Je devais durant la crise COVID19 reprendre un cours de Master sur Esprit critique & conflits d’intérêt, élaboré par mon amie Nelly Darbois, ancienne collègue du CORTECS. Ce cours n’a pas encore vu le jour, mais j’agrège du matériel.
Cette semaine, petit article dans le Canard enchaîné (20 mai 2020) sur Muriel Pénicaud, notre ministre du Travail depuis deux ans. J’étais tellement stupéfait que j’ai fait une tâche de je-ne-sais-quoi sur le journal (merci aux internautes Didier Guyomarc’h et Alexis de m’en avoir fourni une copie correcte).
En substance, voici ce que j’ai aggloméré : elle entre au cabinet de Martine Aubry en 1991, y tisse des avec G. Pépy (SNCF), G. Gateau (DRH d’Air France), J‑P. Clamadieu (futur président de Solvay)… Puis elle part pour BSN que rachètera Danone, puis Dassault Systèmes, puis Danone de nouveau dont elle devient DRH (pour cela, entre 2012 et 2014, elle touche plus de 4,7 millions d’euros). Comme il lui reste du temps libre, elle siège au conseils d’administration de SNCF (2013–2015), d’Aéroports de Paris (2014–2017), de la Fondation Bettencourt Schueller* (depuis 2014), d’Orange, d’AgroParisTech.Elle a obtenu de 2006 à 2009 le poste de présidente de l’Institut national du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle (INTEFP), qui forme les inspecteurs du travail (c’est quand même assez épatant). De 2010 à 2017, elle est vice-présidente du conseil de gouvernance de l’École de droit et management des affaires de Paris II. Elle est même un temps membre du Haut conseil du dialogue social : c’est l’instance qui a pour mission d’arrêter tous les quatre ans la liste des organisations syndicales reconnues représentatives par branche professionnelle. En, elle qui est l’objet de nombreuses plaintes pour management, disons, rugueux, est co-autrice du rapport au Premier ministre Bien-être et efficacité au travail – 10 propositions pour améliorer la santé psychologique au travail.
Puis elle est catapultée en 2015 à la tête de Business France, l’agence nationale au service de l’internationalisation de l’économie française, sous l’autorité d’Emmanuel Macron ministre de l’économie à l’époque et de Laurent Fabius aux affaires étrangères. Outre un certain nombre d’infractions au Code du travail (671 infractions constatées en deux ans !), elle est mise en cause pour favoritisme au profit de Havas pour l’organisation sans appel d’offre de la French Tech night, soirée de janvier 2016 en marge du Consumer Electronics show, « où Macron, encore à Bercy était aller parader avec les cadors de la tech à Las Vegas. » dit le canard. Autre affaire, Creative France, où là encore elle est soupçonnée d’avoir fait du favoritisme, encore pour Havas, favoritisme qui aurait rapporté 13,2 millions d’euros (sur des spots publicitaires vantant l’attractivité de la France à l’étranger).
Je passe les détails de ses plus-value (comme la revente de ses stock options, dopées par les suppressions de poste de Danone, dont elle était DRH, ou ses manœuvres anti-syndicales à Whirlpool), pour indiquer que dans son cabinet ministériel, 4 de ses 9 conseillers sont d’anciens lobbyistes. Il est stupéfiant de constater qu’elle supprime l’impôt sur la fortune en 2017, alors qu’elle en était redevable (sa fortune est estimée à 7,5 millions d’euros en 2017). Elle remplace l’ISF par l’impôt sur la fortune immobilière qu’elle ne paie pas grâce à l’abattement de 30% sur sa résidence principale (source LIbération). Même dans sa fiscalité, elle mélange torchons et serviettes, pour son plus grand bonheur : Muriel Pénicaud a créé en 2012 le fonds de dotation Sakura, où elle a placé 670 000 euros, déduits des impôts à 66 % à condition que le fonds finance des projets d’intérêt général
au titre du mécénat artistique. Ce qu’elle fait : elle finance un centre d’art géré par son ancienne collaboratrice Marie-Solange Dubès, qui expose notamment les photographies de… Muriel Pénicaud, mais aussi une revue qui publie les livres de Julia J. Joy qui n’est autre que… Muriel Pénicaud (merci Ismaël Halissat pour ces infos, distillées dans Libération). Intérêt général, intérêt public, intérêt personnel : c’est la soupe à l’oignon.
Une dernière pour la route avant la nausée : elle est nommée en novembre au CA du forum de Davos, pour y prêcher, dit-elle, « un capitalisme plus responsable ». Il faut que ce soit la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique elle-même) qui lui demande de renoncer à cette fonction d’administratrice parce que là, bon, quand même…
Pour l’instant, elle a ma palme. Mais je suis sûr qu’on peut trouver mieux.
Dire que l’un de ses prédécesseurs au ministère du travail était Ambroise Croizat…
* Anecdote si vous aimez les complots, sachez qu’Eugène Schueller, fondateur de Loréal a copieusement financé l’un d’eux : celui de la Cagoule, putsch de type national socialiste. Je vous en reparlerai un de ces 4.
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