Mon copain Albin Guillaud me tanne pour que je lise le philosophe Michael Huemer. Alors j’ai commencé par celui que j’ai trouvé, Dialogue entre un carnivore et un végétarien, chez Albin Michel, très bon !
Je me suis alors rappelé que j’avais écrit quelques dialogues pour enfants, lors d’une retraite solitaire automnale au Lac de l’écluse, au Québec. C’était en 2016. J’ai fouillé mes archives, et voilà un exemple de ce que ça donne. Je vous le mets ici pour que ça arrête de prendre la poussière. Ça s’appelle Le jambon : testez sur vos enfants (même les vieux enfants), vous me direz ce que ça donne. Si vous avez envie de mettre ce genre de truc en images et d’en faire un livre pour mômes, contactez-moi, ce sera avec plaisir.
En pdf, ou ci-dessous.
Ca pousse où, le jambon
Dis-moi, Papa, toi qui es adulte, et qui sais plein de choses, ça pousse où le jambon ?
Euh…, ben, le jambon c’est de la viande…
Oui, je sais (agacée) : alors ça pousse où, la viande ?
Eh bien disons que la viande, ça ne pousse pas vraiment.
Ah bon ?
Non, c’est de la chair d’animal
De la chair ?
Oui, tu vois, comme ta chair à toi, ton bras, tes cuisses, tes fesses, bon ben c’est de la chair, quoi. De la viande.
Donc la viande qu’on mange, c’est de la chair d’animal ?
Oui c’est ça.
Mais l’animal… Il était d’accord ?
Euh.. ma foi, il était mort quand on lui a pris sa viande, alors…
Mais pourquoi il était mort ? De vieillesse ?
Non, pour prendre sa viande.
(Regard énervé par l’argument circulaire) Donc il est mort avant.
Oui.
Mais il était d’accord pour mourir ?
Euh… Pas trop je pense.
Donc on l’a tué ?
C’est ça.
Pour avoir sa viande…
Oui.
Mais il n’était pas d’accord pour donner sa viande, ni pour mourir.
C’est assez probable, en effet.
Si j’étais un animal, je n’aimerais pas trop ça, qu’on me tue sans me demander mon avis, et qu’on me mange après.
Certes, mais c’est dur de demander son avis à un animal.
C’est pas vrai. Regarde ma chienne, quand elle s’enfuit à 10 kilomètres d’ici en suivant des promeneurs, et que Maman la gronde à son retour, on voit qu’elle a la tête basse, et elle n’est pas contente d’aller dans sa niche. Regarde mon chat, quand je lui marche sur la queue ou que je l’embête trop, il miaule et me fait comprendre qu’il va me griffer.
T’as raison, ils peuvent un peu s’exprimer. Mais ce sont quand même des animaux, pas des humains.
Ah ? Et ça change quoi ?
Eh bien les animaux, on a le droit de les manger, même s’ils ne sont pas d’accord.
Et pourquoi ?
Euh.. eh bien… Parce qu’ils sont moins intelligents, ils ne pensent pas comme nous.
Mais….Quand j’étais bébé, je ne pensais pas non plus comme les grands. Je ne savais même pas manger toute seule. On aurait pu me manger alors ?
Bien sûr que non. Parce que tu es une personne humaine. On ne mange pas les humains !
… (Elle réfléchit) …Mais les chiens et les chats ne sont pas des humains non plus. Et pourtant on ne les mange pas…
Ah ça, c’est parce que ce sont des animaux de compagnie. On les choisit pour ça.
Donc on peut décider ceux qu’on peut manger et ceux qu’on doit pas ?
C’est un peu ça.
Mais on décide comment ?
On peut manger les animaux… Sauf quelques-uns parce qu’on les a choisis.
Qui c’est qui choisit, alors ?
Eh bien, c’est la société, on décide tous ensemble.
Bizarre, on t’a déjà demandé ton avis ? On ne m’a jamais demandé, à moi. Pourtant j’aimerais bien qu’on laisse tranquilles les hérissons, les écureuils, les cochons, les….
Oui mais tout le monde ne sera pas d’accord avec toi. Et puis il y a des traditions. C’est-à-dire que quand les Humains font quelque chose depuis longtemps, ils aiment bien ne pas en changer. Manger des dindes à Noël, des rillettes de cochon, du foie gras de canard..
Tu veux dire que même si c’est nul, si ça fait longtemps qu’on le fait, on continue ?
Oui, il y a un peu de ça.
Donc on peut manger les animaux parce que ça fait longtemps qu’on les mange.
Oui
Et on les mange parce qu’ils sont moins intelligents que nous, sauf quelques-uns qu’on dit « de compagnie » mais on ne peut pas manger un humain moins intelligent que nous….
Oui
Mais c’est n’importe quoi ! (elle réfléchit) C’est un peu comme si tu disais : on les mange parce qu’on les mange.
… Euh…
Et d’ailleurs tiens, si on trouve un jour un animal qui pense comme nous ?
Ça m’étonnerait.
J’ai vu l’autre jour à la télé un chimpanzé qui était capable de faire la langue des signes.
Oui, mais ça n’empêche qu’il n’est pas plus intelligent que nous.
Peut être, mais regarde : je connais un garçon, dans sa classe, il a un problème de chai-pas-quoi dans la tête, il ne sait pas parler, n’est même pas propre, il porte des couches, tu vois. Il ne comprend que son prénom. Le chimpanzé comprend plus de choses que lui. Donc si je t’écoute, on devrait manger mon copain plus que le chimpanzé, non ?
… Je n’ai pas dit ça. Et puis de toute façon, on ne mange pas les chimpanzés.
Si, j’ai vu ça l’autre jour à la télé, il y a des gens qui mangent des singes.
Oui mais pas chez nous.
Ah ?
Non, on ne mange pas les singes, les chiens et les chats, les animaux de compagnie.
Mais ta vache, c’est ton animal de compagnie ?
Ben pas vraiment. En fait c’est une vache d’élevage
Mais elle te tient compagnie au champ, non ?
Oui mais elle ne vit pas avec nous, dans notre maison. Et à la fin, on la mangera.
(Elle réfléchit) Donc si je prends une vache, ou un cochon comme animal de compagnie, je ne pourrai plus le manger, et personne non plus ?
Non, c’est vrai.
Donc tous les jambons de cochon qu’on mange, ce sont peut être des animaux de compagnie qui n’ont pas trouvé de maison.
Euh… oui c’est un peu ça.
Les pauvres, ils n’ont pas eu de chance. Donc on les mange parce qu’ils n’ont pas eu de chance ?
….
Ça leur fait deux punitions : ne pas être de compagnie, et être mangés alors qu’ils n’ont rien fait.
…. Euh… eh bien…
Et Papi ?
Quoi Papi ?
Avant de mourir, il a passé deux mois allongé sans bouger, sans parler.
Oui, il était dans le coma.
Ah. En tout cas, il ne riait plus, ne parlait plus. Il ne pensait plus ?
Je crois bien que non. Et alors ?
(Agacée) Eh bien si on voulait manger de la viande, on aurait dû manger Papi, au lieu de manger le cochon qui n’a pas eu de chance de trouver de la compagnie !!!!
??? Ben non, ça ne se fait pas ! Je te l’ai dit, on ne peut pas manger un humain ! C’est défendu.
Tu veux dire que si c’était défendu de manger les poulets, on n’en mangerait plus non plus ?
Oui.
C’est bizarre, non ?
Quoi ?
Ce n’est pas défendu de tuer puis manger un cochon qui était heureux et content mais qui n’a pas trouvé de maison pour être de compagnie, mais on ne peut pas manger un chat, même malheureux… Et c’est défendu de manger un humain très malheureux, qui va mourir.
C’est compliqué, c’est vrai.
On est obligé de manger de la viande pour vivre ?
Ben non, tu as des céréales, des légumes, des fruits, plein de choses. Je crois qu’il faut surveiller une vitamine, c’est tout.
Mais alors… On n’a pas besoin de manger du jambon ?
Si ! Parce que c’est bon !
Donc parce que c’est bon, ça suffit pour le manger ?
(elle réfléchit) Si je mords une copine à l’école, et que je mange un bout de son bras parce que je trouve ça bon, j’ai le droit ?
Rhâaaa, je t’ai dit que tu ne peux pas, ta copine c’est un humain.
D’accord. Mais si je mords le chien du voisin et que je trouve ça bon ?
Mais non ! C’est son animal de compagnie.
Ah oui. Alors si je mords le bébé de notre chienne, et que je trouve ça bon… Quand il était juste né, il était trop petit pour être notre animal de compagnie, non ?
Ben si, il est né chien, quelqu’un l’a adopté pour en faire un animal de compagnie.
Oui mais avant !
Avant quoi ?
Avant qu’on le donne ? C’était l’animal de compagnie de personne. Donc j’aurais pu le manger.
Écoute, manger d’autres animaux, c’est comme ça, c’est la nature, tous les animaux mangent d’autres animaux, et les humains sont des animaux, c’est comme ça !
Mais tout à l’heure tu disais que c’est justement parce qu’un humain n’est pas un animal qu’il ne peut pas être mangé.
…C’est vrai.
Alors quand ça t’arrange, l’humain n’est pas un animal. Et quand ça t’arrange, l’humain est un animal.
Grmmmmblll
Je crois que j’ai compris ! Tu n’as pas de bonne raison, mais tu veux continuer à manger de la viande !!!
Oui !!!!! Parce qu’il faut bien en manger.
Pourquoi ? Tu m’as dit que ce n’est pas obligatoire pour vivre.
Euh, c’est vrai… Mais parce que c’est bon au goût !
Donc pour ton goût à toi, on va faire souffrir un animal qui n’a pas eu la chance de rencontrer une famille avec qui il sera de compagnie ?
Mais enfin, tu dois comprendre, ces animaux ont été élevés pour ça !
Tu veux dire qu’on les a élevés pour être mangés ?
Eh oui !
Mais on les a élevés parce qu’il y a des gens comme nous qui achètent leur viande.
Oui.
Donc ça tourne en rond. (elle dit vite) On a le droit de les manger parce qu’ils ont été élevés pour ça parce que des gens comme nous veulent les manger même s’ils n’en ont pas vraiment besoin mais parce qu’ils ont du plaisir à manger des animaux qui ne pensent pas comme nous sauf comme Papi et le garçon qui a un problème à la tête mais ça compte pas parce qu’ils sont humains et tant pis s’ils souffrent ou ne sont pas d’accord ?
…
Je crois que je vais arrêter de manger du jambon. Et de la viande. Sauf si c’est un animal qui a été renversé par une voiture sans faire exprès. (elle réfléchit) Ou si c’est un humain qui a été renversé…
Non ! Un humain c’est impossible, tu n’as pas le droit, tu irais en prison ! Enfin… j’irais en prison !
(Énervée, elle crie) Bon, alors je ne mangerai pas d’humain. Mais juste parce que j’ai peur que tu ailles en prison, parce que sinon j’aurais pu manger Papi et le petit garçon de ma classe ! Alors je me contenterai de manger des chiens morts et les pauvres hérissons écrasés. Et voilà !!!
… Des hérissons écrasés ? grgl…. (il mime le fait de vomir)
Je vais plutôt reprendre des légumes.
(Silence – elle est fâchée, elle ne parle plus)
Manger Papi, non mais franchement ! On aura tout entendu.
Fin
Inspiré des discussions avec ma fille Automne, 2016
Un bon moment de lecture merci… Je ne suis pas tout à fait végétarien mais je vais finir par le devenir à force de vous lire.
On fait comme on peut ! Merci d’avoir lu !!
J’aimerais bien que tout les enfants aillent un peu secouer leur parents comme ça .
J’ai beaucoup aimé le passage avec le cochon qui n’a pas eu de chance de trouver de la compagnie.
C’est le même argument retourné dans divers sens.
Pourquoi on ne mange pas son chien et on mange son cochon ?
L’un et un animal domestique et l’autre d’élevage. Outre les difficultés matériels a avoir un cochon sous son toit, il y a le degrés d’intimité qui est différent.
Votre chien vous a peut-être été offert par votre femme à Noel, il vous a accompagné en vacances, à joué au ballon avec vos enfants. Il y a une intimité entre vous et votre chien.
C’est pour ça que le jour ou votre chien meurt vous êtes ému, une émotion qui sera plus intense que quand vous apprendrez aux informations que des enfants sont décédés dans un accident.
Ca ne veut pas dire que vous pensez qu’un chien est plus important que des enfants, simplement que c’était votre chien et votre histoire, et que ces enfants vous ne les connaissiez pas.
Quel dialogue ! C’est un vrai catalogue d’arguments spécistes et antispécistes 😀
Puisque la proposition a été faite : végan et illustrateur, moi ça me ferait bien kiffer, je pense, de tenter une mise en image 🙂
Hey, pourquoi pas ? Ecrivez-moi à Richard.Monvoisin@univ-grenoble-alpes.fr. Merci !
Très bien envoyez ça aux chasseurs aussi
Vous savez, je mets à disposition des chasseurs aussi. De tout le monde.
J’adore.
sympa ! j’ai trouvé les dessins de vous sur votre blog très chouette !