Oli­vier est la dou­blure d’A­le­san­der Vol­ka­novs­ki à l’UFC

Mon ami Oli­vier Dufour (qu’on a déjà pu lire ici sur le recy­clage) s’est pété le bras en VTT il y a quelques semaines. Alors il se venge sur les livres, en dévo­rant du papier, tel le plus vorace des lépismes (1).

Cet après-midi, il m’a écrit ceci, que je par­tage parce que voi­là, c »est beau et que ça repose sur le tra­vail d’un type très culti­vé, qui rend le monde plus beau et qui chaque fois me dépanne quand des étudiant·es ont besoin.

Hier après-midi, j’ai mis le nez dehors au der­nier rayon de soleil. La végé­ta­tion était dense et bien verte. Inutile d’ar­ro­ser, les micro­pores sont rem­plis d’eau, on est loin du point de flé­tris­se­ment réver­sible. De toute façon, arro­ser avec de l’eau du robi­net déjà riche en miné­raux, c’est favo­ri­ser la sali­ni­sa­tion.

À peine ai-je chaus­sé mes bas­kets pour une pro­me­nade canine qu’il se met à pleu­voir. Comme tu l’i­ma­gines, j’ai sen­ti le pétri­chor (2), cette odeur carac­té­ris­tique de l’a­près pluie et com­po­sée en par­tie de géos­mine : une matière qu’on doit aux cya­no­bac­té­ries et acti­no­bac­té­ries lors­qu’elles pro­duisent des spores.

Juste au-des­sus de la mai­son, je tra­verse des flaques de boue, assez bru­nies et troubles, sur­tout après que mon imbé­cile de chien s’y soit rou­lé dedans. Ces flaques doivent leur tur­bi­di­té aux col­loïdes, de petits sédi­ments qui regroupent argiles miné­ra­lo­giques et matières orga­niques infé­rieures à 2 mil­lièmes de mm et tous char­gés néga­ti­ve­ment si bien qu’ils repoussent. La gra­vi­té est impuis­sante et les laisse en sus­pen­sion per­ma­nente.

D’ailleurs lors­qu’un fleuve approche de la mer, à mesure que la concen­tra­tion en sels miné­raux aug­mente, les col­loïdes char­gés néga­ti­ve­ment flo­culent avec les charges posi­tives, notam­ment les Na+, et forment la vase. Les col­loïdes flo­cu­lés [de ta mère, NdRi­chard] avec les miné­raux sont la fer­ti­li­té du sol. C’est pour cela qu’on pêche près des côtes, la vie mari­time se nour­rit essentiellement…de notre sol.

Si tu voies de la boue quelque part, c’est sou­vent signe d’une terre dés­équi­li­brée. Alors, équi­li­bré pour un sol, d’un point de vue miné­ra­lo­gique, ça veut dire un mélange :

- de sables, plu­tôt gros, qui laissent place à l’oxy­gène afin que la matière vivante puisse res­pi­rer,

- de limons plus fins et pro­pices à l’é­ro­sion et à la libé­ra­tion des miné­raux,

- et enfin d’ar­giles, encore plus fins mais eux très stables et sur­tout liant.

La pro­chaine fois que tu donnes un anti­diar­rhéique à tes enfants, regarde la com­po­si­tion, il se pour­rait bien que ce soit de la smec­tite dio­ca­thé­dral, ou dios­mec­tite (nom géné­rique du Smec­ta©), un phyl­lo­si­li­cate qui a cette pro­prié­té agglo­mé­rante.

Mais repre­nons la bal­lade. Alors que je tra­verse la forêt, le sol y est presque noir et tranche avec mes lacets jaune-orange. Ce sol est tel­le­ment riche d’élé­ments dif­fé­rents et fins que cha­cun absorbe une lon­gueur d’onde qui lui est propre et confère à l’en­semble une cou­leur sombre. L’eau qui s’é­coule et y est plu­tôt claire. Ici, pas d’hémor­ra­gie pédo­lo­gique, les col­loïdes y sont bien gar­dés. À la dif­fé­rence d’un sol agri­cole, il n’est pas pri­vé de sa matière orga­nique. Elle est décom­po­sée en par­tie par des arthro­podes, puis par des vers ané­ciques, les longs vers de terre, et enfin elle fini­ra miné­ra­li­sée lors d’une lutte sans mer­ci entre cham­pi­gnons et bac­té­ries.

Parce que tu vois, lors­qu’ils ont à bec­ter, les cham­pi­gnons ne peuvent pas s’en­fuir sur une branche comme le ferait le léo­pard avec son anti­lope. Pour se débar­ras­ser de leur prin­ci­pal concur­rent, les bac­té­ries, ils ont déve­lop­pé des armes redou­tables qui nous sont bien utiles, à nous humains : les anti­bio­tiques.

D’ailleurs si labou­rer un champ est une mau­vaise idée, c’est en par­tie parce qu’on casse le mycé­lium favo­ri­sant ain­si le déve­lop­pe­ment des bac­té­ries.

L’é­co­buage et le brû­lis sont inté­res­sants parce qu’ils miné­ra­lisent la matière orga­nique mais sans elle les miné­raux ne sont pas rete­nus par le sol.

Sur le retour, alors que le soleil se couche, je prends le che­min qui sur­plombe le cime­tière et j’y découvre d’é­tranges lumières. Tu connais sûre­ment l’his­toire. Les hydro­gènes phos­pho­rés des cadavres, très instables en pré­sence de dioxy­gène, enflamment le méthane et expliquent les feux fol­lets dans les cime­tières anoxiques. Ce n’est pas vrai pour tous les cime­tières, seule­ment les très humides, pauvres en oxy­gène, dans les­quels la matière orga­nique pro­duit du méthane.(3)

Bien­tôt arri­vé à la mai­son, je m’ar­rête sur un petit ébou­le­ment de pierres pour refaire une énième fois ces sata­nés lacets. Sur ces pierres, de petites cavi­tés gris fon­cées, puis vertes si je les gratte un peu. Là où l’eau ruis­selle, se déve­loppent les pre­mières bac­té­ries pho­to­syn­thé­tiques. Il n’y a rien à man­ger mais elles n’ont besoin que d’a­mour, d’eau fraîche et de soleil. Puis viennent d’autres orga­nismes pour para­si­ter ou man­ger les pre­miers. C’est le cas des bac­té­ries non pho­to­syn­thé­tiques et des cham­pi­gnons. Cette com­mu­nau­té d’or­ga­nismes se déve­loppe et s’ac­croche aux inter­stices de la roche, exac­te­ment comme sur les joints de nos salles de bains ou sur nos dents, elle forme ce qu’on appelle un bio­film. À mesure que ce bio­film s’é­pais­sit, viennent les pre­miers lichens, tu sais ce cham­pi­gnon qui vit en sym­biose avec une algue. Après les lichens, la mousse, les plantes, les arbres, les feuilles qui tombent et on com­mence le cycle de la forêt.

Sans ce bio­film, toi et moi, on serait en train de man­ger des cailloux et on aurait déve­lop­pé une salive suf­fi­sam­ment acide pour atta­quer la roche-mère qui serait res­tée nue.

Ce que je te raconte, c’est…l’origine du monde. Rien que ça. Et c’est le titre du bou­quin de Marc-André Selosse que je viens de ter­mi­ner.

Comme c’est à toi que je dois la décou­verte de Marc-André Selosse, je te devais bien cette petite his­toire. L’o­ri­gine du monde, c’est un peu plus de 400 pages pas­sion­nantes, mille fois plus riches que ma balade en forêt ».

Oli­vier « sen­seï » Dufour

Le bou­quin en ques­tion : L’Origine du monde : une his­toire natu­relle du sol à l’intention de ceux qui le pié­tinent, Arles, Actes Sud,

Son auteur est Marc-André Selosse, pro­fes­seur au Muséum d’his­toire natu­relle de Paris (et contri­bu­teur de la revue Espèces, dans laquelle j’ai une rubrique). Pour le décou­vrir, rien de tel que cet épi­sode n°419 de 2020 dans Pod­cast science, « Quand l’intelligence cache la plante ».

 

NOTES

(1) Le lépisme, ou pois­son d’argent Lepis­ma sac­cha­ri­na). Vous en avez déjà vu, il bouffe le papier des livres, et il est très (Marc-André) véloce. J’ap­prends à l’instant que l’ordre dans lequel je les ran­geais (les Thy­sa­noures – je suis médiocre en insectes mais je trouve ça char­mant ce nom alors je  m’en rap­pelle) a été dis­sous. On dit main­te­nant Zygen­tomes, je ne vais jamais m’en rap­pe­ler.

(2) Le pétri­chor. J’en avais par­lé , il y a deux ans, lors du décès bru­tal d’un bien brave homme qui me manque.

(3) Tu bluffes, je ne te crois pas, la phos­phine et la diphos­phine qui viennent de la décom­po­si­tion des cadavres ne s’é­chappent plus aus­si faci­le­ment, du fait des housses mor­tuaires et des cer­cueils. Et ton cime­tière, à flanc de char­treuse, n’est pas anoxique, c’est-à-dire suf­fi­sam­ment humide pour être appau­vri en dioxy­gène dis­sous, et donc pro­pice aux bac­touses anaé­ro­bies. Si tu vois des boules de lumière, c’est que tu as mar­ché trop vite !

 

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