Aujourd’­hui, j’ai fait du VTT, j’ai pris une route bitu­mée, et les gouttes ont com­men­cé à tom­ber. Puis j’ai emprun­té un che­min de terre ombra­gé, et là encore, les gouttes com­men­çaient juste à se frayer un pas­sage.

Ça sen­tait par­ti­cu­liè­re­ment bon, dans les deux cas. Et dans les deux cas ça porte un nom : le « pétri­chor » (pro­non­cer pétri­kor).

Le pétri­chor est une sorte d’huile sécré­tée par cer­taines plantes, puis absor­bée par les sols et roches argi­leux pen­dant les périodes sèches. Après la pluie, com­bi­née aux com­po­sés de sédi­ments, elle dégage des com­po­sés orga­niques vola­tils qui sous forme d’aé­ro­sol peuvent être empor­tés loin par les vents, ce qui fait qu’on sent lit­té­ra­le­ment la pluie arri­ver. Ces com­po­sés vont se com­bi­ner avec la géos­mine, déri­vé méthy­lé pro­duit par cer­taines bac­touses – par­don, bac­té­ries – et qui donne son odeur à la terre fraî­che­ment labou­rée ou mouillée après une période sèche. Pétri­chor et géos­mine font l’es­sen­tiel de l’o­deur de la terre juste mouillée, qui reste peu de temps dans l’at­mo­sphère. L’o­deur de la route mouillée par une averse est quant à elle un mélange de pétri­chor, d’o­zone et de com­po­sés aro­ma­tiques poly­cy­cliques du bitume comme les ben­zo­py­rènes, le naph­ta­lène, le pyrène…

Pour­quoi pétri­chor : parce qu’en grec ancien, πέτρα / pétra, c’est la pierre, et ἰχώρ / ikhṓr, c’est le sang des dieux. C’est un mot qui a 57 ans seule­ment. Il a été bri­co­lé en 1964 par deux scien­ti­fiques australien·nes, la chi­miste Isa­bel Joy Bear, décé­dée il y a trois semaines, et le miné­ra­lo­giste Richard G. Tho­mas1. Mais l’o­deur de terre mouillée est dis­cu­tée depuis long­temps, et celui qui avait com­pris l’es­sen­tiel était bri­tan­nique et s’ap­pe­lait Tho­mas Lamb Phip­son2. Phip­son était aus­si incon­nu que vio­lo­niste (et il était très incon­nu).

Je connais un homme qui aimait bien ça, le pétri­chor. Cet homme est mort avant-hier soir. Alors j’at­ten­dais impa­tiem­ment la pluie, pour plan­quer mes lar­miches. Et, du pétri­chor, j’en ai repris deux fois.

Notes

  1. Isa­bel Joy Bear et Rode­rick G. Tho­mas, « Nature of argil­la­ceous odour », Nature, vol. 201, no 4923,‎ mars 1964, p. 993–995, qu’on peut lire ici.
  2. Phip­son, T. L. “The Odor of the Soil after a Sho­wer”. Scien­ti­fic Ame­ri­can. 64 (20): 308, 16 may 1891, qu’on peut lire .

3 réponses

  1. Monvoisin dit :

    On connait des choses, mais très sou­vent, trop sou­vent on ne sait pas les nom­mer et encore moins les décrire ;
    Ça y est, je suis plus ins­truit ..Je vais essayer de trans­mettre ce savoir à celles et ceux qui aiment l’o­deur de la terre mouillée.
    Vive la pluie…et ce qu’elle fait vivre !

  2. André dit :

    Mais il est magni­fique, ce billet ! Mer­ci de m’ap­prendre d’où vient le nom d’une des odeurs que j’aime le plus… Et en plus, il a plu aujourd’­hui, après deux mois d’at­tente !

  3. rolf dit :

    ce mot m’ac­com­pagne depuis des années. J’aime sa sono­ri­té, son odeur, son sens. Je vous sou­haite plein de pétri­chor à venir.

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