Guy-Claude Bur­ger, Thier­ry Casas­no­vas, Irène Gros­jean et Pierre-Valen­tin Mar­ches­seau (cap­tures d’é­cran). Cré­dit : INA / You­Tube

Le jour­na­liste Thi­baut Shep­man m’a deman­dé mon avis, ain­si que ceux de l’é­pi­dé­mio­lo­giste en san­té publique Thi­bault Fio­let et de Clé­ment (mon ancien étu­diant !) du col­lec­tif l’Ex­trac­teur, sur quelques docu­ments en vue de son excellent article « Aux sources de la stra­té­gie média­tique des natu­ro­pathes », publié le 5 décembre 2022 dans INA, La revue des Médias (ici). Seul regret : ne pas y lire l’a­na­lyse de mon amie Sohan Tri­coire, dié­té­ti­cienne et ancienne natu­ro­pathe « décon­ver­tie ». Une pro­chaine fois.

Voi­ci les quelques élé­ments en plus que j’ai don­nés à Thi­baut mais qui n’ont pu trou­ver place dans son article.

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D’a­bord, le repor­tage dif­fu­sé le 6 novembre 1985 sur Antenne 2 pré­sen­tant Guy-Claude Bur­ger.

J’é­cri­vais que c’est récur­rent dans de nombres champs nutri­tion­nels ou thé­ra­peu­tiques de reven­di­quer des usages ances­traux que notre monde moderne (« occi­den­tal », tech­no­lo­gique, peu importe la figure de repous­soir) aurait effa­cé à tort. Cet « appel à l’an­cien­ne­té » donne une cer­taine patine aux choses, sous-enten­dant que si nos ancêtres le fai­saient, et qu’on est encore là, alors ça doit être intrin­sè­que­ment bon. Le pro­blème, c’est que ancienne ou récente importe peu, ce qui fait qu’une méthode reçoit un plé­bis­cite scien­ti­fique c’est le cor­pus de preuve qu’elle four­nit. Or ici, il n’y a que des témoi­gnages, des argu­ments d’au­to­ri­té, de pré­ten­dus « méde­cins » qui viennent se for­mer mais dont on n’a pas le détail. Un exemple : on nous pré­sente le doc­teur Cathe­rine Aime­let comme cau­tion un peu gra­tuite (dame qui sera ensuite connue sous le nom de Aime­let-Per­is­sol comme « psy­cho­pra­ti­cienne » en logique émo­tion­nelle)

J’ai quelques doutes aus­si : G‑C. Bur­ger dit avoir été « char­gé de cours à la facul­té de Bobi­gny dans le dépar­te­ment de natu­ro­thé­ra­pie ». La branche de Paris XIII à Bobi­gny, c’est effec­ti­ve­ment la branche médi­cale, avec l’Ho­pî­tal Avi­cenne – qui a d’ailleurs une his­toire ter­rible que j’ai racon­tée ici). Mais ima­gi­ner en 1985 un « dépar­te­ment » de natu­ro­pa­thie ? Mon cur­seur vrai­sem­blance est très très bas. Qu’il y fusse char­gé de cours, avec une for­ma­tion de vio­lon­cel­liste, laisse per­plexe. Il est guère éton­nant qu’il eut été pour­sui­vi d’ailleurs, pour exer­cice illé­gal de la méde­cine.

Je ne m’ap­pe­san­tis pas sur les notions ambi­guës comme « molé­cules anor­males », sans par­ler du flou des pré­ten­tions sur les chan­ge­ments de com­por­te­ment sexuel (qui laisse mal­heu­reu­se­ment pré­sa­ger les accu­sa­tions dont il fut l’ob­jet par la suite).

Chose étrange que semble oublier G‑C Bur­ger, c’est que géné­ra­le­ment, les ancêtres, il y a plus de 400 000 ans, man­geaient certes cru, mais pas par choix. Avec des consé­quences évi­dente sur l’es­pé­rance de vie à la nais­sance, ain­si que des para­si­toses que le cuit évi­te­ra par la suite.

 

Le deuxième docu­ment est celui-ci : en 1980, deux édi­tions locales de FR3 décident de consa­crer un sujet à la natu­ro­pa­thie en tour­nant direc­te­ment chez un thé­ra­peutes, à Bor­deaux, Thier­ry Tour­ne­bise.

J’ai dit à Thi­baut que outre l’in­con­grui­té de l’u­sage d’une tech­nique d’i­ri­do­lo­gie, remon­tant au Hon­grois Von Pec­ze­ly au XIXe, et qui n’a jamais fait ses preuves en terme de diag­nos­tic (il y a de belles études sur le sujet), le point cen­tral ici est la défi­ni­tion de tech­niques « natu­relles ». Le mot natu­rel est un piège, car il implique pour beau­coup de gens non aver­tis aus­si bien « nor­mal » et « dési­rable » que « non trans­for­mée ». Or la nature n’est ni bonne ni mau­vaise en soi, tout dépend des usages. Et s’il s’a­git de ne gar­der des tech­niques natu­relles, alors le sau­na, à part si l’on vit sur un ter­rain vol­ca­nique actif, n’est pas très « natu­rel ».

Par ailleurs, l’a­cu­punc­ture ou le shiat­su n’ont pas grand chose de « natu­rel » (à la rigueur peut-on dire que c’est non inva­sif) mais le hic, c’est que ces tech­niques reposent sur une car­to­gra­phie de méri­diens dont il n’y a aucune preuve d’exis­tence mal­gré des décen­nies de recherche. On relè­ve­ra que le diplôme affi­ché n’est qu’un cer­ti­fi­cat, interne à l’ins­ti­tut (nom que tout le monde peut prendre) d’hy­giène natu­relle, créée en 1973 par Mar­ches­seau si je me sou­viens bien. Hygié­niste n’est pas non plus une pro­fes­sion de san­té (hor­mis en Suisse et au Qué­bec, pou hygié­niste den­taire, assis­tant du den­tiste). Diététicien·ne ne le sera qu’en 2007

Chose cocasse, je connais Thier­ry Tour­ne­bise, car il a lan­cé le concept de maïeus­thé­sie (qui n’existe que dans ses propres ouvrages) https://www.maieusthesie.com/

 

 

Troi­sième docu­ment,  Jean-Claude Leblanc dans son cabi­net à Amiens. Repor­tage dif­fu­sé le 10 avril 1980 sur FR3 Picar­die.

https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/rcc8905213234/jean-claude-leblanc-naturopathe

C’est sen­si­ble­ment la même chose. S’y greffe l’au­ri­cu­lo­thé­ra­pie, tech­nique sans fon­de­ment hélas, inven­tée par Nogier en 1956, de même que la sym­pa­thi­co­thé­ra­pie, qu’on doit quant à elle à Leprince (1930) et qui sont consi­dé­rés au mieux comme des soins pla­ce­bo. La ques­tion du magné­tisme dit « ani­mal » a été l’ob­jet de maintes études depuis les pré­ten­tions de Franz-Anton Mes­mer en 1775, sans aucun suc­cès. Que le magné­tisme recharge la « sub­stance blanche »… ? Reste à savoir ce qu’est la sub­stance blanche. Quant à « rechar­ger » les  plexus, qui sont des réseaux de fibres ner­veuses avec ana­sto­mose ou non, je pense que cette phrase n’a aucun sens scien­ti­fique.

Le client impute un symp­tome flou, comme un regain de forme ou une fatigue qui passe, à la prise de germes de blé, avec un risque de post hoc ergo prop­ter hoc. Il est en effet pos­sible (pro­bable ?) que le temps soit le para­mètre cen­tral du mieux-être dans un cas comme celui-là

Le point cen­tral ici est l’i­dée-force qu’il faut trou­ver la cause pour pou­voir gué­rir. C’est en ligne directe avec la méde­cine des 1ers siècles chré­tiens, où la mala­die a un sens divin qu’il faut décryp­ter. C’est très sédui­sant, mais le risque est qu’on se satis­fasse d’une fausse cause, et qu’on parte ensuite sur des voies de gué­ri­son en lien avec cette cause allé­gué, qui ont des chances de se révé­ler des impasses. Autant sur des mala­dies bénignes, ce n’est pas grave, autant sur des cas de can­cers ce n’est plus la même his­toire !

On aura sûre­ment rele­vé le com­men­taire sur le fait que les gens veulent se tour­ner vers un autre rap­port au corps que celui de la méde­cine tra­di­tion­nelle. Or ce qu’il pra­tique ici c’est de la thé­ra­pie plus ou moins… tra­di­tion­nelle ! La méde­cine scien­ti­fique, elle, a 120 ans à peu près… Bref, ques­tion de ter­mi­no­lo­gie.

A ma connais­sance, sa théo­rie sur le can­cer en 7 ans, et son art de faire « recu­ler » le can­cer, sortent de son seul esprit. L’ar­gu­ment de for­ma­tion dans un ins­ti­tut (lequel d’ailleurs) est vide de sens, mais sur­tout j’ai du mal à croire en l’é­cou­tant qu’il ait fait 5 ans de for­ma­tion.

 

Enfin, le « patriarche », Pierre-Valen­tin Mar­ches­seau, qui s’ex­prime sur l’ORTF le 9 jan­vier 1974.

https://t.co/avwCP4CPTy

Tiens ! C’est P‑V. Mar­ches­seau dont je par­lais tan­tôt, fon­da­teur de l’« Ins­ti­tut d’Hygiène Vitale » ! Chose sym­pa­thique, il reven­dique pré­ci­sé­ment ses rami­fi­ca­tions concep­tuelles : vita­lisme, théo­rie hip­po­cra­tique des humeurs, usage de la ter­mi­no­lo­gie homéo­pa­thique (avec « allo­pathe », terme qui ne désigne rien d’autre que « tout ce qui n’est pas homéo­pa­thie »), typo­lo­gie de per­son­na­li­tés (car­bo­nique, diges­tif, « loi » de dila­ta­tion-rétrac­tion, etc.) héri­tées de l’an­cienne mor­pho­psy­cho­lo­gie de Louis Cor­man (qu’il site deux fois d’ailleurs), elle-même simi­li-branche de la phy­siog­no­mo­nie, en vogue au XIXe notam­ment auprès de Cesare Lom­bro­so, et com­plè­te­ment aban­don­née depuis. Je ne sais pas trop quoi ajou­ter, si ce n’est qu’il aime beau­coup fonc­tion­ner par ana­lo­gie. Très beau per­son­nage, Mar­ches­seau, je l’a­vais lu mais jamais entendu.Tu note­ras le moment où la dame dit qu’elle retour­ne­ra fina­le­ment voir l’hy­gié­niste plu­tôt que son méde­cin – cas typique de risque de mau­vaise orien­ta­tion ou de perte de temps si elle fait ça dans un contexte patho­lo­gique grave.

 

Voi­là ce que j’a­vais à dire. Faites-en ce que vous vou­drez.

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