J’ai ren­con­tré le poète et jon­gleur Rute­boeuf (1245–1285) en CM1, à Saint-Aigu­lin, Cha­rente mari­time – Saint-Aigu­lin est l’un de ces petits pate­lins pau­més que per­sonne ne connaît même pas Jean-Pierre Per­naut.

Madame Ama­ré, ma maî­tresse que j’a­do­rais nous avait appris La com­plainte Rute­boeuf :  « Que sont mes amis deve­nus… » (réar­ran­gée par Léo Fer­ré plus tard, d’ailleurs, album le Guinche, 1955, Odéon).

Mais dans sa grande bon­té, elle n’a­vait pas choi­si le poème le plus grunge. En voi­ci un, Le dit de l’Her­be­rie, écrit vers 1265 que je viens de lire pour rai­sons, disons… pro­fes­sion­nelles. J’ai cru mou­rir.

Quelques extraits, en fran­çais moderne.

« Sei­gneurs qui êtes venus ici,

petits et grands, jeunes et vieux,

vous avez de la chance,

sachez-le bien.

Je ne cherche pas à vous trom­per :

vous vous en ren­drez très bien compte

avant que je m’en aille.

Asseyez-vous, ne faites pas de bruit,

et écou­tez, si cela ne vous ennuie pas :

je suis méde­cin,

j’ai été dans bien des pays. (…)

j’ai recueilli des herbes

qui ont de grandes ver­tus :

quel que soit le mal sur lequel on les applique,

ce mal s’enfuit.(…)

J’en rap­porte des pierres très pré­cieuses

qui peuvent res­sus­ci­ter un mort (…)

Vous ne savez pas qui vous avez en face de vous ;

tai­sez-vous et asseyez-vous :

voyez mon her­be­rie.

Je vous le dis, par sainte Marie,

ce n’est pas le mar­ché aux puces,

mais des pro­duits de qua­li­té.

J’ai l’herbe qui redresse les bittes

et celle qui rétré­cit les cons

sans peine.

De toute fièvre, sauf la fièvre quarte,

je gué­ris en moins d’une semaine

à coup sûr ;

je gué­ris aus­si de la fis­tule ;

si haute ou si basse qu’elle soit,

je la réduis com­plè­te­ment.

Si la veine du cul vous élance,

je vous en gué­ri­rai sans contes­ta­tion,

et de la rage de dent

je gué­ris très habi­le­ment

avec un petit peu de l’onguent

que je vais vous dire :

écou­tez com­ment je le pré­pa­re­rai ;

je vais vous décrire sa pré­pa­ra­tion sans men­tir,

je ne plai­sante pas.

Pre­nez de la graisse de mar­motte,

de la merde de linotte

le mar­di matin,

de la feuille de plan­tain,

de l’étron de putain,

bien ignoble,

de la pous­sière d’étrille,

de la rouille de fau­cille,

de la laine,

de la balle d’avoine

pilée le pre­mier jour de la semaine,

et vous en ferez

un emplâtre. Avec le jus, lavez

la dent ; met­tez l’emplâtre

sur la joue ;

dor­mez un peu, je vous le conseille :

si au lever il n’y a pas de la merde et de la boue,

Dieu vous confonde ! (…)

C’est comme cela que je vends mes herbes et mes onguents. Celui qui en vou­dra, qu’il en prenne ; celui qui n’en vou­dra pas, qu’il les laisse ! »

 

Texte entier ici.

Rute­boeuf, punk, 700 ans avant les sex pis­tols

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