Portrait de Marthe Robin

Marthe Robin : on lui don­ne­rait volon­tiers le Bon Dieu sans confes­sion…

Pre­nez une femme mai­gre­lette, para­ly­tique, aveugle, vivant les stig­mates de la Pas­sion de Jésus tous les ven­dre­di1, inédique c’est-à-dire qui ne mange pas, ou seule­ment l’hos­tie de l’eu­cha­ris­tie, qui voit la Vierge ain­si que Jésus lui appa­raître à plu­sieurs reprises, et qui réa­lise la prouesse, tout en se bat­tant régu­liè­re­ment avec un démon ram­pant dans sa chambre obs­cure, de mon­ter le réseau de 78 Foyers de cha­ri­té à par­tir de son vil­lage drô­mois de Châ­teau­neuf-de-Galaure, tout en dic­tant des textes sublimes à ses aides ména­gères. Si vous sou­hai­tez tou­cher la légende de Marthe, vous pou­vez essayer la série audio de Radio Maria France, ici : https://radiomaria.fr/podcasts/marthe-robin/

Marthe Robin et ses stigmates

Marthe Robin, entre stig­mates et facé­ties

Marthe Robin, c’est son nom, petite pay­sanne née d’un adul­tère en 1901, est ain­si deve­nue entre 1928 et sa mort une des mys­tiques les plus cou­rues d’Eu­rope. Son lieu de vie fait l’ob­jet encore de nos jours d’une dévo­tion impor­tante, éva­luée à 40 000 visites par an. En 1986, soit cinq ans après sa mort, une enquête dio­cé­saine en vue de la béa­ti­fi­ca­tion de Marthe Robin a été ouverte, avec témoins, expert·es et gros dos­sier. Il fau­dra attendre 28 ans pour que soit recon­nue, par le Pape Fran­çois le 7 novembre 2014, l”« héroï­ci­té des ver­tus » de Marthe Robin. C’est la phase 1. Car l’Église catho­lique fonc­tionne trois phases, la deuxième étant le pro­cès en béa­ti­fi­ca­tion, et la troi­sième la cano­ni­sa­tion. Pour l’ins­tant, dans l’at­tente d’un miracle authen­ti­fié, Marthe végète en phase 1, comme « véné­rable ». L’an­cien pos­tu­la­teur de la cause, le père Ber­nard Pey­rous, a bien dépo­sé à Rome un dos­sier pré­sen­tant un miracle, mais comme vous allez le voir, il y a fort à parier que le pro­ces­sus foire.

Car dans tout pro­cès de ce type, il y a un un pro­mo­teur de la foi, ou avo­cat du diable (c’est réel­le­ment son nom, advo­ca­tus dia­bo­li). Et cet avo­cat a tra­vaillé d’ar­rache-pied. Conrad De Mees­ter est un carme déchaux belge. Belge, c’est assez simple à com­prendre, encore que, mais carme déchaux non. Si ça ne vous inté­resse pas, sau­tez le para­graphe.

Carmes et car­mé­lites forme un ordre men­diant, comme les Fran­cis­cains, les Capu­cins, etc. Leur règle a été don­né au début du XIIIe siècle, par des moines venant vivre en ermites dans les grottes du mont Car­mel, en Pales­tine, mon­tagne col­lée à la ville de Haï­fa (حيفا). Avec une nuance : si les Car­mé­lites vivent cloî­trées, et se consacrent entiè­re­ment à la prière, les Carmes, eux ne sont pas des contem­pla­tifs : ils peuvent exer­cer hors les murs, même s’ils res­pectent le jeune et un cer­tain silence. Et si vous vou­lez tout savoir, depuis 1570 il y a depuis des Carmes chaus­sés, et des Carmes déchaus­sés, ou déchaux. Leur vrai nom est Ordre des Frères déchaux et des Moniales déchaus­sées de la bien­heu­reuse Vierge Marie du Mont-Car­mel, mais on abrège en OCD, presque comme les feuilles à rou­ler. Tout ça parce que Thé­rèse d’A­vi­la, secon­dée de Jean de la Croix, a intro­duit une miti­ga­tion de la règle des Carmes, qui a scin­dé le mou­ve­ment en deux vers 1575. Bref. Vous remar­que­rez peut être que l’Ordre du Car­mel est un des rares ordres à ne pas avoir un saint de réfé­rence, mais un pro­phète, le pro­phète Élie, né a prio­ri vers – 927, et qui serait tou­jours vivant. Il est pré­vu qu’il revienne lorsque la fameuse pro­phé­tie des papes, de Saint Mala­chie se réa­li­se­ra (sur ce point, pour en savoir plus, ici).

Ima­gi­nez l’in­con­fort de la : De Mees­ter, reli­gieux lui-même, spé­cia­liste des grandes mys­tiques, se voit char­gé d’une inves­ti­ga­tion sur un des pivots euro­péens de la mys­tique chré­tienne. Et ce qu’il découvre le laisse très per­plexe sur de nom­breux détails – car c’est bien connu, le diable se cache dans les détails. Il fait son rap­port, émaillé de forts doutes sur Madame Robin, rap­port qu’il rend en 1989 et qui ser­vi­ra pro­ba­ble­ment à caler une armoire nor­mande, au vu du silence qui s’en­sui­vra.

Lors de ses résul­tats pré­li­mi­naires, De Mees­ter s’é­tait tour­né vers le pré­dé­ces­seur à Lyon du car­di­nal Bar­ba­rin, le car­di­nal Decour­tray. Le moine raconte dans son livre une scène épique : le car­di­nal à genoux au pied de sa biblio­thèque, à la recherche d’un texte de Marthe Robin qui l’a­vait impres­sion­né, pes­tant contre son secré­taire qui a mis du désordre dans ses docu­ments. Une fois retrou­vé le texte, le labo­rieux moine lui prouve par A+B que c’est un pla­giat. Le car­di­nal répon­dra : « J’en reste pan­tois. » Et conclu­ra un énig­ma­tique : « Je me confie à la Pro­vi­dence ». Pro­vi­dence qui n’a pas fait grand chose, aus­si le carme per­sé­vère-t’il, et signe, contre sa hié­rar­chie plus ou moins pous­sive. Enfin, il signe­ra presque, puisque De Mees­ter meurt fin 2019, lais­sant 25 de ses 26 cha­pitres ache­vés. Ce sont les cou­ra­geuses édi­tions du Cerf, pour­tant fort chré­tiennes, qui s’emparent du manus­crit retrou­vé dans sa cel­lule et y mettent la der­nière main.

Et ce qu’on y lit est pro­pre­ment épa­tant.

L'opiniâtre frère De Meester.

L’o­pi­niâtre frère De Mees­ter. Labeur et scep­ti­cisme font plus que force ni que rage.

En zété­ti­cien sagace, le moine Conrad va démon­trer

  • que Marthe n’é­tait pas si para­ly­tique que ça,
  • qu’elle pou­vait se dépla­cer sur le dos (il tes­te­ra lui-même ses hypo­thèses en ram­pant dans la chambre de la véné­rable),
  • qu’à son décès elle a été retrou­vée hors de son lit, avec des chaus­sons usés (pour quoi faire si elle était para­ly­sée ?),
  • que ce qu’elle disait être le démon ram­pant sur le sol res­sem­blait étran­ge­ment à une Marthe Robin ram­pant au plus vite vers son lit lors des visites,
  • qu’elle man­geait en cachette (d’ailleurs à sa mort un pot de chambre était là, retrou­vé… rem­pli),
  • qu’elle n’é­tait pas aveugle,
  • qu’elle pou­vait écrire,
  • qu’elle s’est bri­co­lé cinq écri­tures dif­fé­rentes,
  • qu’elle a pla­gié une tren­taine d’au­trices et d’au­teurs : De Mees­ter démontre de manière impla­cable que Marthe a sacré­ment reco­pié Thé­rèse de Lisieux, Édith Stein, Éli­sa­beth de la Tri­ni­té, etc. en fai­sant pas­ser ses textes pour siens. Des fans de Marthe diront que ce sont des « rémi­nis­cences de lec­ture », fau­dra que je pense à pla­cer cet argu­ment un jour si on m’ac­cuse de pla­giat uni­ver­si­taire,
  • qu’elle frau­dait sciem­ment,
  • qu’elle mani­gan­çait pour évin­cer les gens qui dou­taient d’elle,
  • qu’elle s’at­tri­bue l’i­dée des foyers de cha­ri­té alors qu’elle n’est pas d’elle,
  • qu’elle gérait sa petite entre­prise (qui n’a pas connu la crise),
  • ges­tion avec le père Georges Finet, son confes­seur, qui se hâta de clore la scène du décès. Acces­soire dans notre affaire, mais pour mon­trer que la pro­bi­té n’é­touf­fait pas Mon­sieur Finet : il fait l’ob­jet depuis fin 2019, soit presque 30 ans après sa mort d’une enquête interne concer­nant des actes pédo­philes. Dans le rap­port paru en 2020, c’est 26 femmes de 10 à 14 ans à l’é­poque qui auraient été vic­times d’agressions sexuelles notam­ment pen­dant la confes­sion, aux­quelles 20 autres se sont ajou­tées depuis. « Les confes­sions avec le Père Finet c’était pas drôle, c’était la tête entre ses cuisses », aurait décla­ré l’une des vic­times pré­su­mées.
  • On peut ajou­ter à titre anec­do­tique que la pro­bi­té n’é­touffe pas non plus l’ab­bé Ber­nard Peyrous,de la com­mu­nau­té de l’Emmanuel, pos­tu­la­teur de la cause de béa­ti­fi­ca­tion de Marthe Robin, et auteur d’un livre sur elle. Depuis 2017, le père Pey­rous a été démis de ses fonc­tions par l’ar­che­vêque de Bor­deaux « à la suite de gestes gra­ve­ment inap­pro­priés » (!) sur une femme, puis plu­sieurs. Mais démis de ses fonc­tions ne signi­fie pas évin­cé ! Il a été affec­té dis­cré­tos au nord de Tou­louse en 2018. Les Anglo­phones disent BIYBYTIM – Bet­ter In Your Back Yard Than In Mine : c’est mieux (d’a­voir un prêtre attou­cheur ?) dans ton arrière-cour que dans la mienne.

L’ou­vrage m’a été aima­ble­ment envoyé par le bro­can­teur scep­tique Manuel Bar­ba­do (Pho­tos Anciennes, @Bar­ba­do­Ma­nu sur Twit­ter), grâce lui en soit ren­due ! Si vous n’a­vez pas le temps de lire ses 400 pages, rabat­tez-vous sur cet excellent repor­tage en 2 épi­sodes d’A­lexis Char­ni­guet et Fran­çois Teste :

Épi­sode 1 : Le bon dieu sans confes­sion ? (Télé­char­ger ou écou­ter ci-des­sous)

Épi­sode 2 : La véri­té sans conces­sion ? (Télé­char­ger)

 

Chose tra­gi­que­ment crous­tillante : on entend dans l’é­pi­sode 1 Jean Guit­ton (décé­dé en 1999), auteur de « Por­trait de Marthe Robin » chez Gras­set, et que vous connais­sez peut être pour avoir cosi­gné un ouvrage épa­tant que j’ai lu deux fois, « Dieu et la science » avec.… les légen­daires frères Bog­da­noff ! (ortho­gra­phiés Bog­da­nov, d’ailleurs). Le petit extrait poi­gnant où il pré­sente l’ho­mo­sexua­li­té comme un vice (!) vient de La Tri­bune de l’Histoire, France Inter, 29 juin 1991.

Tout cela pour dire que je n’a­vais pas pris une pareille claque depuis le bou­quin de réfé­rence de Chris­to­pher Hit­chens « Le mythe de mère Tere­sa, ou com­ment deve­nir une sainte de son vivant grâce à un excellent plan média », que je recom­mande chau­de­ment (la ver­sion anglaise était titrée, je vous le donne en mille : The Mis­sio­na­ry Posi­tion).

Résonne encore dans ma tête la der­nière phrase du livre de De Mees­ter : « C’est pour­quoi à mon sens, de la fraude mys­tique de Marthe Robin, il n’y a rien, à pro­pre­ment par­ler, non seule­ment à véné­rer, mais à conser­ver ». Cela tend à confir­mer mon modeste adage : un·e croyant·e qui bosse bien va plus loin qu’un·e scep­tique qui pan­toufle.

Notes

  1. Revivre la Pas­sion de Jésus signi­fie entre autres revivre le moment de la cru­ci­fixion, et voir appa­raître sur son corps les traces des clous dans les mains et les pieds, ain­si que les bles­sures de la cou­ronne d’é­pine. Par­fois s’a­joutent les traces de fouet, les marques du por­tage de la croix sur le Gol­go­tha et la bles­sure de lance au tho­rax. Offi­ciel­le­ment, l’Église catho­lique ne recon­naît que deux stig­ma­ti­sés : Fran­çois d’As­sise et Cathe­rine de Sienne.

5 réponses

  1. Benoit dit :

    Hel­lo Richard,
    Je reposte une por­tion de com­men­taire que j’a­vais naguère rédi­gé : « Tou­jours sur la notion de consen­sus => cas de Marthe Robin : l’enquête de Conrad de Mees­ter est la seule néga­tive par­mi 28 autres si l’on en croit le lien que vous trans­met­tez : (https://www.franceculture.fr/emissions/superfail/marthe-robin-sainte-et-tricheuse) pour­quoi pri­vi­lé­gier la sienne plu­tôt qu’une autre ? »
    Le consen­sus peut-il deve­nir l’alibi du confor­misme ?
    Pré­ci­sion impor­tante : je ne doute pas un seul ins­tant que le cas de Marthe Robin relève de la fraude mys­tique.
    Bien à vous.

    • Bon­jour Benoît. Pour­quoi pri­vi­lé­gier celle de Conrad dM ? Parce que c’est la seule qui 1) fait preuve de rigueur (les autres bou­quins, j’en ai eu quelques uns en main c’est pas ça) et 2) c’est le seul qui pense contre son avis préa­lable, les autres font, pour ceux que j’ai lu, qu’un énorme biais de confir­ma­tion, en pre­nant leur pré­misse pour valide et ne cher­chant que le cher­ry picking

  2. Benoit dit :

    Bien vu, j’aime beau­coup le 2eme argu­ment, mer­ci

  3. Lienhard Marie-Madeleine dit :

    Pour moi, peu importe que les stig­mates soient d’o­ri­gine psy­cho­so­ma­tique ou non. Il s’a­git d’un vécu qui ne concerne que le sujet qui en est atteint et ne doit pas faire l’ob­jet d’une véné­ra­tion. Le point culmi­nant de la foi chré­tienne est le Christ lui-même, sa vie, ses ensei­gne­ments, sa résur­rec­tion. Nul besoin de rendre un culte à des per­sonnes dites saintes (et qui le sont peut-être) dont l’a­do­ra­tion détourne de celle due uni­que­ment au Sei­gneur. Voi­là le point de vue d’une pro­tes­tante convain­cue…

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