Johan­na Spy­ri, l’air un peu sévère.

Johan­na Spy­ri (1827–1901). Bien peu connue hors Suisse, la dame. C’est elle qui a écrit Hei­di, entre 1880 et 1881.

Hei­di pour moi c’é­tait le des­sin ani­mé du stu­dio Zuiyo Eizo1, qui a ber­cé ma prime enfance dans le début des années 80. Réa­li­sé par Isao Taka­ha­ta, qui sera plus tard cofon­da­teur du stu­dio Ghi­bli avec le célèbre Hayao Miya­za­ki.

Quand j’ai com­men­cé à mon­trer la série à ma môme, en 2015, les yeux brouillés de nos­tal­gie, je n’ai pas pu m’empêcher : est-ce une adap­ta­tion proche du roman ? J’a­vais fait le même genre de recherche avec Pinoc­chio, de Car­lo Col­lo­di (même année que Hei­di, 1881) et avec Sans famille de Hec­tor Malot, de 1878 (war­ning : remar­quable, le des­sin ani­mé, mais 100% tra­gique !)

Réponse pour Hei­di ?

Ma foi, oui, ça se tient bien. J’ai d’ailleurs relu ces jours-ci le pre­mier tome, un peu en mode rapide.

Quelques trucs cocasses que j’ai rele­vés.

  • D’a­bord, pour­quoi un ani­mé japo­nais ? Parce qu’en 1969, la chaîne japo­naise Fuji TV lance le pro­jet World Mas­ter­piece Thea­ter, avec l’ob­jec­tif de réa­li­ser en ani­mé des œuvres de la lit­té­ra­ture

    L’é­quipe de Fuji TV, en 1973, avec Taka­ha­ta, Miya­za­ki et d’autres.

    jeu­nesse d’Eu­rope et d’A­mé­rique du Nord : pen­sez à Sans famille, Tom Sawyer, Le petit Faunt­le­roy, Prin­cesse Sarah… La pos­té­ri­té de l’œuvre de Spy­ri doit beau­coup à ce pro­jet.

  • D’ailleurs, au lieu de Hei­di fai­sant le tour du monde, ça a failli être Fifi Brin­da­cier la sué­doise (de son vrai nom Pip­pi Lång­strump, « Pip­pi longues
    Fifi et ses tresses qui la suivent partout.

    Fifi et ses tresses qui la suivent par­tout.

    chaus­settes »). Ça n’au­rait pas été un mau­vais choix, car Pip­pi (par­don ça me fait rire), Fifi est un peu une égé­rie rebelle fémi­niste avant l’heure (du moins dans sa ver­sion ori­gi­nale, la ver­sion fran­çaise étant très asep­ti­sée). Mais sa créa­trice, Astrid Lind­gren, avait refu­sé de trans­po­ser son his­toire en des­sin ani­mé (elle n’ac­cep­te­ra que dans les années 90).

 

  • Je n’a­vais pas fait tilt, ou bien j’a­vais oublié : Hei­di, c’est le dimi­nu­tif d’Adel­heid (Adé­laïde, quoi).

 

  • Le petit che­vrier, lui, s’ap­pelle Peter, et non Pierre. Même plus pré­ci­sé­ment Geis­sen­Pe­ter, « Peter des chèvres ». Le grand-père l’ap­pelle d’ailleurs « géné­ral des chèvres ».

 

  • Le grand-père, on ne sait pas son pré­nom ou alors je n’ai pas vu : il est appe­lé Alp-Öhi, ou dans la pre­mière ver­sion en haut-alle­mand Alm-Öhi, ou Alp-Oheim, lit­té­ra­le­ment « l’oncle (du côté

    Le grand-père bour­ru, la petite, et le lait de chèvre

    de la mère) de l’Alpe ». Ce qu’on apprend dans le roman et qui n’est pas dans la série, c’est pri­mo, qu’il aurait joué (et per­du) l’hé­ri­tage fami­lial, à Dom­les­chg, à 30 km en-des­sous de Maien­feld, le vil­lage du cha­let ; secun­do, il aurait démé­na­gé à Naples, se serait enga­gé dans l’ar­mée, puis aurait tué quel­qu’un ce qui l’au­rait contraint à déser­ter. Cela me le rend d’au­tant plus sym­pa­thique – d’a­voir déser­té, pas d’a­voir tué quel­qu’un. Puis il serait reve­nu tra­vailler avec son fils Tobias. Mais Tobias se tue dans un acci­dent du tra­vail, et son épouse, qui s’ap­pe­lait déjà Adel­heid, maman de Hei­di, meurt de cha­grin. C’est donc la sœur d’A­del­heid, Dete, qui doit s’oc­cu­per de la petite.

 

  • Dete, la tante, passe un peu pour affreuse dans le pre­mier épi­sode, en lar­guant la petite chez le grand-père, alors qu’elle n’est au fond qu’une vic­time de l’exode des popu­la­tions pauvres vers les villes pour trou­ver du tra­vail domes­tique ; exode ampli­fié par les épi­dé­mies de mil­diou qui ont rui­né les cultures de pomme de terre dans les années 1850–1880. D’ailleurs, dans la suite de l’his­toire, Hei­di se retrou­ve­ra elle aus­si à suivre Dete dans une mai­son bour­geoise de Franc­fort, en Alle­magne. Méga-loin ! (près de 500 bornes).

 

  • Ont été reti­rées les scènes reli­gieuses dans la série. Taka­ha­ta et ses col­lègues crai­gnaient que le public japo­nais ne les com­prenne pas. Ose­rais-je dire « tant mieux ? » (mince, je l’ai dit).

 

  • La dou­blure de la voix fran­co­phone de Hei­di est le fait d’Ève Gagnier (1930–1984), qui réus­sit la prouesse de faire une voix de petite de 5 ans à l’âge de 48 ans.
    On l’en­tend chan­ter avec la même voix ici dans Papy de coc­ci­nelle. Ça me fait mar­rer, je ne résiste pas.

 

  • D’ailleurs, tout le dou­blage est qué­be­cois – le grand-père c’é­tait Jean Fon­taine. Ne me deman­dez pas qui double Her­cule le chien – qui d’ailleurs s’ap­pelle Josef dans la ver­sion d’o­ri­gine, m’en­fin bon. Notez que ni le chien (un Saint-Ber­nard), ni Pilou l’oi­seau n’existent dans le roman.

 

  • Trois trucs sur le géné­rique, que j’a­dore : d’une part, je l’ac­cuse de faire croire aux enfants qu’on peut s’al­lon­ger et dor­mir sur les nuages, d’ailleurs j’y ai cru long­temps, et j’ai dû expli­quer à mes mar­mots que ce ne serait pas une bonne idée de faire ça. D’autre part, je n’ai tou­jours pas com­pris pour­quoi il est salo­pé à la fin par un vilain des­sin moche en plan fixe (regar­dez ci-des­sous, à 1 minute 07). Enfin, je ne m’ex­plique pas pour­quoi les noms des réa­li­sa­teurs japo­nais n’apparaissent pas dans le géné­rique de fin, comme à l’ac­cou­tu­mée. Une idée ? Du Swiss-washing ?
  • Théo­ri­que­ment, ça se passe à Maien­feld, can­ton des Gri­sons – juste sous le Liech­ten­stein. Les des­sins des alen­tours sont res­pec­tueux des mon­tagnes locales. Bizarre, c’est non Maien­feld, mais la ville de Walens­tadt, à 23 bornes, qui se pro­clame Hei­di­land en 1997, avec tout le tapage tou­ris­tique pos­sible. Le site tou­ris­tique est . Slo­gan impayable : « là où Hei­di se sent chez elle ». Mais la récu­pé­ra­tion tou­ris­tique n’est pas un pri­vi­lège suisse : la ville de Hoku­to, à 150 km de Tokyo, sur la route de Naga­no, a construit une sorte de vil­lage d’Hei­di, repro­dui­sant dans un parc un cadre typi­que­ment « suisse » (?). Le site est . Il parait qu’on y pré­pare une fon­due au fro­mage suisse… mais adap­tée aux locaux. En gros, le pain de la fon­due y serait rem­pla­cé par des sau­cisses et des légumes. Suisse, ok, mais pas trop.
  • Pour être tout à fait franc, il est pos­sible que Johan­na Spy­ri ait un peu pla­gié, ou disons emprun­té à un auteur bien anté­rieur à elle. En effet un cer­tain Her­mann Adam Von Kamp a écrit en 1830, cin­quante ans plus tôt donc, « Adel­heide – das Mäd­chen vom Alpen­ge­birge », en susb­tance « Adel­heid, la petite fille des mon­tagnes alpines », que je n’ai pas lu. La thèse de l’emprunt pos­sible a été sou­le­vée avec fra­cas en 2010 par un cer­tain Peter O. Bütt­ner, cher­cheur à l’Ins­ti­tut für Jugend­bu­ch­for­schung (insi­tut pour la recherche sur les livres de jeu­nesse) de l’U­ni­ver­si­té de Franc­fort. Le hic pour les Suisses, c’est que Hei­di est le fleu­ron de leur patri­moine natio­nal, alors que Von Kamp, lui était alle­mand. Quel­qu’un disait que c’est un peu comme si on réve­lait que Tom Sawyer était fina­le­ment cana­dien, et Robin des bois fran­çais. Pour vous dire, il est même des gens qui se reven­diquent des­cen­dants du mariage de Hei­di et Peter (comme c’est arri­vé en 1998 dans le quo­ti­dien züri­chois Tages-Anzei­ger). Le scé­na­rio était prêt pour les âmes suisses en peine : un ger­ma­niste alle­mand tente de leur voler Hei­di ! Per­son­nel­le­ment je ne sais pas tran­cher cette contro­verse qui ne mange pas de pain. Bütt­ner a fait un livre sur le sujet inti­tu­lé « Das Ur-Hei­di. Eine Enthül­lung­sges­chichte » (tra­duc­tion mai­son : « La Hei­di ori­gi­nale : his­toire d’une révé­la­tion ») aux édi­tions Insel Büche­rei, 2011, mais je n’en ai lu que des extraits.

 

Voi­là. Je retourne avec ma petite, jouer avec la boite de Play­mo­bil Cha­let de Hei­di. Il y a des entre­prises qui ne perdent pas le nord (ils n’au­ront pas un sou, je l’ai trou­vée d’oc­case).

Notes

  1. アルプスの少女ハイジ, Aru­pu­su no Shō­jo Hai­ji, autre­ment dit « Hei­di, fille des Alpes », 1974

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