Oli­vier Dufour est un ami. C’est l’un des rares à m’avoir mar­te­lé au sens propre la tronche en dis­cu­tant de poli­tique afri­caine, dans des entraî­ne­ments épiques de kick­boxing. Aujourd’hui il a résu­mé un bou­quin que je venais de lire, et mieux que je ne l’aurai fait. Donc je lui cède la place.

Res­pect, sen­seï.

 

Ami recy­cleur, amie recy­cleuse, tu penses cer­tai­ne­ment comme moi qu’en dépo­sant une bou­teille plas­tique, déco­rée par le tri­angle de Möbius (les trois petites flèches, voir ci-contre) dans une pou­belle « recy­clage »,

- elle sera ache­mi­née dans un centre de tri,

- iden­ti­fiée comme un embal­lage PEHD (poly­éthy­lène haute den­si­té) recy­clable,

- qu’un pro­cé­dé de recy­clage existe

- et qu’une filière indus­trielle adap­tée va trans­for­mer cet embal­lage en une nou­velle bou­teille du même type,

- le tout dans une éco­no­mie par­fai­te­ment cir­cu­laire qui ren­dra hon­neur au mathé­ma­ti­cien August Fer­di­nand Möbius (1780–1868) et sau­ve­ra un petit bout de la pla­nète.

Sachant que rien n’est jamais par­fait, tu te dis comme moi que de toute façon tu payes une éco-contri­bu­tion qui finance un éco-orga­nisme, lequel dis­tri­bue des bonus/malus aux indus­triels qui orga­nisent la filière du recy­clage  le fameux prin­cipe de la REP, res­pon­sa­bi­li­té élar­gie du pro­duc­teur1 ; et que si ta bou­teille n’est pas recy­clée, le met­teur sur le mar­ché est répri­mé d’un mon­tant qui le dis­sua­de­ra à jamais de reten­ter l’expérience.

Dans les faits, recy­clable n’est pas recy­clé. Loin s’en faut ! C’est là que le livre de Flore Ber­lin­gen, Recy­clage, le grand enfu­mage, sous-titré Com­ment l’é­co­no­mie cir­cu­laire est deve­nue l’a­li­bi du jetable et paru cette année Rue de l’échiquier, vient mettre les points (verts) sur les i.

Les filières de recy­clage sont des struc­tures indus­trielles comme les autres, qui délo­ca­lisent leur acti­vi­té pour béné­fi­cier entre autres d’un moindre coût sala­rial, afin d’assurer leur ren­ta­bi­li­té. La Chine, qui rece­vait jadis les déchets euro­péens, les refuse depuis 2017, faute de qua­li­té suf­fi­sante. Ce sont désor­mais la Malai­sie et la Thaï­lande qui s’y collent. Ma bou­teille fini­ra très pro­ba­ble­ment dans une décharge à ciel ouvert sur une plage malai­sienne, peut-être même sur mon site de plon­gée pré­fé­ré, ou man­gée par une mignonne tor­tue.

Bon, si j’ai de la chance, ma bou­teille est recy­clée loca­le­ment. Mal­heu­reu­se­ment, elle n’est pas en PEHD comme on l’imaginait mais en PET (poly­éthy­lène téréph­ta­late) « opa­ci­fié » à l’aide d’un oxyde de titane qui le rend… non recy­clable, faute de pro­cé­dé exis­tant pour le sépa­rer de l’oxyde. Ma bou­teille fini­ra, au mieux, trans­for­mée en plas­tique bas de gamme dif­fé­rent de son usage d’origine. Dit autre­ment : « décy­clée ».

Cré­dit Zéro­WasteCré­dit Que choisr

Si un pro­cé­dé de recy­clage n’est pas encore au point, c’est que l’innovation est plus rapide dans la filière de pro­duc­tion que dans la filière de recy­clage. Heu­reu­se­ment les éco-orga­nismes veillent et sanc­tionnent… Ou pas ! Car les adhé­rents des éco-orga­nismes sont…. Les citoyens ? Mais non, ce sont les indus­triels, Coca-Cola, Nest­lé… dont la carac­té­ris­tique pre­mière n’est pas l’autopunition. Il s’agit là d’un cas d’école de lien d’intérêt, l’an­ti­chambre du conflit d’in­té­rêt.

Espé­rons que les malus seront plus consé­quents lorsqu’ils seront à la seule main publique de l’ADEME, l’A­gence de la tran­si­tion éco­lo­gique2. En atten­dant, tu pour­ras obser­ver les éco-orga­nismes inves­tir dans la com­mu­ni­ca­tion et s’engager sur des actions impos­sibles à véri­fier, à hori­zon suf­fi­sam­ment proche et suf­fi­sam­ment loin­tain. Ces cam­pagnes de publi­ci­té seront tou­jours déduc­tibles des impôts, l’occasion de dépri­ver le denier public, en fai­sant de la publi­ci­té gra­tui­te­ment pour leur marque et ma fameuse bou­teille en plas­tique « recy­clable ». La popu­la­tion l’a deux fois dans l’os.

En bonus : le prin­ci­pal éco-orga­nisme, Citéo (ancien­ne­ment Eco-embal­lages) s’est fait épin­gler par la Cour des comptes, en 2016 pour rému­né­ra­tion indé­cente de ses diri­geants et pour avoir pla­cé 283 mil­lions sur des fonds spé­cu­la­tifs et dans des para­dis fis­caux.

Recy­cler, c’est construire, trans­por­ter, trans­for­mer… C’est consom­mer éner­gie et matière. L’unique déchet 100% recy­clable est celui que je ne pro­duis pas. Ou que je ré-emploie, que je répare, que je com­poste…réduire la consommation de biens, réutiliser et réparer tout ce qui peut l'être, recycler tout ce qui ne peut pas être réutilisé, et composter tous les déchets organiques (rot en anglais).">3 Le reste, ne rêvons pas, ter­mi­ne­ra son cycle à la mer, ou inci­né­ré dans un pays pauvre, bien caché der­rière le site tou­ris­tique que je visi­te­rai lors de mes pro­chaines vacances au soleil.

Oli­vier Dufour


Quelques élé­ments en vrac, sans embal­lage.

  • Comme nous, tu pen­sais sûre­ment que le point vert pré­sent sur cer­tains embal­lages était un gage de « recy­cla­bli­li­té » ? Raté. ça ne dit rien sur le pro­duit, juste que le met­teur sur le mar­ché s’est acquit­té de son petit écot. D’ailleurs, Citéo ne tarit pas d’ef­forts pour empê­cher son rem­pla­ce­ment et entre­te­nir la confu­sion avec le ruban de Mobïus.

 

  • Les chiffres, soi-disant encou­ra­geants, d’une forte pro­gres­sion des filières de recy­clage sont « en car­ton ». Ils suivent sen­si­ble­ment la forte crois­sance de la pro­duc­tion indus­trielle, avec un taux de recy­clage à peu près constant. Pire, le verre, rem­pla­cé par dif­fé­rents plas­tiques beau­coup plus légers, dope des sta­tis­tiques basées sur le poids. « Si on mesu­rait l’efficacité du tri sur la base du nombre d’emballages mis sur le mar­ché et non sur leur poids, écrit Flore Ber­lin­gen page 39, le taux serait ridi­cu­le­ment bas ».

 

  • Les mon­tants ver­sés par les éco-orga­nismes ne suf­fisent pas à cou­vrir les coûts de col­lecte et de trai­te­ment, qui eux relèvent des deniers des col­lec­ti­vi­tés locales. En tri­ant, nous sommes deve­nus les chif­fon­niers gra­cieux d’industriels lucra­tifs et d’éco-organismes à but non-lucra­tif certes mais dont cer­tains direc­teurs géné­raux se gavent cor­rec­te­ment. Via les filières REP, les entre­prises, ne contri­buent qu’à 5% du coût de la ges­tion des déchets. Et c’est là qu’on rigole ! Le décret pré­ci­sant le fonc­tion­ne­ment, les mis­sions et la com­po­si­tion de la com­mis­sion inter-filières de res­pon­sa­bi­li­té élar­gie des pro­duc­teurs est paru ce 14 octobre 2020. Elle est res­treinte à 25 membres, nom­més pour trois ans : la pré­sence des entre­prises et des asso­cia­tions patro­nales y est plus forte que celle des asso­cia­tions de col­lec­ti­vi­tés spé­cia­li­sées dans le domaine des déchets, sans par­ler des assos de consom­ma­teurs.

 

  • Non content d’entretenir la confu­sion avec son point vert, Citéo fait cam­pagne en 2019 : « vous triez, nous recy­clons ». D’une part c’est faux, tout n’est pas recy­clable, loin de là. D’autre part, on s’attendrait de la part d’un éco-orga­nisme à une petite injonc­tion à moins pro­duire de déchets et donc d’emballages. Mais voi­là, les admi­nis­tra­teurs de Citéo sont des indus­triels Lac­ta­lisCoca-ColaNest­léAuchanCar­re­four, Évian…et ils veulent de la crois­sance. Verte, si pos­sible, his­toire de mettre une belle pres­sion morale aux uti­li­sa­teurs, qui comme de gen­tils coli­bris4 se démènent, pen­dant qu’on laisse les indus­triels déver­ser tran­quille­ment leurs ton­nages de plas­tiques et de car­tons dans les rayons. En 2018, Citéo ira même jusqu’à cosi­gner une note de posi­tion aux dépu­tés euro­péens contre l’interdiction des pro­duits jetables aux côtés d’industries plas­tique…. Je me pince pour relire ce que je viens d’écrire.

 

  • En 2017, Head and Shoul­ders (du groupe Proc­ter & Gamble) fabrique 150 000 bou­teilles de sham­pooing à par­tir de déchets plas­tique ramas­sés sur les plages. Et là, on dit bra­vo ! Mais ces 150 000 bou­teilles n’étaient qu’un coup esti­val, et éclipsent les 500 mil­lions écou­lées chaque année en Europe.

Moi, avec Head & shoul­ders, je me green­wash les che­veux

 

  • Nous recom­man­dons l’article de Gré­goire Cha­mayou Eh bien recy­clez main­te­nant ! dans le Monde Diplo­ma­tique de février 2019. On y apprend com­ment la Conti­nen­tal Can Com­pa­ny, com­pa­gnie des can­nettes jetables va sciem­ment tor­piller la consigne, culpa­bi­li­ser le citoyen pour qu’il trie et pousse les pou­voirs publics à construire plus de décharges avec ses propres impôts. Et com­ment la publi­ci­té la plus célèbre des Etats-Unis, The Crying Indian (L’in­dien qui pleure), lan­cée par l’ONG Keep Ame­ri­ca Beau­ti­ful, fait preuve, déjà, d’une éton­nante dupli­ci­té. Regar­dons d’a­bord.

Moi, avec Keep Ame­ri­ca Beau­ti­ful, je me green­wash, mais mieux encore, je m’in­dian­wash

Voix off : « La pol­lu­tion, ça com­mence par les gens. Ce sont eux qui peuvent y mettre fin. » Incrus­ta­tion à l’écran : « Keep Ame­ri­ca Beau­ti­ful » (« Faites en sorte que l’Amérique reste belle »). Gré­goire Cha­mayou explique : « L’Indien est la nature. Vous êtes la civi­li­sa­tion. Il est votre mau­vaise conscience. Le subal­terne ne peut pas par­ler, mais ses yeux ouverts le font pour sa bouche fer­mée. Cette Amé­rique vir­gi­nale, anté­rieure à la colo­ni­sa­tion, celle qui a été souillée, dévas­tée, géno­ci­dée, vous conti­nuez à la bles­ser, et elle vous en fait le reproche muet. Puis vient le slo­gan. La cause de la pol­lu­tion, c’est vous. Le remède, par consé­quent, c’est encore vous. Tout est entre vos mains. Votre culpa­bi­li­té, vous pou­vez vous en sou­la­ger. Il vous suf­fit de chan­ger de conduite. » Nous nageons la brasse du coli­bri. Mais ce n’est pas tout. Keep Ame­ri­ca Beau­ti­ful fut fon­dée en 1953 par The Ame­ri­can Can Co. et The Owens-Illi­nois Glass Co., et regrou­pa pro­gres­si­ve­ment des indus­tries de l’embouteillage et de l’emballage, qui œuvrèrent pour la fin des consignes de verre et le tout plas­tique. Cette réclame est le pre­mier cas docu­men­té de green­wa­shing, ou éco­blan­chi­ment, ou ver­dis­sage, pro­cé­dé de mar­ke­ting ou de rela­tions publiques uti­li­sé dans le but de se don­ner une image fac­tice de res­pon­sa­bi­li­té éco­lo­gique trom­peuse.

Et comble de l’his­toire ? On décou­vri­ra bien tard qu’I­ron Eyes Cody, qui incar­nait l’in­dien triste, était à l’é­tat civil Espe­ra Oscar de Cor­ti, des­cen­dant d’i­ta­lo-amé­ri­cains. Il n »avait rien d’in­dien…

 

  • La REP, res­pon­sa­bi­li­té élar­gie du pro­duc­teur, est de l’initiative d’Antoine Riboud, alors pré­sident de BSN (futur groupe Danone) et de Jean-Louis Bef­fa, pré­sident de l’époque de Saint-Gobain. Ça aurait dû nous faire tilt, non ? J’ai mis long­temps à piger qu’aller dépo­ser mes bou­teilles de verre était un acte civique, mais qui deve­nait du tra­vail gra­tuit pour des entre­prises peu scru­pu­leuses qui ne rendent rien en terme de ser­vice public. C’est un copain en 2007 qui m’avait fait la remarque, et j’avais occul­té.

 

  • Autre sou­ve­nir occul­té : le direc­teur de l’entreprise Papi­ralp (qui n’existe plus aujourd’hui, sniff) m’avait jadis chu­cho­té que s’il exis­tait de bonnes âmes pour mettre son papier à recy­cler, il y en avait beau­coup moins… pour l’acheter. Le « coli­brisme » doit avoir ses limites. D’ailleurs, me revient ma ten­ta­tive infruc­tueuse de pro­po­ser à mon uni­ver­si­té de n’acheter que du papier recy­clé (on m’avait oppo­sé l’argument faux que le papier recy­clé ferait plan­ter les pho­to­co­pieuses).

 

 

Mer­ci à Oli­vier d’avoir relu et agré­men­té ces points.

 

 

 

Notes

  1. La REP existe dans la loi depuis 1975, codi­fiée dans l’article L.541–10 du Code de l’environnement. Il y a 14 filières : piles et accu­mu­la­teurs, tex­tiles et chaus­sures, équi­pe­ments élec­triques et élec­tro­niques, véhi­cules, embal­lages ména­gers, médi­ca­ments, pneus, pro­duits chi­miques ména­gers, meubles, bou­teilles de gaz, bateaux, objets per­fo­rants des patients en auto-trai­te­ment, fluides fri­go­ri­gènes.
  2. éta­blis­se­ment public sous la tutelle du minis­tère de la Tran­si­tion éco­lo­gique et du minis­tère de l’Enseignement supé­rieur, de la Recherche et de l’Innovation.
  3. C’est ce qu’on appelle cou­ram­ment la règle des 5 R, inven­tée par la blo­gueuse Béa John­son, qui a publié aux Arènes en 2013 le célèbre Zéro déchet, com­ment j’ai réa­li­sé 40 % d’é­co­no­mie en rédui­sant mes déchets à moins de 1 litre par an. Les 5 R sont : refu­ser tous les pro­duits à usage unique et pri­vi­lé­gier les achats sans déchet comme le vrac, réduire la consom­ma­tion de biens, réuti­li­ser et répa­rer tout ce qui peut l’être, recy­cler tout ce qui ne peut pas être réuti­li­sé, et com­pos­ter tous les déchets orga­niques (rot en anglais).
  4. À ce sujet, on peut lire Le sys­tème Pierre Rabhi, par Jean-Bap­tiste Malet, Monde diplo­ma­tique, août 2018

3 réponses

  1. Guy M. dit :

    Le com­men­taire est excellent . Il y est dit clai­re­ment que l’on se fout de nous.
    Tout le monde ou presque est dupe de ce que l’on appelle recy­clage .
    il fau­drait lire ou relire  » Tous mani­pu­lés, tous mani­pu­la­teurs  » de J.M. Abgrall .

  2. Cyril G dit :

    Mer­ci beau­coup pour l’ar­ticle. Je suis stu­pé­fait de ce que je viens d’ap­prendre sur le recy­clage des embal­lages. C’est à ce deman­der si, dans le para­digme actuel, l’acte citoyen est fina­le­ment de ne pas recy­cler !

    • Bon­soir, je pense que les seuls actes citoyens me semblent être
      – de faire des dons défi­ca­li­sés aux assos de consom­ma­teurs pour qu’elles puissent peser dans les déci­sions sou­vent opaques au niveau euro­péen
      – regar­der / dimi­nuer ce qu’on consomme
      – ne plus pas­ser par les grandes sur­faces (pour cette rai­son et pour d’autres d’ailleurs)
      Trier ou pas, ça ne change pas grand chose. Le seul déchet dont on est sûr qu’il ne sera ni inci­né­ré ni flan­qué à la mer, c’est le déchet qui n’est pas poduit
      Ami­ca­le­ment !

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