Pourquoi cet intérêt semi-savant, semi-malsain ?
Est-ce parce que, petit j’avais été choqué qu’on soupçonne les Tsiganes du vol de bijoux (alors qu’il s’agissait de pies — clin d’œil au « Nid de pie », podcast de la copine Agatha McPie).
Parce qu’un soir de pleine lune de mars 1995, un Manouche avait failli me filer son opinel près de l’étang dans le parc des Ulis ?
Parce que je suis captivé depuis tout petit par le monde forain, les ferrailleurs, les affûteurs de lame et les vanniers et les diseuses de bonne aventure ? J’ai eu beau serrer la pogne d’un bulibasha en Roumanie, regarder tous les films de Tony Gatlif « Mange tes morts : tu ne diras point » de Jean-Paul Hue, j’ai eu beau me trémousser sur la musique du mi-yéniche Stephan Eicher et claquer mon argent de poche dans les tirettes lors des foires, s’était créé dans ma tête une bouillie informe, une vraie potée tzigane, un fatras de représentations plus ou moins foireuse sur des mondes pourtant très disparates : Yéniches, Gypsies, Sinté, Manouches, Tsiganes, Kalés, Boyashs, Roms, Gitans, Voyageurs, Nomades, Romanichels, Bohémiens, Égyptiens… Un gros paquet mal ficelé.
Heureusement, il y a 10 ans, j’avais découvert les travaux de l’historienne Henriette Asséo, professeure à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), qui firent l’effet un courant d’air frais dans mes représentations sociales. Je l’avais découverte dans Là-bas si j’y suis, sur France Inter le 5 octobre 2012 (j’ai gardé l’extrait ici), et j’avais entre autres appris que non, les Tsiganes ne sont pas des nomades, ni une ethnie sans attache nationale (j’en avais fait un article).
Et ces jours-ci, je me suis mis dans les oreilles deux trucs.
D’abord l’émission du 18 mai « Aux Saintes-Maries-de-la-Mer, la mairie contre les Gens du Voyage », dans les enjeux territoriaux, sur France Culture, qui m’a passablement remué (il y a eu des manifestations là-bas la semaine dernière). Et puis le cycle de LSD La Série documentaire sur France Culture, par Perrine Kervran, réalisé par Gaël Gillon. Quatre épisodes qui m’ont démontré que le seul lieu commun, finalement, de tous ces groupes sociaux, c’est l’anti-tsiganisme. Et qui m’ont rappelé des choses révoltantes (sur les carnets anthropométriques, sur les zones d’accueil des « Gens du voyage », sur les épouvantables camps, etc.) et appris des choses étonnantes (pour moi), comme le fait que jusqu’à la Fronde, les « Bohémiens » composaient les armées privées de la noblesse française. Henriette Asséo le dit : « Il faut complètement inverser la problématique qui est partagée malheureusement par beaucoup de personnes bien intentionnées, sur l’idée que les Tsiganes formeraient un peuple dont l’identité serait articulée sur un nomadisme ontologique ».
Dans ces émissions, il y a outre Henriette Asséo de nombreuses voix, dont William Acker, délégué général de l’association nationale des gens du voyage citoyens (ANGVC), qui réalise un gros travail sur les réseaux, Saimir Mile et Dylan Schutt, militants de la Voix des Rroms, Émile Scheitz, fondateur de l’association familiale des gens du voyage d’Île-de-France, Sasha Zanco, dinandier et président de l’association Tchatchipen, Nelly Debart, foraine et présidente de l’association nationale des gens du voyage citoyens, Michel Soulès, maire de Berriac, Stephane Rheinardt, historien amateur, Renardo Lorier, la voix de Raymond Gurème résistant et ancien interné, et les académiques Yoanna Rubbio, Jules Admant, Yann Rodier, Théophile Leroy, Lise Foisneau, Laure Mouchard, Mickael Guérin, et Julia Ferloni, commissaire de l’exposition Barvalo au Mucem, le musée de Marseille.
Au fait, entre 2015 et 2017, le Musée Dauphinois, à Grenoble, avait fait une superbe expo « Tisganes, la vie de Bohème ? », je me demande où ce fond traîne ses guêtres.
ADDENDUM :
Et vous, avez-vous eu un petit camp d’internement de « nomades » dans votre région ? (voir ici la liste longue comme un jour sans pain). Moi oui
– Fort Barraux (38)
– Crest (26) (le plus vieux, 1915–1919).
Pour la petite histoire : j’ai appris pour Crest un jour, en 2003, me trémoussant lors d’un festoche de gauchistes. Un libraire incroyable, hirsute et expéditif, qui virait les clients qui lui demandaient des auteurs « de merde », m’a dit de manière sèche : « là où tu danses, il y a pas 100 ans, c’était un camp d’internement ». Ça calme. Je n’ai plus dansé pareil, après.
RIP Michel Anseaume, décédé en 2011, Librairie du port, alors qu’il n’y a pas de port. J’ai encore une carte postale de lui et quelques livres de poésie. Il avait cofondé une maison d’édition, « les ennemis de paterne berrichon ».
Y a des gens qui se rappellent de cet homme ?
Dédicace de ce petit billet à Mireille Vivant.
Avez-vous la possibilité de me suivre ? Je suis sur Médiapart, blog Romstorie, sur Twitter et sur Facebook, sous mon nom dans ces trois médias. Je vous remercie. Jacques Debot
je vais vous trouver. Avec plaisir