Le journaliste Thibaut Shepman m’a demandé mon avis, ainsi que ceux de l’épidémiologiste en santé publique Thibault Fiolet et de Clément (mon ancien étudiant !) du collectif l’Extracteur, sur quelques documents en vue de son excellent article « Aux sources de la stratégie médiatique des naturopathes », publié le 5 décembre 2022 dans INA, La revue des Médias (ici). Seul regret : ne pas y lire l’analyse de mon amie Sohan Tricoire, diététicienne et ancienne naturopathe « déconvertie ». Une prochaine fois.
Voici les quelques éléments en plus que j’ai donnés à Thibaut mais qui n’ont pu trouver place dans son article.
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D’abord, le reportage diffusé le 6 novembre 1985 sur Antenne 2 présentant Guy-Claude Burger.
J’écrivais que c’est récurrent dans de nombres champs nutritionnels ou thérapeutiques de revendiquer des usages ancestraux que notre monde moderne (« occidental », technologique, peu importe la figure de repoussoir) aurait effacé à tort. Cet « appel à l’ancienneté » donne une certaine patine aux choses, sous-entendant que si nos ancêtres le faisaient, et qu’on est encore là, alors ça doit être intrinsèquement bon. Le problème, c’est que ancienne ou récente importe peu, ce qui fait qu’une méthode reçoit un plébiscite scientifique c’est le corpus de preuve qu’elle fournit. Or ici, il n’y a que des témoignages, des arguments d’autorité, de prétendus « médecins » qui viennent se former mais dont on n’a pas le détail. Un exemple : on nous présente le docteur Catherine Aimelet comme caution un peu gratuite (dame qui sera ensuite connue sous le nom de Aimelet-Perissol comme « psychopraticienne » en logique émotionnelle)
J’ai quelques doutes aussi : G‑C. Burger dit avoir été « chargé de cours à la faculté de Bobigny dans le département de naturothérapie ». La branche de Paris XIII à Bobigny, c’est effectivement la branche médicale, avec l’Hopîtal Avicenne – qui a d’ailleurs une histoire terrible que j’ai racontée ici). Mais imaginer en 1985 un « département » de naturopathie ? Mon curseur vraisemblance est très très bas. Qu’il y fusse chargé de cours, avec une formation de violoncelliste, laisse perplexe. Il est guère étonnant qu’il eut été poursuivi d’ailleurs, pour exercice illégal de la médecine.
Je ne m’appesantis pas sur les notions ambiguës comme « molécules anormales », sans parler du flou des prétentions sur les changements de comportement sexuel (qui laisse malheureusement présager les accusations dont il fut l’objet par la suite).
Chose étrange que semble oublier G‑C Burger, c’est que généralement, les ancêtres, il y a plus de 400 000 ans, mangeaient certes cru, mais pas par choix. Avec des conséquences évidente sur l’espérance de vie à la naissance, ainsi que des parasitoses que le cuit évitera par la suite.
Le deuxième document est celui-ci : en 1980, deux éditions locales de FR3 décident de consacrer un sujet à la naturopathie en tournant directement chez un thérapeutes, à Bordeaux, Thierry Tournebise.
J’ai dit à Thibaut que outre l’incongruité de l’usage d’une technique d’iridologie, remontant au Hongrois Von Peczely au XIXe, et qui n’a jamais fait ses preuves en terme de diagnostic (il y a de belles études sur le sujet), le point central ici est la définition de techniques « naturelles ». Le mot naturel est un piège, car il implique pour beaucoup de gens non avertis aussi bien « normal » et « désirable » que « non transformée ». Or la nature n’est ni bonne ni mauvaise en soi, tout dépend des usages. Et s’il s’agit de ne garder des techniques naturelles, alors le sauna, à part si l’on vit sur un terrain volcanique actif, n’est pas très « naturel ».
Par ailleurs, l’acupuncture ou le shiatsu n’ont pas grand chose de « naturel » (à la rigueur peut-on dire que c’est non invasif) mais le hic, c’est que ces techniques reposent sur une cartographie de méridiens dont il n’y a aucune preuve d’existence malgré des décennies de recherche. On relèvera que le diplôme affiché n’est qu’un certificat, interne à l’institut (nom que tout le monde peut prendre) d’hygiène naturelle, créée en 1973 par Marchesseau si je me souviens bien. Hygiéniste n’est pas non plus une profession de santé (hormis en Suisse et au Québec, pou hygiéniste dentaire, assistant du dentiste). Diététicien·ne ne le sera qu’en 2007
Chose cocasse, je connais Thierry Tournebise, car il a lancé le concept de maïeusthésie (qui n’existe que dans ses propres ouvrages) https://www.maieusthesie.com/
Troisième document, Jean-Claude Leblanc dans son cabinet à Amiens. Reportage diffusé le 10 avril 1980 sur FR3 Picardie.
https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/rcc8905213234/jean-claude-leblanc-naturopathe
C’est sensiblement la même chose. S’y greffe l’auriculothérapie, technique sans fondement hélas, inventée par Nogier en 1956, de même que la sympathicothérapie, qu’on doit quant à elle à Leprince (1930) et qui sont considérés au mieux comme des soins placebo. La question du magnétisme dit « animal » a été l’objet de maintes études depuis les prétentions de Franz-Anton Mesmer en 1775, sans aucun succès. Que le magnétisme recharge la « substance blanche »… ? Reste à savoir ce qu’est la substance blanche. Quant à « recharger » les plexus, qui sont des réseaux de fibres nerveuses avec anastomose ou non, je pense que cette phrase n’a aucun sens scientifique.
Le client impute un symptome flou, comme un regain de forme ou une fatigue qui passe, à la prise de germes de blé, avec un risque de post hoc ergo propter hoc. Il est en effet possible (probable ?) que le temps soit le paramètre central du mieux-être dans un cas comme celui-là
Le point central ici est l’idée-force qu’il faut trouver la cause pour pouvoir guérir. C’est en ligne directe avec la médecine des 1ers siècles chrétiens, où la maladie a un sens divin qu’il faut décrypter. C’est très séduisant, mais le risque est qu’on se satisfasse d’une fausse cause, et qu’on parte ensuite sur des voies de guérison en lien avec cette cause allégué, qui ont des chances de se révéler des impasses. Autant sur des maladies bénignes, ce n’est pas grave, autant sur des cas de cancers ce n’est plus la même histoire !
On aura sûrement relevé le commentaire sur le fait que les gens veulent se tourner vers un autre rapport au corps que celui de la médecine traditionnelle. Or ce qu’il pratique ici c’est de la thérapie plus ou moins… traditionnelle ! La médecine scientifique, elle, a 120 ans à peu près… Bref, question de terminologie.
A ma connaissance, sa théorie sur le cancer en 7 ans, et son art de faire « reculer » le cancer, sortent de son seul esprit. L’argument de formation dans un institut (lequel d’ailleurs) est vide de sens, mais surtout j’ai du mal à croire en l’écoutant qu’il ait fait 5 ans de formation.
Enfin, le « patriarche », Pierre-Valentin Marchesseau, qui s’exprime sur l’ORTF le 9 janvier 1974.
Tiens ! C’est P‑V. Marchesseau dont je parlais tantôt, fondateur de l’« Institut d’Hygiène Vitale » ! Chose sympathique, il revendique précisément ses ramifications conceptuelles : vitalisme, théorie hippocratique des humeurs, usage de la terminologie homéopathique (avec « allopathe », terme qui ne désigne rien d’autre que « tout ce qui n’est pas homéopathie »), typologie de personnalités (carbonique, digestif, « loi » de dilatation-rétraction, etc.) héritées de l’ancienne morphopsychologie de Louis Corman (qu’il site deux fois d’ailleurs), elle-même simili-branche de la physiognomonie, en vogue au XIXe notamment auprès de Cesare Lombroso, et complètement abandonnée depuis. Je ne sais pas trop quoi ajouter, si ce n’est qu’il aime beaucoup fonctionner par analogie. Très beau personnage, Marchesseau, je l’avais lu mais jamais entendu.Tu noteras le moment où la dame dit qu’elle retournera finalement voir l’hygiéniste plutôt que son médecin – cas typique de risque de mauvaise orientation ou de perte de temps si elle fait ça dans un contexte pathologique grave.
Voilà ce que j’avais à dire. Faites-en ce que vous voudrez.
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