Durant ma période 2010 – 2017 au CORTECS, je faisais régulièrement des TP (travaux pratiques) de décorticage. Là, l’occasion est trop belle de montrer comment un article mal fichu peut distiller des idées fausses. Je ne veux ni revenir sur la présomption d’innocence de l’accusé, ni tacler l’auteur de l’article, aussi je ne les nomme pas.
Vous avez peut être vu que j’ai posté avec enthousiasme et quelques critiques le kit de prévention des violences sexuelles et sexistes (VSS) fraîchement élaboré par le Conseil de l’Ordre des masseurs-kinésithérapeutes. Or, quelques jours après seulement, le 18 mai un article est sorti sur https://www.hauteprovenceinfo.com, intitulé
Tribunal judiciaire : Relaxe pour le kinésithérapeute aux pratiques controversées
Ma tension sanguine est montée d’un coup de trois points. Quoi, le CNOMK sort son livret, et quelques jours après un kiné agresseur est relaxé ?
Lisons.
(Trigger warning : la suite aborde des violences sexuelles)
Tribunal judiciaire : Relaxe pour le kinésithérapeute aux pratiques controversées
L’ostéopathe était soupçonné de faire subir des attouchements sexuels à ses patientes.
En juillet 2014, le quinquagénaire, magnétiseur, qui exerçait à Manosque et à Vinon-sur-Verdon, aurait eu pour habitude de demander à ses patientes de se déshabiller entièrement avant de s’allonger sur la table de massage. Il aurait procédé à des caresses sexuelles prononcées, ponctuées d’allusions triviales. Deux victimes déposeront plainte, mais elles seront cinq à témoigner de pratiques douteuses, parlant de « tripotages », et d’attouchements.
« Pourquoi aviez-vous besoin d’enlever sa culotte ? », insiste la présidente Géraldine Frizzi. « Elle consultait pour des douleurs lombaires chroniques… La culotte ce n’est pas systématique, mais cela facilite le contact avec la peau. La main est à l’écoute du médecin », explique cet ostéopathe prévenu d’avoir en 2014 fait subir des attouchements sexuels à ses patientes.
Le conseil décidera de ne pas donner de suites, et la chambre disciplinaire de l’ordre de Marseille rejettera les plaintes. Une expertise médicale soulignera des pratiques régulièrement enseignées, mais retiendra que le détail des actes doit être légalement détaillé au patient avant d’être pratiqués, ce qui n’avait pas été le cas.
« Il n’y avait rien de médical »
« Ça ne s’est pas passé comme ça », répond le prévenu à la présidente qui lui demande des explications sur les manipulations pratiquées. Il se lance dans des explications médicales et conclu, « je ne sais pas quoi vous répondre, je ne peux pas être responsable de tous ces ressentis…. Je me suis laissé piégé par ma compassion ».
Les débats vont souligner une faiblesse avouée de la part des victimes, et dont aurait profité le prévenu. « Il ne m’a jamais écoutée, et m’a juste demandé de me déshabiller et d’enlever ma culotte avant de me tripoter soi-disant pour voir une cicatrice intime », explique à la barre la première plaignante, « j’aurais dû refuser et partir mais j’étais tétanisée ».
L’autre victime, en pleurs, donne encore plus de détails « il n’y avait rien de médical dans cette consultation…quand ses doigts ont écarté mon sexe je ne comprenais plus rien. En plus, je sentais son érection sur mon bras, et il m’a même dit est-ce que ça te fait du bien ? ». Elle avouera « je n’ai rien inventé. Je m’en veux de pas avoir eu le courage de tout arrêter ».
« Border line »
Une des maîtresses du prévenu, témoignera à charge. Elle expliquera qu’il lui avait confié avoir des problèmes avec les maris de ses patientes, car il pratiquait des gestes les mettant mal à l’aise, et il lui arrivait d’être « border line ». Les parties civiles évoqueront un homme intelligent qui se positionne comme « bouc émissaire », de la part de deux jeunes femmes « qu’il veut faire passer comme déséquilibrées », demandant pour chacune 5 000 euros au titre du préjudice subi.
Me Emmanuelle Istria, du barreau d’Aix-en-Provence dénoncera un parcours de viol, « des pulsions de la part de quelqu’un qui n’a eu aucun mot pour ces jeunes victimes ».
Tandis que Me Arnault Chapuis, bâtonnier des Alpes de-Haute-Provence, rappellera huit ans d’instruction, « le prévenu peut parler de ressenti, d’érotisation, mais la réalité de ce dossier ce sont des plaintes et des témoignages pour agression sexuelle avec des certitudes qui viennent corroborer les faits ». Pour Sabine Marthouret, substitut du procureur de la République, « il leur en coûte de venir exposer ce qu’elles ont subi, mais elles le font pour qu’il n’y ait pas d’autres victimes », réclamant en répression 24 mois intégralement assortis d’un sursis et interdiction d’exercer durant 5 ans.
Me Eric Passet du barreau d’Aix-en-Provence, assurant la défense du prévenu plaidera la réalité d’un protocole médical, excluant toute dérive calculée. « C’est un bon médecin et un médecin bon. Un homme généreux, sensible, impliqué dans son métier auprès de ses patients ».
Le tribunal après délibéré prolongé, a prononcé la relaxe.
— j’anonymise l’auteur —
Bon, bon, bon.
Si vous ne pigez pas tout à la première lecture, ni même à la deuxième, ce n’est pas étonnant, car le texte est mal écrit, il est tout de guingois. Certes, tout le monde n’a pas la plume d’Albert Londres, mais qu’un journaliste sorte un article pas clair, c’est plutôt embêtant.
Par contre, on comprend bien que les plaignantes ont de quoi se plaindre, et les avocats de quoi avoquer, surtout quand on apprend après quelques recherches que s’il n’y a que deux plaignantes, c’est parce que les autres ont vécu des choses frappées de prescription. Je lis par exemple dans Perspective sociale du 4 avril 2022 (article publié un mois et demi avant celui dont je parle) que « Face à lui, Marjorie et Sophie, les seules à avoir déposé plainte. Les similitudes des témoignages (frappés de prescription) de cinq autres patientes viennent toutefois colorer ce dossier. »
Le monsieur a donc un gros dossier bien dégoulinant, et si l’on se demande ce que la défense du monsieur aura brandi pour lui éviter la condamnation (je n’ai pas trouvé le compte-rendu du procès sur Légifrance – si vous trouvez je suis preneur), on ne saura que ceci : l’avocat plaide en « excluant toute dérive calculée » de l’accusé, qu’il présente comme « un homme généreux, sensible, impliqué dans son métier auprès de ses patients », comme si être généreux et sensible absolvait quoi que ce soit. Il ne m’appartient pas de commenter une décision de justice dont je n’ai pas les pièces, mais si je me fie à cet article, le monsieur est accusé d’avoir tripoté le sexe de certaines de ses patientes sans aucun lien avec un soin réel, mais comme il est généreux et sensible, on peut le relaxer. Ce n’est pas une bonne chose pour la Justice, et je ne parle même pas pour les femmes agressées.
Mais revenons à la profession de notre homme. Kinésithérapeute, dit le titre.
Puis on lit « L’ostéopathe était soupçonné de faire subir des attouchements sexuels à ses patientes ». Euh.. il s’agit donc d’’un ostéopathe ? Vous connaissez sûrement la différence : les kinés sont des professionnels de santé, les ostéopathes non, et si les kinés utilisent des outils dont certains ne fonctionnent guère, l’ostéopathie, elle, repose sur une théorie qui elle, est pseudoscientifique – ses concepts centraux n’ayant pas fait la démonstration de leur validité (voir nos rapports sur le sujet, par exemple ici). Opopop ! Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : il y a des ostéopathes sympas, consciencieux et efficaces (et des kinés tout pourris). Mais si l’ostéopathe est efficace, ça ne peut pas être du fait de l’application des concepts de bases du fondateur, Andrew T. Still, dont l’ostéopathie se réclame.
Vous me direz : il existe des kinés-ostéos (j’ai co-écrit une critique de ce statut ici, avec Nicolas Pinsault), donc ça pourrait effectivement justifier le titre de cet article. Mais plus loin, je lis « le quinquagénaire, magnétiseur »…. Là, je me dis : un kiné-osté-magnétiseur (magnétiseur n’étant pas une profession réglementée) c’est toujours possible. Mais ça commence à faire beaucoup d’imprécisions. Et encore un peu plus loin, j’en tombe de ma chaise : « C’est un bon médecin et un médecin bon ».
Un kiné-ostéo-magnétiseur-médecin, c’est rare. En 25 ans dans le métier je n’en ai jamais vu. Mais où je veux en venir, c’est ceci : s’il est médecin, il relève du Conseil de l’Ordre des médecins (CNO), pas du CNOMK, le Conseil de l’Ordre des kinés.
En trois coups de cul, hier, à Pau, j’apprends que le monsieur était médecin-ostéopathe, et est devenu désormais médecin urgentiste à Hyères. Il n’a jamais été kiné.
Conclusion ? C’est navrant de journalisme à l’emporte-pièces, mais surtout ça jette l’opprobre sur une profession… qui n’est pas la bonne. Dans un contexte où le CNOMK s’est mobilisé pour justement dénoncer cela, le Conseil de l’Ordre des médecins, lui, n’a jusqu’à présent jamais mis en place une telle technique de prévention des risques de violences sexuelles et sexistes. Si j’étais kiné, ostéopathe, même magnétiseur, je ne serais pas ravi d’un pareil ravalement de façade.
D’ailleurs, avez-vous relevé ? L’accusé a déjà été « prévenu d’avoir en 2014 fait subir des attouchements sexuels à ses patientes ». Et que s’est-il passé ? « Le conseil décidera de ne pas donner de suites, et la chambre disciplinaire de l’Ordre de Marseille rejettera les plaintes. ». Vous avez compris ? Moi j’ai mis du temps. C’est le Conseil de l’Ordre des médecins (et non des kinés) et sa chambre disciplinaire qui n’ont pas donné suite !
En tant que médecin, je serais circonspect que mon Ordre ne s’empare pas d’individus pareils pour leur faire passer l’envie de recommencer.
En tant que patient, je suis écœuré que mon Ordre ne s’empare pas d’individus pareils pour leur faire passer l’envie de recommencer.
Et en tant que patiente, je serais terrorisée que mon Ordre ne s’empare pas d’individus pareils pour leur faire passer l’envie de recommencer.
Pour finir en beauté, voici un élément de défense de l’accusé, déniché dans un article de https://www.francelive.fr du 5 mai (donc disponible quand notre journaliste en carton a fait le sien) :
« La main est à l’écoute. Une palpation peut être ressentie comme une caresse. C’est une question d’interprétation. Je ne suis pas responsable du ressenti », s’est défendu le mis en cause.
On comprend donc que pour l’accusé, les patientes c’est bien connu, sont hypersensibles et probablement traumatisées par un « petit rien ». Au fond, brandir l’argument du ressenti subjectif est une manière très usitée de diluer et de relativiser le point central, l’agression et le piétinement du consentement.
Je rappelle que le médecin a été relaxé, donc doit être présumé innocent. En droit pénal, si le délit n’est pas caractérisé, c’est-à-dire étayé d’éléments solides, alors on ne peut que relaxer. Cela veut dire que l’accusé n’a soit effectivement rien fait, soit n’a rien fait de prouvable. Il ne m’appartient pas d’émettre un jugement là-dessus, Mais il m’appartient de dire que cet article de presse est en toc.
Alors question pour le bac de philo : si une palpation peut être ressentie comme une caresse, combien de gifles caressantes vous paraîtrait-il juste d’administrer au journaliste ? Et si la main est réellement à l’écoute, combien de caresses faut-il prodiguer au Conseil de l’Ordre des médecins pour que la traque des violences sexuelles et sexistes devienne un point central ?
Je tiens à remercier mon amie juriste, qui veut rester anonyme pour ne pas avoir d’ennuis, mon amie professionnelle de santé qui veut aussi rester anonyme pour ne pas avoir d’ennuis, et mon père qui veut rester anonyme aussi pour ne pas avoir d’ennuis avec Albert Dupontel, pour la relecture de cet article.
En parlant de Dupontel, c’est peut-être lui dans son passage sur Thinkerview qui a raison : « C’est pas plus de couilles qu’il faudrait mais plus d’ovaires ».
Merci pour ce texte et merci aussi pour ceux des dernières semaines.
Excellent..Une bonne baffe..Heu …Caresse… sur la gueule de ce pseudo journaliste..Au fait en es t’il ?
s’il ne sait pas écrire, peut-être ne sait’t’il pas lire non plus !
Tu n’y es pas pour rien, dans ce texte ! Non, il n’a jamais répondu