Ce matin, devant l’élection de la présidente de l’Assemblée, me reviennent les mots d’Eric Hazan (1936–2024), de la maison d’édition La Fabrique, que j’écoutais hier, je retranscris.
« Voir la politique comme une espèce de grand tapis volant au-dessus de nos têtes où se déroule un théâtre d’ombre qui n’a au fond aucun rapport avec nos vies, avec la vôtre, avec la vienne. Tout ce qui déroule sur ce tapis, finalement on n’en a rien à faire. En revanche, de ce tapis il tombe de temps en temps une bombe. Alors boum réforme du Code du travail, boum Loi du renseignement, boum la loi antiterroriste qui intègre dans le droit commun les dispositions de l’État d’urgence, ce qui fait qu’on a gagné un état d’urgence permanent. Et finalement ces bombes qui tombent il y a le même mot qui est peint sur les bombes, c’est réforme, ce qu’on appelle réforme, c’est toujours une mise à la casse de quelque chose, réforme du Code travail, le Code du travail va être mis à la casse. Les réformes c’est une mise à la casse de choses qui ont été acquises au fil du temps par des luttes ouvrières. Chaque fois que vous entendez réforme, vous pouvez être sûre qu’il y a quelque chose qui va être dézingué dans ce que vos grands parents se sont battus pour. (…) Pour se défendre contre les bombes dont j’ai parlé, on est obligé de parler de quelque chose qui ressemble à la… “guerre civile”, oui. Il y a longtemps que je n’ai plus l’illusion, si je l’ai jamais eu, je n’en suis pas sûr, que l’on peut améliorer de l’intérieur le système injuste et brutal et inacceptable dans lequel nous sommes plongés. Je crois qu’on ne peut pas l’améliorer. Je crois que tout ce qui est des tentatives pour le retaper, lui mettre des rustines, pour mettre des étais pour ne pas qu’il s’effondre, on perd son temps. Ce système il faut l’abattre. Pour l’abattre eh bien c’est la guerre civile, mais quand je dis guerre civile, c’est comme quand je dis révolution, c’est comme quand je dis insurrection, il faut prendre ces mots comme des mots du XXIe siècle, pas comme du XIXe. Je pense que l’idée d’insurrection, d’émeute, de révolution, il ne faut pas les voir comme une répétition de la Commune de Paris, il faut le faire en fonction de l’époque dans laquelle nous sommes plongés. Il faut donc réfléchir d’une façon tout à fait autre. il faut absolument éviter de se retrouver dans une armée face à une armée. Au fond, la Commune de Paris, les insurgés, les Communards, ils auraient parfaitement pu gagner. Il n’y avait pas une telle différence de force. Ils étaient nombreux, plus nombreux que les Versaillais, nettement plus nombreux (…) S’ils avaient été bien organisés, bien commandés, ils auraient pu gagner. Ils auraient dû gagner. Aujourd’hui non, si on se retrouvait face à formidable par le nombre, formidable par l’armement, arsenal policier qui a été construit depuis longtemps maintenant, si on se retrouvait de façon frontale par rapport à eux on serait morts, ce n’est même pas la peine d’y aller. Il faut donc utiliser d’autres moyens. (…) Il y a toujours quelque chose de formidable avec les insurrections, c’est qu’elles ne se produisent jamais de la manière qu’on les attend, c’est toujours quelque chose de différent qui se passe, donc comment ça va se passer, comment ça se passera je ne peux pas vous le dire, je peux seulement vous dire que ça ne se passera pas comme une répétition de février ou d’octobre 1917, certainement pas. Je parle d’évaporation [du pouvoir] (…) Il faut se débarrasser de l’idée de prise du pouvoir. Prise du pouvoir c’est vous avez le pouvoir, je vous le prends. Je vous chasse de votre fauteuil et je m’assieds dedans. Ça on connaît, on sait comment ça tourne. (…) Le pouvoir, il ne s’agit pas de le prendre (…) il s’agit de l’émietter, de le pulvériser, de l’atomiser, qu’il n’existe plus. »
Eric Hazan, épisode 4, de A voix nue, France Culture, minutes 11–18
PS : on m’indique en ligne que la Fabrique a publié des ouvrages qui posent problème (antisémitisme ? Léninisme ?). Je me suis lu une dizaine d’ouvrages, et je n’ai pas vu ça. Mais informez-moi. Cela ne change rien à ce que dit ce monsieur en soi, mais évidemment, si je découvrais un fond antisémite, j’aurais du mal à séparer l’œuvre de l’artiste. Après, je suis méfiant, car l’accusation d’antisémitisme est tellement variable, tellement à spectre large, tellement instrumentée, que je m’en méfie comme de la peste bubonique.
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