Ce matin, devant l’élection de la pré­si­dente de l’As­sem­blée, me reviennent les mots d’E­ric Hazan (1936–2024), de la mai­son d’é­di­tion La Fabrique, que j’é­cou­tais hier, je retrans­cris.

Éric Hazan en 2018. Pho­to Oli­vier Metzger/modds

« Voir la poli­tique comme une espèce de grand tapis volant au-des­sus de nos têtes où se déroule un théâtre d’ombre qui n’a au fond aucun rap­port avec nos vies, avec la vôtre, avec la vienne. Tout ce qui déroule sur ce tapis, fina­le­ment on n’en a rien à faire. En revanche, de ce tapis il tombe de temps en temps une bombe. Alors boum réforme du Code du tra­vail, boum Loi du ren­sei­gne­ment, boum la loi anti­ter­ro­riste qui intègre dans le droit com­mun les dis­po­si­tions de l’État d’urgence, ce qui fait qu’on a gagné un état d’urgence per­ma­nent. Et fina­le­ment ces bombes qui tombent il y a le même mot qui est peint sur les bombes, c’est réforme, ce qu’on appelle réforme, c’est tou­jours une mise à la casse de quelque chose, réforme du Code tra­vail, le Code du tra­vail va être mis à la casse. Les réformes c’est une mise à la casse de choses qui ont été acquises au fil du temps par des luttes ouvrières. Chaque fois que vous enten­dez réforme, vous pou­vez être sûre qu’il y a quelque chose qui va être dézin­gué dans ce que vos grands parents se sont bat­tus pour. (…) Pour se défendre contre les bombes dont j’ai par­lé, on est obli­gé de par­ler de quelque chose qui res­semble à la… “guerre civile”, oui. Il y a long­temps que je n’ai plus l’illu­sion, si je l’ai jamais eu, je n’en suis pas sûr, que l’on peut amé­lio­rer de l’intérieur le sys­tème injuste et bru­tal et inac­cep­table dans lequel nous sommes plon­gés. Je crois qu’on ne peut pas l’améliorer. Je crois que tout ce qui est des ten­ta­tives pour le reta­per, lui mettre des rus­tines, pour mettre des étais pour ne pas qu’il s’ef­fondre, on perd son temps. Ce sys­tème il faut l’abattre. Pour l’abattre eh bien c’est la guerre civile, mais quand je dis guerre civile, c’est comme quand je dis révo­lu­tion, c’est comme quand je dis insur­rec­tion, il faut prendre ces mots comme des mots du XXIe siècle, pas comme du XIXe. Je pense que l’idée d’insurrection, d’émeute, de révo­lu­tion, il ne faut pas les voir comme une répé­ti­tion de la Com­mune de Paris, il faut le faire en fonc­tion de l’époque dans laquelle nous sommes plon­gés. Il faut donc réflé­chir d’une façon tout à fait autre. il faut abso­lu­ment évi­ter de se retrou­ver dans une armée face à une armée. Au fond, la Com­mune de Paris, les insur­gés, les Com­mu­nards, ils auraient par­fai­te­ment pu gagner. Il n’y avait pas une telle dif­fé­rence de force. Ils étaient nom­breux, plus nom­breux que les Ver­saillais, net­te­ment plus nom­breux (…) S’ils avaient été bien orga­ni­sés, bien com­man­dés, ils auraient pu gagner. Ils auraient dû gagner. Aujourd’hui non, si on se retrou­vait face à for­mi­dable par le nombre, for­mi­dable par l’armement, arse­nal poli­cier qui a été construit depuis long­temps main­te­nant, si on se retrou­vait de façon fron­tale par rap­port à eux on serait morts, ce n’est même pas la peine d’y aller. Il faut donc uti­li­ser d’autres moyens. (…) Il y a tou­jours quelque chose de for­mi­dable avec les insur­rec­tions, c’est qu’elles ne se pro­duisent jamais de la manière qu’on les attend, c’est tou­jours quelque chose de dif­fé­rent qui se passe, donc com­ment ça va se pas­ser, com­ment ça se pas­se­ra je ne peux pas vous le dire, je peux seule­ment vous dire que ça ne se pas­se­ra pas comme une répé­ti­tion de février ou d’octobre 1917, cer­tai­ne­ment pas. Je parle d’évaporation [du pou­voir] (…) Il faut se débar­ras­ser de l’idée de prise du pou­voir. Prise du pou­voir c’est vous avez le pou­voir, je vous le prends. Je vous chasse de votre fau­teuil et je m’assieds dedans. Ça on connaît, on sait com­ment ça tourne. (…) Le pou­voir, il ne s’a­git pas de le prendre (…) il s’a­git de l’é­miet­ter, de le pul­vé­ri­ser, de l’atomiser, qu’il n’existe plus. »

Eric Hazan, épi­sode 4, de A voix nue, France Culture, minutes 11–18

 

PS : on m’in­dique en ligne que la Fabrique a publié des ouvrages qui posent pro­blème (anti­sé­mi­tisme ? Léni­nisme ?). Je me suis lu une dizaine d’ou­vrages, et je n’ai pas vu ça. Mais infor­mez-moi. Cela ne change rien à ce que dit ce mon­sieur en soi, mais évi­dem­ment, si je décou­vrais un fond anti­sé­mite, j’au­rais du mal à sépa­rer l’œuvre de l’ar­tiste. Après, je suis méfiant, car l’ac­cu­sa­tion d’an­ti­sé­mi­tisme est tel­le­ment variable, tel­le­ment à spectre large, tel­le­ment ins­tru­men­tée, que je m’en méfie comme de la peste bubo­nique.

 

1 réponse

  1. 27 octobre 2024

    […] le texte entier publié par Richard est ici […]

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