Pour­quoi y a‑t-il un grand nombre d’actes de décès d’en­fants trou­vés en Oisans ?

Parce que les enfants trou­vés des villes étaient pla­cés dans les petits vil­lages, pour faire garde-bétail, moyen­nant une pen­sion pour leur nour­rice.

Mais pour­quoi autant d’en­fants trou­vés au XIXe ?

Parce que Bona­parte, pro­mul­guant le Code civil en 1804, insiste pour qu’un article pro­tège les hommes contre… la recherche en pater­ni­té. Il a décla­ré en séance : « La socié­té n’a pas d’intérêt à ce que les bâtards fussent recon­nus ». Boum. Ce sera l’ar­ticle 340.

Je n’ai pas la source de cette image.

Consé­quence ? Hausse des avor­te­ments clan­des­tins, scores d’a­ban­dons mas­sifs (près de 400 par an) pour de jeunes mères vio­lées ou tout sim­ple­ment non sou­te­nues par leur fourbe ense­men­ceur, au point qu’on soit obli­gé d’ou­vrir en 1811 à Gre­noble la fameuse boite à bébé, au lieu de l’ac­tuel Banque de France (j’en ai déjà par­lé, dans Le Pos­tillon, dans ces pages, dans mes cours, etc.)

En 1834, le pré­fet (le baron Charles Pel­lenc) trouve que tous ces bébés pla­cés coûtent trop cher.

Il décide alors de dépla­cer plu­sieurs cen­taines d’entre eux vers l’Ar­dèche, les arra­chant à leur famille d’accueil en Oisans (on applau­dit), en espé­rant qu’un cer­tain nombre ne sup­por­te­raient pas le tra­jet – il avait rai­son (on redouble d’ap­plau­dis­se­ments).

Cet immonde article 340, qui per­met­tait aux hommes de s’abs­traire de toute recherche en pater­ni­té, dis­pa­raî­tra seule­ment en 1912, au bout de 27 ans de tra­vail, contre une pro­por­tion de dépu­tés inquiets à l’As­sem­blée qui décla­raient des trucs comme « On va être expo­sé à tous les chan­tages. Et adieu la gau­driole ». C’est Gus­tave Rivet, séna­teur, poète, pote de Vic­tor Hugo) qui réus­sit cette prouesse, sou­te­nu par les cou­rants fémi­nistes.

J’ai décou­vert ça en feuille­tant le livre de Ber­nard Fran­çois « Les enfants trou­vés du Dau­phi­né » (Bel­le­donne, 2008). Je vou­lais crâ­ner auprès de mon pote prof d’his­toire Jérôme Sol­de­ville, mais c’est raté : il en a déjà par­lé il y a deux ans, je viens juste de le voir ! Dans « Gus­tave Rivet et l’ar­ticle 340 du Code civil », Club de Média­part, 2022).

Ber­nard Fran­çois, pré­sen­tant son livre lors d’une confé­rence. Source : DL

 

*P.-A. Fenet, Recueil com­plet des tra­vaux pré­pa­ra­toires du Code civil, Vide­coq, Paris, 1836, Tome 10, Dis­cus­sion au Conseil d’État du Titre 7, De la pater­ni­té et de la
filia­tion, séance du 17 novembre 1801, p. 77

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