une histoire du handicap au XXe siècle. Approches transnationales (Europe et Amériques) (PUR, 2018).
- Sophie Cluzel Secrétaire d’État chargée des personnes handicapées depuis 2017.
« Prendre en charge le handicap, est-ce une affaire d’État ? D’ailleurs, qu’est-ce que le handicap ? Pour en trouver la définition, regardons dans un dictionnaire, mais pas n’importe lequel : le « Dictionnaire des courses », de Charles de Lorbac, en 1869. Au XIXe siècle, « handicap » est un mot nouveau : « Hand in cap (main dans le chapeau.) — Mot d’origine irlandaise, qui est devenu, sur le turf, la désignation d’un genre de course fort intéressant. Tous les chevaux sont admis à y prendre part moyennant un poids qui leur est assigné par les Commissaires des courses, de façon à égaliser le plus possible les chances entre les différents chevaux ». Hand in cap, main dans le chapeau, semble plutôt d’origine anglaise, quand la mise était déposée dans une coiffure. Ainsi, un handicap est, à l’origine, une course de chevaux qui offre à tous les concurrents, des chances égales de succès. Puis le mot a changé de sens. Il désigne la « déficience physique ou mentale », indique le dictionnaire. Dès lors, qu’en est-il de l’attention portée aux chances égales de succès ? » Xavier Mauduit
La loi du 11 février 2005, pour l’égalité des droits et des chances, met en place le droit à la compensation du handicap et l’obligation de solidarité de l’ensemble de la société à l’égard des personnes handicapées. Cette loi formalise la nécessité d’assurer le respect des droits fondamentaux de tous, qu’il soit question de scolarité, d’emploi, d’accessibilité, et de plein exercice de la citoyenneté. Seize ans plus tard, les conditions de vie des personnes en situation de handicap ont-elles évoluées ? Comment s’est construit le concept de handicap ? Alors que la France a opté depuis la moitié du XXe siècle pour une prise en charge institutionnelle des personnes handicapées, comment basculer vers un modèle plus inclusif ?
« La loi de 2005 est la grande loi fondatrice après de multiples lois, elle n’est pas la première, il y en a eu beaucoup. Il y a eu la loi de 1975, la loi de 1987 donc, depuis longtemps, la France cherche par la loi à améliorer La situation des personnes en situation de handicap. Et c’est là la grande différence avec la loi de 2005 : nous prenons en compte l’interaction entre la personne handicapée et son environnement. La définition du handicap dans la loi de 2005 est la suivante : « Constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant. » Nous ne sommes plus du tout dans l’intégration, nous sommes dans la société inclusive ». Sophie Cluzel
Le phénomène d’institutionnalisation en France est complexe et surtout non linéaire. Il connaît des phases d’accélération au XIXe siècle avec la multiplication des hospices et des asiles, après la Première Guerre mondiale avec la multiplication des centres de rééducation et la grande phase d’institutionnalisation est surtout pendant la seconde moitié du XXe siècle. On observe à partir de 1958 une multiplication des structures d’hébergement et des structures médico-éducatives qui sont créés par des associations et subventionnées par l’État. Gildas Bregain
#2 Handicap et guerres mondiales : de la réparation à “l’extermination douce” ?
Le handicap en temps de guerre a une histoire particulière : mutilés de la Grande Guerre, victimes abandonnées ou cibles de la folie nazie durant la Seconde Guerre mondiale, les personnes en situation de handicap ont payé un très lourd tribut lors des conflits du XXe siècle.
Avec
- Clément Collard, doctorant au Centre d’histoire de Sciences Po, il prépare une thèse sur la rééducation et la réintégration professionnelles des mutilés de la Première Guerre mondiale en France.
- Isabelle Von Bueltzingsloewen, professeure d’histoire contemporaine et de sociologie de la santé à l’Université Lyon 2, dont elle est vice-présidente chargée de la recherche et des écoles doctorales. Elle est spécialiste d’histoire de la santé publique et de la médicalisation du XVIIIe au XXe siècle. Elle a notamment publié : Machines à instruire, machines à guérir. Les hôpitaux universitaires et la médicalisation de la société allemande 1730–1850 (Presses Universitaires de Lyon, 1997) et L’Hécatombe des fous. La famine dans les hôpitaux psychiatriques sous l’Occupation (Aubier, 2007, 2° édition Flammarion, 2009).
Handicap et guerres mondiales : de la réparation à “l’extermination douce” ? Quand il est question du handicap et de la guerre, nous pensons aux mutilés et aux « gueules cassées » de la Première Guerre mondiale. Nous pensons aussi aux victimes de la barbarie nazie. Qu’en est-il de la France ? Une inscription sur le Parvis des Droits de l’Homme à Paris indique : « Ici, le 10 décembre 2016, la Nation a rendu hommage aux 300 000 victimes civiles de la Seconde Guerre mondiale en France. 45 000 d’entre elles, fragilisées par la maladie mentale ou le handicap et gravement négligées, sont mortes de dénutrition dans les établissements qui les accueillaient. Leur mémoire nous appelle à construire une société toujours plus respectueuse des droits humains, qui veille fraternellement sur chacun des siens. François Hollande, Président de la République. » Le 10 décembre est la Journée internationale des droits de l’Homme. Que soient mentionnées les personnes fragilisées par la maladie mentale ou le handicap est le résultat d’une longue histoire. Xavier Mauduit
Le sort des handicapés physiques et mentaux dans les deux conflits mondiaux du XXe siècle diffère considérablement d’une guerre à l’autre, d’un handicap à l’autre. La violence des batailles de la Première Guerre mondiale suscite un intérêt et une volonté de prise en charge renouvelée des mutilés des guerres mais aussi des victimes “d’obusite” ou de stress post-traumatique. La situation est bien différente dans les années 1940. En ce qui concerne les “aliénés”, comme on disait alors, près de 50 000 meurent de faim sous le gouvernement de Vichy. Une véritable hécatombe.
La controverse autour de cette famine fait rage à partir des années 1980 : comment cette tragédie a‑t-elle pu se produire ? Peut-on vraiment dresser un parallèle entre cette situation et l’opération T4, véritable génocide programmé par le régime nazi en Allemagne ? Dans le contexte de sous-alimentation générale de la population, quelle importance accorder à la perception du handicap mental et psychique pour expliquer ces morts ?
« Il y a eu 45 000 victimes de la faim dans les hôpitaux psychiatriques sous l’occupation sachant qu’à époque, c’était le seul mode de prise en charge de la maladie mentale. Ces 45 000 victimes nous n’avons pas pu les compter une à une, c’est le résultat d’un calcul de surmortalité (…) c’est tout à fait considérable même si entre-temps on sait qu’il y’a aussi 50 000 victimes dans les hospices de vieillards pendant la même période 1940–1945. Que s’est-il passé ? Tous ces aliénés comme on les appelait encore jusqu’en 1952 sont morts de faim, mais aussi de froid ainsi que de pathologies afférentes à la dénutrition, par exemple il y a eu un rebond terrible de la tuberculose dans les hôpitaux psychiatriques ». Isabelle Von Bueltzingsloewen
« La Première Guerre mondiale marque un moment pionnier qui a une certaine postérité dans la prise en charge de l’invalidité. On le voit notamment dans l’histoire législative : les processus de politiques publiques qui sont mis en place à destination des mutilés de guerre ont vocation (…) à être étendus aux accidentés du travail, aux infirmes civils. Si l’on prend l’exemple de la rééducation professionnelle, en 1918, elle devient un droit pour tous les mutilés de guerre et, dès 1924, les autres types d’invalides ont le droit de rentrer dans les écoles de rééducation professionnelle. En 1930, cette possibilité leur est même offerte gratuitement ». Clément Collard
- Extrait du documentaire L’Hécatombe des fous réalisé par Élise Rouard (2007).
- Musique – Petite chanson des mutilés, texte de Benjamin Perret, interprétée par Christophe Perche.
#3 Soulager et appareiller les corps, que dit l’archéologie ?
L’archéologie nous livre des traces matérielles sur les personnes en situation de handicap. Chirurgie, prothèses et autres appareillages nous éclairent sur l’ingéniosité de nos aïeuls. Ils témoignent surtout de leurs capacités à prendre soin des plus faibles.
Avec
- Valérie Delattre, archéo-anthropologue à l’Inrap. Elle est coautrice avec Vincent Bergier de l’ouvrage jeunesse, Il était une fois la différence, les archéologues racontent le handicap (Actes Sud/Inrap, 2020) et de Handicap : quand l’archéologie nous éclaire (Le Pommier, 2018).
- Et Caroline Husquin, maître de conférence en histoire ancienne à l’Université de Lille. Elle est l’autrice de L’intégrité du corps en question, Perceptions et représentations de l’atteinte physique dans la Rome antique (PUR, 2020) et de « Fiat Lux ! Cécité et déficiences visuelles à Rome : réalités et mythologies, des ténèbres à la lumière”, Pallas. Revue d’études antiques, Presses universitaires du Mirail, 2018, p. 243–256.
« Soulager et appareiller les corps, que dit l’archéologie ? Bien sûr, nous imaginons la découverte d’un squelette avec une jambe ou une main en moins, avec une prothèse. L’archéologue se penche sur ce corps. Qu’en est-il de la conversation qui s’instaure entre ces deux êtres ? À coup sûr, il y a de l’intime. Toutefois, quand le handicap ne laisse pas de trace – la surdité ou la maladie, par exemple – que peut nous dire l’archéologue ? » Xavier Mauduit
D’après l’Organisation de Mondiale de la Santé, 15 % de la population mondiale serait aujourd’hui en situation de handicap, mais seuls 10 % de ces individus bénéficient des outils nécessaires à leur autonomie quotidienne. Soigner un handicap, qu’il soit visible ou pas, n’est pas qu’une affaire médicale. La façon dont sont prises en charge et soulagées les infirmités reflète la manière dont une communauté considère et entoure ses membres les plus vulnérables.
À rebours de l’idée qui voudrait que les communautés passées aient été plus rudes et brutales que la nôtre, l’archéologie nous montre que les handicapés ont toujours fait l’objet d’attentions et de soins particuliers. Ainsi, un enfant mort il y a 100 000 ans n’a pas été enterré seul, de peur qu’il soit trop vulnérable pour accomplir son voyage vers l’au-delà, ou encore un Mérovingien, amputé des avant-bras, a bénéficié de prothèses sur-mesure confectionnées par sa communauté. L’archéo-anthropologie nous révèle l’altruisme et l’ingéniosité des sociétés qui nous ont précédés. En plus de l’archéologie, l’histoire culturelle est mobilisée pour avoir une idée plus précise de la façon dont ont été présentés et perçus les corps différents. Comment la volonté de pallier la perte d’autonomie des plus vulnérables s’est-elle manifestée dans le passé ? Le rejet et la marginalisation des handicapés n’ont-ils toujours été que des événements isolés ? Notre conception contemporaine du handicap est-elle pertinente pour comprendre la façon dont les Anciens considéraient les défaillances physiques et mentales ?
« Il y a une évolution du regard en en fonction des circonstances. On ne porte pas le même regard sur la différence en temps troublés et en temps de paix ». Caroline Husquin
#4 Survivre ne suffit pas. Handicap, les luttes pour l’égalité
Droit au travail, au logement, à l’éducation, à des salaires égaux, à une vie matérielle décente, à des logements et des accès adaptés… La liste des luttes des personnes en situation de handicap est longue, sans doute aussi longue que celle des discriminations dont elles sont l’objet.
Avec
- Élisabeth Auerbacher, avocate honoraire, cofondatrice du premier collectif de réflexion et d’action sur le handicap “Comité de lutte des handicapés” en 1973 dont le journal fut Handicapés méchants. Elle a été Secrétaire nationale au handicap au Parti socialiste de 2003 à 2009. Elle est notamment l’autrice de Babeth handicapée méchante (Stock, 1982) et de “Politique, handicap et discriminations”, Reliance, vol. 23, no. 1, 2007.
- Cécile Morin, doctorante et militante handicapée, est porte-parole du CLHEE (Collectif lutte et handicaps pour l’égalité et l’émancipation). Elle est notamment l’autrice des articles « Le travail comme terrain de luttes politiques des personnes handicapées : l’exemple des mobilisations en France dans les années 1968 », CLHEE, 2018 et de “Le handicap, un impensé de l’enseignement de l’histoire”, Aggiornamento hist-geo, Hypothèses, 2019.
- Et No Anger, docteure en science politique, militante féministe et anti-validisme. Elle est spécialiste des mouvements sociaux et des questions liées au genre, au corps, à la sexualité. Elle a récemment soutenu une thèse portant sur la nudité comme instrument de contestation politique. Elle tient un blog où elle exprime son engagement antivalidiste, féministe et queer : À mon geste défendant. (Interview de No Anger par Xavier Mauduit)
« Survivre ne suffit pas. Handicap, les luttes pour l’égalité… et quelles luttes ! Elles apparaissent à travers les slogans et les campagnes de sensibilisation. Sobre : « Changeons notre regard sur le handicap » ou encore « Le handicap, tous concernés ». Parfois, le slogan est plus piquant : « Le handicap n’est pas contagieux, l’ignorance, oui » et « Si les handicapés arrêtaient de se plaindre, tout irait mieux ». Quand un automobiliste malotru c’est garé sur une place qui ne lui est pas attribuée, il est possible de coller sur son parebrise : « Si tu prends ma place, prends mon handicap ». Sinon, une très belle affiche montre le portrait d’une jeune fille, une écolière, avec ce texte : « Sixtine a les plus belles lunettes du monde, un cartable à fleurs, un hamster et 3 chromosomes 21… la différence est une chance » ». Xavier Mauduit
Les actions sociales de Mai 68 déclenchent une prise de conscience dans la communauté handicapée : leurs revendications pour l’égalité sont politiques et doivent être menées comme les autres luttes du moment. Des militants se regroupent alors en différentes associations et organisent des actions pour présenter leurs revendications : manifestations, grèves de la faim, occupation de bâtiments publics, journaux contestataires. Leur but ? Accéder à l’égalité entre les personnes handicapées et les personnes dites valides, en commençant par l’accès aux lieux publics et à la mobilité.
Aujourd’hui, par les lois de 1975 et 2005, l’accessibilité et l’égalité des personnes handicapées sont garanties, mais sont-elles effectives ? Alors que reste-t-il à faire ? Quel est l’héritage des premières luttes des années 1970 ?
Faire l’histoire de ces luttes est une gageure. En raison des difficultés d’accès à l’éducation supérieure des personnes handicapées, la recherche en histoire s’intéresse encore très peu au handicap. Que peut apporter l’histoire des luttes passées aux questions et aux revendications actuelles ?
Féminismes et handicaps : les corps indociles
Dans cet épisode d’Un podcast à soi, de Charlotte Bienaimé, produit par Arte Radio et réalisé par Samuel Hirsch, les handicaps sont abordés à travers le prisme des féminismes, explorant ce qui lie les luttes contre le sexisme et contre le validisme (c’est-à-dire les discriminations qui visent les personnes en situation de handicap) : l’oppression, l’invisibilisation et les violences.
Elisa Rojas
Dans Une journée particulière, sur France Inter, en février 2021, l’avocate Elisa Rojas, avocate explique en quoi « le problème du handicap, c’est politique et social. Ça ne relève pas du caritatif »
A bas le validisme, avec Charlotte Puiseux, podcast Le Chantier
À l’heure de l’inclusion et de la bienveillance, déclinées ad nauseam, quelle place réelle est faite aux personnes en situation de handicap en France ? Y aurait-il donc des vies plus valables que d’autres ? Que dit la loi ? Est-elle respectée ? Les engagements politiques ont-ils été tenus ? Comment les personnes handicapées s’organisent et militent pour une société vraiment inclusive ?
“A mes débuts militants, penser le handicap au cœur de la société, comme relié à tous les autres enjeux politiques, était une idée peu partagée. Le considérer comme une conséquence de stratégies étatiques qui choisissent de maintenir les personnes dans un statut ne leur donnant pas les moyens de s’émanciper économiquement, physiquement, socialement restait très largement minoritaire. Pourtant, il m’apparaissait de plus en plus urgent de diffuser ces idées au sein de la communauté handicapée, et de plus en plus évident que c’était ce que je voulais faire.”.
Charlotte Puiseux, psychologue clinicienne et docteure en philosophie, spécialiste du mouvement crip, militante anticapitaliste, handi-féministe au sein du collectif Les Dévalideuses, a décidé de diffuser plus largement son expérience de vie et de combat en publiant De chair et de fer, Vivre et lutter dans une société validiste, aux éditions La Découverte.
Ce combat est d’autant plus nécessaire que la société “validiste” s’acharne à maintenir un système d’oppression qui va de la conception à la mort des personnes en situation de handicap : ont-elles le droit de vivre, ont-elles le droit d’accéder à l’instruction, à l’école, à un emploi, à une vie sociale, à une vie amoureuse, … ? Et que dire de l’accès à l’espace public, une grande promesse restée quasi lettre morte !
Dans De chair et de fer, Charlotte Puiseux fait œuvre double ! D’une part, elle donne à comprendre son parcours et tout ce à quoi elle a été confrontée (et continue de l’être), et d’autre part, déconstruit l’édifice validiste, montrant qu’il se trouve à l’intersection de plusieurs formes d’oppression et/ou de contrôle (patriarcat, capitalisme, institutions : à l’exemple des MDPH ‑Maison Départementale pour les Personnes Handicapées-…).
“Les MDPH restent surtout perçues comme des agents de contrôle qui créent des catégories spécifiques poussant les gens à devoir performer leur handicap, c’est-à-dire à jouer le rôle attendu par la société afin de correspondre aux attentes de celles qui détiennent le pouvoir”.
La société validiste est un choix socio-politique, mais aussi économique. Et la question du travail en est un enjeu majeur :
“Dans notre société, le travail est exalté en tant que ressource financière, encouragé en vue de gagner plus pour pouvoir consommer davantage. Et c’est là que capitalisme et validisme fonctionnent de pair : en survalorisant la capacité à travailler selon des codes spécifiques au capitalisme (vitesse, rendement, productivité, flexibilité), le système exclut d’emblée certaines personnes du monde du travail. Ces personnes, ce sont les personnes handicapées.”
Le système perdure, efficacement secondé par les médias. Leur rôle est essentiel pour véhiculer des images normées, jouant sur les émotions, tel le Téléthon, chef d’oeuvre du désengagement des pouvoirs publics ou encore les Jeux Paralympiques, où le corps ne peut être glorifié, sanctifié que par la devise « Citius, Altius, Fortius – Communiter » – « Plus vite, plus haut, plus fort – ensemble », le dernier terme des plus “inclusifs” prêt à rire !
La lutte pour une vie autonome, dégagée des représentations misérabilistes et/ou spectaculaires, est un enjeu social et politique au bénéfice de l’ensemble du corps social. L’émancipation des personnes handicapées et l’avènement d’une société véritablement inclusive s’accompliront donc par la mise à bas du système validiste.
[…]
“La lutte tue
Mais elle rend forte,
Renforce la flamme
Des âmes qui pleurent
Des cœurs qui s’arment.”
[…]
D’autres voix militantes sur Radio Parleur :
- « Les militant·es bougent lentement sur le validisme », avec Céline Extenso.
- Cécile Morin : « Le placement en institution, c’est la mort sociale »
Les militant.es :
- Les Dévalideuses
- Collectif Lutte et Handicaps pour l’Égalité et l’Émancipation (CLHEE)
- Pour approfondir les notions : L’émergence des concepts de “capacitisme” et de “validisme” dans l’espace francophone
- Un petit état des lieux de la discrimination en France :
- Le magazine en ligne Basta (10 mars 2022) sur les discriminations dans l’accès au logement !
- Le Monde Diplomatique d’octobre 2022, Le handicap, première cause de discrimination.
Je suis preneur d’autres sources, n’hésitez pas !
La série Un mètre vingt https://www.arte.tv/fr/videos/RC-021939/un-metre-vingt/ disponible sur arte jusqu’au 17 août 2024, en provenance d’Argentine, créée par Rosario Perazolo Masjoan d’après son expérience personnelle. La jeune actrice est elle-même en situation de handicap. Validisme, sexualité, militantisme, luttes LBGT y sont abordés.
Yo tambien de, et avec, Pablo Pineda, grand militant espagnol porteur de trisomie 21 (difficile à trouver en stream mais DVD dispo)
Pour les aidants, un livre que j’ai conseillé à maintes reprises à des amies, « manuel à l’intention des parents ayant un enfant présentant de l’autisme » https://www.autismediffusion.com/livre-manuel-a-l-intention-des-parents-ayant-un-enfant-presentant-de-l-autisme-susa-c2x12648019 Une aide vraiment très précieuse !
Merci Annabelle, j’étais sûr que tu aurais des trucs super à partager
Merci pour cette compilation ! Je n’ai rien en français à rajouter qui ne soit pas hyper spécifique. Sinon, j’ai trouvé les liens morts suivants :
https://charlottepuiseux.com/
https://amongestedefendant.wordpress.com/2021/11/07/linvisibilisation-des-artistes-handicape-es/
https://www.grasset.fr/ne-dites-pas-ma-mere-que-je-suis-handicapee-elle-me-croit-trapeziste-dans-un-cirque-9782246807872/
https://www.slate.fr/story/197918/cinema-films-series-handicap-acteur-valide-cripping-upprobleme-discrimination-validisme
https://monstrograph.com/product/nos-existences-handies/
https://www.csa.fr/Informer/Toutes-les-actualites/Actualites/Rapport-annuel-2019-larepresentation-du-handicap-a-l-antenne-et-l-accessibilite-des-programmes-de-television-auxpersonnes-handicapees
https://fr.scribd.com/document/581207647/LSD-Handicap-e-pisode-2-Des-institutions-enfermantes
https://www.mouvement.net/teteatete/entretiens/lart-du-handicap
https://presses.univ-lyon2.fr/produit.php?id_produit=171
https://www.editions-lepommier.fr/handicap-quand-larcheologie-nous-eclaire
fantastique, merci ! Je vais les intégrer dès que..
Bonjour Richard,
Je pensais également aux contributions de Marie Rabatel qui est une personnalité iséroise qui milite bénévolement depuis presque 30 ans dans le champ du handicap, plus particulièrement dans l’autisme (sensibilisation des pouvoirs publics via l’AFFA – association francophone de femmes autistes – notamment) et la lutte contre les violences sexuelles sur les personnes en situation de vulnérabilité (en créant des outils pour les personnes, les proches, les pros…). Elle est experte à la HAS, à la Miprof aussi.
Fin 2023, France TV a réalisé un documentaire sur elle, son combat : « Cassée debout » (elle-même victime de VS étant ado) https://france3-regions.francetvinfo.fr/pays-de-la-loire/documentaire-cassee-debout-le-temoignage-de-marie-rabatel-la-voix-des-personnes-handicapees-victimes-de-violences-sexuelles-2858504.html .
Elle a travaillé en institution pendant de nombreuses années et aujourd’hui, elle dédie sa vie à son engagement.
Elle est régulièrement auditionnée par différentes délégations, interviewée dans les médias https://femmesautistesfrancophones.com/2017/08/02/laffa-dans-les-medias/… Elle est également membre de la CiiViSE depuis sa création. Il y a de nombreux webinaires en accès libre aussi auxquels elle participe.
Je me disais que la boite à outils de prévention des violences pour les personnes en situation de handicap (vie intime et affective) pourrait aussi vous intéresser (outils gratuits et accessibles autant que faire ce peu avec les (non) moyens à disposition) : https://femmesautistesfrancophones.com/2021/05/09/vie-sexuelle-handicap-outils-prevention/
Mon conflit d’intérêt : j’ai été secrétaire de l’AFFA de 2020 à 2023, Marie est une amie et j’ai bcp d’admiration pour elle 🙂
En tout cas, cette page de ressources est su-per ! Merci beaucoup d’avoir pris le temps de l’avoir publiée, merci aux contributeurices qui ajoutent des propositions. Bonne route ! Alex
J’espère que mon message ci dessus n’était pas déplacé. Si jamais y a des critiques à émettre je suis toute ouïe. Je précise que je suis pr les discussions et qu’on partage nos désaccords, qu on s’explique, car ça fait tjs avancer la réflexion 🙂 c’est peut être aussi par manque de temps que je n ai pas eu de réponse de Richard à mon comm peut être ? En tout cas j espère n’avoir blessé personne.
ah non pas du tout ! Au contraire votre com était super et comme je n’avais rien d’intelligent à dire, je n’ai rien dit ! J’aurais dû. 1000 mercis Alex !
Bonjour Richard,
Je viens ajouter le film un p’tit truc en plus dans les films validistes. J’ai juste vu la bande annonce pour l’instant (je pense essayer de regarder le film malgré tout) et ça m’a sauté aux yeux ! j’ai eu la sensation d’une accumulation de clichés par rapport au handicap mental, et je viens enfin de tomber sur l’article d’une personne qui a eu la même impression que moi https://www.politis.fr/articles/2024/05/artus-un-ptit-truc-en-plus-une-fable-pour-garder-les-yeux-fermes-validisme/ . À quand un film avec des personnes en situation de handicap dont le handicap n’est pas un sujet central ?
merci Annabelle !