Vous prenez une journaliste qui vous demande de répondre à des questions sur le surnaturel, le mysticisme, etc pour un journal suisse, Matin Dimanche, qui parait à Lausanne.
Vous donnez vos réticences, car le nombre d’entourloupes médiatiques que vous avez déjà vécu est assez grand. Je lui avais écrit ceci :
« j’espère que vous ne me ferez pas un de ces innombrables coups / entourloupes que d’autres avant vous m’ont fait (coupes, bizarres, scénarisations à charge, à décharge, extraction de phrases slogan un peu pourries) pardonnez-moi d’être direct mais il n’y a pas que des professionnel·les scupuleu·ses dans votre monde) ».
Mais la dame est sympa, et propose même de faire relire le texte final. Alors je traite les choses par mail, pour peser chaque mot, et je m’applique.
Une dizaine de jours plus tard, la journaliste m’écrit que sa direction lui demande de changer d’angle :
« Juste pour vous prévenir et que vous ne soyez pas surpris demain lorsque vous aurez le papier en relecture mais pour des questions de place et d’angle demandé par mes « esprits supérieurs »(!), j’ai dû resserrer mon approche et dois me contenter de parler spiritisme, médiums et communication avec les morts… ce qui est déjà un vaste sujet ! »
Donc là, vous avez une journaliste qui va « adapter » mes réponses à ses nouvelles questions : technique dite de PPDA (Patrick Poivre d’Arvor), en souvenir d’une entrevue avec Fidel Castro bidonnée par le journaliste de TF1 et diffusée par la chaîne dans le Journal télévisé de 20 heures le 16 décembre 1991. Cette histoire fut révélée par Télérama, et le journaliste Pierre Carles traita le sujet dans le Magazine du Fô. Les plans de coupe mettent en évidence que Patrick Poivre d’Arvor et Régis Faucon ont rejoué les questions de leurs confrères en studio, et les ont insérées après coup dans le film.
Voir ici :
Je refuse, bien entendu.
La dame parait gênée, mais pas tant que ça. Bilan je perds mon temps, elle perd son temps, elle a dû improviser un nouveau sujet sur le spiritisme probablement sans spécialiste…Et surtout, inversion de la charge de la responsabilité, c’est presqu’à moi d’être honteux d’être énervé. Bref, Saskia Galitch, je ne vous dis pas merci. Et comme la seule manière de rétablir le rapport de force avec le journalisme de mauvaise qualité est de contre-publier sur ces méthodes, désolé, vous en faites les frais.
Pour me donner l’illusion de ne pas avoir écrit mes réponses (de quelques lignes, comme demandé) pour Matin Dimanche que je ne risque plus de lire, je vous les livre ici.
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L’entrevue qui ne paraîtra jamais
Quel est le profil type de celui/celle qui veut croire ? (si profil il y a!)
Je ne crois pas qu’il y en ait. Ce qu’on peut dire, c’est que le cerveau a une forte inclination à croire en des choses qui le dépassent, pour compenser le côté amoral de l’existence. Mais on ne sait pas si tous les gens sont croyants, ou si par exemple il y a une poignée d’individus qui ont compris l’intérêt d’aller faire croire des trucs invérifiables aux gens pour les rendre plus dociles ou corvéables.
Pourquoi tant de gens ont-ils tant envie de croire au surnaturel ?
On dirait qu’on a tous un peu peur du ravin sous nos pieds : se dire que pourquoi moi, pourquoi ici, maintenant, pourquoi dans ce corps pourquoi telle maladie, autant de questions méta-physiques (en-dehors de la science) auxquelles personne ne peut répondre, sauf… les entités surnaturelles, qu’elles soient religieuses, ou vaguement dirigeantes comme dans l’idée d’un destin
De tout temps, on a expliqué l’inexplicable par des interventions « autres », voire divines. Aujourd’hui, la science donne d’innombrables réponses. Alors… comment expliquer
que même certains “cerveaux” pourtant bien terre-à-terre et plutôt scientifiques se laissent séduire par des approches ésotériques ?
(votre première phrase n’est pas bien juste. « de tous temps, « on »… c’est trop général et pas si vrai. Je réponds à la deuxième)
Plusieurs raisons à cela.
Un cerveau scientifique est expert d’un petit bout de domaine. C’est généralement quand il en sort qu’il pète les digues, si j’ose dire.
Ensuite vous aurez beau faire de la science depuis des lustres, vous saurez décrire les « comment » mais les pourquoi resteront sans réponse. Bien malin qui pourra, parmi les scientifiques sceptiques comme moi, résister aux bras bienveillants des réponses métaphysiques au moment d’un grand drame, ou de sa fin de vie ?
Enfin, la démarche scientifique est compliquée. Démontrer quelque chose, avec une grosse statistique, ce n’est pas intuitif du tout. Il suffit de sortir de son labo pour se laisser convaincre par un cas, unique, isolé, non répété, et se fier à son témoignage comme s’il était solide. Je connais d’excellents scientifiques qui voyant leur verrue disparaître après une imposition des mains, concluent directement à l’efficacité de la pratique, et il n’est pas exclu que je me laisse prendre dans des pièges pareils malgré mon travail.
Quelles différences y a‑t-il entre toutes différentes croyances à la mode (spiritisme, ésotérisme, énergies des éléments, wiccanisme, force des pierres et cristaux, don de voyance et divination, cercles de sorcières…)
Je dirais qu’en grosses lignes, la structure est sensiblement la même. C’est la motivation qui peut différer
Il y a des croyances à la mode qui relèvent du soin. Elles se nourrissent d’une envie de venir aider les autres, mais aussi de glaner un capital symbolique de « soignant », à peu de frais.
Il y en a d’autres qui relèvent de la contestation politique. Elles s’arque-boutent, bien souvent avec raison, contre un repoussoir (les industries pharmaceutiques, les campagnes de vaccination, le patriarcat, le complot juif, les illuminati, le Grand Remplacement) et au nom du refus de ce repoussoir, croient se valider. Parfois les deux se mélangent : ainsi quand au nom de la dénonciation du patriarcat (qui est une dénonciation que je trouve assez factuelle), on réhabilite des remèdes de « grands-mères » sans efficacité réelle.
Quand je dis que la structure est toujours la même, disons que le noyau dur est le même : en optant pour la croyance (au lieu du savoir), on n’a plus besoin de démontrer, puisqu’il n’y a plus de statut de la preuve. Ainsi, toutes les vessies peuvent paraître être des lanternes
Que dit de la personne croyante le fait d’adhérer à une « école » plutôt qu’à une autre ?
Je ne sais pas répondre cette question. Il n’y a pas de profil-type. Je peux très bien être adossé aux preuves dans tous les domaines, sauf un à propos duquel je perds toute consistance intellectuelle et saute à pieds joints dans la foi. Quand je suis amoureux par exemple !
Quels nouveaux mouvements avez-vous vu éclore ces dernières années (et sont-ils véritablement nouveaux ou juste une remise à jour commercialisable de croyances ancestrales?)
il y a peu de croyances ancestrales, elles sont souvent plus récentes qu’on ne le croit, et s’inventent après coup un passé.
Les mouvements les plus récents : les platistes, bien sûr, les respirianistes, la médecine « quantique », la kinésiologie, la montée de la biodynamie de Rudolf Steiner par exemple.
Mais certaines ne sont que des avatars de trucs anciens : les antivax par exemple, existent depuis les débuts de la vaccination fin XVIIIe. Les « théories » de soin énergétiques ressemblent comme deux gouttes d’eau aux théories des humeurs de Hippocrate, il y a deux millénaires.
Au fond, où commence le surnaturel ? (peut-on parler de surnaturel quand on pense à quelqu’un et que boum, il nous téléphone dans la journée, par ex.)?
Surnaturel, c’est de suite une impasse. Si c’est sur-naturel, alors on est hors des sciences de la nature, on ne peut rien dire dessus. La couleur des rideaux au paradis, par ex. est une question sur-naturelle
Au mieux, peut-on recourir à une entité ou une notion non encore décrite, lorsqu’on a épuisé toutes les connaissances à disposition et qu’aucune ne recouvre ce qu’on observe (c’est un principe d’économie d’hypothèse, appelé Rasoir d’Occam). C’est déjà arrivé dans l’histoire des sciences. Les faits montraient quelque chose, mais nous n’avions pas de théorie (le somnambulisme par ex, la vaccination, l’écholocation des chauve-souris, l’efficacité du lavage des mains avant chirurgie…)
Par quelle(s) technique(s) instrumentalise-t-on cette envie de croire ?
Le plus simple est dans le champ thérapeutique : vous prenez qq’un de vulnérable et amoindri, vous lui fabriquez de toute pièce une raison qui explique le mal-être ou la maladie, puis vous la rendez dépendante de vous pour les soins.
Le pire c’est que la plupart des thérapeutes improvisés que j’ai observé sont sincères dans leur démarche. Ils se leurrent, puis leurrent leur « patient », qui revient valider ce qu’ils disent, etc. Si tout le monde avait des bases de ce qu’est la démarche scientifique, ce genre de dépendance arriverait moins
La recette est similaire dans le champ politique : vous prenez des gens en souffrance, vous lui créez de toute pièce, ou en bricolant un peu, une raison (l’immigration, les Arabes, les Juifs, les Chinois, les Roms) puis vous les rendez dépendants de votre programme politique pour y remédier
Peut-on mettre en lien besoin de surnaturel et religion ?
Besoin de surnaturel, je ne sais pas si on peut dire ça. La religion, installée, répond à d’autres moteurs, notamment sociaux. On peut choisir ses croyances « surnaturelles », alors que notre religion est celle de nos parents, bien souvent. Mais bien sûr, surnature et religion ont des points communs : fournir un cadre moral, même contraignant, légitimer l’ordre étable, enseigner la patience, vanter une justice dans l’au-delà…
N’y a‑t-il pas des phénomènes qui vous surprennent malgré tout ?
Si. Je suis sans arrêt épaté par la capacité de notre cerveau à se convaincre de choses ahurissantes. Ça, c’est presque paranormal ! Notre tête est plus farcie de trous que vos Emmental et Appenzell.
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