Hier, une amie m’a deman­dé si j’avais écrit ma lettre au Père Noël. J’étais très très embê­té. À l’origine, le Père Noël n’est autre que Nico­las de Myre, évêque de son état. Contrai­re­ment à l’imagerie popu­laire, il était assez maigre, si bien que le grand monde, déjà très sen­sible aux modes, ne par­lait que de se mettre dans la ligne de Myre. Cer­tains l’appelaient aus­si Nico­las de Bari, et de temps en temps Nico aus­si mais dans l’intimité seule­ment. Ori­gi­naire de Pata­ra, dans l’actuelle Tur­quie, il serait né en 270.  On l’a nom­mé au Moyen-âge patron des petits n’enfants et des éco­liers, tant il était gen­til. Il sau­va éga­le­ment des marins en per­di­tion et fit un miracle encore plus dif­fi­cile que Jésus : il mul­ti­plia non les pains, mais la farine.

Est-ce ceci qui l’a usé ? Lui qui fut un ancien enfant, comme vous et moi, mou­rut un 6 décembre cer­tai­ne­ment des per­sé­cu­tions raf­fi­nées de l’époque : cela don­na un pré­texte à la popu­lace qui ne pense qu’à ça pour faire la fête, fête appe­lée dès lors la Saint Nico­las, ou Sin­ter Klass – évi­dem­ment, on aurait pu dire Saint Nico mais un peu de conte­nance ne fait pas de mal. C’est depuis cette époque que, ren­dant hom­mage au bon sens de Saint Nico patron des éco­liers, on parle des fameux conseils de Klass.

À sa mort, il est dit que de sa tête jaillit une fon­taine d’huile, ce qui pour ma part m’au­rait vexé ; et de ses pieds une source d’eau. Cer­tains disent même que de tous ses membres, sor­tait l’huile en ques­tion, sainte qui gué­ris­sait nombre de gens. D’ailleurs, bien plus tard, lorsque les Turcs détrui­sirent la ville de Myre, 47 sol­dats ita­liens de Bari accom­pa­gnés de quatre moines leur ayant mon­tré le tom­beau de Saint Nico­las, ouvrirent celui-ci et trou­vèrent ses os qui nageaient dans l’huile. Alors ils les embal­lèrent et les empor­tèrent chez eux, à Bari (d’où l’autre nom de Nico­las « de Bari »).

Désor­mais les 6 décembre la fête fuse, on tire­li­pin­ponne sur le chi­hua­hua et les cotillons jaillissent, sur­tout en Lor­raine car, quelques années après l’arrivée des reliques du saint en Ita­lie, un che­va­lier lor­rain qui reve­nait de croi­sade pas­sa à Bari, s’approcha de la relique et déro­ba… un doigt pour l’amener dans sa ville natale, Saint-Nico­las-de-Port. Bien­tôt des pèle­ri­nages impor­tants furent orga­ni­sés dans cette petite ville, car il sem­blait que prier Saint Nico­las appor­tait des miracles : des che­va­liers enchaî­nés par les Infi­dèles furent (soi-disant) mira­cu­leu­se­ment télé­trans­por­tés devant le por­tail de l’église de Saint-Nico­las-de-Port et Saint Louis lui-même fut sau­vé de la noyade.

Le père Fouet­tard. Grosse polé­mique à savoir si « Zwarte Piet« est le « négrillon » de St Nico­las, résur­gence du pas­sé colo­nial, ou bien la figure d’un mineur. Dis­cus­sion de l’his­to­rien Gérard Noi­riel sur le sujet ici

Depuis le XIIe siècle, on raconte que Saint Nico­las, dégui­sé, va de mai­son en mai­son dans la nuit du 5 au 6 décembre pour deman­der aux enfants s’ils ont été obéis­sants. Le soir venu, les enfants laissent leur sou­lier devant la che­mi­née ou devant la porte avec du sucre, du lait, et une carotte pour la mule qui porte Saint Nico­las. Si les enfants sages reçoivent alors des cadeaux, des frian­dises, les méchants reçoivent quelques coups de trique bien ajus­tés par le com­pa­gnon de Saint Nico­las, le fameux Père Fouet­tard. La mule, elle, mange la carotte.

Mais c’est au XVIIe siècle où les choses se gâtent : désor­mais célèbre jusqu’en Europe du Nord, la cotillon­nade du Saint-Nico­las s’exporte vers les États-Unis et nous trans­forme radi­ca­le­ment notre évêque ! D’abord, on l’appelle doré­na­vant San­ta Claus ; et puis, autre miracle, en 1821 la mitre se change en sucre d’orge. On se croi­rait dans Hän­sel et Gre­tel, des frères Grimm (écrit 9 ans plus tôt) ; puis Clé­ment Clarke Moore, pas­teur éta­su­nien, rajoute des rennes venus du froid, et mal­heu­reu­se­ment pas de Nîmes bien que la renne de Nîmes soit célèbre dans le monde entier. Par contre, je ne sais pas qui a ajou­té ces gen­tilles fos­settes, ni cet embon­point qui, lui aus­si, est ren­tré dans les mœurs éco­lières. En effet, n’avez-vous jamais sur­pris la maî­tresse susur­rer à un enfant rosi d’aise : « c’est bien, t’auras un embon­point » ? Bref, San­ta Claus, outre peau grasse, a fait peau neuve. Mais ce n’est pas fini ! Gar­dez-le pour vous, mais le pre­mier cos­tume rouge avec four­rure blanche, ain­si que la grande cein­ture de cuir datent de 1860, d’une illus­tra­tion de Tho­mas Nast, illus­tra­teur et cari­ca­tu­riste au jour­nal new-yor­kais Harper’s Illus­tra­ted Week­ly.

Le père Noël, par Tho­mas Nast (1881)

Ce même Nast déci­da par la suite, en 1885 que l’antre du Papa Noël était au Pôle Nord, au moyen d’un des­sin illus­trant deux enfants regar­dant, sur une carte du monde, le tra­cé de son par­cours depuis le pôle Nord jusqu’aux États-Unis. L’année sui­vante, l’écrivain éta­su­nien George P. Webs­ter repre­nait cette idée et pré­ci­sait que sa manu­fac­ture de jouets et sa demeure, pen­dant les longs mois d’été, est en fait cachée… dans la glace et la neige du pôle Nord. Enfin c’est Coca Cola qui, en 1931, sous le pin­ceau de Had­don H. Sund­blom, géné­ra­li­sa le rouge et blanc, l’air rou­geaud et miel­leux, et tro­qua la robe contre le pan­ta­lon. Détour­ne­ment com­mer­cial en règle d’un mythe folk­lo­rique.

Ain­si, le Père Noël bouf­fi n’est qu’un mixte entre un évêque et une cam­pagne de publi­ci­té, et Noël un hybride entre la nais­sance de Jésus de Naza­reth et la mort d’un évêque turc. Si avec cela, vous par­ve­nez à m’expliquer pour­quoi on fait bom­bance à Noël d’une dinde, qui d’ailleurs nous avait stric­te­ment rien fait, je vous tire mon cha­peau.

Illus­tra­tion de H. H. Sund­blom dans le The Satur­day Eve­ning Post (1931)

Mais pas­sons à des consi­dé­ra­tions d’ordre phy­si­co-chi­mique, si vous le vou­lez bien.

Des cher­cheurs très talen­tueux ont essayé d’évaluer, sur un cur­seur « vrai­sem­blance », la vali­di­té des hypo­thèses ten­dant à mon­trer « l’existence du Père Noël ». Leurs résul­tats étaient somme toute édi­fiants, mais enta­chés de plu­sieurs erreurs de cal­cul. Réexa­mi­nons-les, je vous prie.

Pre­mier pro­blème de taille : aucune sous-espèce connue de renne Ran­gi­fer taran­dus ne sait voler.

Bien que soient esti­mé à 300.000 le nombre d’es­pèces les orga­nismes qui doivent encore être décou­verts et clas­si­fiés (dont la majo­ri­té est consti­tuée d’insectes et de germes divers), cela ne prouve en rien l’existence des rennes volants que seul le Père Noël uti­li­se­rait. Et bien que l’une des der­nières ait épon­gé ses dettes de tier­cé avec l’argent de l’État, même les rennes d’Angleterre ne volent pas…

Bon… Admet­tons que le père Noël, balèze, ait trou­vé des rennes volants.

Il y a envi­ron 2 mil­liards d’enfants dans le monde. Puisque le Père Noël ne semble pas des­ser­vir les popu­la­tions musul­manes, hin­doues, juives et boud­dhistes, ni les Témoins de Jého­vah, ni les Gitans ni les pauvres, cela réduit à envi­ron 55 % le nombre d’enfants à des­ser­vir, soit envi­ron 1,1 mil­liards de lar­dons. Jau­geons à 35 % d’enfants sages, et nous tom­bons sur la baga­telle de 375 mil­lions d’enfants à récom­pen­ser.

Reine volante, Jeux Olympiques 2012

Reine volante, Jeux Olym­piques 2012

D’après les don­nées des der­niers recen­se­ments effec­tués, il y a une moyenne d’à peu près 3,5 enfants par foyer : on éva­lue ain­si à envi­ron 107 mil­lions de mai­sons à visi­ter en sup­po­sant qu’il y ait au mini­mum un bon enfant dans cha­cune d’elles et que les enfants sages ne soient pas tous par paquets dans les mêmes familles. Le Père Noël dis­pose de 31 heures d’obscurité, le jour de Noël, pour effec­tuer son tra­vail (en tenant compte des dif­fé­rentes zones horaires, de la rota­tion ter­restre, et en sup­po­sant qu’il voyage d’Est en Ouest pour avoir plus de nuit). Cela signi­fie 958,8 visites de domi­ciles par seconde.

De façon pra­tique, cela signi­fie que pour chaque rési­dence ayant au moins un bon enfant, le Père Noël a à peine plus d’un mil­lième de seconde pour sta­tion­ner, sau­ter hors du traî­neau, don­ner du foin1 aux rennes, se lais­ser tom­ber dans la che­mi­née, retrou­ver à l’odeur à qui est tel ou tel chaus­son, rem­plir ceux-ci en consé­quence, dis­tri­buer le reste des cadeaux sous l’arbre de Noël, man­ger le casse-croûte qui a été lais­sé à son inten­tion, remon­ter la che­mi­née, grim­per dans le traî­neau et se mettre en route vers la pro­chaine rési­dence.

En sup­po­sant que cha­cun de ces 107 mil­lions d’arrêts soit aléa­toi­re­ment dis­tri­bué autour de la sur­face ter­restre, (ce qui bien sur est faux mais reste accep­table dans le cadre de cette démons­tra­tion) et pre­nant en compte le fait que 2/3 de la sur­face de la pla­nète sont immer­gés et que les popu­la­tions humaines sont for­te­ment concen­trées aux mêmes endroits, nous obte­nons donc une dis­tance moyenne inter-foyer approxi­ma­tive de 3 kilo­mètres : et donc un périple total d’une dis­tance de 321 mil­lions de kilo­mètres, sans comp­ter les arrêts four­rage pour les rennes et les pauses pipi-clope.

Modèle seconde peau renne, pour soirée d’hiver

Modèle seconde peau, pour soi­rée d’hiver

Cela signi­fie que le traî­neau du Père Noël se déplace à 2876 kilo­mètres par seconde, dix mille fois la vitesse du son. À titre de com­pa­rai­son, le plus rapide arte­fact d’origine humaine, la sonde solaire Par­ker, se déplace à une vitesse pous­sive de 109 kilo­mètres par seconde. Un renne conven­tion­nel, lui, se déplace à une vitesse maxi­male de 24 kilo­mètres à l’heure, et encore, avec des ana­bo­li­sants.

La charge por­tée par le traî­neau est elle aus­si un para­mètre non négli­geable. En sup­po­sant que chaque enfant ne reçoive rien de plus qu’un jeu Lego de gran­deur moyenne (un kilo­gramme), le traî­neau trans­porte alors 375 000 tonnes (puisqu’il y a 375 mil­lions de boîtes d’1 kilo­gramme), sans comp­ter le Père Noël, qui est inva­ria­ble­ment décrit comme souf­frant d’embonpoint. Or, sur le plan­cher des vaches, les rennes conven­tion­nels ne peuvent tirer plus de 150 kilos de mar­chan­dises.

Alors même si l’on accor­dait aux rennes volants une capa­ci­té de trac­tion dix fois plus grande que la nor­male, il serait impos­sible de faire le tra­vail avec huit ou neuf rennes : il fau­drait 250.000 de ces rennes spé­ciaux (qui pèsent autour de 200 kilos cha­cun), tous ces rennes aug­men­tant bien enten­du le poids total à un som­met de 375 000 + 250 000 x 0,2 soit 425 000 tonnes, autant dire près de 10 fois le poids du Tita­nic (46328 tonnes) – et nous ne tenons pas compte du poids du traî­neau lui-même.

425.000 tonnes voya­geant à 2 876 kilo­mètres par seconde créent une résis­tance énorme à l’air, chauf­fant les rennes de la même manière que la navette ren­trant dans l’atmosphère ter­restre. Si l’on consi­dère les frot­te­ments dans l’air pro­por­tion­nels au car­ré de la vitesse, alors les rennes de tête absor­be­ront quelque chose de l’ordre de quelques mil­liards de mil­liards de joules d’énergie, par seconde, par renne.

Pendant moins d'un centième de seconde, le Père Noël ressemblerait à la comète de Halley

Pen­dant moins d’un cen­tième de seconde, le Père Noël res­sem­ble­rait à la comète de Hal­ley

En résu­mé, ils explo­se­ront en flammes presque ins­tan­ta­né­ment, expo­sant les rennes adja­cents à des dom­mages col­la­té­raux sévères et créant des boums soniques assour­dis­sants Au fur et à mesure de sa mis­sion au-des­sus des agglo­mé­ra­tions endor­mies et sereines, le Père Noël lais­se­ra der­rière lui un sillage de bruits d’ex­plo­sion et une cohorte inin­ter­rom­pue de rennes car­bo­ni­sés. À vrai dire, L’attelage entier de rennes sera vapo­ri­sé en moins de 4,26 mil­lièmes de seconde.

Pen­dant ce temps, le Père Noël sera sujet à des accé­lé­ra­tions 300 000 fois plus fortes que la force gra­vi­ta­tion­nelle. Si l’on en croit les cher­cheurs, un Père Noël de 125 kilos (ce qui semble très opti­miste) serait écra­sé au fond de son traî­neau par une accé­lé­ra­tion de quelques mil­lions de new­tons, de qui devrait défi­ni­ti­ve­ment gué­rir son cho­les­té­rol, broyer ses os, pul­vé­ri­ser sa chair, le trans­for­mant en gelée rose et lui enle­vant toute vel­léi­té de recom­men­cer. En d’autres termes, si le Père Noël essaie de dis­tri­buer des cadeaux le soir de Noël à tous les petits gar­çons et à toutes les petites filles qui le méritent sur la sur­face de la Terre, il fini­ra en purée car­bo­ni­sée, dans un sillage de rennes incan­des­cents.

Conclusion

« Le père Noël est une ordure », Jean-Marie Poi­ré (1982)

Il semble pro­bable que le père Noël, s’il a exis­té, soit mort car­bo­ni­sé et/ou apla­ti depuis long­temps. L’apparition mira­cu­leuse du Père Noël, rap­por­tée de nom­breuses fois, reste donc pour les plus grands scien­ti­fiques une don­née inex­pli­cable. Mais comme, lorsqu’il passe, tout le monde dort à poings fer­més, nous pen­sons que la croyance dans le père Noël est un choix méta­phy­sique qui relève de chaque enfant, et de lui seul. À la manière d’un Monstre en spa­ghet­ti volant de Bob Hen­der­son, d’une licorne invi­sible et rose de Serah Eley ou du dra­gon dans le garage de Carl Sagan et Ann Dryuan. Un enfant zété­ti­cien com­pren­dra vite qu’au fond, y croire ou pas, ça ne change pas grand chose : le père Noël est un objet men­tal tenace, un « mème domi­nant », dirait Daw­kins, por­té par une énorme entre­prise com­mer­ciale.

(La pre­mière ver­sion de ce texte a été publié dans les colonnes de l’Ob­ser­va­toire zété­tique, il y a près de 20 ans, ce qui, ma brave dame mon bon Mon­sieur, ne nous rajeu­nit guère.)

1 réponse

  1. Rivoire dit :

    Bon­soir, je suis bri­sé par cette révé­la­tion.

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