Mon pre­mier cours estam­pillé zété­tique remonte à 2004. C’é­tait à la Facul­té de phar­ma­cie de Gre­noble. Étant doc­to­rant, je ne pou­vais pas endos­ser la res­pon­sa­bi­li­té de mes cours, alors c’est ma chi­miste et néan­moins amie Chris­tel Rou­ta­boul qui endos­sa mes frasques. Pen­dant trois ou quatre ans, j’ai fait cours, en deuxième et der­nière année. Bien enten­du le sujet des méde­cines dites alter­na­tives et com­plé­men­taires était abor­dé, et si je savais que ça fai­sait grin­cer les « vrais » ensei­gnants de la dis­ci­pline homéo­pa­thique, je n’ai jamais eu de réel pro­blème…
Enfin si, une fois : des étu­diants m’ont convié à une visite de l’u­sine Boi­ron, de ma région, qui à l’é­poque fai­sait des par­te­na­riats finan­ciers avec des BDE, des bureaux d’é­tu­diants, et des visites agréables, avec apé­ri­tifs et petits fours. Comme je n’a­vais pas encore mon sédui­sant air buri­né par le siroc­co du désert, je me suis fur­ti­ve­ment glis­sé dans la petite cohorte, avec pour pro­messe de me taire. De fait j’ai (presque) tenu pro­messe. Ça en valait la peine, puisque j’ai pu voir de mes propres yeux la dilu­thèque, qui me fit l’im­pres­sion d’une car­riole de col­por­teur du Far West gri­mée en salle blanche ultra­mo­derne. La dilu­thèque ! Le lieu mythique, qui héber­geait le légen­daire Med­hor­ri­num, lysat de sécré­tions uré­trales puru­lentes blen­nor­ra­giques et autres reliques des âges farouches. Le soir même, je racon­tais ma visite sur un « yahoo­groupe » de zété­tique, ancêtre qua­si-paléo­li­thique de nos réseaux sociaux actuel, « outant » sans le vou­loir le par­te­na­riat finan­cier avec le BDE qui, je ne le savais pas, n’é­tait pas légal. Le soir-même, Boi­ron France tom­bait sur le direc­teur de l’u­sine, qui se fit secouer, et dès le len­de­main, je fus dou­ble­ment convo­qué. D’a­bord par le BDE, qui me repro­chait de leur avoir fait perdre 1000 euros. J’y ai enten­du cette phrase de légende : « mais com­ment on va payer la char­treuse lors de la pro­chaine fête ? » (sic!). J’a­vais répon­du un truc du type « mais enfin, c’est le prix de votre âme, non ? », mais iels n’a­vaient pas lu Faust. Puis par le doyen de phar­ma­cie, qui me ser­mon­na ver­te­ment, mais sans réel motif. Je n’ai jamais com­pris ce qu’il me repro­chait, car je n’a­vais rien dit de faux, ni dans mes cours, ni sur les réseaux. Je me rap­pelle d’un bout d’é­change que ma mémoire a pro­ba­ble­ment défor­mé : 
  • - Doyen (sûr de lui, bien sapé) : « En allant chez Boi­ron, ce sont vos idées poli­tiques que vous expri­mez ! »
  • - Moi, essayant de bre­douiller (un peu penaud, jean rapié­cé, che­veux longs, 2e année de thèse sans bourse, pré­caire de l’u­niv) : « je ne vois pas en quoi c’est pro­blé­ma­tique de dire que l’ho­méo­pa­thie est une pseu­dos­cience ».

Bref, ce fut une goutte de plus dans le vase de la décon­ve­nue, car même si les tra­vaux ren­dus par les étudiant·es étaient sym­pa, je voyais en direct que la pré­oc­cu­pa­tion de cette nou­velle géné­ra­tion était au mieux indus­trielle, au pire pure­ment comp­table. En quatre ans j’ai dû entendre 50 fois le fameux : « mais si les gens le demandent, même si ça ne sert à rien, on leur vend, et puis c’est tout ». Si je garde une grande affec­tion et un res­pect pour certain·es pharmacien·nes, avec « Le Phar­ma­chien » Oli­vier Ber­nard en tête, et les contri­bu­teu­rices de Pres­crire ou du For­min­dep, j’ai plus croi­sé des épi­ciers que des apo­thi­caires scru­pu­leux. Alors j’ai pré­fé­ré mettre mes forces dans d’autres cours au sein d’autres filières. Me serai-je à la longue fait pous­ser dehors ? Je ne sais pas. Je suis par­ti avant.

 

Il n’en est semble-t’il pas de même à l’U­ni­ver­si­té de Lor­raine.

Peu importe que j’ai des désac­cords régu­liers, de forme, ou de fond, avec lui. Tho­mas C. Durand, en créant des cours cri­tique à l’U­ni­ver­si­té, a sous­crit au vœu de Noam Chom­sky (« doter les uni­ver­si­tés de cours d’au­to­dé­fense intel­lec­tuelle »), et en cela, c’est mon col­lègue direct, alors dans mes bras ! Je crois me rap­pe­ler que ses pre­mières inter­ven­tions pure­ment cri­tiques, ils les a faites avec le CORTECS, il y a 6 ou 7 ans, dans mon amphi puis dans des classes doc­to­rales de Denis Caro­ti. Aller char­bon­ner des conte­nus cri­tiques dans un amphi ou une classe, ce n’est pas rien. Ce n’est pas facile du tout.

Quel est le pro­blème ici ? Qu’il fasse remon­ter à l’U­ni­ver­si­té où il effec­tue des vaca­tions qu’il y a des cours obso­lètes (homéo­pa­thie, en l’oc­cur­rence, voir article en bas) ? Ce n’est ennuyeux que sur un point : d’où vient le silence des gens en poste per­ma­nent, et pour­quoi faut-il attendre un vaca­taire, par­ti­cu­liè­re­ment expo­sé, pour entendre une plainte ?
Alors je lui dirais bien d’al­ler se four­nir le même genre d’armure que moi, mais en aura-t-il seule­ment le temps ? D’un coup, lors de cette ren­trée, il apprend que ses stages doc­to­raux sont rayés d’un trait de plume, et cela sans jus­ti­fi­ca­tion. Moi, et d’autres, naïfs bons comme du bon pain, on lui sug­gère d’at­tendre un peu, car post hoc n’ergo pas for­cé­ment prop­ter hoc, et puis aller à la confron­ta­tion n’est pas sou­hai­table ; conseil est don­né de sai­sir le réfé­rent inté­gri­té de l’U­ni­ver­si­té. Ce qu’il a fait, grmmmgg­gn gnnn (c’est le bruit d’un frein qu’on ronge). Jus­qu’à la réponse d’au­jourd’­hui : une sorte de fin de non-rece­voir accom­pa­gnée de : « joi­gnez la pré­si­dence ».Là, j’a­voue que je suis per­plexe : les ver­tus épis­té­miques qu’ap­porte la pen­sée cri­tique sont cen­sées être consub­stan­tielles du pro­gramme uni­ver­si­taire. À quel autel est sacri­fié l’en­sei­gne­ment de Tho­mas ? S’a­git-il de repré­sailles, du fait d’a­voir cri­ti­qué un ensei­gne­ment « homéo­pa­thique » ? Mais l’u­ni­ver­si­té est cen­sée être le lieu de la cri­tique. Était-ce une mau­vaise cri­tique ? J’ai des doutes, car l’ho­méo­pa­thie est un de mes champs d’ex­per­tise, et j’ai lu les écrits de Tho­mas sur le sujet, rien à dire : c’est car­ré, et j’ai dû y mettre toute la mau­vaise foi du monde pour rele­ver deux ou trois micro­bou­lettes dans son ouvrage « Connais­sez-vous l’homéopathie ? Idéo­lo­gie, médias, sciences » (Maté­rio­lo­giques, 2015).

Alors quoi ?

Je trouve l’événement suf­fi­sam­ment impor­tant sur le plan épis­té­mo­lo­gique pour guet­ter la réponse du Pr. Raphaël Duval, doyen de phar­ma­cie de cette

Robert Williams Wood, qui ne prend pas des ves­sies pour des lan­ternes

belle Uni­ver­si­té de Nan­cy, haut-lieu du scep­ti­cisme métho­do­lo­gique car il y a 119 ans, Robert Williams Wood y avait des­sillé les yeux de René Blond­lot sur les Rayons N. Gus­tave Le Bon, naïf bon comme du bon pain, décla­ra à cette occa­sion :  « Le public à l’a­ve­nir sau­rait […] à quel point un grand corps savant peut être vic­time de ses plus lamen­tables erreurs ». Bis repe­ti­ta ? On ver­ra.
En atten­dant, Tho­mas, si tu veux faire cours dehors devant l’U­FR de phar­ma­cie, je te prête une écharpe et un méga­phone.

Pour en savoir plus, Uni­ver­si­té de Lor­raine — Homéo­pa­thie 1 / Esprit-cri­tique 0, sur le site La menace théo­riste.

 

Ce cadu­cée est le tra­vail de l’illus­tra­trice lyon­naise Camille Murgue https://camillemurgue.com Comme on dit chez les doctorant·es, il faut rendre à thé­sard ce qui est à thé­sard

13 réponses

  1. Manuel dit :

    Bon­jour,
    J’ai ado­ré votre article, mais par pitié, n’utilisez pas l’écriture inclu­sive, elle ne sert à rien, elle est impro­non­çable et « pique » les yeux ! Notre belle langue se suf­fit à elle-même. L’Académie Fran­çaise, elle aus­si, n’en veut pas… Cor­dia­le­ment.

    • Mer­ci Manuel. Ceci dit, depuis que j’ai lu Hoedt et Piron, je me contre­fiche de l’A­ca­dé­mie Fran­çaise, et le coût (rela­tif) que ça repré­sente de fémi­ni­ser est moindre que l’en­jeu de visi­bi­li­ser les femmes, dont l’his­toire est une per­ma­nente invi­si­bi­li­sa­tion. Dans l’at­tente que ça s’ar­range, je vais pour­suivre (et c’est moins dur que plein de points d’or­tho­graphe / gram­maire stu­pides de notre langue). Ami­ca­le­ment

    • Dany dit :

      Je ne suis pas pour l’é­cri­ture inclu­sive mais dans le cas pré­sent ce « iels, » n’est pas idiot enfin si il avait des hommes et des femmes dans cette assem­blée.., on s’en fou­trait pas un peu ? Les hommes et les femmes peuvent être aus­si capable d’er­reurs et de grande choses, on ne le savais pas déjà ?

    • Emmanuel dit :

      De grâce, ne don­nez pas plus d’im­por­tance à l’A­ca­dé­mie Fran­çaise qu’elle n’en a.
      Hoedt et Piron, Lin­guis­ti­cae, ou Maria Can­déa (pour les plus média­ti­sés) en ont bien par­lé.
      https://www.editionstextuel.com/livre/la-faute-de-lorthographe
      https://www.youtube.com/watch?v=hfUsGmcr1PI
      https://www.editionsladecouverte.fr/le_francais_est_a_nous_-9782348041877

    • Elentelya dit :

      Ça pique tel­le­ment les yeux que je n’a­vais même pas remar­qué qu’il l’a­vait uti­li­sée.

      Concer­nant son inuti­li­té sup­po­sée, vous devez igno­rer les consé­quences de l’in­vi­si­bi­li­sa­tion du fémi­nin par la langue. C’est au contraire un outil utile et pra­tique, et, si en tant que femme on arrive à sup­por­ter les consé­quences du manque de repré­sen­ta­ti­vi­té de la langue fran­çaise, vous sup­por­te­rez bien un petit iel ou point médian de temps en temps.

      Enfin concer­nant l’a­vis des vieux crou­lants sur le sujet, si on se fie à leurs autres déci­sions allant à l’en­contre de la logique et l’u­sage, je pense que l’on pour­ra s’en pas­ser.

  2. Gildas Ribot dit :

    Mince.
    Je vous dois une bou­teille de Char­treuse.
    (Vous êtes sûr ? (Par­ce­qu’au départ c’é­tait un médi­ca­ment peu effi­cace mais qui a pu trou­ver une seconde vie comme gnole sociale, ludique et gas­tro­no­mique.…)
    J’es­père qu’on trou­ve­ra un usage ration­nel et per­ti­nent des pro­duits homéo­pa­thi­qie de Boi­ron dans un proche ave­nir :
    Genre pour déco­rer des cup­cakes.…
    Cor­dia­le­ment,
    Mer­ci pour ce que vous faites,
    Confra­ter­nel­le­ment,
    Gil­das Ribot MKDE.

    • mer­ci Gil­das (non, vous ne me devez rien ! Ser­vice public !)

      • Gildas Ribot dit :

        Haha !
        Je t’ai envoyé un mes­sage sur Face­book sur une demande que l’on peut faire à Boi­ron et qui risque de l’é­met­teur dans l’embarras.
        Mais ça a du être ten­té.
        Leur logique est absurde, autant l’u­ti­liszr nous aus­si car au final, ce n’est pas à nous de prou­ver que ça ne marche pas, mais à eux.
        Ça pour­rait faire un bon pre­mier avril assez malai­sant pour Boi­ron.
        Bonne jour­née à toi

  3. Hyde dit :

    J’ai été soi­gné à l’homéopathie pen­dant enfance et ado­les­cence, et je m’en féli­cite.

    • Certes (moi aus­si !). Mais là n’est pas le pro­blème. Les rai­sons qui font que ça donne l’im­pres­sion de mar­cher sont nom­breuses. J’ai­me­rais bien votre avis sur cette par­tie de mon cours, si vous avez le temps -> ici https://www.youtube.com/watch?v=MVEAATNaS0g
      ou pour une dis­cus­sion plus « poli­tique », ici https://skeptikon.fr/w/doS7e1YDYuUioc5NrCsgF2
      vous me direz, si vous avez le temps
      Ami­ca­le­ment

    • Lulu dit :

      J’ai été soi­gnée à l’ho­méo­pa­thie un jour à l’é­cole après un choc phy­sique, je me sou­viens être ren­trée en colère après ma mère parce qu’elle ne m’a­vait jamais rien don­né alors qu’ap­pa­rem­ment les bleus et les bosses ça pou­vait se soi­gner avec des gra­nules… Pauvre maman… Mais s’ils le disent à l’é­cole c’est vrai !

  4. Barbaroux dit :

    Mer­ci richard et bon cou­rage pour la suite !

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