Cette recension de bouquin a été écrite durant l’été 2020, par Tim Gallen et moi-même, pour la revue L’Amorce. C’est en ligne ici. Et sinon, ci-dessous !
Ne faites pas aux truies ce que vous ne voudriez pas qu’on vous fasse.
Recension d’Axelle Playoust-Braure & Yves Bonnardel, Solidarité animale, Défaire la société spéciste, Paris, Éditions La Découverte, 2020.
Solidarité animale, Défaire la sociétés spéciste est un remarquable ouvrage rédigé par Axelle Playoust-Braure et Yves Bonnardel, deux militant·es chevronné·es de la cause animale. Il y a quelque chose de touchant pour nous à faire une recension d’un ouvrage co-écrit par Yves, puisque c’est à lui que, comme pour beaucoup de francophones, nous devons la découverte du spécisme et sa critique1. Et c’est d’autant plus touchant que cet ouvrage constitue une très bonne introduction, souple, élégante, et bien construite : le genre de livre qu’on recommandera et qu’on offrira aisément à nos proches pour les initier à la réflexion sur le statut moral et politique des êtres sentients non-humains.
En retraçant une partie de l’histoire du courant animaliste en France dont Yves est un des acteurs, en montrant sa construction et son ossification autour de concepts centraux comme celui de la sentience, ce livre remplit dès les premiers chapitres son objectif : montrer la justesse de l’enjeu, en mots simples. Puis les chapitres nous mènent vers des approches plus profondes, et fourbissent l’outillage permettant de recadrer les débats avec les opposant·es aux revendications antispécistes. Le livre nous prend par la main et offre un ravigotant tour d’horizon des propositions éthiques, des différentes stratégies et des principales mouvances animalistes.
L’angle pris par les deux comparses est assez original. On sent que les sciences sociales sont mobilisées sous une perspective matérialiste : les rapports « Humain / Animaux » sont appréhendés en tant que rapports sociaux de domination, et on y voit s’effondrer les pseudo-concepts des notions biologiques sensées faire le « propre de l’homme », et de facto l’animalité y est décrite comme catégorie sociale et politique,faisant des non-humains « l’objet d’un rapport de pouvoir qui les animalise, c’est-à-dire qui les rends méprisables, exploitables, appropriables, tuables » (p. 47). Le tout avec éléments de preuve à l’appui et ce qui réjouira toutes celles et ceux qui comme nous, pensent que le relativisme cognitif est un leurre, et qu’une thèse, même morale, doit s’adosser à une démonstration rationnelle pour remporter l’adhésion quelle que soit notre subjectivité initiale. Et le pari est tenu !
Tout au long de l’ouvrage, des points essentiels sont détaillés dans des encarts. Des crevasses dont beaucoup ne sont pas revenu, sont balisées patiemment, comme l’erreur fondamentale de prendre la vie au lieu de la sentience comme critère d’accès au cercle de la considération morale. La filiation cognitive entre racisme, sexisme, spécisme et même capacitisme (cf. recension Braves bêtes) est d’une clarté de lac de montagne.
Playroust-Braure et Bonnardel nous offrent une cause animale sans dieu, sans naturalisme fantasmatique, sans Brigitte Bardot, sans métaphysique marécageuse et démontrent que cette cause est la conclusion logique d’une démarche éthique laique et matérialiste « en méthode ». Ils s’adressent à notre intelligence plutôt qu’à nos sentiments, et ça fait du bien. Quand ils écrivent que « la croyance en un ordre naturel et en l’existence des essences est une plaie, autant pour la question animale que pour les mouvements progressistes de façon générale. » (p. 173), nous avons envie d’applaudir de toutes nos pattes.
Avouons que nous avons serré les miches par trois fois. D’abord, serrage léger lorsque, à leur corps défendant, certaines positions et définitions prises dans l’ouvrage ne font pas un complet consensus, comme sur la définition du spécisme, ou les vices de l’humanisme élargi.
Serrage seulement de principe car nous devons reconnaître souscrire aux mêmes prémisses. Puis serrage plus appuyé au chapitre 4, avec quelques recours aux conceptualisations de Florence Burgat, connue pour défendre l’idée que la viande est une partie de l’expression de la pulsion de mort, de la violence primitive de l’humain, de l’agressivité et d’une volonté d’anéantissement des animaux, autant de concepts qui baignent dans une sauce psychanalytique ayant largement dépassé sa date limite d’utilisation optimale (les années 1910).
Burgat est connue pour défendre l’idée que la viande est une partie de l’expression de la pulsion de mort, de la violence primitive de l’humain, de l’agressivité et d’une volonté d’anéantissement des animaux, autant de concepts qui baignent dans une sauce psychanalytique ayant largement dépassé sa date limite d’utilisation optimale (les années 1910). Enfin, au chapitre 5, nous avons développé une petite crampe sur un travers que tou·tes les personnes engagées partagent : l’envie de faire feu de tout bois, quitte à ce que le bois soit… mouillé. Ainsi les arguments sauce anthropologique (N. Russell, Fisher, Adams) nous semblent être des outils en mousse, et certains effets (« civilisation de la viande », « habiter esclavagiste » …) ressemblent un peu à des effets de manche.
Mais que sont ces détails, par rapport à la portée de ce livre ? La critique du spécisme qu’il résume pointe les failles de nos « logiciels » politiques et moraux lorsqu’ils sont fondés sur une hiérarchie des êtres, un ordre naturel et une idéologie « humaniste ». L’éthique antispéciste vient faire une mise à jour de notre morale étriquée, rabougrie sur nous-mêmes, en la mettant au diapason des connaissances les plus récentes sur le monde. Elle ouvre du coup un horizon immense en nous obligeant à repenser tous nos rapports sociaux, tous nos rapports domestiques, tous nos rapports commensaux. Grâce au travail synthétique d’Axelle et Yves, on comprend facilement en quoi la prise en compte des intérêts de touts les êtres sentients, indépendamment de leurs appartenance à telle ou telle espèce, se distingue essentiellement d’une simple sensibilité, d’une vague sensiblerie, ou de choix personnels, et constitue une revendication nécessaire, rationnelle, incontournable. Là où la doxa et les discours les plus médiatisés mettent l’accent sur les changements individuels que nous devons adopter en tant que personne, tels des petits colibris haletants, ici, à contre courant de cette pensée dominante, les auteurs argumentent et gagnent notre adhésion sur l’importance de la dimension collective. « La bonne volonté de quelques-uns ne fait pas le poids face aux moyens colossaux déployés pour promouvoir la consommations de ces produits », écrivent-il/elle page 167. Aussi peu gratifiant cela soit-il, on comprend facilement la nécessité stratégique de remettre en cause nos sociétés et leurs structurations économiques et agroalimentaires, plutôt que d’opter uniquement pour des comportements individuels certes drapés de vertu mais n’ayant finalement que très peu de répercussions sur les structures combattues.
Avec ce genre d’ouvrage, le levier de la raison soulève le couvercle du spécisme, crrouiiiic ! et se donne les moyens d’analyser le ragoût qui mijote. Aucun cerveau alerte et épistémiquement honnête ne pourra après lecture retourner dans le confort intellectuel d’un monde où l’animal est au mieux domestique, au pire un bien de consommation inerte.
Richard Monvoisin & Timothée Gallen
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Notes
- On se rappelle peut être de cette disputatio du 21 novembre 2017, ici.
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