Double pira­tage. 

Je repro­duis avec leur accord ce billet du blog du Comi­té Para (la plus vieille asso­cia­tion scep­tique du monde, soit dit en pas­sant),  billet lui-même tiré d’un fil Twit­ter écrit par Fré­dé­ric Paillaugue,  kiné­si­thé­ra­peute, membre du Comi­té et connu sur Twit­ter sous le nom d’Ana­Mor­phoS­cience.

Le sujet est suf­fi­sam­ment grave pour que l’in­for­ma­tion cir­cule ample­ment. J’en pro­fite pour dire que le sujet des morts inat­ten­dues du nour­ris­son (ancien­ne­ment appe­lées « morts subites »), aus­si peu joyeux soit-il, per­met éga­le­ment d’a­bor­der auprès des étudiant·es la phi­lo­so­phie morale, la science juri­dique les pro­ba­bi­li­tés condi­tion­nelles.

Je vous ren­voie en pas­sant à l’ex­cellent livre « Les maths au tri­bu­nal : les erreurs de cal­cul font les erreurs judi­ciaires » de Cora­lie Col­mez et sa mère Leï­la Schneps, en par­ti­cu­lier le cha­pitre effrayant sur l’af­faire Sal­ly Clark – et si vous n’a­vez pas le livre sous la main, petit résu­mé ici.

R. Mon­voi­sin


Ana­Mor­phiS­cience, la mine épa­nouïe

Lors d’une émis­sion sur Ins­ta­gram, la Doc­teure Ber­na­dette de Gas­quet invi­tée par une kiné­si­thé­ra­peute bor­de­laise, experte col­la­bo­ra­trice de la Haute Auto­ri­té en matière de san­té (HAS). Elle remet­tait en cause le cou­chage des bébés sur le dos pour dor­mir et fai­sait la pro­mo­tion du cou­chage sur le côté. Ce conseil va à l’en­contre des recom­man­da­tions actuelles et semble dan­ge­reux. Nous allons donc par­ler des recom­man­da­tions et des connais­sances actuelles dans la mort inat­ten­due du nour­ris­son.

Un peu de contexte d’abord. Sur ce sujet, Madame de Gas­quet (prof de Yoga avant de deve­nir méde­cin) a publié un livre « Mon bébé n’aura pas la tête plate. Pré­ve­nir et trai­ter la pla­gio­cé­pha­lie » avec le pédiatre T. Marck, bien repris par un groupe de chi­ro­prac­teurs. Savoir cela est impor­tant, car ils publiaient alors un véri­table avis contraire aux recom­man­da­tions actuelles, sous des dehors de « bons geste de pré­ven­tion » alter­na­tives, repris par plein de sites à très, très grand public : « Magic­Ma­man » Le Dr Marck, quant à lui, est très actif pour par­ler du cou­chage sur le côté, mais éga­le­ment pour faire la publi­ci­té de maté­riels, comme ce « mate­las sécu­ri­té » pour le bébé tout en fai­sant des appels à la nature, à l’exotisme ou à l’ancienneté (cf. image). Le tout appa­raît comme des « recom­man­da­tions » d’ex­perts, et sont on ne peut plus claires : cou­cher les nou­veau-nés immé­dia­te­ment sur le côté. L’entrevue est bien évi­dem­ment reprise dans de nom­breux groupes, y com­pris de kinés, d’ostéopathes, de chi­ro­prac­teurs. . Alors que disent actuel­le­ment les recom­man­da­tions fran­çaises et inter­na­tio­nales qui font auto­ri­té sur ces sujets ? Nous allons voir tout cela [spoi­ler : Elles disent toutes la même chose !] Com­men­çons par la HAS, qui est très claire : « le cou­chage sur le côté est contre-indi­qué » car le risque de bas­cu­le­ment et d’étouffement est réel à un âge où le nou­veau né n’a pas encore acquis les retour­ne­ments. Inté­res­sant éga­le­ment, la HAS évoque aus­si la motri­ci­té libre, les varia­tions de posi­tion et l’apprentissage pro­gres­sif du cou­ché ven­tral, pro­gres­si­ve­ment, avec les parents et sous sur­veillance. Nous y revien­drons car cette base est reprise abso­lu­ment par les dif­fé­rentes recom­man­da­tions inter­na­tio­nales. Dans les com­men­taires du live ins­ta­gram du 9 mai 2020 dans lequel Madame de Gas­quet s’est expri­mé , il semble bien que le « scep­ti­cisme » quant aux recom­man­da­tions fran­çaises de la HAS ait été de mise. Un grand clas­sique !  (NdRi­chard : il faut recon­naître qu’il y a un peu de popu­lisme  dans cette recom­man­da­tion, voir ici).

J’in­dique en réfé­rence ce Tweet, ain­si que cer­tains com­men­taires du « live » Ins­ta­gram repo­duits ci-contre :

 

C’est vrai quoi, allons donc voir à l’international si le mes­sage est plus nuan­cé. L’Académie Amé­ri­caine de Pédia­trie a publié dans le JAMA (Jour­nal of the Ame­ri­can Medi­cal Asso­cia­tion) une pre­mière mise à jour des recom­man­da­tions pour l’enfant jusqu’à un an, Moon & Task Force 2016 (à prendre ici) ; puis une autre, dans Car­lin et Moon, 2016 (à prendre là) :  C’est sans appel : pour réduire le risque de mort inat­ten­due du nour­ris­sons, les nour­ris­sons doivent être cou­chés sur le dos pour toutes les périodes de som­meil, au moins jusqu’à l’âge de 1 an. Je vous encou­rage à lire cette recom­man­da­tion dans son inté­gra­li­té, elle alerte sur le cou­ché laté­ral et ban­nit tous les acces­soires de lit per­met­tant de « caler » les bébés, met en avant les inter­ac­tions et le peau-à-peau, la motri­ci­té du nour­ris­son et une fois que l’enfant est capable de pas­ser de la posi­tion sur le dos à la posi­tion sur le ventre et inver­se­ment, l’enfant peut dor­mir dans la posi­tion qu’il a adop­té (par­ti­cu­liè­re­ment inté­res­sante à lire notam­ment concer­nant l’exposition des nou­veau-nés au tabac, le bed-sha­ring , alias co-dodo et la pro­blé­ma­tique petits pré­ma­tu­rés…). L’A­gence de la san­té publique du Cana­da a pro­duit l’é­non­cé conjoint sur le som­meil sécu­ri­taire : mêmes remarques, nom­breuses sources biblio­gra­phiques à l’appui. On y retrouve que les posi­tions de som­meil ven­trale et laté­rale sont asso­ciées à des taux accrus de mort inat­ten­due du nour­ris­son. Avec, une nou­velle fois, l’accent mis sur la motri­ci­té libre et le ven­tral sous sur­veillance, pro­gres­si­ve­ment, lors des moments d’éveil. Ter­mi­nons par la recom­man­da­tion 2017 de la NHS (Natio­nal Health Ser­vice, Grande Bre­tagne) : ça ferait sau­ter au pla­fond de nom­breux oppo­sants au pater­na­lisme en san­té publique, mais c’est écrit EN ROUGE et EN MAJUSCULES, comme pre­mier élé­ment : ALWAYS PUT YOUR BABY TO SLEEP ON THEIR BACK ! Bien évi­dem­ment, les recom­man­da­tions sont sour­cées et com­plè­te­ment una­nimes sur ce sujet : elles font consen­sus actuel­le­ment. Une réfé­rence inté­res­sante à consul­ter est l’Association natio­nale des centres réfé­rents de la mort inat­ten­due du nour­ris­son (ANCRe­MIN). L’ANCRe­MIN a publié une pla­quette et ses recom­man­da­tions dans un site très bien fait et j’encourage tous les parents sou­hai­tant se ren­sei­gner sur cette pro­blé­ma­tique à le consul­ter. De nom­breuses sources et res­sources y sont pré­sentes :  

La petite pla­quette est télé­char­geable ici. Elle est bien faite même s’il est dom­mage qu’ils ne men­tionnent pas la notion de motri­ci­té libre.

Alors, vous savez quoi ? Puisque selon cer­tains (pro­fes­sion­nels de san­té), il n’y a « qu’en Occi­dent » que visi­ble­ment on est pas com­pé­tents et que le cou­chage sur le dos c’est l’élé­ment qu’il faut remettre en cause pour évi­ter les pla­gio­cé­pha­lies, voi­ci un autre article inté­res­sant : « Dés­in­for­ma­tion concer­nant le cou­chage des nour­ris­sons et la pla­gio­cé­pha­lie » (Patu­ral et al. 2017). Sévères (à juste titre selon moi), les auteurs fus­tigent :

« Plus grave encore, ces pra­ti­ciens sèment le doute auprès du grand public qui sera enclin à consi­dé­rer que les conseils de pré­ven­tion de la mort inat­ten­due par le cou­chage dor­sal strict ne sont qu’effet de mode. Ces pro­pos irres­pon­sables incitent clai­re­ment les parents à cou­cher leur nour­ris­son sur le côté, et à le mettre déli­bé­ré­ment dans une posi­tion qui aug­mente sin­gu­liè­re­ment le risque de mort inat­ten­due du nour­ris­son ». « La France est l’un des pays de l’UE où la pré­va­lence de mort inat­ten­due du nour­ris­son est la plus éle­vée : 0,35/1000 nais­sances vivantes (moy. euro­péenne 0,25). L’IVS esti­mait à 100 à 150 nour­ris­sons qui seraient sau­vés si les simples gestes de cou­chage sans risque étaient res­pec­tés ! » Les auteurs rap­pellent éga­le­ment les dif­fé­rents fac­teurs de risque de sur­ve­nue de mort inat­ten­due du nour­ris­son, et sou­lignent un point très impor­tant concer­nant les pla­gio­cé­pha­lies : la sur­ve­nue des défor­ma­tions crâ­niennes posi­tion­nelles implique de très nom­breux fac­teurs, dont la res­tric­tion de la motri­ci­té libre du nour­ris­son est un point-clé. Le décu­bi­tus dor­sal ne serait cer­tai­ne­ment pas le fac­teur-clé à modi­fier pour pré­ve­nir la pla­gio­cé­pha­lie, mais « mais avant tout le fait que le bébé soit empê­ché de varier ses pos­tures et ne soit pas libre de sa motri­ci­té spon­ta­née ». J’en pro­fite pour faire un peu de pub pour le pod­cast « Le Temps d’un Lapin » où nous avions quelque peu évo­qué ces pro­blé­ma­tiques avec Lei­la (kiné­si­thé­ra­peute et pod­cas­teuse). L’é­pi­sode est écou­table ici : https://soundcloud.com/lapin-letempsdunlapin/29e

A l’instar de Patu­ral et de ses col­la­bo­ra­teurs, je regrette amè­re­ment que des pro­fes­sion­nels de san­té, pour cer­tains ayant pignon sur rue et usant de publi­ci­té (sans par­ler de la créa­tion de méthodes por­tant leur propre nom) assènent des contre-véri­tés, allant à l’encontre non seule­ment de toutes les recom­man­da­tions inter­na­tio­nales mais éga­le­ment des don­nées pro­bantes actuelles. C’est encore un peu plus gênant quand ces per­sonnes en pro­fitent pour faire de la publi­ci­té à du maté­riel de petite enfance, tout en ven­dant livre sur livre sans source fiable ni don­née pro­bante, for­ma­tion sur for­ma­tion. Vendre un livre n’est pas un pro­blème pour moi, mais ça le devient lorsque l’in­for­ma­tion que l’on donne est au mieux fal­la­cieuse, au pire dan­ge­reuse. Cela pose un vrai, grand pro­blème éthique.

Pour ter­mi­ner, voi­ci les recom­man­da­tions actuelles pour pré­ve­nir les morts Inat­ten­dues du nour­ris­son (je para­phrase la recom­man­da­tion HAS de 2020) :

  • Cou­cher sys­té­ma­ti­que­ment le nour­ris­son sur le dos dans un lit adap­té et idéa­le­ment dans la chambre des parents les 6 pre­miers mois de vie
  • Uti­li­ser un mate­las ferme dans un lit rigide, ins­tal­lé dans une tur­bu­lette, sans oreiller ni couette ni cou­ver­ture, avec une tem­pé­ra­ture ambiante modé­rée (18–20°)
  • Pas de par­tage du lit paren­tal
  • Pas d’exposition au tabac.
À cela nous pou­vons ajou­ter les élé­ments de pré­ven­tion des pla­gio­cé­pha­lies, d’une part, de favo­ri­ser la motri­ci­té libre du nour­ris­son, les temps d’apprentissage et de chan­ge­ments de posi­tion lors des moments d’éveil, et sous sur­veillance (y com­pris cou­ché ven­tral), de favo­ri­ser les inter­ac­tions de qua­li­té avec les parents / l’entourage, incluant des moments de contact peau-à-peau. À ce sujet, d’autres conseils sont acces­sibles dans la fiche mémo de la HAS, concer­nant les défor­ma­tions crâ­niennes posi­tion­nelles (chan­ge­ment de la rota­tion de la tête, modi­fi­ca­tion de l’environnement pour favo­ri­ser la rota­tion de la tête du côté de la cor­rec­tion, les sti­mu­li… etc) que vous trou­ve­rez dans les sources de ce fil.
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BIBLIOGRAPHIE :

Ajout de RichardM :

  • Les maths au tri­bu­nal : les erreurs de cal­cul font les erreurs judi­ciaires [« Math on Trial. How Num­bers Get Used and Abu­sed in the Cour­troom »], de Leï­la Schneps et Cora­lie Col­mez, (trad. de l’an­glais par Cora­lie Col­mez),  Seuil, coll. « Science ouverte » (2015)

 

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