Je suis toujours étonné de la difficulté de certain·es à parler de leurs revenus. Moi, j’aime bien rendre ça public et transparent.
Je suis parent seul, j’ai deux enfants petits en garde alternée, je suis locataire et je n’ai pas de propriété (sauf un van Mystery Machine et un vélo électrique cargo) et j’ai un CDI contractuel de l’université en tant qu’ingénieur de recherche depuis 10 ans. Je touche de petits droits d’auteur pour des bouquins (dont j’abandonne une partie pour les petites maisons d’édition), et des émissions de radio du service public. J’ai reçu un petit fond d’une association suisse, Naît-Sens, pour faire un bouquin sur la Naissance naturelle, livre que je suis en train de mettre en ligne gracieusement sur wikilivre. Je n’ai aucun lien d’intérêt avec des entreprises. Je suis dans une étude financée par l’Institut national du cancer, mais je ne touche pas d’argent. D’habitude je paye ma cotisation syndicale (à la FSU) mais cette année, ça m’a saoulé, pourtant j’estime qu’en hommage à la loi Waldeck-Rousseau de 1884 si difficilement acquise, c’est presque un devoir moral pour moi. Je vais peut être adhérer cette année au syndicat le plus anarchiste que je trouverai, même si généralement ce genre de syndicat s’oppose à tout mandat, ce qui n’est pas mon cas.
Ayant vécu jusqu’à 37 ans sous le seuil de pauvreté (thèse non financée, vacations, etc.) autant dire que j’ai l’impression d’être un nanti depuis. Alors j’éponge mes scrupules comme je peux. Là je suis en train de remplir mes impôts. Chaque année, je fais des dons, divers, de-ci de-là, parfois raisonnés, parfois moins, en essayant de souscrire à la promesse de don de Giving What We Can de 10 % de mes revenus que m’a fait lire mon ami Albin Guillaud (l’an dernier j’atteignais poussivement 8%).
Les dons « secs », soutiens ponctuels, soutien à frais de procès représentent env. 900e par an, sans compter les financements participatifs pour lesquels j’ai un retour (podcast, émission, soutien à une chaîne, un livre, etc.) Mais il y a aussi les dons défiscalisés : vous donnez 100e, et l’argent public vous rembourse 66 % en crédit d’impôt. Vous me direz, c’est une sorte de niche fiscale, et c’est vrai ! On en débattait avec Nicolas Pinsault (dans notre bouquin « La Sécu, les vautours et moi » en 2017, je vous mets notre débat en ligne, plus bas) et ça soulève des problèmes moraux, mais pour ma part je préfère imaginer que ce que je fais comme don défiscalisé n’ira pas dans du matériel de l’Armée. Je rêve d’une fiche d’impôt où je peux diriger mes impôts vers des thèmes, et décocher ceux que je ne cautionne pas, mais ça n’a pas l’air d’être pour demain.
Pour mes dons raisonnés, je regarde Altruisme efficace France et Givewell, qui évaluent l’efficacité des dons, m’indique les plus efficaces ONG. Dans la liste, j’ai choisi
- Against Malaria Foundation (ptet parce que j’ai eu deux fois la malaria)
- Assiettes Végétales
- Journée mondiale pour la fin de la pêche – question aquatique
Pour mes dons hors « altruisme efficace »
- Planning Familial 38
- Disclose
- Handi-Social
- Framasoft
- La Quadrature du Net
- Wikipédia
(J’ai oublié cette année le Consortium international des journalistes d’investigation, et Grésille, mon hébergeur mail, pardon!)
Au final, j’ai donné sans compter les défiscalisations env. 2500€, sur environ 37500€ de gagnés (un peu moins de 3000 par mois + quelques droits d’auteur). Je suis donc entre 6,5 et 7 % de dons, je ne remplis donc pas la promesse The Pledge to Give à 10 %, et j’ai donné proportionnellement moins que l’an dernier.
Morceau de radin. Dans 10 ans, à ce rythme, je vote républicain*.
* Jamais.
Extrait de notre bouquin
(…)
Et toi, tu en uses, de niches fiscales ?
Oui, je fais des dons. Regarde par exemple : vu qu’on travaille avec des logiciels libres, je fais un don chaque année de 100 euros à Framasoft. Je peux ensuite retirer de mes impôts à payer 66 % du montant. Là, trois façons de voir les choses s’offrent à moi :
— soit je me dis qu’en filant 34 euros, j’ai contraint l’État à rallonger 66 euros, donc je l’ai bien roulé, et c’est Framasoft qui engrange le truc. Là, j’ai tout faux, car ces 66 euros, ce sont des impôts en moins, donc du pique-nique collectif en moins. Au final, c‘est peut-être moi qui en subirai les conséquences parce que le gymnase municipal ou la piscine seront obligés de réduire leurs horaires et que j’aurais l’air fin avec les gamins devant la porte fermée. Peut-être que j’irai même jusqu’à dire « salauds de fonctionnaires », alors que d’une, ils ne sont pas fonctionnaires, et de deux, c’est moi qui ai réduit le pot commun ;
— soit je me dis que je me substitue à l’État, et que je gère mon impôt comme je veux. Par exemple, moi qui suis antimilitariste, je n’ai pas envie de voir mes impôts dépensés dans l’opération Barkhane au Sahel, ou dans des chars en Afghanistan, ou dans l’achat de drones. Alors je dévie cet argent vers des causes, comme celle de Framasoft.
Ça me rappelle Henry David Thoreau, dont j’ai découvert les poèmes dans le film Le Cercle des poètes disparus de Peter Weir en 1989. Il me semble qu’il avait été arrêté pour le même genre de choses, non ?
Thoreau a effectivement été arrêté en 1846 pour avoir refusé de payer six ans d’arriérés d’impôts locaux à un agent de recouvrements. Le motif ? Pas question de payer ses impôts à un État qui admettait l’esclavage et faisait la guerre au Mexique. Mais c’était sans compter sur une de ses tantes, qui contre son gré, paya à sa place. Il fut libéré dès le lendemain.
— soit enfin, troisième façon de voir, je me rends compte que si tout le monde fait pareil, alors la gestion de l’impôt devient privée. Et si je suis content de donner 100 balles à une structure défendant le logiciel libre, alors le millionnaire du coin peut faire pareil, et orienter son blé (en plus grosse quantité que le mien) vers des structures qui vont dans un sens opposé au mien.
Je comprends. Comment tu tranches la question ?
À mon avis, la solution est triple : il faut en priorité se battre pour redonner à l’impôt sa symbolique de repas partagé et collectif et redonner à tout le monde la fierté d’y contribuer. Ensuite, se battre pour que l’État ait une gestion aussi transparente qu’un ruisseau de haute montagne, une gestion consultative aussi de nos impôts.
Enfin, tant qu’elle n’est ni cristalline ni consultative, continuer à orienter ses dons.
Je suis archi d’accord avec les deux premières solutions. En revanche la solution des dons, il y a quelque chose qui pue !
C’est vrai. Elle « contraint » l’État financièrement, en le privant de certaines ressources que j’ai affectées à sa place. Par conséquent, quand bien même un maximum de gens auraient donné à
des associations pour gérer la culture ou l’éducation, il lui reste quoi à l’État ? Payer les flics et faire la guerre ? Ce qu’on appelle la main droite de l’État, en gros armées, police, justice, prison, ce sont des budgets difficilement compressibles, donc l’État n’y touchera pas. C’est donc sur le reste qu’on rogne en guettant la niche fiscale.
Tu sais… si on part là-dedans on y est encore demain matin. Car on pourrait aussi me rétorquer que mon raisonnement ne tient debout que si mes dons aux associations sont suffisamment diversifiés pour couvrir tous les domaines de la vie, si leur gestion est elle-même transparente et consultative, si… sacré chantier. Et on pourrait même se demander pourquoi la main droite est incompressible, pourquoi le budget de l’armée ou de la justice n’est pas soumis au vote. Et on arriverait fatalement à la question de savoir s’il faut défendre un État, et si oui, combien de temps ? On reprendra rendez-vous, alors.
C’est vrai que je n’avais jamais vu les choses sous cet angle…
Parce qu’on ne les montre pas comme ça ! Donc prochaine fois que quelqu’un t’emmerde en te disant que tu te soignes trop (la sempiternelle « bobologie »), en te déclamant des couplets du type : « Ah ben bravo, tu soignes tes dents aux frais de la princesse », tu peux lui dire primo, que la princesse, c’est toi (c’est lui aussi d’ailleurs), puisque c’est le pot commun ; secundo, que si les riches payaient leurs impôts, tout le monde aurait des ratiches en bon état ; tertio, que tu coûtes bien moins cher à l’État que ses interventions militaires dans des pays lointains. Rires et bonne ambiance garantis durant le repas de famille !
Mais c’est un faux dilemme que tu me fais là !
Cet argument est un peu facile a priori. Encore que… Regarde les chiffres : le budget de la Défense 2017 est de 32,7 milliards d’euros et le dernier déficit annuel connu du régime général de
la Sécu (2016), je l’ai déjà dit, n’est que de 3,4 milliards d’euros. À peine 10 %. (…)
Salut !
Sinon pour les dons défiscalisables, il suffit de ne pas les déclarer dans sa feuille d’impôts… Et d’être ainsi comme les personnes qui ne payent pas d’impôts… Et qui ne peuvent faire que des dons non défiscalisables.
c’est juste ! Merci Marianne !
Et ben ça me fait toujours plaisir d’entendre parler de revenus et d’argent de manière totalement décomplexée. Quand j’en ai l’occasion je questionne mes amis qui font un métier proche du mien, ce n’est pas si dur et ça permet juste de parler d’un aspect non négligeable de notre vie : combien tu gagnes, de combien tu as besoin. Je suis indépendant en graphisme et graphisme animé (peut-être un peu comme ton ami François B), tout est soumis à négociation et les différences de rémunération ne sont pas forcément liées à la qualité du travail. On a tout intérêt les un·es les autres à se tenir informé de ce que nous avons déterminé comme étant acceptable ou non. Bref, vu la forte montée des auto-entrepreneur, il va falloir se donner les moyens de retrouver une force collective.
merci Yan-Ali !
Avez-vous trouvé un syndicat sympa ? Je suis doctorante depuis seulement un mois et je vois déjà comment le manque de ce genre d’orgas dans mon labo/école manque cruellement… Les gens travaillent le week end gratos et les victimes de VSS trouvent difficilement des alliés qui ne seraient pas dépendant des intérêts du labo. J’aimerais trouver un syndicat le plus à gauche possible qui possède une section constituée de jeunes chercheurs mais ce n’est pas évident.
Bonjour Anthée, non, j’ai quitté la FSU et je n’ai rien trouvé encore. La CGT est assez active. Je ne sais plus où en est le syndicat anarchiste. Je vais me renseigner, mais je n’en ai pas fait ma priorité cette année, faute de temps. Amicalement