Kers­ten et son patient, Himm­ler

Voi­ci un cas qui me laisse stu­pé­fait : une thé­ra­pie manuelle qui va sau­ver des vies, mais pas de la façon dont on l’i­ma­gi­ne­rait.


Eduard Alexan­der Felix Kers­ten ( – 1960) :  esto­nien, puis fin­lan­dais, il est « Arzt fur manuelle The­ra­pie ».

C’est assez ambi­gu pour moi : « méde­cin en thé­ra­pie manuelle » ne semble pas être un titre réel, il est sou­vent confon­du avec la chi­ro­praxie, théo­rie sur laquelle je me suis déjà expri­mée par ailleurs).

Il semble  cer­ti­fié d’un diplôme équi­valent à celui de nos kinés à Hel­sin­ki, au début du XXe, à l’é­poque où kiné­si­thé­ra­pie et phy­sio­thé­ra­pie se for­ma­lisent.  Il est ini­tié à Ber­lin à une méthode étrange, celle d’un cer­tain doc­teur chi­nois, ou « lama » tibé­tain selon les sources : maître Kô.

J’a­voue être per­plexe sur ce point car le Tibet est indé­pen­dant à l’é­poque, pas chi­nois, donc il ne devrait pas y avoir de « jeu » dans la natio­na­li­té du mon­sieur. Dans « Mas­sa­ging Himm­ler : A Poe­tic Bio­gra­phy of Dr Felix Kers­ten », Anne M. Car­son dit que Kô est diplô­mé du Lon­don Medi­cal Col­lege – mais pour­quoi serait-il par­ti à Ber­lin, alors ? En outre, Kô n’est d’a­près mes recherches un patro­nyme tibé­tain, encore moins un nom de famille de « méde­cin ». Il est donc pro­ba­ble­ment chi­nois, seule­ment pour deve­nir lama non tibé­tain à l’é­poque j’ai cru com­prendre qu’il fal­lait se lever ko, par­don, se lever tôt. Je ne suis pas sûr, mais je ne serais pas éton­né que ce brave doc­teur Kô ait été inven­té pour l’oc­ca­sion. Dans le doute, je ne dis rien. Ren­sei­gnez-moi à l’oc­ca­sion.

Kers­ten déve­loppe ain­si la tech­nique de Kô qui semble-t’il (puisque j’ai très peu d’in­fo sur elle) sou­lage les dou­leurs d’es­to­mac les plus réfrac­taires. De fil en aiguille, il se retrouve à soi­gner des têtes cou­ron­nées, en par­ti­cu­lier en Hol­lande. Suite à l’in­va­sion hit­lé­rienne, c’est le Reichsfüh­rer-SS lui-même, Hein­rich Himm­ler qui le fait man­der, et Kers­ten à contre­cœur accepte de le soi­gner. Le suc­cès est tel que le pra­ti­cien devient pra­ti­que­ment inamo­vible auprès de Himm­ler, deve­nant même le récep­tacle des confi­dences du n°2 du régime hit­lé­rien. Kers­ten s’é­ver­tue­ra alors à exploi­ter la fai­blesse de Himm­ler, en lui deman­dant des ser­vices régu­liers et de plus en plus grands, obte­nant la libé­ra­tion de mil­liers de pri­son­niers déte­nus dans des camps.Il faut avouer que pour mes col­lègues et moi qui bos­sons sur les effets contex­tuels non spé­ci­fiques des thé­ra­pies,  c’est une effi­ca­ci­té non spé­ci­fique du trai­te­ment plu­tôt épa­tante, non ? #Leodruar#SaraeveGraham #Nico­las­Pin­sault

J’ai dévo­ré la bio­gra­phie écrite par Joseph Kes­sel, parue en 1960. Je ne pense pas com­mettre un crime que de vous le don­ner ici-même en télé­char­ge­ment. Le bou­quin : Joseph Kes­sel, Les mains du miracle, édi­tions Gal­li­mard.  Ne me dénon­cez pas ! Je sais par contre que c’est une bio roman­cée. Dans quelle mesure ? Je ne sais pas. Kers­ten a‑t-il ten­té comme l’é­crit Kes­sel de faire arrê­ter l’ex­ter­mi­na­tion des Juifs ? A‑t-il ten­té de convaincre Himm­ler de prendre le pou­voir vers 1945 ? A‑t-il eu un rôle déci­sif dans l’an­nu­la­tion du pro­jet de dépor­ta­tion des Hol­lan­dais ? (sur ce point, il semble que non). Je ne suis pas assez com­pé­tent pour en juger. Il y a des cri­tiques qui se sont éle­vées, d’a­bord avec l’his­to­rien Loe de Jong (dans Heeft Felix Kers­ten het Neder­landse Volk gered ?, dans Stu­dies over Neder­land in oor­log­sti­jd, dir. A.H., Mar­ti­nus Nij­hoff, den Haag, 1972, tra­duit dans H‑H. Wil­helm & L. de Jong. Zwei Legen­den aus dem drit­ten Reich : quel­len­kri­tische Stu­dien, Deutsche Ver­lags-Ans­talt 1974, pp 79–142).

N’empêche, il eu le cran d’en­fon­cer ses doigts dans les entrailles d’une per­sonne aus­si flip­pante que dan­ge­reuse, et il sau­va beau­coup de monde grâce à sa « com­pé­tence » : bien peu peuvent se tar­guer d’un tel résul­tat.

 

Quelques sources

Je n’ai pas eu la chance de lire les mémoires de Kers­ten, The Kers­ten files (1956) et je ne sais pas si c’est le même maté­riel que le livre en néér­lan­dais Klerk en beul (« Méde­cin de bour­reau », ici). Je n’ai pas eu non plus entre les mains John H. Wal­ler, Felix Kers­ten and the Secret Plot to Turn Himm­ler Against Hit­ler (2002). Si vous avez les refé­rences sui­vantes, je les prends – si tant est que je sois com­pé­tent pour les inter­pré­ter, de même que ce papier récent Ohry A, Dr. Felix Kers­ten :phy­sio­the­ra­pist, mys­ti­cist and Righ­teous man. Hare­fuah 137 ; 346–7, 1999.

On trou­ve­ra un peu plus d’in­for­ma­tions, et des images d’ar­chives dans

  • Livre d’Ar­no Kers­ten et d’Em­ma­nuel Ama­ra, Felix Kers­ten. Le Der­nier des Justes, Édi­tions Patrick Robin (2006)
  • Docu­men­taire Felix Kers­ten, le méde­cin du diable, d’Emmanuel Ama­ra (2008)

https://www.youtube.com/watch?v=_nAwTUe3wkg

  • Docu­men­taire Grains de sable de l’his­toire : Kers­ten (2015)

https://www.youtube.com/watch?v=rE9cVmuVnHU

J’in­dique éga­le­ment une bande des­si­née que j’ai trou­vé bien faite, Kers­ten, méde­cin d’Himm­ler Tomes 1 & 2 de Patrice Per­na et Fabien Bédouel, chez Glé­nat (2015).

 

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