Voi­ci un petit compte-ren­du d’une expé­rience péda­go­gique menée à la facul­té de phar­ma­cie d’An­gers le 13 novembre 2024 sur la ques­tion de l’en­sei­gne­ment de l’ho­méo­pa­thie en par­ti­cu­lier et des thé­ra­pies alter­na­tives et com­plé­men­taires en géné­ral. Ayant filé un coup de main à l’é­la­bo­ra­tion de cette séquence, je suis content de vous en livrer les grandes lignes. J’es­père que ça ins­pi­re­ra les autres facul­tés de phar­ma­cie à s’emparer du sujet. Bra­vo aux deux enseignant·es, Natha­lie Dilé et Jean-Louis Laf­filhe !

 

UN CONSTAT DE DEPART 

À la ren­trée de sep­tembre 2024, Sébas­tien Faure, doyen de la facul­té de phar­ma­cie d’Angers, décide de faire évo­luer les ensei­gne­ments tra­di­tion­nels d’homéopathie. L’objectif prin­ci­pal est de ne plus ensei­gner les souches homéo­pa­thiques ver­sus des symp­tômes cli­niques afin de ne pas four­nir une cau­tion uni­ver­si­taire à une dis­ci­pline sans fon­de­ment scien­ti­fique.

Pour autant, les pro­duits homéo­pa­thiques conservent à ce jour le sta­tut de médi­ca­ments, et les pharmacien·ne·s d’officine sont en pre­mière ligne face à l’usage des pra­tiques non conven­tion­nelles en San­té. L’équipe péda­go­gique, res­pon­sable des étudiant·e·s en 6ème année de la filière offi­ci­nale prend donc la déci­sion de mettre en place un nou­vel ensei­gne­ment en novembre 2024. Ce nou­vel ensei­gne­ment a pour objec­tif une réflexion géné­rale sur la ques­tion des pra­tiques non conven­tion­nelles en San­té, dont l’homéopathie.

CONCEPTION DE L’ENSEIGNEMENT

Celle-ci est confiée à Natha­lie Dilé (pro­fes­seur asso­cié en ser­vice tem­po­raire, offi­cine, Uni­ver­si­té San­té d’Angers) et à Jean-Louis Laf­filhe, phar­ma­cien (CHU Angers).

Cet ensei­gne­ment s’adresse à 36 étudiant·e·s et consiste en deux temps de for­ma­tion :

  • un cours magis­tral d’une heure et demie spé­ci­fi­que­ment consa­cré à l’histoire et à la légis­la­tion de l’homéopathie (à l’exclusion d’une approche cli­nique des médi­ca­ments homéo­pa­thiques) à la fin duquel est remis aux étudiant·e·s un ques­tion­naire éva­luant leur connais­sance et leur pra­tique des PNCS (pra­tiques non conven­tion­nelles en san­té) en géné­ral.
  • Un ensei­gne­ment diri­gé (ED) « PNCS » plus géné­ra­liste de deux heures et demie par sous-groupes de 18 étudiant·e·s.

OBJECTIF de « l’ED-PNCS »

L’objectif prin­ci­pal est d’ouvrir la réflexion des étudiant·e·s à l’ensemble des pra­tiques non conven­tion­nelles en san­té puis d’échanger sur les atti­tudes à tenir à l’officine vis-à-vis de ces pra­tiques et des per­sonnes les uti­li­sant.

Les objec­tifs secon­daires sont mul­tiples :

  • Réflé­chir à la déno­mi­na­tion des PNCS, aux motifs de leur déve­lop­pe­ment, aux risques qu’elles font cou­rir.
  • Pro­po­ser des outils concrets d’usage offi­ci­nal
  • Répondre aux diver­gences d’opinion par­mi les étudiant·e·s sur ce sujet, diver­gences mises en valeur par le ques­tion­naire pré­ci­té.

Com­ment se sont dérou­lés les deux « ED-PNCS ? » 

Ques­tion de la déno­mi­na­tion des PNCS 

Les débats sont larges sur la façon de les nom­mer. En effet les termes « alter­na­tif, douce, tra­di­tion­nelle, natu­rel, com­plé­men­taire » sont faci­le­ment adop­tés par plu­sieurs étudiant·e·s car ils « parlent plus » à l’ensemble de la popu­la­tion. D’autres estiment que ces termes, en par­ti­cu­lier « méde­cines douces ou natu­relles » induisent un sen­ti­ment abu­sif de sécu­ri­té et s’opposent arti­fi­ciel­le­ment à « dures ou chi­miques ».

Ques­tion de la défi­ni­tion des PNCS

Un qua­si-consen­sus s’établit pour défi­nir quelques cri­tères de dif­fé­ren­cia­tion entre méde­cine basée sur les preuves et PNCS : assise scien­ti­fique fon­dée sur les études ran­do­mi­sées, vali­da­tion par la com­mu­nau­té scien­ti­fique, ensei­gne­ment à l’université. En revanche le cri­tère d’efficacité parait peu per­ti­nent car il peut être sub­jec­tif.

Les deux animateur·trice·s pré­sentent de sur­croît une réflexion plus ample sur l’histoire des sciences et sur les cri­tères de scien­ti­fi­ci­té.

Débat mou­vant

La pro­po­si­tion cli­vante choi­sie pour ce débat mou­vant est : « L’enseignement de l’homéopathie a sa place à l’université »

Prise de posi­tion sur le débat mou­vant

Les objec­tifs et les moda­li­tés du débat sont tout d’abord expo­sés : il s’agit de réflé­chir à une ques­tion com­plexe par l’écoute et le res­pect mutuel des opi­nions de chacun·e, en aucun cas de remettre en cause la déci­sion plé­nière de l’abandon de « l’enseignement tra­di­tion­nel » de l’homéopathie.

Les deux débats se déroulent dans l’écoute et le res­pect des opi­nions de chacun·e.

Cer­tains argu­ments  font écho et font bou­ger les lignes : « Pas de temps à perdre avec l’apprentissage d’une dis­ci­pline non scien­ti­fique alors que tant de notions plus scien­ti­fiques sont à apprendre », «  Être inca­pable d’expliquer des médi­ca­ments aux patients est irres­pec­tueux pour eux », « La facul­té n’a pas voca­tion à nous for­mer sur des pro­duits dont l’activité se résume à un effet pla­ce­bo », « Je suis contre la for­ma­tion à l’université car je ne sais pas défi­nir une com­pé­tence en homéo­pa­thie »… (cf. Annexe 4)

En résu­mé, on observe un dépla­ce­ment vers une plus grande réti­cence vis-à-vis de l’enseignement de l’homéopathie à l’université avec sur l’échelle de Likert, moins de « tout à fait d’accord » et une aug­men­ta­tion de « pas du tout d’accord ».

Un cer­tain nombre d’étudiant·e·s qui estiment l’homéopathie inef­fi­cace regrettent para­doxa­le­ment l’arrêt de son ensei­gne­ment à l’Université.

Les motifs du « suc­cès » de l’usage des PNCS

Les étudiant·e·s se pas­sionnent pour cette ques­tion : ils sont nom­breux à pen­ser que la méde­cine est deve­nue trop scien­ti­fique et pro­to­co­li­sée, que les méde­cins ne consacrent pas assez de temps et d’écoute à leurs patients. Pour autant, ils com­prennent que les solu­tions sont com­plexes en par­ti­cu­lier du fait du manque de méde­cins. La méde­cine tra­di­tion­nelle ne leur semble pas ou plus répondre à la tota­li­té des besoins des patient·e·s. La socié­té dans son ensemble remet plus faci­le­ment en cause cer­taines ins­ti­tu­tions et expert·e·s dont la méde­cine et les méde­cins. Les étudiant·e·s consi­dèrent aus­si que les nou­veaux médias favo­risent l’accès aux PNCS, en par­ti­cu­lier par l’accès sans filtre aux diverses pra­tiques de soin. Certain·e·s consi­dèrent aus­si exces­sives les cri­tiques infon­dées sur les réseaux sociaux. Iels ont conscience que les patients veulent être pris en charge dans leur glo­ba­li­té. Iels notent que la ratio­na­li­té n’entre pas néces­sai­re­ment dans la demande de soins.

Les risques des PNCS :

Le risque prin­ci­pal évo­qué par les étudiant·e·s est le retard de mise en place de soins effi­caces et donc la perte de chances pour le/la patient·e.

Iels sont moins sen­sibles au risque de dérives sec­taires. C’est pour­quoi les animateur·trice·s leur pré­sentent divers outils que peu connaissent :

CONCLUSION

Plu­sieurs pistes de conclu­sion se des­sinent :

  • Res­pec­ter les opi­nions et les choix des patient·e·s tout en conser­vant une éthique offi­ci­nale (pas de perte de chances pour le patient), en ten­tant d’évaluer et de pré­ve­nir les risques liées aux PNCS
  • Conju­guer esprit scien­ti­fique et prise en charge per­son­na­li­sée
  • Dif­fé­ren­cier « conseiller une pra­tique » avec « infor­mer sur l’existence de pra­tiques sans les cau­tion­ner »
  • Dis­tin­guer « effi­ca­ci­té prou­vée » et « effi­ca­ci­té res­sen­tie » d’un trai­te­ment
  • Les étudiant·e·s quittent l’ED en remer­ciant les deux animateur·trice·s de ces ED ouvrant à la réflexion et au débat sur des sujets concrets du tra­vail offi­ci­nal, ED où iels ont le sen­ti­ment d’être traité·e·s en adultes et futurs professionnel·le·s de san­té res­pon­sables

La joyeuse pro­mo

Natha­lie Dilé et Jean-Louis Laf­filhe

Pour toute info com­plé­men­taire : jeanlouis.laffilhe@gmail.com

Annexe 1 : échelle de Likert du débat mou­vant – détail à télé­char­ger

Annexe 2 : résul­tats d’une enquête de satis­fac­tion réa­li­sée auprès des étudiant·e·s (27 réponses sur 36 per­sonnes soit 75% de par­ti­ci­pa­tion)

Annexe 3 : ana­lyse des points forts de l’ED :

    •  10 étudiant·e·s citent spon­ta­né­ment le débat mou­vant
    • 17 étudiant·e·s citent plus géné­ra­le­ment la qua­li­té des échanges, la faci­li­té d’expression, la dis­cus­sion libre et ouverte, l’écoute mutuelle.

Annexe 4 : liste des argu­ments enten­dus lors du débat mou­vant du 13 novembre 2024 :

• Pen­dant les études de phar­ma­cie, il y aurait bien d’autres connais­sances plus utiles à acqué­rir que celles de l’homéopathie. Inutile de perdre des heures à une dis­ci­pline sans fon­de­ment scien­ti­fique.
• Les médi­ca­ments homéo­pa­thiques font par­tie du mono­pole phar­ma­ceu­tique, il est indis­pen­sable d’apprendre à les connaître.
• Il vaut mieux que ce soient des phar­ma­ciens qui four­nissent l’information plu­tôt que les patients cherchent sur inter­net.
• Être inca­pable de four­nir des expli­ca­tions aux patients est irres­pec­tueux pour eux.
• Nous pour­rions étu­dier sim­ple­ment une tren­taine de souches, les plus cou­rantes et utiles.
• La facul­té n’a pas voca­tion à nous for­mer sur une dis­ci­pline dont l’activité se résume à celle d’un pla­ce­bo.
• Pour­quoi se for­mer à l’homéopathie alors que les patients peuvent trou­ver les conseils en ligne.
• A quoi bon se for­mer à apprendre des souches puisqu’on peut don­ner n’importe quel tube au hasard, l’effet n’est que pla­ce­bo.
• En quelques heures seule­ment, nous pour­rions rece­voir une for­ma­tion élé­men­taire à l’homéopathie
• Je me refuse à apprendre des notions sans recon­nais­sance scien­ti­fique
• A l’officine, je ne conseille ni ne dis­pense les ordon­nances homéo­pa­thiques.
• Dans cer­taines situa­tions (chez les enfants par exemple), le conseil homéo­pa­thique est adap­té.
• Je suis pour la for­ma­tion à l’université car il est incon­ce­vable pour moi d’en savoir moins que les patients
• Je suis pour la for­ma­tion à l’université car il est néces­saire d’avoir une for­ma­tion pour déli­vrer un « conseil appro­prié »
• Je suis pour la for­ma­tion à l’université car il est néces­saire d’acquérir une « com­pé­tence » en homéo­pa­thie pour la dis­pen­ser
• Je suis pour la for­ma­tion à l’université car il s’agit d’un médi­ca­ment
• Je suis contre la for­ma­tion à l’université car je ne sais pas défi­nir un conseil appro­prié en homéo­pa­thie (ND)
• Je suis contre une for­ma­tion à l’université car je ne sais pas défi­nir une com­pé­tence en homéo­pa­thie (ND)
• Je remets en ques­tion la cau­tion que donne l’université à l’enseignement d’homéopathie que j’ai sui­vi (JLL)

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