J’ai rarement pris autant de plaisir à lire un livre documentaire. Une vraie gifle. J’avoue que lorsque mon pote Jérôme T. m’a apporté l’ouvrage, « L’Arbre d’or, vie et mort d’un géant canadien » (éditions Noir et Blanc), je suis resté un peu perplexe devant la couverture et le titre, me rappelant de nombreux bouquins un peu New Age. En outre la traduction du titre original était violente : le livre, paru en 2005 chez Vintage Canada Ed., s’appelait The Golden Spruce : A True Story of Myth, Madness, and Greed, ce qu’on peut traduire par l’épicéa doré, une histoire vraie de mythe, de folie et d’avidité. Titre mille fois plus adéquat. Mais il y avait une telle lueur dans les yeux de Jérôme quand il me remit le bouquin que je n’ai pas résisté. Et bien m’en a pris.
D’abord, l’histoire (vraie) est folle. Grant Hadwin, un bûcheron canadien dur comme le roc et surentraîné à la survie en conditions difficiles, qui prend les boules à Haïda Gwaïi (anciennement les iles de la Reine-Charlotte), au sud de l’Alaska, en Colombie-Britannique devant la déforestation intensive, et s’en va tenter de réveiller les consciences en tronçonnant le 20 janvier 1997 Kiidk’yaas, un individu extrêmement rare d’épicéa de Sitka qui a une mutation particulière faisant ses aiguilles couleur d’or (au lieu du vert classique). Or cet arbre était un support important de la nation autochtone Haïda, ainsi qu’un emblème régional important. Le courroux est tel qu’on craint à un lynchage avant la tenue du procès, Hadwin étant honni à l’instar de Timothy McVeigh, auteur de l’attentat d’Oklahoma City en 1995, ou Ted Kaczinsky alias « Unambomber » et ses colis piégés. Hadwin, réfugié à Prince Rupert, décidera de se rendre à son procès, en traversant en kayak le Hecate Strait, un épouvantable bras de mer torturé par les vents et les vagues. Si on retrouve bien par la suite son kayak et ses effets, il n’y aura plus aucune trace de lui. A‑t-il été tué par des forestiers ? Par des Haïdas ? Par la mer démontée ? A‑t-il grimé sa disparition ? Les expectatives sont nombreuses.
Ensuite, la documentation : l’auteur nous promène de manière très documentée dans le monde du trafic de peau de loutre de mer, dans l’histoire des armements intempestifs des peuples autochtones par les colons, dans la foresterie terrifiante, dans la cosmogonie du peuple Haïda, dans la botanique, et dans le cheminement mental de ce bûcheron à la condition physique hors du commun, qui refusa d’être complice du massacre écologique à l’oeuvre. Il y a dedans des bouts d’histoires de vie, du temps jadis et des temps modernes, qui font dresser les cheveux sur la tête.
Enfin, la plume. J’ai adoré. Est-ce le fait de John Vaillant lui-même ? Est-ce le fait de la traductrice Valérie Legendre ?
Probablement les deux. Cela a adouci mon désespoir devant cette propension de l’humain à tout mettre en coupe réglée pour un profit immédiat. Mais comme le dit Vaillant, au fond, ce comportement n’est qu’une version grande échelle de mes petits manquements, quand je choisis par facilité les flux tendus des enseignes de bricolage de chez Mulliez aux petits quincailliers poussiéreux, quand je choisis d’aller en grande surface, par facilité, au lieu de faire mon marché. Au fond, ce livre parle de moi et de mes propres limites. Grand moment.
Un documentaire appelé Hadwin’s judgment est sorti en 2015, réalisé par Sasha Snow. Je ne l’ai pas (encore) vu.
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