La rumeur plus ou moins fondée s’étant répandue que j’avais enfin percé le secret des moines Chartreux, je me devais de faire tomber dans le domaine public la recette de mon prototype n°7 ou 8, je ne sais plus. Je remercie toutes les goûteuses et goûteurs qui m’ont aidé dans cette quête quasi arthurienne. En particulier mon collègue de la chaîne Mi-fougue mi-raison, qui chaque fois goûte tant qu’il ne me reste presque plus de produit final.
Pour rappel : la Chartreuse est une liqueur, principale source de revenu des moines du Monastère de la Grande Chartreuse, fabriquée à la distillerie d’Aiguenoire à Entre-deux-Guiers, en Isère. Son histoire démarre en 1605 quand le duc d’Estrées refile aux moines de la Chartreuse de Vauvert à Paris un manuscrit contenant la recette secrète d’un élixir de longue vie.
En gros, voilà comment je m’y prends :
- je cherche un alcool de fruits, si possible de raisin, à 90°. Il faut soit connaître un bouilleur pirate qui vous sort une eau-de-vie serrée, soit trafiquer par l’Italie.
- Je profite de chacun de mes footings en montagne pour ramasser, entre mars et juillet, toutes les plantes, fleurs ou bourgeons de ma contrée (ça tombe bien, je suis à flanc de chartreuse). J’ai rajouté quelques trucs non locaux parce que je suis no borders.
- Les Chartreux annoncent 130 plantes. La recette est tenue secrète par trois moines, qui chacun ne connaît que les deux tiers de la recette finale. Ainsi, seuls deux moines sont nécessaires pour la recette complète, mais un seul ne suffit pas. Je suis circonspect sur cette histoire, de même que sur les 130 plantes, mais bon, l’histoire est belle, et comme on dit en Italie, se non è vero è bene trovato. Les matheux parmi vous trouveront que c’est un exemple parfait avant l’heure de « partage de clé secrète de Shamir », méthode de cryptographie élaborée par le mathématicien israélien Adi Shamir.
- Cette année, je me suis arrêté à 109 essences, parce que j’avais soif. J’ai hésité à utiliser des fruits, fraise, pomme, poire, prune, abricot (sauf un noyau, mâchonné par mes soins), pêche, ce sera pour la prochaine fois.
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- Ne me demandez pas combien de temps j’ai laissé chaque ingrédient : j’ai tout mis au fur et à mesure de mes trouvailles, et ai filtré la solution que le 27 juillet au matin.
- L’épinard est à mon avis le secret de la verdeur de la chartreuse. J’ai fait une décoction d’épinards broyés pour soutirer un max de chlorophylle. L’an prochain, je ferai le double, pour voir si mon vert est plus prononcé.
- Puis j’ai fait un sirop de sucre. Pour savoir quelle quantité d’eau ajouter pour « mouiller » mon alcool de 90 à 55° comme la chartreuse verte, j’ai utilisé un tableau de Gay-Lussac (ou table de mouillage), ce qui devrait rappeler quelques cauchemars aux étudiant·es de chimie. Pour un litre à 90° (un peu moins pour moi puisque j’ai ajouté une petite solution aqueuse, la décoction d’épinards), j’ai compté 670ml d’eau, dans lesquels j’ai dissous 670g de sucre, moitié sucre blanc moitié sucre de canne. Pourquoi cette proportion ? Comme ça, pour voir. Mélange emmené à environ 100°C.
- Ayant à peu près 3 litres de solution-mère, je vais faire à peu près 1,5 litres de chartreuse verte ; à peu près car on ne peut pas prévoir avec précision le titre alcoolique d’un mélange de deux liquides hydro-alcooliques du fait, si vous voulez tout savoir, des variations de force des liaisons hydrogène entre les molécules d’eau et les molécules d’éthanol, bon sang vous êtes bien curieu·se.
- Je compte faire quasi la même quantité de chartreuse jaune à 43°, si Nicolas arrête de goûter chaque fois qu’il vient, et idem d’élixir de longue vie à 69°.
- Ma cuvée 2021 s’appellera « Cuvée Jipégé », parce que Jipégé était mon ami et qu’il a trouvé moyen de mourir avant que la richartreuse soit prête. Je trouve ça indécent de mourir au printemps, même quand on aime le lilas*. Pour la peine, dedans, je n’ai pas mis de lilas.
* Jacques Brel, Le Tango funèbre
Whaou, quelle mélange, ça doit sûrement être ça !
Sinon le plantain est super fort pour donner un beau vert. Sinon en France y” possibilité d’acheter de l’alcool à 90 ° mais c’est cher, faut aller sur le site nadal alcool https://www.nadal-alcools.com/ (pas de conflit d’intérêt, c’est juste les seuls que je connaisse).
hey, merci du tuyau !
comment, je ne vois pas la vulnéraire pourtant emblématique de la chartreuse (massif et éventuellement du remède)
oubli ?
oublié de la marquer (comme le millepertuis d’ailleurs). J’y vais. Merci
à confirmer par des spécialistes mais la vulnéraire est une sous famille du millepertuis
ahhh la culture c’est comme la .….
oui Jérôme, tu es solide ! Vulnéraire c’est le millepertuis à sous, famille des Hypericacae (les quasi-bruyères)
Pour les plus curieus·es : millepertuis = mille trous, c’est dû aux dizaines de tâches sur les feuilles. En vertu de la doctrine des signatures de Paracelse et de Della Porta dont je parle en cours, on pensait que ces feuilles trouées soignaient les blessures. Même chose pour la vulnéraire (du latin « blessure »). Mais plusieurs plantes sont appelées vulnéraire, c’est jamais clair, j’aurais dû mettre millepertuis à sous. J’y vais d’ailleurs de ce pas, merci !
Bravo pour cet exploit ! J’ai eu le bonheur de parcourir le massif de la Chartreuse et d’y découvrir sa flore multiple. L’arrivée en surplomb sur le monastère de la grande Chartreuse – où de beaux jeunes gens en bure claire et tunique marron foncé sortaient de l’enceinte dans des 4X4 rutilants- m’avait remis en mémoire une histoire peu honorable pour ce lieu. Paul Touvier, chef de la milice à Lyon ayant pillé les logements des juifs qu’il arrêtait, trafiqué, commandité en janvier 1944 l’assassinat du président de le Ligue des droits de l’homme Victor Basch, de son épouse Hélène, de juifs choisi comme otage à Rilleux La Pape,… Condamné à mort à Lyon en 1946, il s’évadera lors du procès. Appartenant à un groupe royaliste d’extrême droite, par conséquent raciste et antisémite, il bénéficiera d’amitiés chez des cadres religieux et ex-SS pour se cacher dans des monastères, jusqu’à son arrestation dans un prieuré à Nice en 1989.
On le retrouve dans de nombreux couvents ou monastères, qui reçoivent la famille en fuite. La Grande Chartreuse dans l’Isère, emploie en 1972 un secrétaire qui se fait appeler Paul Berthet, du nom de sa femme. Il s’agissait bien de Touvier.
L’ordre des chevaliers de Notre-Dame est à l’origine d’une association autonome, la Fraternité Notre-Dame de la Merci pour l’aide aux prisonniers et à leurs familles. C’est à ce titre que le président de cette association, Jean Pierre Lefebvre (ancien Waffen-SS de la division Charlemagne), a aidé financièrement Touvier et sa famille.
Wow ! Je ne savais pas du tout ! Merci !!
Il y a parfois moyen d’obtenir un bon alcool à liqueur non dénaturé en pharmacie en France (mais quand même pas remboursé par la sécu !). Le secret ? Avoir une vieille bouteille étiquetée « alcool à 90° » et demander au pharmacien de la remplir. La vider à la maison et recommencer avec une autre pharmacie. En tout cas c’est ainsi que procède mon papa.
merci du tuyau !
Bonjour bravo pour la recette
Pourrais-tu donner à peu près les proportions (le mieux c’est en poids) de chaque plante et dire si elles sont toutes sèches quand tu fais macérer.
Ne serait-il pas intéressant de distiller le tout qui a macéré, as-tu essayé ?
Aucune idée, c’est à l’arrache, je n’ai rien pesé.
NOn je les mets telles quelles, je ne les fais pas sécher
Distiller demande un matériel (et une discretion :)) que je n’ai pas. On gagnerait sûrement des choses en le faisant, mais on en perdrait d’autres. Tu essaies et tu me dis ?