La pédophilie est un sujet qui m’est lancinant. Pourquoi ? Franchement, il y a sept raisons minimum (sept ! Comme par hasard).
La première, c’est que j’ai été agressé enfant, par un défunt oncle (je lui dédie la chanson de Dead South « In Hell I’ll Be in Good Company ») – coup de chance, ce n’a pas été traumatisant. Mais j’aimerais bien savoir pourquoi un adulte peut être amené à faire ce genre de trucs dégueux.
La deuxième, c’est que je me rappelle très bien quand j’avais 12 ans, je m’étais dit : je kiffe les filles de 12 ans maintenant, pourvu que dans 10 ans je ne kiffe plus les filles de 12 ans. Pourquoi je m’étais dit ça, je n’en sais fichtre rien. Toujours est-il que plus de 30 ans plus tard, je ne suis pas inquiet, mes goûts ont crû (de « croître ») en même temps que moi.
La troisième, c’est que pourtant, malgré ça, dans le film Léon de Luc Besson (1994), une gamine dit à Léon qu’elle l’aime et que ça lui fait une boule toute chaude dans le ventre ou un truc comme ça. Je suis certain que lors de cette scène, impliquant Natalie Portman un peu sexualisée qui doit avoir 12 ans, j’ai une mydriase de l’œil et un émoi érotique, et probablement vous aussi. Flûte !
La quatrième, je suis père de famille, je connais plein d’enfants, et j’aimerais bien qu’on les laisse tranquilles à jouer à touche-pipi s’iels en ont envie, ENTRE EUX. Dit autrement, j’aimerais bien que la prédation pédophile disparaisse, mais comment ?
La cinquième, c’est que les rares solutions qui furent proposées longtemps étaient fort insatisfaisantes : soit violentes et coercitives simples (prison, castration chimique, etc.), soit… psychanalytiques ! Utiliser en psychologie la psychanalyse, c’est un peu comme utiliser la théorie des miasmes en biologie, c’est une faute professionnelle.
La sixième repose sur le fait qui me laisse très perplexe : on est condamnable avec des plans de bombes sur un ordi, même si on n’est pas passé à l’acte. De même si on a des images pédopornographiques. Évidemment, si c’est la personne qui les a fabriquées, aucune ambiguïté. Mais s’il s’agit d’un palliatif pour ne pas passer à l’acte, de même que les fameuses poupées Trottla dont je parle en cours sur la philosophie morale, (voir ici), que faut-il en faire juridiquement ?
Enfin, last but not least, pourquoi est-ce une immense majorité de mecs les auteurs des agressions sexuelles sur mioches ? Est-ce un biais d’échantillonnage, du fait que ne suspectant pas les femmes, on les remarque moins, donc moins de condamnations, etc. ? Possible, mais ça n’explique pas le différentiel. Renaud chantait dans Miss Maggie en 1985 :
« Palestiniens et Arméniens
Témoignent du fond de leurs tombeaux
Qu’un génocide c’est masculin
Comme un SS, un torero »
Qu’y a‑t-il dans cette « race maudite » du mâle humain qui explique qu’il soit le principal auteur de ce genre d’horreurs ? Ça m’agace, ça m’énerve, comment prévenir, tout ça tout ça.
Durant ces dernières années, j’ai lu un peu de littérature scientifique sur le sujet, j’ai lancé quelques étudiant·es sur des connexions connexes au thème (cf. plus bas), mais rien de fou fou. Je ne suis pas psychologue clinicien, et quand j’en parle autour de moi, à l’idée de bosser sur un tel sujet beaucoup de gens virent au mauve pâle légèrement irisé.
Quand début juillet (2023) je tombe sur la campagne STOP, je suis content : enfin un numéro où les gens qui pourraient peut être agresser mes mioches ou les vôtres peuvent appeler et se faire aider !
C’est que j’ai assez lu, notamment sur les Virtuous pedophiles, réseau d’entraide entre gens pédophiles pour ne pas passer à l’acte et ne pas consommer de pédopornographie pour savoir qu’on peut être pédophile sans être criminel, mais que c’est très très difficile, tellement difficile que je loue le ciel que je sais vide de ne pas être pédophile. Franchement, quelle vie atroce, d’identifier ce penchant, et de ne pouvoir demander de l’aide à pratiquement personne
Je poste donc la campagne sur les réseaux, avec l’affiche et le numéro. Et je me dis, c’est toujours ça de pris si au moins un type appelle…
Images de la campagne d’affichage en faveur du « Stop », Service téléphonique d’orientation et de prévention à destination des personnes attirées sexuellement par les enfants.
Et là, à ma grande surprise, je reçois le courrier discret d’une femme, avec qui j’ai déjà eu des relations épistolaires fort riches. Elle m’explique que cette campagne-là, du moins cette affiche, ça ne va pas du tout. Moi : « ah bon ? » Elle : « non ça ne va pas du tout, surtout le slogan :
« Vous ne voyez qu’elle ? »
et je vais t’expliquer pourquoi. »
Ce que j’ai lu alors m’a laissé comme deux ronds de flan, un rond de flan étant un disque de métal embouti pour frapper monnaie, donc en gros j’ai eu les yeux ronds comme des soucoupes.
Voilà ce qu’Anaïs Watterson [1] m’a raconté, et je ne l’en remercierai jamais assez pour ça. Assurez-vous d’être dans de bonnes dispositions pour lire ce qui suit.
[1] Pseudo tiré de la série « Le monde incroyable de Gumball », de Ben Bocquelet (2011–2019).
« Début des années 2000. J’ai environ 21 ans. C’est l’été. Je suis en couple depuis quelques mois, tout se passe à merveille, la relation est formidable. Je travaille à l’usine pendant l’été pour financer mon année d’études qui suit. Je me sens fatiguée, j’ai quelques ruminations sur des sujets divers. Un soir, je rejoins la personne avec qui je relationne alors. La fatigue est plus intense que d’habitude, j’ai une sensation absolument inhabituelle de distance que je ressens aussi physiquement : mon champ de vision est rétréci, mon audition altérée, j’ai l’impression d’être passée derrière un écran. Le lendemain, j’explose. Tout me paraît étranger. Je me retrouve assaillie de pensées diverses qui auront raison de la relation : est-ce que j’aime cette personne, est-ce que je désire cette personne, pourquoi je ne ressens pas la même chose que la veille, est-ce que je me mens à moi-même, etc. Une boucle de ruminations s’est mise en marche. Je ne la comprends pas. Je n’en connais rien. Je reste face à elle des heures durant, cherchant dans les moindres souvenirs, moments partagés, des confirmations de mes sentiments. Tout est passé au crible, ce que je dis, ce que je ne dis pas, ce que je suis censée faire, je ne m’alimente plus, je suis épuisée. Je suis en dépression (et pas que, je l’apprendrai plus tard).
Durant la même période, je suis chez mes parents. Mon cousin de 8 ans y est en vacances. Je l’aime énormément. C’est un petit garçon extrêmement drôle et ronchon. Je lui apprends tout un tas de bêtises, nous rions beaucoup. Nous avons le même prénom (il a la version masculine). Il voit bien, cependant, que je suis au fond du trou. La journée, je suis parfois allongée sur le lit de ma chambre d’enfant, les yeux bouffis, l’air catapulté dans une dimension qui n’est pas la sienne. Seul m’importe le besoin de trouver des réponses fermes et définitives à tout ce qui défile sans discontinuer ni être résolu. Ça, il l’ignore. Ce qu’il ignore aussi, c’est que cette fameuse après-midi où sa compassion a été réunie dans l’offrande d’une toute petite tortue en bois qu’il m’a sommée de garder avec moi (« Tu lui confies ce qui te rend triste ou des secrets, et elle, elle s’occupe de ça », m’avait-il dit), une pensée m’a réduite à l’incompréhension absolue. Il était torse nu. Il faisait chaud, il jouait dehors avant ça. J’étais toujours allongée. Mes yeux ont balayé mécaniquement les points les plus visibles de son visage et de son corps. Je l’ai trouvé lumineux, beau comme un tableau de la Renaissance. Sauf qu’au moment de voir sa poitrine, une voix (la mienne) m’a traversé le cerveau. « Ça ne se fait pas de regarder les enfants comme ça. ». Cela aurait pu s’arrêter ainsi, si j’avais été n’importe qui d’autre. Si j’avais été n’importe qui d’autre, j’aurais balayé et la phrase et l’image sans aucun jugement, ni aucun besoin. Si j’avais été n’importe qui d’autre, j’aurais même pu ne pas être traversée par ma propre voix. Sauf que j’étais cette personne-là, et j’ai posément demandé à cet enfant de partir de la chambre. J’ai prétexté avoir entendu ma mère l’appeler. Je ne sais si le réflexe d’amener le calme dans la réponse pour museler mon malaise est un acquis chez moi. Je ne sais pas non plus si la phrase en question explose en écho à un épisode plus ancien. Même chambre. Des années en arrière. Le grand frère du même petit garçon avait 7 ans à l’époque. Mes parents l’hébergeaient, ainsi que sa mère, suite à une rupture compliquée. J’avais environ 13 ans, peu ou prou, peut-être moins, j’étais assise à mon bureau. Mes devoirs. Le nez dedans. Consciencieusement. Lui s’ennuyait sur mon lit. Il gigotait. Parlait seul. Je percevais ses mouvements du coin de l’œil mais était tellement absorbée par mon travail à rendre que tout était une bouillie indéterminée d’informations banales. Et puis sa voix me parvint, je me retournai. Il avait 7 ans, le pantalon et le slip en bas des cuisses. Il m’a demandé si je pouvais le toucher. Avant même de répondre quoique ce soit, j’ai eu un réflexe un peu abscons. Le calme. Faire mine de. Éviter à tout prix de le regarder ailleurs que dans les yeux. J’étais dans une situation que je n’avais pas anticipée, qui me semblait complètement surréaliste, je nous voyais de l’extérieur, je ME voyais de l’extérieur, figée, de la roche qui respire lentement, une sorte de masse immense, et c’est le calme qui étouffa tout. Par peur de le terroriser ou de faire de cet événement un épisode traumatique pour lui, je traitai l’information de la manière la plus posée et détachée qui fut. En surface, évidemment. « Je pense que tu devrais remettre ton pantalon ». Réduire les mots aux actions les plus factuelles. Neutraliser, que rien de significatif n’existe. Il s’était exécuté. Dedans, la terreur palpitait à grands cris. Je n’avais rien fait. J’ai pourtant eu l’impression d’avoir fauté par ma seule présence dans l’espace et dans le temps. Je ne dirai rien aux adultes, ni à personne, j’ai eu bien trop peur qu’il se fasse disputer, et peur de ne pas être crue non plus. À aucun moment je ne m’étais dit que quelque chose de plus grave avait pu lui arriver pour que cette scène se déroule. Quelque chose avait changé. J’avais encore vieilli. J’étais passé du côté des coupables. Avec le temps, c’était passé.
Et donc son petit frère.
« Ça ne se fait pas de regarder les enfants comme ça ».
Intérieurement, la phrase s’est installée, j’étouffais. J’avais avalé quelque chose de plus grand, de plus massif que moi. Quelque chose qui venait du dedans et de nulle part à la fois, et qui m’écrasait la gorge. Ainsi donc le problème était là. En plus d’être dépressive, je devais être pédophile. Il n’y avait pas d’autre explication. Pourtant, je n’avais jamais eu envie d’un·e enfant. Jusque là, j’étais plutôt l’amie qui se défaisait des adultes pour jouer avec les plus petit·es. On ne s’embarrassait pas des conversations sans importance, des nouvelles dont on se fiche. On empilait des LEGO®, on commentait les insectes, on imitait des éléphants, on faisait des bruits de pets avec la bouche. C’était ça l’enfant, habituellement. C’était dénué de toute injonction à maintenir un lien, à essayer d’être cohérent·e. C’était juste être là, peu importe comment. Et puis tout à coup, l’enfant n’était plus ça, n’était plus la joie et la soupape, le jeu et la découverte, la fierté de transmettre un savoir minuscule et l’émerveillement. Ça s’est mis à devenir une vidéo constante en toile de fond, avec des images terribles et fugaces, répétitives, bordées de phrases retournées contre moi. Tout·e enfant croisé·e dans la rue tenant saon parent·e par la main déclenchait une salve d’images infâmes en lien avec ces deux-là. Aucun·e enfant·e ne pouvait s’asseoir sur mes genoux sans déclencher une nausée et un besoin irrémédiable de vérifier mes sensations internes. Est-ce que cela déclenchait des envies ? En étais-je bien sûre ? Puisque cela n’avait pas l’air d’être le cas, pourquoi vérifiais-je alors si quelque chose se passait entre mes jambes, à moi ? Et si quelque chose se passait, est-ce que c’était en lien avec l’enfant ou en lien avec le fait qu’irrémédiablement je vérifiais et m’assurais ? Pouvait-on me laisser un·e enfant à garder ? Pourquoi n’arrivais-je pas (plus) à en regarder dans les yeux ? Pourquoi voir des enfants en jupes tourner sur elleux-mêmes me donnaient littéralement envie de crever ? Pourquoi avais-je l’impression d’être un·e prédateur·ice en puissance, qui lutte contre l’envie, alors que je n’en avais pas envie ? Est-ce que là aussi, j’utilisais des stratégies de contrôle de moi-même pour ne pas basculer ? Est-ce que je me mentais ? Et quid de ces images d’enfants qui venaient de nulle part pendant que j’essayais de vivre une sexualité sans encombre ? J’ai fui. Par peur. Peur d’être cette personne-là. Et peur aussi d’avoir à supporter les innombrables pics d’angoisse qui me remontaient l’estomac dans la gorge pendant de très longues minutes, voir des heures.
Toute cette période silencieuse a duré environ six mois. J’ai évité tout contact, y compris visuel, avec les enfants. J’étais un danger pour elleux, iels l’étaient pour moi aussi. « Tu vas changer ta nièce ? »
« Non. Je peux pas. » J’ai les yeux fixes, on me demande trop.
« C’est qu’un peu de merde, allez. »
« C’est pas ça. C’est pas la merde. Je ne peux pas. ». Ma mère a compris. Elle n’insiste pas. Elle sait. Elle me confiera avoir eu, elle aussi, des pensées horribles : « Tu te dis qu’à tout moment, quelque chose peut te faire faire un truc. Et puis en fait, non. T’es pas comme ça. Tu sais que t’es pas comme ça. ». Elle ne rentre pas dans les détails. Je vois une psy dans un CMP, un centre médico-psychologique, pendant un an et des poussières. Elle est transparente, je comprends sa consistance quand elle me serre la main à la fin des séances. Un jour, je lui glisse ça.
Les enfants.
Ce qui défile. « Vous refoulez ? » sera sa seule réponse. Mon anxiété flambera. Avec du recul, cette réponse a failli me coûter la vie. J’apprendrai un peu plus tard que la psychanalyse n’est absolument pas recommandée pour des symptômes de ce type (ni pour aucun autre, au demeurant).
[NdRichard : Dire que la psychanalyse freudienne est non recommandable, ce n’est pas un simple avis ! Il est factuel de dire que la grille psychanalytique est fausse, fraudée, obsolète, conservatrice et nuit à l’interprétation de la vie psychologique des patient·es, et que si cette grille se maintient, c’est pour des raisons de « tradition » française et d’imprégnation journalistique.]
2001, Internet en était à ses balbutiements. Les communautés n’existaient que sur des forums. Un matin, je suis chez la personne avec qui je relationne alors. Celle autour de qui tourne également mes doutes permanents et mes questions sans fin. Je décide de faire une recherche. Je suis peut-être pédophile. Peut-être. J’ai besoin de savoir si je le suis. Si c’est le cas, il n’y aura qu’une issue. Je me suiciderai. L’idée de devoir faire avec cette partie de ma personne ne m’enchante pas. Alors faire sans. Et on en parle plus.
J’ai appris qu’en mettant des guillemets, on peut trouver des sources où la phrase apparaît telle quelle. « Peur d’être pédophile ». Est-ce que ça existe, ça. Est-ce que ça existe d’avoir peur de ça. D’avoir peur de. De regarder des enfants. Au point qu’on les regarde plus que de raison. Qu’on les scanne. Pour savoir. Pour décortiquer. Pour s’assurer que. Est-ce que ça peut. Comment je vais devoir me suicider. Comment je vais devoir expliquer qu’au moment où je suis persuadé·e que non, je ne peux pas violer des enfants, je ne peux pas avoir envie de ça, une contre-pensée, une contre-image se rue sur la conclusion comme une bagnole furieuse contre un platane. Et le platane remporte la mise. Jusqu’à ce qu’une autre conclusion vienne se greffer. Une conclusion plus salvatrice viendra alors d’un forum. On est beaucoup. Une nuée. Une nuée effrayée par la peur de. La peur de violer. De violer des enfants. Il y a un topic là-dessus. Il y a plus de gens que je n’aurais cru. On est beaucoup à avoir envie de vomir, de négocier, de discuter 500 ans avec des pensées infâmes. À vouloir être certain·es qu’on ne passera pas à l’acte. On n’en a aucune envie quand on y pense, mais alors pourquoi on se le demande. L’incertitude, est-ce qu’elle n’est pas une preuve de tout cela ?
Là, nous sommes toustes malades. Une petite fille de 11 ans est terrorisée à l’idée de se jeter sous le métro, elle fait des attaques de panique. Sa mère appelle au secours. On la rassure comme on peut. Sur ce forum, on vit toustes ce qu’on appelle des phobies d’impulsion. Il y en a de toutes sortes. Beaucoup tournent autour de la sexualité et de l’orientation sexuelle, de la violence, de la criminalité. Certain·es ne peuvent plus approcher de couteaux par peur d’égorger leur famille. D’autres se voient se suicider. D’autres ont peur de perdre le contrôle et d’écraser des gens en voiture. D’autres ont peur de violer leurs animaux. J’aurai peur, plus tard, d’empoisonner par inadvertance ou de contaminer les gens qui m’entourent en leur préparant à manger. Parce que la question de l’orientation sexuelle est encore difficile à aborder, on observe aussi des personnes hétérosexuelles ayant peur d’être homosexuelles et de se voiler la face, et des personnes homosexuelles ayant peur d’être de ne pas être à leur place dans cette orientation et de se mentir. Il ne s’agit pas d’un simple questionnement : on est là dans le débat intérieur permanent, des heures durant, qui va jusqu’à vous pousser aux vérifications les plus invraisemblables, aux crises d’angoisse les plus imprévisibles.
Les phobies d’impulsion font partie du Trouble Obsessionnel Compulsif (TOC). Elles sont faites de pensées intrusives (absolument tout le monde en a) qui dépassent cependant le stade de l’apparition. Une personne TOC, elle, repère cette pensée. Au lieu de la traiter comme une pensée de type « j’ai oublié les olives » ou « on a pris deux degrés depuis hier », un cerveau TOC s’y accroche. L’image est identifiée… et discutée. Pourquoi est-elle là ? Si elle est là, c’est qu’il y a une bonne raison, sinon elle ne serait pas là. La partie obsessionnelle concerne la récurrence des images, leur fréquence d’intrusion. La partie compulsive se pose sur des actes, des pensées « conjuratoires », des ruminations pour discuter le fondement de l’obsession. À la question « Est-ce que je suis pédophile ? », le simple fait de répondre « Non, je ne peux pas l’être, parce que je n’ai jamais touché un enfant » est déjà une compulsion faite de réassurance. Parce qu’elle ouvre sur une potentielle vérification. S’en sortir est difficile, mais pas impossible. Le forum explique des choses, explique les boucles de ruminations. Le problème n’est pas encore très connu en France, il ne l’est d’ailleurs toujours pas. Mais il y a des pistes.
[NdRichard : ne souhaitant pas usurper un statut, j’ai demandé quelques définitions à ma pote psychologue clinicienne Laëtitia Guillaume. Elle me dit : « La phobie d’impulsion comme processus ne se retrouve pas seulement dans le cadre d’un TOC (syndrome catégoriel spécifique). Dans l’approche qu’on appelle « processuelle », qui me semble la plus pertinente, on dit qu’il s’agit d’une fusion avec des pensées aversives, qui engendre assez naturellement une forme de lutte avec des actes mentaux, comme pensée rassurante ou auto-critiques, ruminations, et des tentatives d’évitement : par la pensée ou les compulsions comportementales. La fusion est une réaction émotionnelle au contact d’un mot, ou de l’interprétation verbale d’un événement (image, son, odeur, etc.) Nous réagissons alors aux événements verbaux de façon littérale comme s’ils étaient eux-mêmes ce qu’ils évoquent.]
Le forum confirme une chose : je ne suis pas pédophile. Je ne vais donc pas choisir de mourir. Je ne suis pas pédophile, j’ai peur de l’être. Je pourrais tout aussi bien avoir peur des ascenseurs ou des chevaux. Mais mon système de valeurs et mes traumatismes en ont décidé autrement. Mon angoisse descend d’environ 50 %.
D’un coup.
[Laëtitia me dit : « Ceci est extrêmement juste, le processus de lutte contre des pensées désagréables est le même, quel que soit le contenu littéral de nos pensées. Ce qui définit ce contenu et nos réactions à ce contenu, est en grande partie notre histoire d’apprentissage (classique, opérante et surtout langagière). Au fond, le contenu n’est pas si important, c’est le même processus d’avoir peur de l’avion et de ne pas contrôler ses comportements. On peut alors travailler sur le processus problématique, celui qui engendre des conséquences délétères : la lutte et l’évitement]
Je décide de me « soigner ».
[Je mets des guillemets car soigner implique maladie, or je ne sais pas si j’ai réellement une maladie, ou un processus « normal » du langage humain qui part en sucette. En tout cas, à l’époque, je voulais clairement me « soigner ». Il est peut être plus juste de dire « trouver des solutions pour sortir de la boucle ».]
Et d’y aller par moi-même (je vis dans un village reculé, il est difficile d’avoir accès à des thérapeutes formé·es sur ces questions. De plus, j’ai encore de grosses difficultés à communiquer sur le sujet, et l’expérience psy en CMP m’a échaudée). On appelle ça de l’exposition avec prévention de la réponse (EPR). Tu fais (progressivement), tu te tais. Tu fais, tu laisses venir, tu ne discutes pas. Il n’y a rien de pire que de discuter avec un TOC. Alors je côtoie des enfants. J’ai envie de mourir. Je les garde. Je donne des douches à ma nièce. J’ai envie de vomir. Je les laisse me toucher. Les cheveux, les doigts. Se rouler contre mon ventre devant des dessins animés. J’ai l’estomac qui pèse une tonne, j’ai une bétonnière dans la gorge. J’ai envie de hurler à tout le monde de ne pas me faire confiance. J’en parle un peu. « Aucun passage à l’acte n’a été recensé dans la littérature scientifique ». « Aucun ? Alors il est où le problème ? Je rentre de mon Doppler à telle heure, je te laisse la petite ». Les gamins me courent dessus. M’embrassent. Sur le nez, sur le front, une petite m’embrasse sur la bouche une fois, de manière totalement imprévisible. Je ne dis rien, je meurs dedans, j’ai l’impression d’être un·e criminel·le. C’est affreux, et je reste. Parce qu’iels ne doivent pas savoir, je dois maintenir une normalité de façade en place. Je lis et relis des articles en ligne (attention, ceci aussi est un phénomène de réassurance). Puis j’arrête. Je réagis moins aux images qui me traversent. Et un jour, je meurs moins. Je meurs moins. L’angoisse est moins présente. Les images deviennent plus diffuses.
[Laëtitia me glisse : « on peut faire allusion ici à deux processus en jeu : celui de l’acceptation, d’abord, on se laisse traverser par les mots de nos pensées, sans se laisser guider par eux pour faire des choix comportementaux. C’est pour ça que ce témoignage est un exemple très précieux, pour tous les humains qui vont le lire : il montre la possibilité de nous comporter différemment de ce que nous raconte notre tête. En acceptant qu’on ne contrôle pas les pensées qui nous traversent, en comprenant que l’on n’a pas besoin de les contrôler pour contrôler nos comportements, on gagne en liberté de choix. Et le risque de passage à l’acte diminue drastiquement.
Le second processus est celui de l’habituation : diminution graduelle et relativement prolongée de l’intensité ou de la fréquence d’apparition d’une réponse à la suite de la présentation répétée ou prolongée du stimulus l’ayant déclenchée. C’est le processus qui succède à l’exposition, habituation et exposition sont appelé dans notre jargon des processus d’apprentissage opérant.
Je précise tout de même : si l’exposition engendre une habituation et donc la probabilité que les réactions émotionnelles ou la fréquence des pensées diminuent, nous avons vu ici que des processus langagiers sont également en jeu. Or, avec le langage, rien ne garantit que les pensées ou les émotions reliées aux situations vécues vont changer de nature ou de fréquence. Parfois c’est le cas, d’autre fois non, et on ne contrôle pas cet aspect. C’est pour cette raison que l’on vise avant tout une diminution des réponses par la lutte et un contrôle accru des choix comportementaux, facteur sur lequel on a la main. Pour le dire autrement, s’exposer à une situation anxiogène ne permet pas de supprimer les pensées et émotions liée à cette situation. Au mieux cela permet surtout d’y prêter de moins en moins d’attention.]
Ça aura duré trois ans tout ça, en continu. Même la nuit pendant les rêves.
Beaucoup de personnes souffrant d’un TOC de ce genre ont elles-mêmes vécu des violences sexuelles en étant enfants. Ce n’est pas automatique. On note cependant que les thématiques sur lesquelles se greffent les TOC jouent sur le système de valeurs de la personne concernée. Le manque cruel de communication sur ce pan de la santé mentale crée des retards de diagnostics. La « romantisation » du TOC sur les réseaux sociaux et dans certaines séries et contenus culturels y contribue largement. De plus, la thématique étant complexe, il est encore difficile pour une grande partie des personnes atteintes de TOC de se livrer à leur propre thérapeute.
Je souhaiterais ceci dit mettre le doigt sur des points fondamentaux. Parce que l’accompagnement des personnes pédophiles dans la prévention du premier passage à l’acte (donc, le point de bascule dans la pédocriminalité) n’a jamais été considérée de manière sérieuse et politique, parce que la confusion entre pédophilie et pédocriminalité est tenace, parce que la croyance en la reproduction systématique de violences sexuelles subies fait encore autorité, parce que la responsabilité de l’éclatement des familles pèse encore violemment sur les épaules des victimes, des enfants continuent de subir des violences sexuelles, et cela majoritairement au sein des foyers. Je passerai sur la responsabilité d’un système de pouvoir patriarcal et âgiste aux origines.
Prendre en charge les personnes pédocriminelles et pédophiles en établissant des protocoles de soin, de mise en sécurité permettrait avant tout de sauver des enfants. Ce point est vital. J’entends ça et là qu’il n’y en a que pour les « bourreaux », que rien n’est fait pour les victimes. J’aimerais qu’il nous soit socialement possible d’aller au-delà de cette dichotomie et de prendre le problème là où il s’entretient en commençant par légitimer la parole des victimes de pédocriminalité qui souhaitent être entendues et leur accompagnement, mais en garantissant aussi une voie autre que la seule offerte par la réponse carcérale (quand il y en a). Parce qu’elle n’empêche pas les récidives à la sortie, et ne protégera jamais les futures victimes d’autres premiers passages à l’acte. La punition est un moyen de contrôle mais pas de dissuasion. Trous dans le bateau, bateau prend l’eau, écoper à la cuillère. Que les manquements étatiques n’incombent plus aux associations dépassées et épuisées, dont les acteur·ices sont sujet·tes de fait aux traumatismes vicariants (traumatismes par ricochets), ni à la responsabilité individuelle des victimes dans l’évolution et la prise en charge de leurs traumatismes à l’âge adulte.
S’occuper en amont des personnes pouvant passer à l’acte et créer des dispositifs d’éducation (qui ne fonctionne pas seule), d’accueil et d’accompagnement plus socialement admis est indispensable pour réduire à moyen et long terme le nombre de victimes potentielles. J’aurais aimé que mon oncle pédophile et pédocriminel soit accompagné. Cela aurait pu peut-être éviter d’autre drames. L’absence de solution possible a favorisé l’insouciance générale et la promiscuité qui en a découlé. Aurait-il été possible que je n’aie pas été victime de ses actes, s’il avait eu, de son côté, une structure accompagnante ? Je ne le saurai jamais. Lui, pour le coup, s’est suicidé. En grandissant, j’ai toujours eu peur d’être lui. D’être comme lui. Cela ne pouvait que se transmettre, ce truc. Tu le subis, tu l’as. Tout naturellement, j’ai attendu, dans la peur, ce moment où cette chose qu’il m’aurait transmise deviendrait enfin mon problème. C’est aussi cela, le poison du passage à l’acte : des victimes par milliers face à des traumatismes lourds, quand traumatisme il y a, mais aussi, souvent, la peur de faire un jour ce que nous n’avons aucune envie de faire. Et aucun·e de nous n’ose le dire. Cela signifie aussi une chose plutôt invraisemblable : parce qu’aucune solution ne m’aurait été possible si j’avais été pédophile, la seule solution que j’ai entrevue alors a été de me supprimer.
Je repense au documentaire de Xavier Deleu, Pédophilie : de la pulsion à l’interdit (2011), qui m’avait retournée et aidée. Il soulève une impasse terrible : le manque de considération de la question fait qu’une personne pédophile n’est confrontée à rien de concret tant qu’elle n’est pas dans la criminalité.
Tant qu’elle n’agit pas, il n’y a aucun filet de sécurité, même si elle le demande. Tant qu’elle n’agit pas, tant qu’elle reste dans le « potentiel », il n’y a pas non plus de filet de sécurité pour les enfants. La pédophilie et la pédocriminalité sont de gros non-dits politiques. Elle sont des non-questions. Se les poser de manière plus large fait de vous l’apologiste de l’une ou de l’autre. Pourtant, ma préoccupation en tant que victime de pédocriminalité et de personne souffrant de ses conséquences directes est la protection des victimes sur le long terme par un protocole capable d’agir sur son endiguement systémique. Des choses se créent, qu’on s’en réjouisse, mais elles restent balbutiantes.
La pédocriminalité n’a pas provoqué mon TOC. Elle s’est juste posée en sujet du TOC. Je n’ai pas de « profil-type », si ce n’est celui d’avoir vécu plusieurs types de violences sexuelles et de souffrir d’un trouble anxieux.
Aussi, je voudrais conclure ce long récit en m’adressant à vous, personnes souffrant d’un TOC pédophile et personnes pédophiles en questionnement.
Parenthèse : il est fort important de constater que ces phobies d’impulsion arrivent fréquemment chez les personnes ayant à peine accouché ou découvrant la parentalité. Fréquemment, j’insiste. Les modifications hormonales, l’immense fatigue, le changement de statut (on passe de personne gestante à parent·e, la charge mentale évolue, la vision de soi également), le remaniement des priorités concourent à épuiser psychologiquement les néo-parent·es et à favoriser les pensées intrusives envahissantes. La peur de faire sexuellement du mal à l’enfant est assez courante et documentée, mais elle est moins exprimée que celle de jeter, secouer, ou frapper l’enfant. Si cela venait à vous traverser, ces lignes s’adressent à vous également, néo-parent·es. Fin de la parenthèse.
Tout d’abord, acceptez. L’acceptation, si elle semble fleurer bon le New Age, est un des piliers de l’accompagnement du TOC. Plus vous luttez contre les obsessions, plus vous risquez d’être dans l’évitement… et vous risquez de les voir pulluler ou prendre des dimensions incontrôlables, notamment au niveau de l’anxiété qu’elles généreront. Ces pensées qui vous traversent ne disent rien de vous. Vous n’êtes pas ces pensées qui s’imposent à vous. Ainsi, traitez-les comme vous traitez les autres. Celles qui ne vous posent pas de problème particulier, êtes-vous capable de vous en souvenir ? Les avez-vous remarquées ? Pouvez-vous lister toutes vos pensées des cinq dernières minutes ? Il y a peu de chances, n’est-ce pas ? Vous n’avez probablement pas émis de jugement sur celles-ci. En effet, pour la plupart, elles sont soit en accord avec vos valeurs, soit complètement anecdotiques, soit en désaccord suffisamment léger pour qu’elles ne viennent pas susciter de débat intérieur. Votre cerveau vous envoie un tas de pensées toute la journée. Accepter la pensée intrusive désagréable, c’est se permettre de ne pas fusionner avec elle, d’être capable de tolérer sa présence et donc de ne pas maintenir de sensibilité à son contenu. On trouve cette approche bien développée dans la thérapie d’acceptation et d’engagement (appelée par son acronyme anglais ACT),dont le principe d’acceptation contribue à la défusion et à l’allégement de la réactivité et de la souffrance qui en découle). En clair, il s’agit de ne pas chercher à traiter l’information.
Ensuite, il y a des personnes formées pour vous aider. Quels que soient les TOC dont on parle, l’idéal, si vous le pouvez, est de consulter un·e psychologue ou thérapeute spécialisé·e dans les TCC qui maîtrise l’exposition avec prévention de la réponse (toustes ne maîtrisent pas cela). Exit les « thérapies » où la parole est décortiquée : elles empirent les symptômes. Les histoires concernant la « remontée aux origines du mal » ne fonctionnent pas non plus. On peut très bien comprendre ce qui a favorisé l’apparition d’une thématique, cela ne l’endigue pas pour autant. N’oubliez jamais cette chose importante : la pensée qui vous traverse n’est pas une réalité concrète, accomplie hors de vous.
Un TOC est comme une allergie au pollen : votre cerveau se comporte comme un système allergique à la pensée concernant une thématique précise. Votre pollen, c’est la pédophilie et le passage à l’acte. Et comme l’idée d’être pédophile est inconcevable et que la potentialité de perdre le contrôle vous effraie, vous y réagissez (compulsion) pour réduire le doute à néant. Le TOC est la « maladie du doute », si l’on veut faire simple. Il est possible de s’auto-accompagner, mais pas n’importe comment. Reprenons notre analogie du pollen. Le pollen vous déclenche des crises d’éternuements terribles. Vous n’auriez donc pas idée de mettre votre nez directement dans un bouquet de lys. Comme le lys, la pensée peut provoquer des éternuements du cerveau. Cet éternuement, c’est votre angoisse. L’idée des personnages de fiction habité·es par une grande peur qui se confrontent à l’objet de leur peur en y allant franchement, accompagné·es de leurs comparses et qui, miracle, surpassent tout ça, c’est du mythe, surtout pour nous. Pour faire une EPR correcte, l’important est d’y aller pas-à-pas. Lisez déjà le mot pédophile. Ne fuyez pas devant l’angoisse qu’il génère. Le pic va être désagréable. Mais c’est l’inconfort, le problème. Ce n’est pas le mot. Ce n’est pas l’enfant. Ce n’est pas vous, le problème. C’est l’angoisse que génère « la peur de », ou « la peur d’avoir fait ». Voyez des enfants. Même de loin. Les pensées vous questionnent ? N’y répondez pas. L’enfant vous touche la main ? Laissez-lae faire. Il y aura un pic, je ne vous peux pas vous mentir. Il y aura une angoisse. Restez. Vous aurez chaud, froid, la nausée peut-être, vous aurez des images horribles sans doute, vous aurez envie de vérifier vos sensations corporelles. Mais là, ne vous fiez pas non plus « à vos tripes » qui ne sont que des indicateurs de niveau d’anxiété, ni à « ce que vous ressentez physiquement ». Cela n’a aucune valeur de preuve. Attention également à ce qu’on appelle pudiquement la « groinal response », textuellement la réponse inguinale, ou réponse de l’« aine » qui désigne les sensations ou changements dans la zone génitale et qui est également une manifestation du TOC et vous invite à compulser. Vous aurez envie de vous repasser des souvenirs pour vous assurer que quelque chose n’est pas arrivé. C’est inutile de vérifier tout cela. Inutile surtout de vérifier les souvenirs, vous risquez d’en créer d’autres (le TOC lié aux faux souvenirs existe aussi dans ces cas-là !) et de souffrir de traumatismes supplémentaires. Et cela ne répondra à rien : aucune justification ne vous conviendra. Il y aura toutes ces questions. Ne. Discutez. Pas. Vous n’êtes ni une mauvaise ni une bonne personne : laissez cette question-là également. Elle est trop binaire pour que vous lui prêtiez attention. Celle de l’engagement est plus intéressante. Ai-je envie de m’engager dans mes pensées ? S’engager dans ses pensées, comme il l’est dit ci-dessus, contribue à subir l’obsession et à être confronté à une compulsion (qu’elle soit visible ou invisible, comme les compulsions mentales, vérifications, conjurations, etc.) ou à un évitement, donc de s’engager dans un comportement qui en favorise l’incidence et la récurrence.
Plus vous côtoierez des enfants sans fuir leur présence ou sans éviter de faire des choses (l’enfant souhaite vous toucher le nez et vous n’y voyez aucun autre inconvénient que la question-qu’on-sait et cela ne lae met pas en danger ? Laissez-lae vous toucher le nez!). Dans quelques temps, l’angoisse sera moins intense. Moins longue aussi. Vous serez moins assailli·e. Ça vaut la peine. Comprenez que vos obsessions sont dites egodystoniques : elles sont contraires à vos valeurs. Je vous conseille le livre Toc ou pas Toc, de Franck Lamagnère (2016) pour vous apporter quelques clés avant d’affronter tout cela.
En ce qui concerne les personnes pédophiles dites « abstinentes » qui liraient ces lignes : être une personne pédophile ne signifie pas que vous passerez à l’acte. Cela signifie qu’il s’agit d’un facteur de risque de passage à l’acte pédocriminel. Et c’est sur ce point précis que des acteur·ices de la santé peuvent vous apporter des outils médicaux. Si vous vous en sentez capable, que vous êtes déjà suivi·e par un·e professionnel·le de santé mentale en qui vous avez confiance, demandez-lui de l’aide. Cette personne peut vous écouter sur ce point comme elle l’a fait jusque là et vous conseiller des structures plus adaptées ou des professionnel·les avisé·es si cela lui semble pertinent. Faites confiance aux structures soignant·es. Si le face-à-face venait à vous être difficile dans un premier temps, des spécialistes sont également habilité·es à vous accueillir et à proposer un suivi médical grâce à une ligne d’écoute mise en place par le gouvernement. Le système d’accueil est encore jeune, mais ces services se développent de plus en plus, comme le SEOS en Belgique (https://seos.be/) et le STOP en France (0806.23.10.63) pour favoriser la prévention et la prise en charge.
Merci Anaïs W. Tu ne peux pas savoir à quel point j’ai découvert un monde grâce à toi.
Pour aller un peu plus loin
Dis Anaïs, tu as remarqué comme lorsqu’on se tourne vers un·e proche pour lui raconter un abus, souvent cette personne va bricoler une consonance cognitive à tout prix : par exemple, j’ai souvenir qu’on m’a dit « ah ouais, mais ton oncle vraiment, c’est un original »… Euh…OKAY… Et ? Parce que quelqu’un est original, ça lui donne ce droit ?… Mais non, t’es petit·e, t’as pas la répartie, tu fais confiance, alors tu te dis, ah, d’accord. Cette reconsonance permet à la personne de rester stable, mais le prix en est élevé, et c’est lea mioche qui le paye, sans compter la dramatique baisse de confiance envers les adultes qui s’ensuit. T’en penses quoi ?
Je suis navrée que tu aies dû te retrouver face à ce genre de réponses, sincèrement. Il y a comme un renversement de considération dans une telle rhétorique. « Je viens te demander de considérer ma parole et de me croire » « Et moi je te demande de considérer mon inconfort et de le réduire ». On doit grandir avec ces phrases-là, avec ces refus-là, en plus du traumatisme. Ce qui m’interpelle, c’est que ces réponses contribuent largement au renoncement que peuvent éprouver beaucoup de victimes à partager leur parole et à la négation de leur souffrance (« ma parole ne vaut pas », « ainsi ce n’est pas si grave »), à une surgénéralisation (« je vais me débrouiller par moi-même puisque je ne peux pas être entendu par les autres ») et, on le sait, à la culpabilisation. Quand ça ne contribue pas à rendre l’identification des limites difficiles. Ça a un impact très violent. Il y a sans doute un biais de genre te concernant, en outre. Il est difficilement concevable dans la tête des gens que ça arrive aussi à des garçons : on se méfie beaucoup moins de la promiscuité. Le fait que la majorité des victimes identifiées soient des petites filles développe malheureusement une sorte de banalisation du phénomène, et à une baisse des standards d’indignation (je me permets au demeurant de garder une désignation binaire pour des raisons bêtement statistiques). Il serait fort intéressant de creuser ce paradoxe, tout comme il serait utile de revoir les chiffres qui, visiblement, ne sont absolument pas représentatifs, faute de méthodologie, entre autres [3].
Vers l’âge de 15 ou 16 ans, j’ai commencé à me renseigner au sein de ma propre famille à propos de mon oncle (par alliance, j’ai oublié de préciser cela) afin de déterminer le nombre d’enfants victimes. J’avais de sérieux doutes sur sa propre fille (qui niera avoir subi quoique ce soit) et ai fini par me confier à ma tante, sa veuve. Elle m’a répondu alors : « Il faut le comprendre, on a perdu un bébé ». Iels avaient effectivement perdu un enfant très jeune (moins de deux ans), un bébé né avec un syndrome particulier, une maladie dégénérative dont je ne saurais te donner le nom. Ma tante avait mis en avant une souffrance qui leur était propre en tant que parents pour justifier des actes dont il était le seul coupable. Il faut savoir que les abus avaient eu lieu devant la télévision en sa présence à elle (qui dormait, elle n’y était absolument pour rien. Il avait profité du fait qu’elle s’endorme pour passer à l’acte) et sa fille, plus jeune que moi à l’époque, qui m’avait rappelé plus tard être partie se cacher sous la table de la cuisine, ce dont je n’ai aucun souvenir. Ma tante a‑t-elle, par cet argument, voulu prouver qu’elle n’y était pour rien ? Elle qui vivait avec lui, qui le ramassait régulièrement lors de ses tentatives de suicide, avait-elle accès à une partie de lui qui ne lui semblait pas reconnue et dont elle faisait rétrospectivement état à ce moment-là ? Je ne sais pas. Mais sa réponse était comme la réponse de ton proche, un moyen de ne pas s’inclure. Un refus de l’engagement, d’une forme de responsabilité. S’engager, c’est courir le risque de devoir renoncer à cette stabilité dont tu parles, une stabilité faite certes d’incertitudes, mais ce sont des incertitudes inoffensives en l’état, contrôlées. La vie est ritualisée, le tableau est familier. Prendre la responsabilité de la parole d’un enfant, c’est s’exposer à prendre également la responsabilité d’une reconfiguration de tout. Il y a la problématique de l’individuel au groupe, un effet similaire à l’effet du témoin, finalement, phénomène très connu en psychologie sociale. A la différence qu’il y a des probabilités que le collectif explose et ne s’allie pas, que les lien interpersonnels soient modifiés. Là, les incertitudes sont en roue libre.
Je me souviens avoir été incapable de répondre. Parce qu’il n’y avait rien à répondre, et je pense que tu me rejoindras sur ce point-là. J’étais stupéfaite. Que rétorquer à quelqu’un qui décide d’annihiler en une phrase ce que vous avez traîné avec vous pendant des années, ce dont vous rêviez la nuit, ce qui vous avait fait basculé d’« un autre côté », celui de celleux qui « savent », qui commencent leur sexualité par ça ? Je me suis tue. Mais paradoxalement, plutôt que de retourner ceci contre moi, j’ai fait un rejet total de la famille de mon père dont était issue cette personne. J’avais appris quelques temps avant que certains membres de la famille étaient au courant de ses agissements. Une autre sœur de mon père, alors qu’elle était plus jeune, s’était un jour cachée sous un évier car il l’avait poursuivie dans une maison pour tenter d’en abuser (je ne sais pas, à ce jour, de quelle maison il s’agit), d’autres enfants en avaient aussi fait les frais. J’ai donc évité toute la famille. Je ne voulais plus avoir à porter ni les regards « de celleux qui savent mais ne disent pas », ni les arrangements de principes de type « ne pas dire à telle personne pour la préserver », ni me retrouver face à l’éventualité de reprendre une re-consonance.
Ma mère, pour le coup, avait été accueillante. J’avais 13 ans lorsque je lui ai avoué ce qui m’était arrivé (merci ma cousine, du côté de ma mère, qui m’y avait poussée alors), sa première réaction a été de me croire, déjà. Ensuite, elle m’a demandé si je souhaitais déposer plainte ou non (elle avait elle-même vécu un viol à l’âge de 4 ans, d’un ami de mon grand-père). J’ai refusé, prétextant ne pas vouloir mettre en péril ma scolarité. Je tenais beaucoup à l’école (ce n’était que le début de mon harcèlement scolaire). Ce qu’elle n’a jamais su, c’est qu’en vérité, j’étais tétanisée à l’idée de devoir faire face à la famille de mon père. Mes parents m’auraient défendue bec et ongles dans cette histoire, mais je ne voulais pas devenir le centre des discussions, me retrouver face à des refus, des rejets, des invalidations. J’ai préféré me préserver. Et finalement, quelques années plus tard, ma tante aura porté ce coup quelque peu fatal qui aura réduit ce vécu à néant. Une anecdote familiale.
[3] Voir par exemple D’où vient l’estimation selon laquelle un enfant sur cinq a été victime de violences sexuelles ?, par Jacques Pezet, Libération, 9 novembre 2021, et The Underwear Rule, Kiko and the Hand.
Pour aller encore un peu plus loin
Arrête-moi si je me trompe Anaïs. Il me semble qu’il y a un écueil épistémologique dans cette affaire.
Je vais essayer de le mettre en mot, et tu me corriges.
Dans la population générale, et même chez les dirigeant·es politiques, la confusion est de mise entre pédophiles et pédocriminels. Or la différence est de taille ! Les seconds sont passés à l’acte, les premiers non (ou pas encore, ou jamais). Les mélanger fait qu’on part du principe qu’avoir des pensées prédispose à l’acte, ce qui ne va pas toujours de soi comme tu l’as courageusement montré ; et qu’on est coupable d’avoir des pensées prédisposantes. En gros, on serait coupables à l’avance, comme les gens arrêtés avant leur crime par les précogs dans Minority Report, roman de Philip K. Dick adapté par Steven Spielberg en 2002. C’est déjà un vrai problème en soi, se voir condamné AVANT d’avoir commis quoi que ce soit (je vois un autre cas similaire dans sa structure : le fait de posséder des plans d’explosifs sur son ordinateur, sans même en avoir fabriqué). Donc j’ai envie de dire que juridiquement, la nuance est de taille entre les deux populations.
Or si je comprends les psychologues, il semble que les processus qui te régissent ou me régissent sont sensiblement les mêmes, à des degrés près et à l’objet près. Je crois d’ailleurs avoir ressenti ce que tu décris deux fois : une fois j’étais devant un ravin, et j’ai senti que je n’étais pas loin du tout de sauter ; et l’autre fois, je campais en van avec mes enfants en montagne, ils dormaient, et je venais de lire un roman dont je tais le nom pour ne pas gâcher, dans lequel une femme trop pauvre tuait elle-même ses enfants, et j’ai sentis, vaguement, une seconde 5, que je pourrais moi-aussi les tuer dans leur sommeil. Et mes poils se sont hérissés. Cela amène à ce point : sur le plan clinique, est-il possible de distinguer un TOC pédophile d’un pédophile en puissance ? Si les processus sont les mêmes, ça doit être fichtrement difficile de distinguer sans marqueur cérébral particulier.
On se retrouve avec cette volonté que je trouve louable mais compliquée, de ne pas essentialiser les gens atteints de troubles mentaux. Je vois bien l’écueil d’essentialiser les gens, et j’aime éviter ça. Mais je vois aussi qu’il y a bien une différence entre une personne schizophrène et moi. Or sans marqueur, sans trace quelconque, pour le cas qui nous concerne, cela signifierait deux choses terrifiantes : la première, c’est qu’on serait tou·tes sur un continuum, allant de pas pédophile du tout à pédophile max ? Avec toutes les graduations intermédiaires ? Ça me terrifie, mais je n’en serai pas étonné. La seconde, c’est qu’il n’y aurait plus vraiment de pédophiles en soi y a des « personnes ayant des pensées à caractère pédophile sans passage à l’acte » et des « personnes ayant des pensées à caractère pédophile avec passage à l’acte ». Donc un vrai hiatus épistémologique sur le plan du droit, mais un hiatus difficile sur le plan santé.
Est-ce que je résume bien ? Qu’en penses-tu ?
Tu soulèves là plusieurs problématiques qui me semblent important de décortiquer afin de proposer une réponse correcte.
Déjà, il est vital de bien comprendre ce qu’est un TOC. Et ce qu’est la pédophilie.
Je parlais ci-dessus d’une « romantisation » du TOC sur les réseaux sociaux, et la culture de manière générale. Celle-ci se traduit par une appropriation d’un comportement répétitif à des fins esthétiques (aligner les crayons de couleurs, ranger des livres sur une étagère par couleur ou par taille, organiser des éléments dans l’espace de manière harmonieuse). On connaît d’ailleurs la phrase « I’m so OCD », qui est autant préoccupante qu’insultante pour les personnes qui en souffrent. A quel moment un trouble qui peut mener au suicide devient une distinction esthétique ? Il est fortement valorisé dans notre société occidentale d’avoir un sens de l’organisation, du rangement, de la propreté. Ces spécificités sont perçues comme des qualités, des garanties de bonne entente sociale. Des fonctions exécutives opérantes garantissent une sorte de fiabilité : si tes fonctions exécutives ne subissent pas d’altération, alors tu es dans la norme, et tu la maintiens en place. Tu es donc un élément sécurisant, valorisé/able. De manière culturelle, on traite le TOC davantage comme une singularité qui soit va concerner des TOC extrêmement courants et connus (laver, compter), soit aider les personnages dans leur quête (un TOC de lavage où le personnage est dans l’évitement de la saleté va lui permettre de mieux focaliser sur les détails pour ne pas être contaminé malencontreusement par un élément, par exemple). La représentation des personnes souffrant de TOC est tronquée pour des besoins scénaristiques, mais elle est également, là encore, utilisée à des fins esthétiques, défaite de sa dimension complexe. Entendons-nous bien, il s’agit de fiction. Si nous savons qu’il s’en agit, nous n’échappons cependant pas à l’entretien de ces stéréotypes. Récupérer la partie émergée des comportements du TOC crée du tort aux personnes qui en souffrent en dépeignant une vision presque adorable de la chose.
Un TOC n’est pas une envie irrépressible de ranger les crayons par couleurs. Il n’y a rien de socialement répréhensible à vouloir créer des camaïeux, le risque est plutôt faible. Il n’y a rien non plus de répréhensible à vouloir se laver souvent les mains ou à vouloir garder sa maison propre. Bien au contraire. Dans le cas du TOC, l’acte de se laver les mains de manière compulsive n’a pourtant guère de chose à voir avec l’envie de garder sa maison propre : il s’agit d’un moyen efficace à court terme (d’où l’intérêt de répéter les compulsions) pour réduire ou annuler l’effet anxiogène de pensées soit directement liées à l’action (si je ne lave pas mes mains/le lavabo/etc., je peux être contaminé·e et vomir/mourir/contaminer les autres), soit indirectement liées (et aligner des crayons aura davantage un effet « conjuratoire »).
Deux choses entrent donc en jeu : l’obsession (la pensée intrusive et récurrente) et la compulsion (l’action mentale ou physique pour annuler l’effet de l’obsession). Nous avons dit ci-dessus que la pensée qui traverse la personne la met dans une situation de détresse par la nature-même de la pensée, sa récurrence, etc. Est-ce qu’une personne ayant des conduites à caractère pédophile pourrait être traversée par le même processus de pensée, et rencontrer une détresse équivalente ? Sans aucun doute, pour certains individus. Comment, alors, distingue-t-on l’une de l’autre ? Tu parles des marqueurs cérébraux. Il y en a. Mais j’y viendrai plus tard : il y a d’abord d’autres marqueurs bien plus probants et plus facilement observables.
La différence nette entre une personne souffrant d’un TOC et une personne ayant des conduites à caractère pédophile se situe déjà, et c’est une différence majeure, dans le rapport aux valeurs que la personne partage. Une personne souffrant d’un TOC de pédophilie a peur d’un passage à l’acte (et dans certains cas, d’avoir eu dans le passé des gestes qualifiés de pédocriminels. Bien des personnes souffrant de ce TOC compulsent en se repassant des scènes antérieures pour vérifier leurs gestes) tout en ayant parfaitement conscience que les enfants ne génèrent pas d’excitation ou d’intérêt sexuel. Il en va de même pour d’autres thématiques d’agressivité ou tabou (zoophilie, meurtre, etc.). Les compulsions (il n’y en a pas toujours) s’organisent souvent autour de la recherche d’indices pouvant confirmer ou infirmer un potentiel passage à l’acte ou une potentielle excitation. Dans la pédophilie, il y a une excitation ou un intérêt sexuel. Ce n’est jamais le cas des personnes souffrant du TOC décrit. Les pensées en question ici ne prédisposent donc pas. Il est important de souligner cela. Des personnes ayant des conduites à caractère pédophiles peuvent manifester leur angoisse du passage à l’acte, mais parce qu’elles le savent motivé par un désir sexuel de l’enfant. Dans le premier cas, il s’agit de la peur d’une perte de contrôle et de commettre une action répréhensible par la loi (alors qu’il n’y a pas de motivation réelle), dans l’autre d’une paraphilie, une attirance sexuelle durable. Les pensées dans ce cas favorisent clairement : elles sont en accord avec les croyances ou valeurs de la personne. Il est donc important, lorsqu’une personne consulte pour être accompagnée sur ce sujet, d’avoir accès à un diagnostic différentiel, au risque de se voir proposer des méthodes médicales aggravant le problème.
Il n’est absolument pas rare chez une personne souffrant d’un TOC de pédophilie de souffrir d’autres thématiques de TOC en parallèle. Les manifestations des obsessions et des compulsions varient également souvent en fonction de l’état de fatigue, le niveau de l’humeur, pendant les périodes pré-menstruelles/menstruelles, etc. de la personne. Elle peut avoir de longues périodes sans aucun questionnement et se voir assaillie lors d’événements majeurs tels qu’un décès, un déménagement, autre. On recherchera d’éventuelles comorbidités dans les deux cas.
Depuis quelques années, on essaie d’observer le cerveau des personnes ayant des conduites à caractère pédophile par la neuroimagerie. En France, Serge Stoléru avait fait timidement parler de lui dans les médias par sa volonté de mettre en lumière des corrélats cérébraux de l’attirance sexuelle portée sur les enfants. Difficile cependant de faire accepter l’intérêt pour la question des personnes concernées par le public. Si la discipline peut contribuer à la compréhension du phénomène, il ne peut en aucun cas le justifier de manière aussi isolée. Seule une approche globale qui n’évince pas le social peut apporter des solutions à long terme.
Pour en revenir au point sur le continuum, une vision « continuiste » (basée sur un continuum) de la pédophilie est à mon avis tout autant salutaire aujourd’hui que dépassable. L’approche « discontinuiste » de la pédophilie a contribué à essentialiser les personnes concernées, à omettre l’implication systémique dans son développement et à créer des stéréotypes délirants et figés (on se souviendra du monsieur qui attend à la sortie de l’école en imper, qui fit les choux gras des caricaturistes des années 80) en omettant les spécificités des profils. Comprenons alors que ces mêmes stéréotypes ont très clairement favorisé les agressions sexuelles d’enfants. Ensuite, une approche plus continuiste est déjà en place : la notion de continuum est visible et appliquée partout. C’est notamment grâce à elle que des chercheureuses ont misé (tu la vois ma transition ?) sur l’analyse de profils types pour en dégager des marqueurs psycho-sociaux. Nous supposons que la prévalence de personnes pédophiles en France est aujourd’hui de 3 à 5 %. Ces chiffres sont évidemment à prendre avec précaution. Parce qu’ils ne sont pas fiables, et ne disent absolument rien des réalités des personnes concernées quant au passage à l’acte.
Les statistiques concernant la pédocriminalité convergent vers 90–92 % d’hommes. Qui dit pédocriminel ne dit pas forcément pédophile, et c’est là que ton conflit de hiatus épistémologique sur le plan du droit versus épistémologie sur le plan santé peut trouver une issue : on ne peut décemment pas traiter la problématique de la pédocriminalité sans motivation pédophile de la même manière qu’une agression perpétrée par une personne pédophile. Tout comme on ne peut résumer le problème de la pédophilie à son ontologie (le terme lui-même est contestable : le suffixe grec « φίλος » –– aimer –– ne rend compte du réel, puisqu’il crée de fait un rapport de verticalité et qu’il s’agit là d’une attirance sexuelle, pas d’amour). C’est une problématique hétérogène : on observe tout d’abord des disparités de genre, mais aussi de profils et de contextes. On constate une prévalence masculine (on commence enfin à interroger des femmes et à relever des données. Mais elles sont encore trop récentes. On atteint un degré délicat dans le tabou de la question). Parmi les profils et les contextes, on constate également une hétérogénéité : parle-t-on de personnes pédophiles excluant ou n’excluant pas l’attirance sexuelle envers des adultes ? Parle-t-on de personnes agissant uniquement sur des enfants extérieurs au foyer, ou s’inscrivant dans un rapport d’inceste ? Parle-t-on de personnes abstinentes, refusant le contact direct mais contribuant à perpétuer les agressions par la consommation de contenu pédopornographique ? Parle-t-on de personnes attirées par une fourchette d’âge précis ? Ton continuum n’est pas une jauge de 0 à 10 avec des gradations intermédiaires, mais une sorte de diagramme tentaculaire où des spécificités peuvent ne pas se rencontrer. La pédocriminalité non-motivée par la pédophilie flotte donc quelque part, autour de ton diagramme.
Plusieurs modèles en psychologie s’appliquent à dresser des prédicateurs d’agression sexuelle. Je ne peux te les dresser et expliquer tous, il faudrait une thèse. Mais en ce qui concerne la pédophilie, on est capables de déterminer des facteurs favorisants. Mieux comprendre les origines des distorsions cognitives et les schémas inadaptés précoces qui contribueraient à maintenir ces mêmes dysfonctionnements permettrait de mieux accompagner les personnes concernées.
Ce qui est effrayant, au final, c’est que la mise en place de procédés agissant sur l’inhibition reste encore peu considérée. Les histoires de protocoles médicamenteux (castration chimique, ou autre.), structures accompagnantes, etc., sont peu connues du grand public qui ne peut trouver les informations que de manière disparate. En tant que victime à plusieurs reprises de pédocriminalité, agression sexuelle en étant mineure par une personne majeure pédocriminelle, viol à l’âge adulte, je reste persuadée qu’il y plusieurs cartes à jouer. Enseigner à l’enfant très jeune ce qu’est son corps et qu’il s’agit de son corps, lui apprendre à le nommer, à légitimer ses limites pour éviter des silences et des traumatismes en flottement jusqu’à l’âge adulte. Parler vraiment de sexualité à l’école. Admettre que la pédophilie nécessite un encadrement thérapeutique et social particulier, à adapter selon les profils et les contextes. Informer, de manière publique, pragmatique, pour réduire les stéréotypes et prévenir les agressions pédocriminelles. Permettre à des femmes attirées par les enfants d’avoir accès à la parole et aux encadrements : si la prévalence masculine est avérée, il s’avère encore difficile d’accepter qu’une femme puisse être concernées et éventuellement passer à l’acte (l’effet pervers étant que les victimes sont doublement réduites au silence ou au rejet, ont des difficultés à reconnaître des situations incestueuses ou inappropriées). Cesser de fermer les yeux sur l’apologie de la pédophilie ou de la pédocriminalité dans un texte ou tout produit culturel sous couvert d’esthétique (l’adjectif « sulfureux » ne rend rien légitime et ne hisse pas intellectuellement un travail au-dessus de nous, pauvres mortel·le·s ignorante·s). Écouter les victimes de pédocriminalité, et prendre des dispositions étatiques globales, réparatrices, soignantes : si l’état ne jure que par une justice punitive des personnes commettant des agressions, il laisse malheureusement aux victimes la responsabilité individuelle de la gestion psychologique de l’agression. Déposer plainte fait œuvre de constat : ce n’est pas un remède sur le long terme. Et c’est même, dans le cas où la plainte n’aboutit à rien, un double traumatisme.
NdRich : sur les sujets vastes gravitant autour des TOC, de la pédophilie/pédocriminalité, voici nos recommandations
- En mauve, Anaïs Watterson
- En vert, Laëtitia Guillaume
- En bleu, moi (Richard)
LIVRES
- Toc ou pas Toc, de Franck Lamagnère, Odile Jacob (2016)
- Comprendre et traiter les TOC, Données actuelles et nouvelles perspectives (3ème édition), sous la direction d’Anne-Hélène Clair et Vincent Trybou, Dunod (2022) →destiné à un public spécialisé ou constitué de professionnel·les
- Pedophilia and Sexual Offending Against Children : Theory, Assessment, and Intervention, Second Edition, de Michael C. Seto, American Psychological Association Ed. (2018)
- L’évaluation diagnostique des agresseurs sexuels : Étude clinique du délinquant sexuel, sous la direction de Thierry Pham, éditions Ruth Fiori(2006) (attention, de mémoire, il y a un peu de psychanalyse freudienne dedans)
- L’enfant interdit, de la défense de la pédophilie à la lutte contre la pédocriminalité, de Pierre Verdrager, 2ème édition, Armand Colin (2021)
- L’approche transdiagnostique en psychopathologie, de Jean-Louis Monestès et Céline Baeyens, Dunod (2016)
- ACT-la thérapie d’acceptation et d’engagement en pratique, de Jean-Louis Monestès, Elsevier Health Sciences (2017)
ARTICLES
Am I a Monster ? An Overview of Common Features, Typical Course, Shame and Treatment of Pedophilia, par Jordan Levy Winter 2016 edition of the OCD Newsletter. https://iocdf.org/expert-opinions/am-i-a-monster-an-overview-of-common-features-typical-course-shame-and-treatment-of-pedophilia-ocd-pocd/
Your Complete Guide to Pedophilia OCD (POCD) https://www.treatmyocd.com/blog/your-complete-guide-to-pedophilia-ocd-pocd
Can Child Dolls Keep Pedophiles from Offending?, de Roc Morin, The Atlantic, Janvier 2016
Qui dit Mo consent – Les enfants de Dieu (c’est moi qui ai écrit ça)
J’ajoute quelques références de Michael C. Seto
- Angela W. Eke, Helmus & Michael C. Seto, A Validation Study of the Child Pornography Offender Risk Tool (CPORT), Sexual Abuse 1–21 2018
- Angela W. Eke & Michael C. Seto, FAQ : Child Pornography Offender Risk Tool (CPORT) and Correlates of Admission to Sexual Interest in Children (CASIC) (2017)
- Michael C. Seto, The Motivation-Facilitation Model of Sexual Offending Sexual Abuse, 1–22,
- Michael C. Seto, Is Pedophilia a Sexual Orientation ? Arch Sex Behav (2012) 41:231–236 DOI 10.1007/s10508-011‑9882‑6
- Nicole C. Rodrigues, Michael C. Seto, Adekunle G. Ahmed, Wagdy Loza, The Predictive and Incremental Validity of Two Self-Report Risk Assessment Measures With Adult Male Offenders Who Have Mental Health Problems, CRIMINAL JUSTICE AND BEHAVIOR, 2016, Vol. 43, No. 5, May 2016, 583–599. DOI : 10.1177/0093854815606476
Évaluation de la comorbidité psychiatrique chez 72 hommes détenus en maison d’arrêt pour agression sexuelle, Annales Médico-psychologiques, revue psychiatrique Volume 167, Issue 8, October 2009, Pages 576–582 https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0003448709001292
Vulink NC, Denys D, Bus L, Westenberg HG. Female hormones affect symptom severity in obsessive-compulsive disorder. Int Clin Psychopharmacol. 2006 May;21(3):171–5. doi : 10.1097/01.yic.0000199454.62423.99. PMID : 16528139. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/16528139/
DOCUMENTAIRES
- Pédophilie : de la pulsion à l’interdit, de Xavier Deleu (2011)
- Délivrez-nous du mal, d’Amy Berg (2008)
- PsykoCouac, profil d’un pédocriminel (2022)
FILMS
- Grâce à Dieu, de François Ozon (2019)
- Festen, de Thomas Vintenberg (1998)
- Spotlight, de Tom McCarthy (2015)
PODCASTS AUDIO
- Inceste et pédocriminalité #24, Un podcast à soi, ARTE Radio Podcast
- Nous faire justice #04 | Prendre en charge, dans les couilles sur la table, de Victoire Tuaillon, avec Anne-Hélène Moncany, médecin-psychiatre et présidente de la Fédération Française des CRIAVS, Mathilde Coulanges, psychologue et Tristan Renard, sociologue
- Le revers de la médaille, Enquête de Disclose sur la pédophilie dans le sport (4 épisodes)
- « Spotlight », des pédophiles dans l’Église américaine – 4 épisodes de Mécaniques du journalisme, France Culture
- Pédocriminalité : comment expliquer que l’Église ait pu commettre et taire les abus. Avec Isabelle Heullant Donat, professeur en histoire de Moyen-Âge, dans Superfail, de Guillaume Erner, France Culture
- Abus sexuels dans l’Église, un phénomène systémique ?, avec Matthieu Aron,
- La fabrique médiatique, de Chloë Chambreling, France Culture
- Au nom du pédophile, dans Dépêche !, d’Olivier Minot
- La pédophilie avec Anne-Claude Ambroise-Rendu, par Monique Canto-Sperber (2014)
- Territoires interdits 4, paroles de pédophiles, par Céline Rouzet et François Teste, Sur les docks (2014)
- Les cris, d’Alexandre Mognol https://shows.acast.com/les-cris (je ne l’ai pas encore écouté celui-là)
- Dans la tête d’un pédophile, Esprit de justice, 17 fév. 2021
- Neila, chasseuse de pédophiles, Les pieds sur Terre, France Culture
- Injustices, saison 2 “Ou peut-être une nuit” de Charlotte Pudlowski
Quelques dossiers étudiants, de qualité variable, sur des sujets connexes.
On y accède ici : Précaution testamentaire – tous les dossiers étudiants (mot de passe : Z)
ou en cliquant sur les liens ci-dessous
(décembre 2012) 15.08 – Y a ‑t‑il des hypothèses non-psychanalytiques à la pédophilie ? – Laura Ferraris-Bouchez, Virgile Genin, Lucas Centa, Jules Lefrère
(mai 2016) 22.37 – L’association pédophile – North American Man/Boy Love Association (NAMBLA), Dimitri Evstratov, Nathanaël Jacquier, Mevlude Kocak
(décembre 2016) 23.11 – Hypothèses non psychanalytiques à la pédophilie – Charlène NOGARO, Véronique SABATIER, Pauline VALLERAN
(décembre 2016) 23.16 – Y a ‑t‑il des hypothèses non-psychanalytiques à la pédophilie ? – Hugo LAGOUGE, Fanny PEBRE, Léa PHIMANAO
(décembre 2017) 25.19 – Évaluation des poupées » pédophiles » TROTTLA – Lou GOUY, Taolham QUERNIARD, Marie UZEST, Jérémy MAIGRET
(décembre 2018) 27.37 – Validité des argumentaires de l’association pédophile NAMBLA et de la René Guyon Society – Marianne Brillaud, Léa Gaidet, Macxence Jacob, Tristan Murcia, Mathilde Olivero, Théo Rollin
(décembre 2018) 27.42 – Quelles sont les approches non-psychanalytiques à la pédophilie ? – Lucile DOYEN, Gabriel KIRCHER, Eva RODIER, Nancia TROUBAT
(mai 2019) 28.11 ‒ Y a ‑t‑il des théories non-psychanalytiques de la pédophilie ? ‒ Alicia BUGEY, Fanny BRUCHON, Mathilde BUZARÉ, Laurie BRACHET
(mai 2019) 28.12 ‒ Dans quelle mesure peut on dire que les poupées sexuelles prépubères ne sont pas uniquement des incitations à la pédophilie ? ‒ Romane JALLIFIER, Sandra HALABI, Jason PONSET, Nawal ZIBAT
(mai 2019) 28.21 ‒ Évaluation des poupées « pédophiles » TROTTLA ‒ Kim BOURGEOIS, Zoé BOSC, Iliès OULAHAL, Inès Gadi
(décembre 2021) 33.15 – Y a‑t‑il des théories non psychanalytiques de la pédophilie ? – Joséphine BELLIN, Émilie CARAGUEL, Elia SAADOUNE, Tugce SAHINSOY
(mai 2023) 36.20 ‒ Y a‑t’il des théories non psychanalytiques de la pédophilie ? ‒ Enza BONORA, Melody LOPEZ, Maxine RAFFY, Chloé REY
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