Je sais que les thérapies dites « alternatives »
- pour la plupart n’ont pas d’efficacité propre,
- semble fragiliser les barrières critiques des usager·es, en les berçant avec des pseudothéories mysticoïdes,
- mais maximalisent les effets dits contextuels (qui composent la nébuleuse du placebo).
De fait, plusieurs voies s’opposent : faut-il incorporer ces thérapies dans le système de soin, pour se servir de leur plus-value, et contrôler leur pratique ? Faut-il les refuser, pour éviter une brèche dans la médecine basée sur les faits dans laquelle s’engouffrerait n’importe quelle invention thérapeutique d’esprit torturé ? Par crainte d’un appauvrissement potentiel du fait des théories moisies qui sont vantées dans ces thérapies ? Question multiparamétrée, sur laquelle j’oscille parfois, et qui fait que je n’ai pas un avis archi-clair sur ce qui vient de se passer en Suisse. Je ne peux que dire ceci, parce que je le sais : médecine anthroposophique, thérapie craniosacrée et homéopathie sont des théories en carton, et MTC (médecine traditionnelle chinoise) et āyurveda sont très pauvres. La phytothérapie est un domaine bien trop disparate pour le traiter comme tel, eutonie et thérapie neurale, je n’ai pas assez travaillé alors je me tais. Que les gens optent pour ces thérapies, ça les regardent. Que les services publics les remboursent, ou les agréent, c’est plus épineux. Que leur reconnaissance nivelle les thérapies démontrées et les thérapies auto-proclamées, ça m’inquiète.
Les médecines alternatives, intégrées dans le système de santé suisse, par Anand Chandrasekhar, swissinfo.ch
Les médecines douces attirent de plus en plus de Suisses. Intégrées dans le système de santé, elles font désormais l’objet, après maints tâtonnements, d’une réglementation accrue. L’objectif est d’améliorer la sécurité des patients. Avant la crise du coronavirus, le gouvernement du canton de Lucerne, en Suisse centrale, planchait sur une révision de la loi cantonale sur la santé. En Suisse, les questions de santé relèvent de la compétence des 26 cantons, d’où un manque d’uniformité parfois. Début mars, Lucerne présentait un nouveau projet de loi avec un objectif principal : soumettre à une autorisation de pratiquer les praticiens en médecine naturelle tels que les homéopathes, les thérapeutes en ayurvéda ou en médecines traditionnelles chinoise et européenne.
« Ces pratiques peuvent présenter un certain risque pour la santé de la population. Les thérapeutes doivent désormais demander une autorisation d’exercer. Le canton de Lucerne veut ainsi s’assurer que seules les personnes qui répondent à certaines exigences de compétence professionnelle peuvent pratiquer », déclare à swissinfo.ch Alexander Duss, du Département de la Santé du canton de Lucerne. Une telle exigence existait déjà, mais, en 2006, le canton de Lucerne a décidé de l’abroger. À l’époque, il y avait trop de formations différentes pour que les autorités puissent vérifier les qualifications des professionnels, explique Hanspeter Vogler, chef du Département de la Santé du canton de Lucerne. N’étant pas en mesure de garantir une qualité uniforme dans le secteur, Lucerne laissait aux patients le soin de choisir le thérapeute qui leur convenait.
Remboursement
En 2009, la situation change. Cette année-là, deux tiers des citoyens suisses votent en faveur de la réintégration de cinq médecines douces – homéopathie, médecine anthroposophique, phytothérapie, thérapie neurale et médecine traditionnelle chinoise – dans l’assurance de base. Admises en 1999, celles-ci en avaient été exclues en 2005, dans un contexte de hausse des coûts de la santé. Motif allégué : elles ne répondaient pas aux critères d’efficacité, d’adéquation et d’économicité. Après le vote du peuple suisse, les cinq médecines en question sont remboursées par l’assurance de base (obligatoire pour tous les résidents suisses) pour une période provisoire, à condition qu’elles soient administrées par des médecins agréés. Elles sont ainsi réintégrées dans le système de santé de base. Les autorités ne peuvent plus les ignorer, puisqu’elles représentent à nouveau une part des coûts de la santé. Des examens uniformisés au niveau fédéral – pour les praticiens qui ne sont pas médecins – sont instaurés. Dès 2015, les thérapeutes dans les domaines de l’homéopathie, de l’ayurvéda, des médecines traditionnelles chinoise et européenne peuvent décrocher un diplôme reconnu dans tout le pays. « Une uniformisation est toujours utile, car les compagnies d’assurance maladie sont un peu lentes à rembourser les médecines complémentaires. Elles se trouvent également sous pression pour réduire les coûts », note Franz Lutz, président de l’Organisation faîtière suisse de l’ayurvéda. L’instauration d’un diplôme fédéral a incité de nombreux cantons, tel que celui de Lucerne, à exiger un permis d’exercer. Pour obtenir une autorisation de pratiquer, les thérapeutes doivent transmettre leurs données personnelles et fournir une copie de leur diplôme fédéral.
Opportunités et défis
Avec une autorisation officielle, les diplômés fédéraux sont exonérés de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Ils sont aussi automatiquement inscrits au Registre national des professions de la santé et considérés comme des travailleurs de la santé. « Avec une autorisation de travail cantonale, nous sommes inclus dans le système de soins primaires. Nous pouvons ainsi continuer à exercer pendant la pandémie de Covid-19 », se réjouit Alexandra Nievergelt, coprésidente de l’Association professionnelle suisse de médecine traditionnelle chinoise. Et ce, en respectant bien sûr les mêmes règles et restrictions que les médecins, ajoute-t-elle. Cette autorisation a également permis aux praticiens en médecine alternative de travailler sur des projets avec d’autres professionnels de la santé, ce qui n’aurait pas été possible auparavant. La nécessité d’une autorisation soulève, toutefois, des inquiétudes quant au sort des thérapeutes n’ayant pas de diplôme fédéral. « Nous nous félicitons de l’autorisation cantonale : seuls des praticiens qualifiés travaillent ainsi dans notre domaine, relève Alexandra Nievergelt. Nous souhaitons, cependant, nous assurer que les praticiens actuels peuvent continuer à exercer. »
Lucerne a proposé d’accorder un délai de cinq ans aux thérapeutes pour obtenir leur diplôme fédéral, mais certains grincent des dents : devoir se présenter à des examens quand on a des dizaines d’années d’expérience n’est pas facile à avaler. Des désaccords concernant les examens ont entraîné des dissensions. La médecine ayurvédique en Suisse, par exemple, est désormais représentée par quatre associations différentes et deux écoles. S’opposer aux autorisations d’exercer devient difficile, le vent ayant déjà tourné en faveur d’une standardisation et d’une uniformisation. Les acupuncteurs ont besoin d’une autorisation de pratiquer dans 20 des 26 cantons suisses et les thérapeutes ayurvédiques dans 18 cantons (la plupart des cantons romands n’en exigent pas). « La qualité des prestations doit être transparente. Les praticiens doivent avoir un niveau de formation adéquat, être capables d’établir un diagnostic précis et être compétents pour administrer des traitements médicaux », souligne Franz Rutz.
Médecines alternatives : assurances et diplômes
Cinq thérapies alternatives – homéopathie, médecine anthroposophique, phytothérapie, thérapie neurale et médecine traditionnelle chinoise – sont couvertes par l’assurance maladie de base en Suisse. Les coûts des traitements ne sont, toutefois, remboursés que s’ils sont administrés par un médecin. Les coûts des autres thérapies alternatives ne sont, eux, couverts que par une assurance complémentaire distincte, qui coûte plus cher. Toutes les disciplines ne sont, cependant, pas reconnues par les assureurs. Il existe deux types de diplômes fédéraux en médecine alternative. Le plus avancé est celui de naturopathe. Les titulaires de ce diplôme peuvent diagnostiquer des maladies et prescrire des traitements tels que des préparations à base de plantes. Les disciplines reconnues sont l’homéopathie ainsi que les médecines traditionnelles chinoise et européenne. Les praticiens peuvent obtenir une licence cantonale. Le second diplôme fédéral est celui de thérapeute complémentaire. Les titulaires dispensent des traitements spécialisés, comme des massages à l’huile, à des personnes en bonne santé ou souffrant de maux légers, mais ils ne sont pas autorisés à diagnostiquer une maladie. Parmi les disciplines reconnues figurent le yoga, le shiatsu, la thérapie craniosacrale et l’eutonie.
Hello Richard,
En tant que Suisse je suis impressionnée par tout ce que tu as donné comme informations !
Juste un petit mot pour dire que les médecine alternative sont très utilisées ici. On paie des prix de dingues mais on peut choisir son praticien. Et c’est très appréciable, nous avons tous des besoins différents. Les vaccins aussi c’est à choix. Ça pour moi c’est plus discutable.
La situation étant acceptable pour le plus grand nombre, il n’y a pas vraiment de débat sur le sujet.
Du coup, les personnes qui s’adressent à des praticiens de médecines ne cultivent pas tellement l’esprit anti institutionnel qu’on pourrait retrouver en France mais plutôt On a plutôt des consommateurs- patients qui cherchent ce qui leur convient le mieux selon leur philosophie de vie et leur point de vue sur la médecine classique, ses diagnostics et ses solutions. Du coup, je ne vais pas me positionner de manière critique puisque je les considère comme des individus qui font des choix librement et non par esprit d’opposition.
Bonjour Hélène, merci du retour. Au fond, que ce soit par contestation politique, par « consommentation ostentatoire », ou par convénience philosophique, la question va devenir : dans quelle mesure une personne est-elle libre, ou conditionnée, dans ses choix. Plus la lecture est « sociale » (de gauche, dirons-nous), plus on tire vers la construction sociale. De l’autre côté, on estime les gens libres (et donc responsables) de leur choix. Sur cette réglette, je bouge souvent mon curseur, je dois l’avouer
Si mon médecin était un fantôme et qu’il m’aidait à garder la santé (chose tout à fait vérifiable…absence de maladie), en quoi serait-il gênant que ses soins me soient remboursés ?
Mon corps n’appartient pas à l’Etat et ce n’est pas à lui de choisir ce qui est bon pour moi !
Merci Pascale. Je ne suis pas raccord avec vous sur deux points. Le premier : l’argent de l’Etat est de l’argent public, aussi il faut qu’il serve le public, dans son ensemble, pas juste moi ou vous. Donc si vous voulez vous payer (avec vos sous) tout soin qui vous convient, rien à dire. Si je veux que l’Etat me rembourse un soin très onéreux, je dois concéder par exemple une certaine limite dans un budget limité – par ex si mon bien-être garantissant ma santé passe par l’achat d’un yacht qui bouffe la moitié du budget de la Sécu, il est légitime que les autres patient·es râlent. Si l’Etat me rembourse un soin de confort, ou un soin qui n’a pas d’efficacité, idem.
L’autre point est mineur, sur le fait que garder la santé = absence de maladie. Je vous donne quelques exemples : une personne en situation de handicap peut être en bonne santé, et ce depuis la naissance. Une femme enceinte nécessite des soins, mais sa grossesse est-elle une maladie ? Enfin garder la santé en période covid entraîne non des soins mais des actes de prévention type masque/distanciation/confinement qui ne sont pas des soins à proprement parler (mais qui relèvent pourtant de la santé publique. Idem pour le packaging nutritionnel, la prévention du tabac, la prév de l’obésité, etc.
Vous me direz si ma réponse vous a été utile ? salutations !