C’est une ques­tion qui rem­pli­rait de joie les défen­seurs du mou­ve­ment per­pé­tuel : que dire quand on voit fleu­rir des actions sur le cam­pus dont les « théo­ries » cen­trales sont ambi­guës sur le plan scien­ti­fique ?

Il est clair qu’être héber­gé, même une fois, sur un cam­pus donne un ver­nis de sérieux. Claude Sab­bah put se van­ter long­temps d’a­voir été « reçu » à Pan­théon-Sor­bonne pour une confé­rence sur la pseu­do-théo­rie « bio­lo­gie totale », même si l’in­vi­ta­tion n’é­tait pas aca­dé­mique – l’événement était orga­ni­sé par l’Ins­ti­tut des champs limites de la psy­ché (voir l’en­quête d’O­li­vier Her­tel dans Sciences & Ave­nir, ain­si que le cour­rier de l’A­FIS). Cela ne l’empêcha pas d’être condam­né ensuite. Aus­si faut-il bien, dans l’ins­ti­tu­tion, sou­pe­ser ce qu’on veut réel­le­ment cau­tion­ner.

Lors­qu’il s’a­git de confé­rences héber­gées par l’U­ni­ver­si­té, je sais à peu près quoi faire : un cour­rier infor­mant la pré­si­dence. Ce fut le cas pour des confé­rences du « psy­cho­pop » de Jacques Salo­mé, en 2007 et 2009, dans l’am­phi Weil de mon uni­ver­si­té, ou pour une table ronde trus­tée par l’UIP sur science et reli­gio­si­té en 2005 (l’U­ni­ver­si­té Inter­dis­ci­pli­naire de Paris, asso­cia­tion loi 1901, étant le fer de lance du rap­pro­che­ment néo­créa­tion­niste entre les sciences et la foi, voir ici).

La table ronde de l’UIP fut annu­lée, les confé­rences (payantes) de Jacques Salo­mé, non.

Maté­riel indis­pen­sable pour affron­ter le public de Pierre Rabhi (aima­ble­ment prê­té par l’ar­tiste Abra­ham Poin­che­val)

Quand il s’a­git d’une invi­ta­tion de per­son­nage public, est-ce le per­son­nage, ou la « théo­rie sous-jacente », qui est pro­mu ? L’exemple de la venue de Pierre Rabhi en 2016 m’a­vait lais­sé pour le moins per­plexe (pour infor­ma­tion, l’ex­cellent tra­vail de  Jean-Bap­tiste Malet dans le Monde Diplo­ma­tique, août 2018). Quand j’a­vais dit que c’é­tait très déli­cat d’ac­cueillir cette confé­rence, on m’a­vait pro­po­sé d’en faire le contre-point, en me char­geant des ques­tions sévères. Ima­gi­nez un peu : voir dérou­lée la confé­rence devant des cen­taines de fans, puis endos­ser sans cotte de maille le mau­vais rôle des ques­tions qui fâchent !  Autant dire aller au casse-pipe. J’ai décli­né l’offre, mes chairs sont trop molles.

Si ce sont des inter­ve­nants exté­rieurs qui viennent faire des for­ma­tions, c’est encore autre chose (voir la der­nière his­toire en date, les for­ma­tions TIPI).

Et que dire s’il s’a­git de la céré­mo­nie d’ac­cueil à l’U­ni­ver­si­té ? Le mois de sep­tembre 2020, sur le cam­pus de Gre­noble St Mar­tin d’Hères, sont pro­po­sées tout un tas d’ac­ti­vi­tés, essen­tiel­le­ment spor­tives et de « bien-être ».

On m’a écrit plu­sieurs fois pour me deman­der ce que j’en pen­sais.

Ce que je pense ?

Eh bien… la même chose que pour les cas pré­cé­dents. Je ne suis pas là pour tran­cher ces ques­tions, pour blo­quer, accep­ter, inter­dire. Par contre mon tra­vail est de four­nir de la docu­men­ta­tion sur cha­cun de ces sujets, et de pré­ve­nir que si l’on accepte des théo­ries non véri­fiées, ou des spi­ri­tua­lismes dans nos murs, nous ne pour­rons rien oppo­ser lors d’autres sol­li­ci­ta­tions du même genre . Nous aurons savon­né la planche. Or les choses s’or­ga­nisent sans qu’on inter­roge les res­sources de l’U­ni­ver­si­té, dont je fais par­tie.  Je ne sais même pas qui les valide, pro­ba­ble­ment le SUAPS, ser­vice des sports, dans le cas pré­sent.

Il me semble que les Uni­ver­si­tés auraient à gagner à faire deux choses.

D’a­bord, bien com­prendre qu’­hé­ber­ger à l’u­ni­ver­si­té un évé­ne­ment n’est pas ano­din, et confère du pres­tige scien­ti­fique.

Ensuite, que nous avons les res­sources sur place pour docu­men­ter. Décryp­ter ces « thé­ra­pies du bien-être », mais éga­le­ment jau­ger la vali­di­té des ensei­gne­ments de psy­cho­lo­gie cli­nique enkys­tées par le défunt freu­disme, de cer­taines tech­niques ensei­gnées chez les sage-femmes, et de cours de « psy­cho­to­nie » en 2ème année de STAPS (mêlant cha­kras, méri­diens, réflexo­lo­gie plan­taire, shiat­su, euto­nie…)

Mais sans une sorte de com­mis­sion scien­ti­fique, ou de charge de mis­sion spé­ci­fique qui pro­tège un peu,  c’est ris­qué. Il est très déplai­sant pour les gens comme moi, déjà rares, de se retrou­ver en per­ma­nence appor­ter un contre-point, de se voir affu­blé d’une répu­ta­tion de « désen­chan­teur de monde », ou pire de « police de la pen­sée », sans que soit four­nie l’ar­mure en dota­tion.

Adden­dum : si les choses devraient pou­voir être rela­ti­ve­ment cla­ri­fiées dans le giron-même de l’U­ni­ver­si­té, quel est notre man­dat vis-à-vis

  • des ins­ti­tuts type IFTS (qui forment les éducateurs/trices spécialisé·es) ?
  • de l’Éducation natio­nale ? Je me rap­pelle d’un ami prof qui me racon­tait que lors de la pré-ren­trée du Lycée Bran­ly, à Lyon, des ate­liers de man­da­las à l’a­cry­lique avaient été orga­ni­sés par une prof et ses six « guides » affu­blés de col­liers de fleurs en plas­tique. D’un autre qui se plai­gnait de for­ma­tions à la tech­nique de l’én­néa­gramme  dans cer­tains lycées.
  • des muni­ci­pa­li­tés ? Fût un, temps, le per­son­nel de la muni­ci­pa­li­té de Gre­noble béné­fi­ciait de for­ma­tions ESPERE, basées sur les argu­ties pseu­doy­cho­lo­giques de Jacques Salo­mé.
  • des mai­sons des asso­cia­tions et des centres sociaux ?  qui font des choses remar­quables au demeu­rant, comme au centre social de Crest (26), ou dans l’Es­pace Social et Cultu­rel Du Diois (ESCDD) à Die (26). Ils ne se rendent pro­ba­ble­ment pas compte qu’ils entachent leur sou­ci du bien col­lec­tif en fai­sant ren­trer dans leur pro­gram­ma­tion res­pec­tive des 17 et 18 sep­tembre une confé­rence sur le Déco­dage Émo­tion­nel des Symp­tômes (marque dépo­sée). Or cette « tech­nique » sans fon­de­ment s’ap­pelle aus­si déco­dage bio­lo­gique, et n’est qu’un ava­tar de la fameuse Bio­lo­gie totale, elle-même calque de la Méde­cine nou­velle du Doc­teur Hamer (la lit­té­ra­ture cri­tique sur le sujet, ici, ou , est plé­tho­rique, et les plaintes toutes aus­si nom­breuses). La confé­ren­cière-thé­ra­peute qui pré­sente cela n’a à ma connais­sance pas de diplôme d’é­tat, et est très pro­ba­ble­ment sin­cère (elle narre dans ses pages que c’est sa satis­fac­tion en tant que patiente qui l’a plon­gée dans cette tech­nique – or nous ne fai­sons que répé­ter en cours que la satis­fac­tion d’un soin n’au­gure en rien de sa vali­di­té). Qui va écrire à l’ex­cellent Espace social ? Une per­sonne iso­lée (qui va prendre un tom­be­reau de purin) ? Nous autres uni­ver­si­taires ? Là encore, pour­quoi pas, si une com­mis­sion spé­ciale uni­ver­si­taire était créée à cette fin et nous ser­vait d’ar­mure. Car comme le disait le phi­lo­sophe fran­çais Bache­let en 1982,

Sans armure
Le soleil n’existe pas sans armure
Quand tu brûles c’est que t’as froid côté cour
Rien ne te réchauf­fe­ra
Sans armure

 

4 réponses

  1. tom dit :

    Et j’i­ma­gine que faire la veille de ces évè­ne­ments prend de l’éner­gie et du temps. Avez-vous eu des cas où vous sus­pec­tiez un entrisme de ce type d’é­vè­ne­ment et où après recherche l’es­pace uni­ver­si­taire était légi­time ?

    • C’est vrai, ça prend du temps – ça en pren­drait moins si c’é­tait un peu sys­té­ma­ti­sé, tout ça. je n’ai pas connais­sance d’un cas comme vous le pré­sen­tez – il y en a peut être eu à la nais­sance de cer­taines dis­ci­plines ? Et puis ça dépend du contrat épis­té­mo­lo­gique de base. Dans les cas d’in­tru­sions spi­ri­tua­listes, les choses sont faus­sées d’emblée.
      Le cas le plus épi­neux est dans les ins­ti­tuts de san­té : faut-il accep­ter des pré­sen­ta­tions de thé­ra­pies qui seront deman­dées par les étudiant·es parce que les patient·es les deman­de­ront ? (dans ce cas, je n’ai rien contre si c’est assor­ti du dis­cours cri­tique qui va avec)
      Ami­ca­le­ment

  2. Mer­ci pour l’ar­ticle et mer­ci pour l’a­lerte… Quel­qu’un à bien écrit à l’Es­pace Social, il ne s’est pas pris un tom­be­reau de purin et nous allons annu­ler cette confé­rence qui était effec­ti­ve­ment pas­sée sous nos radars.

    Dans notre ter­ri­toire il faut sans cesse être sur le qui-vive tel­le­ment les « …peutes » en tout genre pul­lulent.

    Mer­ci de nous avoir aler­té.

    En tant qu’an­cien direc­teur de EVE sur le cam­pus de Gre­noble , où nous avons déve­lop­pé il y long­temps ensemble mon cher Richard des « mer­cre­dis cri­tiques » super inté­res­sants et désor­mais direc­teur de l’Es­pace Social et Cultu­rel Du Diois ça m’au­rait bien ennuyé de me rendre compte à pos­té­rio­ri que nous avions accueilli ce genre de confé­rence.

    • Il ne m’ap­par­tient pas de dire quoi faire dans ces cas-là, cela vous appar­tient. Mais que vous pre­niez au sérieux le fait que les thé­ra­peutes plus ou moins impro­vi­sés déve­loppent des « théo­ries » par­fois fort dom­ma­geables est tout à votre hon­neur. Je ne suis pas sur­pris que toi, Oli­vier, qui héber­gea avec EV un cer­tain nombre d’événements, sois très vigi­lant, c’est tout à ton hon­neur ! Vive l’es­pace social !

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