(Vous me direz si vous êtes d’accord ou pas avec moi)
Reçu ceci :
« (…) nous préparons une émission sur le thème du paranormal (…). Ce programme sera diffusé en prime time. Nous recherchons des experts dans les domaines scientifiques. Pour une parole équilibrée, notre émission abordera certains sujets comme la communication avec l’au-delà, les synchronicités, les expériences de mort imminente, les objets possédés… et pour cela nous recherchons donc une personne qui pourrait argumenter sur ces sujets, d’un point de vue fondamentalement cartésien, scientifique, sceptique ».
Avec des stars du moment, j’imagine Squeezie, TiboInShape et autres.
J’ai répondu ça :
(… merci, etc.)
Effectivement, je suis spécialiste des sujets que vous souhaitez aborder, mais je ne connais pas de cas télévisuel qui permettent d’aborder ces questions correctement. Généralement les temps sont courts, et le/la scientifique est coincé·e entre deux stars momentanées, Miss France et j’en passe, qui viennent exposer leur simple croyance (personnelle) qui va être opposée à une expertise, qui elle endosse plusieurs milliers d’années de travaux collectifs.
Donc je n’ai aucune confiance a priori dans ces formats qui mettent savoirs et croyances personnelles sur un même pied d’égalité (voire donnent aux savoirs un temps d’audience inférieur à celui des croyances persos).
Si comme vous le dites dans votre message, « le but est de donner envie à réfléchir à notre téléspectateur » dans ce cas faites une émission qu’avec des expert·es, avec vos gens du show-biz dans le rôle de poser des questions (et non qui racontent leurs synchronicités et leur verrue qui a disparue d’un coup). Vous verrez, ce n’est pas parce qu’on est expert·es qu’on ne peut pas mettre l’ambiance et faire le buzz aussi. Si vous faites ce format un jour, je viens et je fais tourner les serviettes. En attendant, chat échaudé craint l’eau froide, je ne pense pas qu’une émission de ce genre avec cette forme sur TF1 amène à la réflexion. Au mieux ça servirait à ce que ma boulangère me reconnaisse le lendemain. Mais elle me reconnaît déjà, alors ça va 😉
Mes plus cordiales salutations
RM
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PS : j’ai mis une photo d’un des derniers prime-time de TF1 sur le sujet, et comme aurait dit Jacques Brel, c’était pas jojo (pardon Jacques Brel)
PS” : comme je suis fourbe, j’encourage Florent Martin à y aller ! Pour deux raisons. 1) ça va me faire rigoler 2) ma boulangère ne le reconnaît pas encore.
Vu que je suis « obligé » professionnellement de regarder ce genre d’émissions, autant que je voie des founches qui me plaisent.
Moi ce qui m’embête c’est que sans ça l’exposition de la zététique reste assez limitée. Est-ce qu’il le pourrait pas y avoir un travail de réflexion et d’organisation collective pour trouver comment exploiter au mieux les médias de masse ? Si tatie Gisèle pouvait avoir entendu au moins une fois « scepticisme scientifique » ou « effet cigogne », ça ferait qu’en lui en reparlant elle se dirait « ah oui je l’ai entendu sur TF1 » plutôt que « mais c’est quoi ces histoires encore ».
L’approche bourdieusienne montre les ici les limites de son hyper-fonctionnalisme (expliquer les faits sociaux par leur fonction, de préférence latente pour dévoiler grave) et les effets désempuissantants de l’induction pour penser le changement social (ce qui arrive de façon répétée continuera à arriver pareil). Je n’ai certainement pas les contacts et moyens pour dire exactement ce qu’on pourrait trouver, mais je pense qu’une approche plus fine et plus « qu’est-ce qu’on pourrait faire de ça » aurait des chances d’aboutir à des « hacks » du fonctionnement des médias grand public.
Merci de ce commentaire. Hélas en 25 ans je n’ai jamais réussi à subvertir une émission, chaque fois y avait entourloupe, malgré toutes mes préparations en amont
Est-ce que quelqu’un a construit un modèle de ces émissions ? À mon avis une approche sémiotique pourrait être pas mal, surtout pour les émissions enregistrées qui sont très contrôlées et ressemblent vraiment à un texte. Pour le fun j’ai fait ci après un brouillon de ce à quoi ça pourrait ressembler. Je ne sais pas comment obtenir des paragraphes dans ce système de commentaire, pardon si ça ressort comme un gros bloc de texte. Un tuto en ligne dit d’insérer des balises « br » en bbcode.
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Mettons que je parte avec le modèle de Jakobson de la communication. L’émetteur est un actant composite : le présentateur, les invités, le directeur des programmes, et je ne sais qui d’autre encore. Les récepteurs sont les téléspectateurs et possiblement les utilisateurs de youtube si des clips sont faits. Le canal est la télé et l’environnement d’écoute, avec une attention flottante des téléspectateurs. Le message est la logique d’ensemble de l’émission, ses invariants sémantiques. Le code, outre la langue française et les conventions télévisuelles et cinématographiques (ex champ/contre-champ dans le dialogue), est l’arrière-plan culturel avec ses systèmes d’oppositions (ex rationel/irrationel = homme/femme) et ses genres narratifs.
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On peut s’inspirer des études pionnières en thérapie systémique familiale (ex Feirera 1963 « Family myths and homeostasis », Jackson 1965 « The study of family ») pour modéliser l’émission et le montage : il y a un mythe à maintenir (l’invariant sémantique du message d’ensemble de l’émission) et divers mesures agissant comme rétroactions stabilisatrices peuvent être prises, allant de la déformation des propos par glissement sémantique (car tout doit être encodé dans l’invariant in fine), à des réactions plus violentes comme couper la parole, disqualifier l’intervenant en lui attribuant divers étiquettes désagréables, voire en le virant presque complètement du montage. Si cette approche est pertinente alors on peut dire que l’enjeu se simplifie en deux questions : quelle relation avoir au mythe structurant l’émission, et que faire des mesures de rétorsion visant à le maintenir.
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Si on s’inspire du fonctionnement des pathogènes ou encore des attaques en sécurité informatique, on peut se dire que le système sur lequel on veut intervenir doit pouvoir accepter un mininum nos messages. Autrement dit, en apparence le message doit convenir à l’émission. Il faut donc vraiment comprendre avec une très grande précision ce que les gens qui la font attendent, pour trouver la moindre opportunité. Et dans une certaine mesure, il faut satisfaire ce qu’exige le système, voire même lui en donner plus que ce qu’il veut.
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Mettons qu’il y a une recherche de spectacle pour faire de l’audience, et que le moyen utilisé c’est principalement l’opposition sceptique/croyant. Il faudrait donc donner du spectacle, ce qui satisferait à la fois les gens derrière l’émission, et les spectacteurs. D’ailleurs l’article de Tore (2011) « Pour une sémiologie générale du spectaculaire, définitions et questions » est pas mal sur le sujet de ce qu’est le spectaculaire. Quant à l’opposition sceptique/croyant, peut-être qu’on pourrait s’inspirer de la dialectique de Hegel. Au lieu de résoudre la contradiction sur qui dit vrai pour les spectateurs, peut-être qu’un intervenant pourrait se contenter de l’intensifier bien au-delà de ce qui était prévu, tout en donnant des indices sur la résolution. La dialectique serait de passer de « croire » vs « non-croire » à « rechercher ». Est-ce qu’en grossissant le trait on ne pourrait pas finir par arriver à pousser le spectateur à se dire, par réactance, « mais non, il faut juste se poser des questions et chercher ! »
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D’ailleurs ça pose la question des objectifs prioritaires. Ça pourrait être quelque chose comme en n°1 transmettre une attitude de questionnement systématique, en n°2 d’inciter les gens à s’intéresser au stock de connaissances déjà existant (ex en physique ou en méthodologie scientifique), en n°3 de donner un ou deux principes de méthodo, etc.
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Je dis ça vite fait, en vrai il faudrait rassembler un corpus et l’analyser, pour comprendre les invariants sémantiques de ces émissions. D’ailleurs les « interstices pseudo-scientifiques » décrits dans ta thèse relèvent de la sémiotique en partie, bien qu’ils aient aussi une dimension épistémiquement normative.
En tout cas ça signifie qu’il faut vraiment être un bretteur patenté, et surtout avoir le temps colossal d’analyser chaque émission et ses contraintes
je me rappelle du livre de Marianne Doury le débat impossible (1997, de mémoire chez Kimé)
Merci Evelyne
transmettre une attitude de questionnement systématique (oui bien sûr c l’essentiel) sur Arte ou France Culture, peut-être, sur TF1 ou CNEWS, entre un coussin péteur (Sébastien Cauet, Patrice Carmouze) deux trompettes et trois écrans publicitaires, çà ne va pas le faire. J’ai bien ri à lire votre réponse, très drôle et au fond, mesurée
merci !