Ce matin, je vérifiais quelle dose d’hétérosides phénoliques il y a dans la Reine-des-prés (Filipendula ulmaria, appelée parfois Spirée ulmaire, spirée ayant donné le spir dans l’Aspirine, brevetée par Bayer en 1899), pour m’assurer que j’ai raison de dire dans mes cours que pour obtenir autant d’aspirine (de salicylate de méthyl, obtenu par hydrolyse) que dans un comprimé 500mg d’aspirine, il faudrait brouter une botte entière de Reine-des-prés.
Finalement je ne suis pas sûr : on me dit selon les sources (variables) qu’il y a 0,3% d’hétérosides phénoliques (j’imagine que c’est un % en masse), donc ça veut dire qu’on aurait 500mg en broutant 200g de plante : en somme, pas une botte, mais une bonne gerbe quand même à mâchonner.
Puis j’ai regardé la famille des saules, à qui Paracelse, dans une longue tradition millénaire, aussi prêtait des propriétés anti-rhumatismales (en latin Salix, qui donnera salicylates). Et bizarrement, j’ai tiqué sur le nom du saule pleureur, Salix baylonica. Me suis dit : ça vient donc de Babylone ? Babylone, ou بابل, Bābil, c’est cent bornes au sud de Bagdad en Irak, et certes le fleuve Euphrate
y passe, mais ça ne doit quand même pas être la fête de l’humidité nécessaire pour les saules. Alors je regarde d’où vient ce nom, et c’est… Carl von Linné qui s’est foiré ! En 1736, il a appelé ce saule « babylonien » (alors qu’il est en réalité chinois) parce qu’il a cru reconnaître cet arbre dans le Psaume 137 (ou 136, selon la version du Psautier que vous préférez), ligne 2 :
« Aux saules de la contrée nous avions suspendu nos harpes » (In salicibus in medio eius suspendimus organa nostra) (עַל‑עֲרָבִים בְּתוֹכָהּ– תָּלִינוּ, כִּנֹּרוֹתֵינוּ)
Linné a un peu craqué, donc, et s’est gouré d’arbre. C’est le botaniste (et hébraïste) prussien Paul F. A. Ascherson (1834 – 1913) qui a démontré, en 18721 que, dans le passage « Aux saules de la contrée nous avions suspendu nos harpes », la traduction d”« Arâbîm » par « saules » est une erreur et qu’il s’agit en réalité de Peupliers de l’Euphrate (Populus euphratica). Le saule a néanmoins gardé son nom latin babylonica, mais certaines Bibles ont corrigé leur traduction et indiquent désormais « Aux peupliers de la contrée nous avions suspendu nos harpes ».
Ce qui montre que les textes sacrés ne sont pas si immuables que ça.
Je dédie ce petit billet à la revue Espèces, et à mon copain Xerophyte. Et comme il s’agit d’accrocher des harpes, clin d’oeil à Maela Le Badezet la harpiste.
Notes
- dans Sitzungsb. Gesell. Naturf. Freunde, Berlin, p. 92, si j’en crois Paul Fournier, « Histoire du Populus euphratica Oliv. », Bulletin de la Société Botanique de France, vol. 101, nos 1–2, janvier 1954, p. 8.
l’arabie était couverte d’une grande forêt de cèdres, et de saules peut-être, jusqu’à Babylone.
C’est possible ? Si vous avez une ref là-dessus, je l’incorpore. Merci
Ce blog a le don de m’apprendre des choses que j’ignorais vouloir connaître.
merci !!