Il y a par­fois dans ma vie d’en­sei­gnant des moments d’a­pe­san­teur, comme lors­qu’on lance un groupe d’étudiant·es sur un sujet bien com­plexe, et qu’ils et elles se dépa­touillent brillam­ment du truc.

J’ai incrus­té cette année avec mon col­lègue géo­logue Laurent Hus­son un module « Sciences pseu­dos­ciences et pen­sée cri­tique » dans le Mas­ter Sciences de la Terre et des pla­nètes, envi­ron­ne­ment (STPE). Dans la petite pro­mo, s’est for­mé un groupe de cinq, Yan­nick Bou­cha­rat, Cla­ra Boul­lerne, Maxime Chol­lat, Anna Duhoux et Lison Groë­ninck, que j’ai lancé·es sur une piste épi­neuse comme un robi­nier faux-aca­cia : l’in­cul­pa­tion de scien­ti­fiques dans le cadre de la non-pré­vi­sion du séisme du 6 octobre 2009 à L’A­qui­la.  De fil en aiguille, nous avons rap­pro­ché un autre cas en par­tie simi­laire, l’af­faire de l’é­rup­tion de la Sou­frière en 1976, et le groupe a tra­vaillé sur les ques­tions de res­pon­sa­bi­li­tés et de déon­to­lo­gique pro­fes­sion­nelles. Je vous livre ce tra­vail, en for­mat pdf ici, ou ci-des­sous.

Le club des 5

Le club des 5

Risques naturels : à qui la faute ?

Réflexions sur deux cas d’étude

Par Yan­nick Bou­cha­rat, Cla­ra Boul­lerne, Maxime Chol­lat, Anna Duhoux & Lison Groë­ninck

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Chercheur et responsabilité ?

Lorsque l’on ima­gine un cher­cheur à l’œuvre, il est facile de se le repré­sen­ter comme un être cher­chant à répondre à un pro­blème scien­ti­fique ultra-spé­cia­li­sé, com­pris et appré­cié par lui seul (et éven­tuel­le­ment quelques-uns de ses col­lègues), ter­ré au fond du labo­ra­toire qui lui sert d’antre. Or un cher­cheur, même s’in­té­res­sant à une dis­ci­pline qua­li­fiée de “fon­da­men­tale” et exer­çant dans une struc­ture publique, pro­duit une connais­sance qui existe au sein d’une socié­té : elle a été éla­bo­rée grâce à des finan­ce­ments ciblés, elle peut être dif­fu­sée au grand publique par des pro­ces­sus de vul­ga­ri­sa­tion scien­ti­fique et est par­fois ré-uti­li­sée, dans le cadre cette fois d’une appli­ca­tion concrète (indus­trielle, poli­tique…), dont le cher­cheur ne maî­trise a prio­ri pas la nature. En tant que spé­cia­liste d’une dis­ci­pline, un cher­cheur peut éga­le­ment être appe­lé à revê­tir le sta­tut d’expert, et être habi­li­té par ce nou­vel exer­cice à four­nir ses conclu­sions scien­ti­fiques sur des pro­blé­ma­tiques sociales. En sciences de la Terre, par­ti­cu­liè­re­ment, la dis­ci­pline de l’étude des risques natu­rels consti­tue l’un de ces points de contact entre la science, la poli­tique et des consi­dé­ra­tions d’ordre moral. En effet, dans des zones où les aléas natu­rels sont pré­sents, comme par exemple les zones très sis­miques, à haut risque vol­ca­nique, mais aus­si inon­dables ou sou­mises à de poten­tiels glis­se­ment de ter­rain, il est nor­mal de cher­cher à qua­li­fier et quan­ti­fier le risque, dans le but de pro­té­ger les popu­la­tions, mais aus­si les infra­struc­tures. On fait alors appel à un scien­ti­fique, lequel, ébloui par l’intensité lumi­neuse au sor­tir de sa grotte, peut oublier qu’en deve­nant expert, les réper­cus­sions des conclu­sions à tirer prennent de l’ampleur et le public auquel il s’adresse change. Sa res­pon­sa­bi­li­té, qu’on pou­vait jusqu’alors consi­dé­rer comme négli­geable, devient ain­si un enjeu capi­tal à carac­té­ri­ser. Dans les cas où les risques ont été mal éva­lués (qu’ils soient intrin­sè­que­ment impré­vi­sibles ou non) et que des vic­times ou dégâts sont à déplo­rer, le cher­cheur doit-il être tra­duit en jus­tice et condam­né pour son impru­dence et/ou ses erreurs d’interprétation du risque ? Afin de mieux com­prendre la res­pon­sa­bi­li­té des cher­cheurs dans ce domaine, deux cas his­to­riques seront pré­sen­tés, où l’opinion publique, voire la jus­tice, a consi­dé­ré que les scien­ti­fiques avaient failli à leur mis­sion d’experts et étaient donc en par­tie res­pon­sables. Durant le séisme de L’Aquila (Ita­lie) en 2009, une mau­vaise com­mu­ni­ca­tion d’un risque connu comme éle­vé aura entraî­né de nom­breuses vic­times mais aus­si la des­truc­tion de mil­liers de bâti­ments. En Gua­de­loupe durant l’éruption de la Sou­frière en 1976, un risque, minime à pos­té­rio­ri, fut bien com­mu­ni­qué mais sur­éva­lué, condui­sant à une éva­cua­tion pro­lon­gée et une polé­mique gran­dis­sante entre deux scien­ti­fiques. Dans un cas comme dans l’autre, la parole scien­ti­fique peut être vue comme “dis­cré­di­tée”, et à tra­vers une ana­lyse de cas, nous cher­che­rons à com­prendre com­ment et pour­quoi la res­pon­sa­bi­li­té scien­ti­fique a alors été enga­gée.

 

Séisme de L’Aquila : les faits

L'Aquila, Italie, 2009. Crédit : L'Express

Séisme de L’A­qui­la, Ita­lie, 2009. Cré­dit : L’Ex­press

Le pre­mier évé­ne­ment étu­dié est lié au séisme sur­ve­nu en 2009 dans la ville de L’Aquila, située au sein de la chaîne des Apen­nins dans les Abruzzes, région à sis­mi­ci­té très forte en Ita­lie. La majo­ri­té des infor­ma­tions fac­tuelles dans cette pre­mière par­tie sont tirées des articles de Benes­sia & De Mar­chi (2017) et de Hall (2011).

À par­tir de décembre 2008, des séismes de magni­tude faible se font res­sen­tir par la popu­la­tion dans la ville ita­lienne. L’alerte est lan­cée le 30 mars 2009 suite à de nom­breux séismes de magni­tude allant jusqu’à 4. La Com­mis­sione Gran­di Rischi (Com­mis­sion Grands Risques), se déroule le len­de­main (31 mars) en urgence face à cette situa­tion qui semble cri­tique, et ne dure que peu de temps. Cette com­mis­sion a pour but affi­ché de four­nir aux habi­tants “toutes les infor­ma­tions dont dis­pose la com­mu­nau­té scien­ti­fique, à pro­pos de l’activité sis­mique des der­nières semaines”, et est consti­tuée d’un groupe de scien­ti­fiques mais aus­si plus inha­bi­tuel­le­ment d’officiers gou­ver­ne­men­taux et d’officiels poli­tiques. Le compte ren­du fait état d’une dis­cus­sion confuse concer­nant majo­ri­tai­re­ment l’étude de la sis­mi­ci­té pas­sée : comme pré­ci­sé par Boschi, l’un des géo­phy­si­ciens, dans une lettre à la Pro­tec­tion civile publiée en 2009 : “les actions à entre­prendre n’ont pas même été évo­quées”. Le mes­sage rete­nu suite à cette entre­vue est rap­por­té lors d’une confé­rence de presse impro­vi­sée, sans valeur scien­ti­fique, par un offi­cier de la Pro­tec­tion Civile, B. De Ber­nar­di­nis : la situa­tion de L’Aquila est “nor­male” et “ne pose pas de dan­ger”, ajou­tant que “la com­mu­nau­té scien­ti­fique assure que c’est une situa­tion favo­rable car la décharge d’énergie en petits tre­mors réduit la pro­ba­bi­li­té d’oc­cur­rence d’un évé­ne­ment plus fort par la suite”. Cette annonce ne donne lieu à aucune consigne poli­tique rela­tive à la ges­tion du risque, et est donc inter­pré­tée par la popu­la­tion de manière indi­vi­duelle ; les habi­tants de L’Aquila tendent à être ras­su­rés par les infor­ma­tions dont ils dis­posent, et beau­coup ne prennent pas la déci­sion d’évacuer.

Le matin du 6 avril 2009, un séisme de magni­tude 6,3 a lieu. Le bilan est très lourd, la catas­trophe dans sa fina­li­té aura cau­sé la mort de 309 civil.e.s, bles­sé plus de 1500 per­sonnes et détruit des dizaines de mil­liers de bâti­ments de la cité médié­vale. Il est à noter qu’un trem­ble­ment pré­cur­seur majeur avait eu lieu en début de nuit entre le 5 et le 6 avril, mais négli­gé par cer­tains habi­tants, qui furent ras­su­rés par la com­mis­sion. On peut pen­ser qu’ils auraient pris les pré­cau­tions habi­tuelles s’ils n’avaient pas été “més­in­for­més”.

Lors d’un pro­cès ini­tié en sep­tembre 2011 suite à la plainte rapi­de­ment dépo­sée par les vic­times et familles de vic­times, 6 cher­cheurs ita­liens (Enzo Boschi, Fran­co Bar­be­ri, Mau­ro Dolce, Clau­dio Eva, Giu­lio Sel­vag­gi, Michele Cal­vi) et l’officier Ber­nar­do De Ber­nar­di­nis, cha­cun ayant par­ti­ci­pé à la Com­mis­sion du 31 mars, risquent une peine de plu­sieurs années d’emprisonnement et de très lourds dom­mages et inté­rêts. Ils sont fina­le­ment condam­nés pour “homi­cide par impru­dence” à 6 ans d’emprisonnement, et inter­dits de poste dans la fonc­tion publique à vie. En appel devant la cour de cas­sa­tion, les 6 scien­ti­fiques sont inno­cen­tés en avril 2014, tan­dis que B. De Ber­nar­di­nis est condam­né à 2 ans de pri­son pour la faus­se­té et l’incomplétude de son dis­cours devant les médias. Le ver­dict est confir­mé en 2015 par la Cour Suprême, peu de temps avant que le direc­teur de la Pro­tec­tion Civile, Ber­to­la­so, à l’origine de la réunion de la Com­mis­sion, soit lui aus­si inno­cen­té (Cart­lidge, 2016).

 

Un procès de la science ?

Ces dif­fé­rents pro­cès et accu­sa­tions donnent lieu à un tol­lé dans la com­mu­nau­té scien­ti­fique inter­na­tio­nale : lettre ouverte au pré­sident ita­lien (Ame­ri­can Asso­cia­tion for the Advan­ce­ment of Science, 2010), signée par plus de 5000 cher­cheurs, très grande média­ti­sa­tion de ce qui est pré­sen­té comme un pro­cès fon­da­men­ta­le­ment injuste et des­truc­teur des ins­ti­tu­tions scien­ti­fiques des risques natu­rels (Zanot­ti, 2012), etc. Beau­coup évoquent un “pro­cès de la science” et s’indignent du fait que les scien­ti­fiques soient accu­sés de n’avoir pas réus­si à pré­dire l’oc­cur­rence du séisme, alors même que ce genre de pré­dic­tion est par défi­ni­tion impos­sible. Il est, lors de ce débat, pré­ci­sé par les plai­gnants et le pro­cu­reur du pre­mier pro­cès, Fabio Picu­ti, que les accu­sés ne sont pas incul­pés à cause de leur inca­pa­ci­té à pré­voir le séisme, mais à cause de leur ana­lyse incom­plète des fac­teurs de risques locaux (fra­gi­li­té des bâti­ments, den­si­té de popu­la­tion), c’est-à-dire leur mau­vaise carac­té­ri­sa­tion des enjeux – dont les scien­ti­fiques sont char­gés par le sys­tème ita­lien, et à cause du contrôle catas­tro­phique rela­tif à la com­mu­ni­ca­tion des conclu­sions scien­ti­fiques. Cette cla­ri­fi­ca­tion des charges judi­ciaires, et ain­si de la nature de la res­pon­sa­bi­li­té, est appuyée par une infime par­tie de la com­mu­nau­té scien­ti­fique, en par­tie par le biais d’une autre lettre ouverte au Pré­sident ita­lien (Inter­na­tio­nal Seis­mic Safe­ty Orga­ni­sa­tion, 2012).

 

Quelques points problématiques

Sur le plan de la res­pon­sa­bi­li­té scien­ti­fique, que peut-on tirer de cet exemple frap­pant ? Il peut sem­bler com­plexe, dans ce cas pré­cis, de s’affranchir de la détresse popu­laire et de s’extraire de la sur­ex­po­si­tion média­tique, afin de pro­cé­der à une ana­lyse ration­nelle des conclu­sions judi­ciaires.

Rétros­pec­ti­ve­ment, cer­tains points de cette affaire appa­raissent pro­blé­ma­tiques ; à com­men­cer par le conte­nu de la Com­mis­sion Grands Risques. Selon le scien­ti­fique Giu­lio Sel­vag­gi, “le mes­sage trans­mis lors de cette entre­vue était tout sauf ras­su­rant”, et selon le scien­ti­fique Enzo Boschi, “l’ordre de cette entre­vue était de cal­mer la popu­la­tion”, au moins en par­tie, après des décla­ra­tions pseu­do-scien­ti­fiques et des pro­nos­tics exté­rieurs catas­tro­phistes et très média­ti­sés. Un autre sis­mo­logue ‒ C. Del Pin­to (Hall 2011) qua­li­fie même cette Com­mis­sion de “gro­tesque pan­to­mime” , et selon d’autres sis­mo­logues le sujet n’était pas à pro­pos des actions à entre­prendre au vu de la situa­tion, mais plu­tôt de ras­su­rer la popu­la­tion. Par ailleurs, aucun diag­nos­tic de risque n’a été fait, com­pre­nant majo­ri­tai­re­ment la grande fra­gi­li­té des infra­struc­tures et la den­si­té de popu­la­tion ; ce qui est pour­tant le rôle des scien­ti­fiques au sein du sys­tème ita­lien, et la rai­son réelle de leur incri­mi­na­tion.

Rap­pe­lons aus­si qu’au sor­tir de cette Com­mis­sion, c’est un offi­cier de la Pro­tec­tion Civile et non un sis­mo­logue qui a rap­por­té le fin mot du mes­sage scien­ti­fique dis­cu­té durant l’entrevue. Tenant compte de cela, peut-on réel­le­ment consi­dé­rer que l’information don­née a une valeur scien­ti­fique ? On peut alors se ques­tion­ner sur ce choix ; com­ment l’officier B. De Ber­nar­di­nis s’est-il retrou­vé porte-parole, le temps de cette confé­rence de presse, de la Com­mis­sion Grands Risques ? Sa prise de parole, en plus de sem­bler illé­gi­time, s’appuie sur une struc­ture pseu­dos­cien­ti­fique : afin de cal­mer l’an­xié­té des habi­tants, rien de plus effi­cace en effet que la mini­mi­sa­tion ou l’occultation de l’incertitude scien­ti­fique et la construc­tion de théo­ries ras­su­rantes mais fal­la­cieuses, comme celle de la décharge éner­gé­tique par petites secousses. Et pour­quoi le choix a‑t-il été lais­sé inté­gra­le­ment à la popu­la­tion de déci­der de la marche à suivre, sans consignes gui­dées adap­tées à la situa­tion, hau­te­ment impré­vi­sible certes, mais rela­ti­ve­ment com­mune dans cette région très sis­mique ? Selon COMETS (Comi­té d’é­thique du CNRS), il n’existe pas de réel inter­mé­diaire entre “expert” – dans ce cas, sis­mo­logue – et com­man­di­taire (déci­deur poli­tique, etc). Cette absence pose pro­blème, car les experts ne sont pas spé­ci­fi­que­ment for­més pour rendre leurs résul­tats réel­le­ment com­pré­hen­sibles au grand public. En découlent alors des pro­blèmes de com­mu­ni­ca­tion fon­da­men­taux, qui sont, selon la popu­la­tion (Hall 2011), la rai­son pre­mière des vic­times à déplo­rer. Pour autant, qui pour­rait rem­plir ce rôle de média­teur, ayant à la fois une com­pré­hen­sion objec­tive et le moins biai­sée pos­sible de l’état de faits scien­ti­fique, et une capa­ci­té à com­mu­ni­quer clai­re­ment les infor­ma­tions à la popu­la­tion ? Com­ment lui serait-il pos­sible de vul­ga­ri­ser fidè­le­ment en étant indé­pen­dant de toutes les par­ties ? En l’absence d’un tel inter­mé­diaire, la mis­sion des scien­ti­fiques serait alors de contrô­ler que la connais­sance qu’ils ont pro­duite est trans­mise de manière exhaus­tive et fidèle, la moins déna­tu­rée pos­sible mais pour autant com­pré­hen­sible par le “tout public”, et bien-sûr de reprendre et cor­ri­ger toute théo­rie pseu­do-scien­ti­fique expo­sée devant eux en leur nom, mis­sion à laquelle les experts de l’Aquila ont lar­ge­ment failli lors de la confé­rence de presse.

Ces obser­va­tions poussent à ques­tion­ner le but ini­tial de cette réunion : dans le papier de Benes­sia et De Mar­chi (2017), l’analyse des dif­fé­rents choix de com­mu­ni­ca­tion (et de négli­gence de cer­tains para­mètres capi­taux), montre que la volon­té glo­bale est res­tée celle de ras­su­rer la popu­la­tion, et non de la pro­té­ger. Il sou­ligne éga­le­ment qu’il est dif­fi­cile de reje­ter la faute de la dis­tor­sion de l’information sur les médias, car la com­mis­sion avait pour but d’être une sorte d’“opération média­tique” contre les théo­ries pseu­dos­cien­ti­fiques – but qu’elle a iro­ni­que­ment lar­ge­ment failli à rem­plir en expo­sant des théo­ries non fon­dées. Il semble, à l’examen des dif­fé­rentes sources rap­por­tant le conte­nu de la dis­cus­sion, que le carac­tère de crise de la situa­tion a lar­ge­ment influen­cé le dérou­le­ment de la com­mis­sion, et entraî­né l’oubli sys­té­ma­tique de cer­tains enjeux capi­taux : il appa­raît donc d’une impor­tance-clé de dis­po­ser, lors de ces réunions à carac­tère d’urgence mêlant exper­tise et prise de déci­sion, d’outils per­met­tant d’examiner les sources d’incertitudes dans la ges­tion de la crise et le niveau de gra­vi­té si l’une d’entre elles était négli­gée. La “che­ck­list” pré­sen­tée dans cet article, éla­bo­rée lors de tra­vaux anté­rieurs de De Mar­chi (1993), peut alors être un bon indi­ca­teur des consé­quences engen­drées par cer­taines déci­sions (voir fig. 2 en conclu­sion).

 

Quel rôle pour les experts scientifiques ?

En France, les scien­ti­fiques sont tenus de publier leurs résul­tats sans influen­cer la prise de déci­sion poli­tique qui va en décou­ler, et sont donc dédoua­nés de la déci­sion du com­man­di­taire, mais ce n’est peut-être pas le cas en Ita­lie. En effet, si l’on consi­dère que la mis­sion d’expert du scien­ti­fique se “limite” à un compte ren­du clair et com­pré­hen­sible, expo­sé aux déci­deurs poli­tiques – afin que ceux-ci prennent une déci­sion concer­nant la popu­la­tion – sa res­pon­sa­bi­li­té se limite à son champ ori­gi­nel, pure­ment épis­té­mo­lo­gique, c’est-à-dire à l’exécution d’une méthode scien­ti­fique solide sans erreur. La ques­tion de la clar­té et de la com­plé­tude de l’information vul­ga­ri­sée est alors déjà un enjeu, car l’approche pro­ba­bi­liste de la science et les résul­tats intrin­sè­que­ment enta­chés d’incertitudes peuvent être des concepts dif­fi­ciles à com­prendre sans être spé­cia­li­sé, et com­plexes à uti­li­ser dans le cadre d’une prise de déci­sion. Mais dans ce sché­ma de pen­sée, il ne revient en aucun cas à l’expert de prendre une déci­sion, ici concer­nant le meilleur choix pour assu­rer la sécu­ri­té de la popu­la­tion, et encore moins de lui en rendre compte. Il est clair, dans le cas de la catas­trophe de L’Aquila, que la fra­gi­li­té des bâti­ments et la den­si­té de la popu­la­tion auraient jus­ti­fié de recom­man­der expli­ci­te­ment une grande pru­dence aux habi­tants. Mais était-ce le rôle des scien­ti­fiques de trans­mettre ce mes­sage, de la même manière que ce n’était pro­ba­ble­ment pas à un offi­cier de la Pro­tec­tion Civile de rendre compte d’une dis­cus­sion scien­ti­fique ? Selon Jor­dan (direc­teur du Sou­thern Cali­for­nia Ear­th­quake Cen­ter à l’université de Sou­thern Cali­for­nia à Los Angeles et “chair of the Inter­na­tio­nal Com­mis­sion on Ear­th­quake Fore­cas­ting”) “le rôle de la science est de pré­sen­ter l’information sur les risques, mais c’est bien le rôle des déci­deurs de col­lec­ter cette infor­ma­tion, ain­si que beau­coup d’autres, afin de prendre des déci­sions concer­nant la sécu­ri­té des popu­la­tions” (Hall 2011). Cette confu­sion appa­rente dans les rôles – et donc res­pon­sa­bi­li­tés – de cha­cun découle-t-elle du contexte de situa­tion de crise ou des contraintes du sys­tème de ges­tion des risques ita­lien (voir Yeo, 2014) ?

Cette ques­tion de mis­sion et de rôle sou­lève éga­le­ment la ques­tion sui­vante : est-il juste et per­ti­nent de lais­ser les scien­ti­fiques se limi­ter à leur bulle épis­té­mo­lo­gique, alors même que les infor­ma­tions qu’ils four­nissent en tant qu’experts se placent dans un contexte social, par­fois très com­plexe ? Ne leur appar­tien­drait-il pas éga­le­ment de par­ti­ci­per à la carac­té­ri­sa­tion du contexte dans lequel leurs conclu­sions vont être com­mu­ni­quées, en tant que fins connais­seurs des­dites infor­ma­tions ? Il est sou­vent repro­ché aux experts leur vision-tun­nel : dans le cas de L’Aquila, on peut pen­ser rétros­pec­ti­ve­ment qu’il aurait été béné­fique que les scien­ti­fiques s’in­té­ressent à la manière dont l’informatique scien­ti­fique serait com­mu­ni­quée et reçue, ne serait-ce que pour réa­li­ser que leur sta­tut – “il lumi­na­ri del ter­re­mo­to”, lit­té­ra­le­ment “les som­mi­tés de la sis­mo­lo­gie” selon le direc­teur de la Pro­tec­tion Civile – impli­que­rait une réduc­tion auto­ma­tique et irra­tion­nelle de l’incertitude scien­ti­fique. En consi­dé­rant ce nou­veau sta­tut de l’expert, l’incertitude scien­ti­fique est à inté­grer au milieu de nom­breux autres enjeux, entre autres de com­mu­ni­ca­tion (Benes­sia et De Mar­chi, 2017).

 

La Soufrière, une guerre médiatique et relationnelle

Soufrière, Guadeloupe, 1976 (Crédit : IPGP)

Érup­tion de la Sou­frière, Gua­de­loupe, 1976. Cré­dit : IPGP

Ce défaut notable de com­mu­ni­ca­tion n’a rien de com­mun avec la deuxième affaire que nous allons trai­ter, qui concerne l’éruption de la Sou­frière en 1976. En effet, une sur­es­ti­ma­tion des risques et une com­mu­ni­ca­tion accrue ont mené à une éva­cua­tion mas­sive de Basse-Terre, au Sud de la Gua­de­loupe ; éva­cua­tion contro­ver­sée qui oppose alors deux scien­ti­fiques majeurs de l’époque : Claude Allègre et Haroun Tazieff. Les faits pré­sen­tés ici sont extraits de Beau­du­cel (2015), ain­si que de sources média­tiques (France Info, France Culture).

Les pre­miers signes sis­miques sont détec­tés vers la Sou­frière en 1975 par l’Institut Phy­sique du Globe (IPG), basé en Gua­de­loupe, et s’intensifient en Mars 1976 à la suite de quoi Haroun Tazieff, vol­ca­no­logue, est envoyé sur le ter­rain. Il tient des pro­pos ras­su­rants au vu de ses obser­va­tions : “une issue cata­clys­male est peu pro­bable”. La situa­tion évo­lue sous le regard des scien­ti­fiques pré­sents ain­si que du Pré­fet de Gua­de­loupe, Jean-Claude Arous­seau, avec comme conclu­sions que “la situa­tion est sérieuse, mais pas cri­tique”. L’éruption, qui débute le 8 juillet 1976 par des pro­jec­tions de cendres, est décla­rée sans dan­ger immé­diat par H. Tazieff – pour plu­sieurs rai­sons expli­ci­tées dans un rap­port des­ti­né à l’IPG et aux auto­ri­tés locales. Suite à cela, le vol­ca­no­logue quitte la Gua­de­loupe tan­dis que d’autres scien­ti­fiques sont appe­lés en ren­fort. Leurs obser­va­tions des cendres érup­tées, ain­si que de la pro­por­tion de verre qu’elles contiennent, les mènent à un diag­nos­tic affo­lant : il s’agit pro­ba­ble­ment de la remon­tée de mag­ma dans le conduit. Les signes pré­cur­seurs s’intensifient, et c’est le 15 août que l’évacuation – pré­ven­tive – de toute la popu­la­tion de Basse-Terre est déci­dée. H. Tazieff est appe­lé à reve­nir en Gua­de­loupe et arrive en avance, sans escale à Paris, contre l’avis de sa hié­rar­chie. Après une ascen­sion de recon­nais­sance, il affirme qu’il ne faut pas s’affoler car les signes d’éruption en cours ne sont pas dan­ge­reux ; une vision non par­ta­gée par Claude Allègre, direc­teur de l’IPG. Ce désac­cord entraîne le début d’une polé­mique entre les deux scien­ti­fiques. H. Tazieff émet son inter­pré­ta­tion de la crise dans un rap­port tout en dénon­çant la déci­sion de ses col­lègues pro­ve­nant d’une “appré­cia­tion erro­née de la signi­fi­ca­tion des phé­no­mènes ayant entre­te­nu un affo­le­ment des esprits” ; tan­dis que C. Allègre se pré­oc­cupe de la situa­tion.

La rela­tion entre les deux scien­ti­fiques se tend et s’envenime ; H. Tazieff se déso­li­da­rise com­plè­te­ment de l’avis de ses col­lègues et s’exprime à la radio à pro­pos de l’affaire : il consi­dère comme “mise en scène” le dis­po­si­tif de sécu­ri­té mis en place et selon lui, la popu­la­tion peut habi­ter et tra­vailler dans la zone éva­cuée. Dans l’ombre scien­ti­fique, C. Allègre obtient les résul­tats d’analyse des cendres vol­ca­niques : il affirme que l’interprétation scien­ti­fique de la pré­sence de verre dans les cendres était mau­vaise, et inter­dit de rendre les résul­tats publiques sans son accord. À la suite de que­relles, l’IPG vote à l’unanimité l’exclusion de H. Tazieff, qui est alors déchar­gé de sa res­pon­sa­bi­li­té en Octobre, et démis­sionne de l’IPG de lui-même. Il rend par ailleurs publique les résul­tats secrets, et la polé­mique prend de l’ampleur (débat télé­vi­sé…). Une réunion d’experts en Novembre atteste que l’évacuation du 15 août était la seule déci­sion rai­son­nable et pos­sible sur le moment, et que le retour des popu­la­tions éva­cuées était pos­sible, ce qui fut inter­pré­té comme une “appro­ba­tion indi­recte des opi­nions de H. Tazieff” (Beau­du­cel, 2015). La polé­mique conti­nua sous diverses formes (accu­sa­tions entre C. Allègre et H.Tazieff, livres, inter­ven­tions média­ti­sées…) durant quelques années.

Dans ce cas là, le pro­blème majeur est cette fois-ci non pas un manque de com­mu­ni­ca­tion, mais de la sur-infor­ma­tion. On se rend compte que ces dif­fi­cul­tés à com­mu­ni­quer des infor­ma­tions vitales sont récur­rentes dans dif­fé­rentes affaires. Ici, H. Tazieff est brillant, recon­nu, a de nom­breuses années d’expérience pro­fes­sion­nelle der­rière lui et a ten­dance à contre­dire toutes les per­sonnes moins expé­ri­men­tées ou n’ayant pas les mêmes opi­nions que lui. De ce fait, il s’agit d’un per­son­nage sûr de lui, enclin à atti­rer l’attention, voire à être au cœur de polé­miques sur-média­ti­sées. Sur cette affaire, Tazieff était accom­pa­gné du direc­teur de l’IPG, Claude Allègre, qui peine à s’affirmer devant un Tazieff cha­ris­ma­tique et lea­der, ce qui entraîne des com­pli­ca­tions rela­tion­nelles ; cela vau­dra plus tard le ren­voi de Tazieff de sa struc­ture scien­ti­fique.

 

Le problème de l’interprétation

Reve­nons sur un point cru­cial de cette affaire : l’analyse de cendres érup­tées et de leur teneur en verre. A la pre­mière obser­va­tion, ces cendres mon­traient une teneur en verre exces­sive aux yeux des scien­ti­fiques, qui l’ont asso­ciée à une remon­tée de mag­ma dans le conduit de la Sou­frière ; c’est donc cette obser­va­tion qui appuie l’hypothèse d’une situa­tion d’extrême urgence lorsque Tazieff est absent. Cepen­dant, une ana­lyse plus pous­sée par la suite révèle que cette inter­pré­ta­tion était fausse, car aucun verre n’était réel­le­ment pré­sent dans les cendres. Les résul­tats sortent cachés du grand public, au moment où la polé­mique bat son plein : Haroun Tazieff affirme que la situa­tion n’est pas cri­tique, Claude Allègre main­tient le contraire. Les résul­tats le dis­cré­ditent, et le direc­teur inter­dit alors leur publi­ca­tion au grand jour sans son accord ; mais c’est sans comp­ter sur Tazieff, à qui ils donnent rai­son, qui décide consciem­ment de les divul­guer. Qui est le fau­tif ? On détecte alors des enjeux majeurs der­rière une prise de déci­sion de la part d’un cher­cheur, dans ce cas là, une perte de cré­di­bi­li­té notable mais aus­si un ques­tion­ne­ment sur la fia­bi­li­té d’une struc­ture scien­ti­fique.

 

Risques, politique et économie locale

Un pod­cast d’archives de France Culture redif­fu­sé récem­ment relate à nou­veau les évè­ne­ments, en affir­mant qu’une fois le ver­dict d’évacuation tom­bé sous la menace d’une érup­tion immi­nente (déci­dé sur la base de mau­vaises inter­pré­ta­tions), la popu­la­tion n’avait pas d’autre choix que de par­tir. En consé­quence : des mil­liers de per­sonnes ter­ro­ri­sées, deman­dant refuge dans des lieux sûrs, qui se retrouvent vite pleins. En résulte des pro­blèmes d’organisation au niveau des lits et des sani­taires qui ne peuvent accueillir tous les réfu­giés. Pour cause, les aides du gou­ver­ne­ment sont insuf­fi­santes. Cette éva­cua­tion mas­sive de Basse-Terre aura para­ly­sée son quo­ti­dien et sa vie éco­no­mique. Encore aujourd’hui, “la zone Sud de Basse-Terre garde encore les stig­mates de cette période. Le chef-lieu a encore du mal à se rele­ver éco­no­mi­que­ment” (selon une confé­rence retrans­crite sur France Info, 2016). La déci­sion d’évacuation prise par l’État était-elle la bonne quant aux infor­ma­tions scien­ti­fiques à ce jour ? Il ne faut cepen­dant pas oublier le contexte d’incertitude du moment, et les solu­tions qui s’offraient aux pou­voirs publics.

D’après un gra­phique tri­pôle (fig.1) pen­sé par Gary et al. (2005) illus­trant la dura­bi­li­té d’une socié­té, d’une ville, etc, on se rend compte qu’il règne un fra­gile équi­libre entre l’en­vi­ron­ne­ment, la socié­té et l’économie. Les trois cercles ne sont pas fixes, ils peuvent se déso­li­da­ri­ser, notam­ment après un choc sou­dain tel qu’une érup­tion vol­ca­nique se pro­dui­sant sur des ter­ri­toires petits et/ou en voie de déve­lop­pe­ment, comme Basse-Terre. Cette érup­tion puis éva­cua­tion ont eu pour effet de bous­cu­ler l’équilibre bran­lant de l’île, chaque chan­ge­ment bru­tal pou­vant être béné­fique tout comme catas­tro­phique.

 

Schéma synthétique des enjeux, Gary et al. (2005)

Sché­ma syn­thé­tique des enjeux, Gary et al. (2005)

 

Polémique et discrétisation

Si on ne confond pas la cri­tique des idées et celle des per­sonnes, ce qui devrait être le cas, la contro­verse n’a pas lieu de ver­ser dans la polé­mique. Ça dérape avec les méga­los, ou alors lorsque d’autres forces viennent biai­ser le jeu de l’argumentation, comme des enjeux finan­ciers, des enjeux média­tiques, les emprises idéo­lo­giques ou reli­gieuses” (Lecointre, 2021). Cette cita­tion s’applique bien au cas étu­dié ici, pour lequel on com­prend que Haroun Tazieff comme Claude Allègre, sont tous deux orgueilleux, ont soif de recon­nais­sance et sont res­pon­sables l’un comme l’autre dans cette his­toire lourde d’enjeux finan­ciers et humains, et de très média­ti­sée.

Cette affaire a donc fait énor­mé­ment par­ler d’elle, en rai­son de deux cher­cheurs qui, devant avoir le même but, s’attaquent mutuel­le­ment au lieu de tra­vailler ensemble, au détri­ment de la science et de vies humaines impac­tées par leurs déci­sions. On peut alors ques­tion­ner la capa­ci­té de cer­taines struc­tures à gérer des situa­tions de crise. Dans ce cadre, l’impact de la parole scien­ti­fique et sa véra­ci­té sont remis en cause, au détri­ment d’intérêts per­son­nels. Un conflit au sein d’une ins­ti­tu­tion, quelle qu’elle soit, peut être géré par sa direc­tion, ou par une enti­té com­pé­tente interne. L’escalade média­tique était ici inévi­table de par l’implication du direc­teur lui-même, et d’un scien­ti­fique recon­nu, expé­ri­men­té, et déjà média­ti­sé.

 

Quelques outils…

Mar­ko­vić et al. (2021) pointent un cas ana­logue au séisme de L’Aquila, avec une conclu­sion simi­laire concer­nant un pro­blème de com­mu­ni­ca­tion avant ou pen­dant une période de crise, et pro­posent quelques solu­tions pour y remé­dier. Cepen­dant, celles-ci concernent seule­ment la com­mu­ni­ca­tion directe à la popu­la­tion, et non de cher­cheur à Gou­ver­ne­ment, et ne pré­cisent ain­si pas la mis­sion ini­tiale du cher­cheur, ni sa res­pon­sa­bi­li­té. L’information doit être divul­guée le plus tôt pos­sible avant l’é­vé­ne­ment afin de pou­voir anti­ci­per au maxi­mum, sui­vi d’une com­mu­ni­ca­tion régu­lière ; et les termes uti­li­sés doivent être cohé­rents selon la gra­vi­té de l’é­vé­ne­ment à venir. Les crises mineures ne doivent pas être exa­gé­rées afin de “rendre cré­dible” le dif­fu­seur d’alerte et évi­ter la dés­in­for­ma­tion lors d’une pro­chaine crise. Inver­se­ment, la mino­ri­sa­tion d’un risque (par exemple, le cas de L’Aquila) incite à ne pas suivre les recom­man­da­tions de sécu­ri­té lorsque la crise est immi­nente. Cal­mer l’anxiété de la popu­la­tion est un point capi­tal, qui ne doit néan­moins pas empié­ter sur la mis­sion ini­tiale : assu­rer sa sécu­ri­té. La dif­fu­sion de l’in­for­ma­tion doit se faire à tra­vers dif­fé­rents médias de dif­fé­rents hori­zons afin d’atteindre toutes les popu­la­tions en incluant les groupes mar­gi­na­li­sés et les mino­ri­tés. Il est per­ti­nent d’ajouter que cette diver­si­té dans les biais de com­mu­ni­ca­tion ne doit pas être syno­nyme de sur­in­for­ma­tion (donc peut-être dés­in­for­ma­tion) : il est néces­saire que le conte­nu infor­ma­tif, bien que dupli­qué pour emprun­ter divers canaux de com­mu­ni­ca­tion, ne perde pas de sa qua­li­té. Les preuves scien­ti­fiques – bien que sim­pli­fiées – qui ont per­mis de conclure sur le risque doivent éga­le­ment être pré­sen­tées publi­que­ment, afin d’être acces­sibles à tous. Pour finir, les consignes de sécu­ri­té doivent être énon­cées très clai­re­ment à la popu­la­tion, afin qu’elle se pro­tège lors de la catas­trophe.

Par ailleurs, des outils, tels que la “che­ck­list” de Benes­sia et De Mar­chi (2017) (fig.2), pour­raient se révé­ler utiles en situa­tion de crise afin d’améliorer la prise de déci­sion par une bonne esti­ma­tion des consé­quences éven­tuelles, assu­mée dans ce cas aus­si bien par les déci­deurs poli­tiques que par les experts.

 

Discussion

Les deux cas étu­diés pré­cé­dem­ment sou­lignent l’ambiguïté de l’étude des risques natu­rels ; l’un concer­nant une sous-esti­ma­tion du risque, et l’autre une sur­es­ti­ma­tion. Les outils cités au des­sus res­tent par ailleurs très géné­raux et sujets à l’interprétation ; qui peut – et com­ment – carac­té­ri­ser une “com­mu­ni­ca­tion régu­lière”, uti­li­ser des “termes cohé­rents par rap­port à une gra­vi­té” mal défi­nie et donc affir­mer qu’un risque est mino­ré ou exa­gé­ré ? En appli­quant à la lettre ces recom­man­da­tions, la popu­la­tion peut remettre en ques­tion chaque résul­tat scien­ti­fique ou déci­sion poli­tique, et peut poten­tiel­le­ment ne plus s’appuyer sur les conclu­sions des experts. Par ailleurs, qui doit assu­mer la mis­sion d’utiliser ces cri­tères, et les res­pon­sa­bi­li­tés qui en découlent ?

Une mau­vaise inter­pré­ta­tion du risque semble sys­té­ma­ti­que­ment entraî­ner des dégâts humains, éco­no­miques, psy­cho­lo­giques et socié­taux ; il peut s’en suivre une polé­mique, dans le but d’attribuer la res­pon­sa­bi­li­té de l’erreur. Amé­lio­rer la chaîne de com­mu­ni­ca­tion entre scien­ti­fiques, pro­tec­tion publique et popu­la­tion en for­mant des inter­mé­diaires pour­rait mini­mi­ser ces erreurs et aider la vul­ga­ri­sa­tion de ces sujets com­plexes. La popu­la­tion ne doit pas se sen­tir dans une situa­tion d’étau, entre des don­nées et phé­no­mènes qui les dépassent et un débat biai­sé par des conflits d’ordres intel­lec­tuels ou média­tiques.

À qui la faute ? Cette ques­tion rhé­to­rique gui­dant notre article rap­pelle qu’en toutes cir­cons­tances, un ou plu­sieurs res­pon­sables doivent être dési­gnés. Les risques natu­rels n’étant pas pro­vo­qués par la mécon­nais­sance de la science, une mau­vaise communication/interprétation, ou par une quel­conque ges­tion poli­tique, cette chaîne de res­pon­sa­bi­li­té a‑t-elle lieu d’exister dans ce cadre ? Cepen­dant, lorsque le risque est connu et mal géré, sur qui repose cette res­pon­sa­bi­li­té ?

Cette ques­tion ne mérite-t-elle pas d’être posée dans cer­tains autres contextes impli­quant les scien­ti­fiques, qui concernent aujourd’hui des enjeux actuels et futurs majeurs ? Les causes du chan­ge­ment cli­ma­tique actuel sont connues, et les consé­quences visibles à notre échelle ; la recherche d’hydrocarbures, de res­sources minières est-elle condam­nable ? À qui la faute ?

Conflits d’intérêt

L’article que vous venez de lire a été rédi­gé par cinq étudiant·es en Mas­ter 1 Sciences de la Terre, qui ont ten­té de s’affranchir de leur posi­tion de poten­tiels futurs scien­ti­fiques afin de pro­duire un tra­vail le plus objec­ti­vé pos­sible.

 

Bibliographie

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Benes­sia, A., De Mar­chi, B. (2017). When the earth shakes … and science with it. The mana­ge­ment and com­mu­ni­ca­tion of uncer­tain­ty in the L’Aquila ear­th­quake. Futures, 91, 35–45, https://doi.org/10.1016/j.futures.2016.11.011

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De Mar­chi, B., Fun­to­wicz, S. O., & Ravetz, J. (1993). The mana­ge­ment of uncer­tain­ty in the com­mu­ni­ca­tion of major hazards. Com­mis­sion of the Euro­pean Com­mu­ni­ties.

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2 réponses

  1. L dit :

    Bon­jour, suis à la recherche de la publi­ca­tion sché­ma syn­thé­tique des enjeux Gary et al 2005

    • Gary, W.V.; Patil, S.G.; Hugar, L.B. Agri­cul­tu­ral Sus­tai­na­bi­li­ty, Stra­te­gies for Assess­ment ; Sage Publi­ca­tions India Pvt Ltd.: New Del­hi, India, 2005

      La figure était aus­si reprise et modi­fiée et expli­quée dans ce papier, qu’on avait cité :
      Moret­ti, R.; Moune, S.; Jes­sop, D.; Glynn, C.; Robert, V.; Derous­si, S. The Basse-Terre Island of Gua­de­loupe (Eas­tern Carib­bean, France) and Its Vol­ca­nic-Hydro­ther­mal Geo­di­ver­si­ty : A Case Stu­dy of Chal­lenges, Pers­pec­tives, and New Para­digms for Resi­lience and Sus­tai­na­bi­li­ty on Vol­ca­nic Islands. Geos­ciences 2021, 11, 454. https://doi.org/10.3390/geosciences11110454

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