Tiens, même le grin­cheux Imma­nuel1 Kant l’é­cri­vait :
« La méthode propre de l’enseignement phi­lo­so­phique est la zété­tique, comme l’appelaient quelques anciens (de ζητεῖν), c’est-à-dire l’investigatrice ».
C’est dans « Mélanges de logique », cha­pitre IV Aver­tis­se­ment d’Em­ma­nuel Kant sur l’en­semble de ses leçons pen­dant le semestre d’hi­ver 1765–1766, édi­tion 1862, p 195. La réfé­rence m’a été filée par Hen­ri Broch il y a des années déjà. Je n’ai pas lu ce livre en entier, mais les pages qui entourent ce pas­sage, dont j’ex­trais la par­tie sui­vante. De toute façon, Kant on aime, on ne compte pas.

 

En deux mots : on ne doit pas ensei­gner des pen­sées, mais apprendre à pen­ser ; on ne doit pas por­ter l’élève, mais le conduire si l’on veut qu’à l’avenir il soit en état de mar­cher de lui-même ». (…)Donc pour apprendre la phi­lo­so­phie, il fau­drait avant tout que ce fût une science consti­tuée. Il fau­drait pou­voir pré­sen­ter un livre et dire : voyez, ici est une phi­lo­so­phie et une connais­sance posi­tive ; appre­nez à com­prendre et à rete­nir ce livre ; édi­fiez là-des­sus à l’avenir, et soyez ain­si phi­lo­sophes. Jusqu’à ce qu’on ait mon­tré un sem­blable livre de phi­lo­so­phie, auquel je puisse m’en rap­por­ter, à peu près comme à Polybe pour une cir­cons­tance his­to­rique, ou à Euclide pour m’expliquer une pro­po­si­tion de la théo­rie des quan­ti­tés, on me per­met­tra de dire que c’est abu­ser de la confiance du public, si, au lieu d’étendre l’entendement de la jeu­nesse dont il nous confie l’instruction, et de la for­mer pour une connais­sance propre plus mûre à l’avenir, nous l’abusons par l’appât d’une phi­lo­so­phie toute faite et facile, qui aurait été trou­vée par d’autres pour son plus grand avan­tage ; il en résulte une illu­sion scien­ti­fique, qui n’a cours, comme une mon­naie de bon aloi, qu’en un cer­tain lieu et entre cer­taines gens, mais qui est reje­tée par­tout ailleurs. ; elle ne devient dog­ma­tique, c’est-à-dire déci­sive, que pour une rai­son déjà exer­cée dans dif­fé­rentes par­ties. Aus­si l’auteur phi­lo­so­phique qu’on prend pour base dans l’enseignement, doit être consi­dé­ré, non comme le type du juge­ment, mais seule­ment comme une occa­sion de juger de ce qu’il dit, et même en sens contraire. De même la méthode de réflé­chir et de rai­son­ner par soi-même est ce dont l’élève cherche pro­pre­ment à se rendre capable ; cette apti­tude peut seule lui être utile ; les idées acquises et dog­ma­tiques qui s’y rat­tachent ne doivent être pour lui que des consé­quences for­tuites, en vue des riches super­flus dont il n’a qu’à plan­ter en soi les fécondes racines.

Notes

  1. Il s’ap­pe­lait Imma­nuel, alors pour­quoi fran­cise-t-on son pré­nom ? Mys­tère pour moi, sauf à invo­quer une cer­taine forme de fran­co­cen­trisme lin­guis­tique, qu’on retrouve par exemple sur William of Occam, tra­duit en Guillaume d’Oc­cam et tant d’autres.

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