Ignare en archéologie, mais féru de faussaires, j’avais déjà plusieurs fois croisé la route de Denis Vrain-Lucas, le « Balzac du faux » (1816–1881).
La première fois, c’était dans l’excellente émission Le salon Noir, de Vincent Charpentier le 17 mars 2015 — devenue depuis Carbone 14.
La seconde, c’était dans Une histoire particulière, documentaire en deux parties d’Olivier Chaumelle, réalisé par Rafik Zénine le 26 mars 2017.
En peu de mots ? Un mec qui se planque dans de prestigieuses bibliothèques, découpe des pages blanches dans des vieux livres, et réalise près de 30 000 (trente millle !!!!) fausses lettres, qu’il va refourguer pour la plupart à l’un des grands cerveaux de son époque, Michel Chasles, LE Chasles de la relation de Chasles sur les vecteurs qui vous rappellera le lycée.
Les thèses présentées dans ces lettres (qui proviendraient d’un hypothétique naufrage de bateau) remportent d’autant plus de succès qu’elles sont nourries d’anglophobie et réécrivent des parties de l’histoire des sciences au profit des Français — exemple, on y trouve la thèse qu’Isaac Newton aurait tout piqué à Blaise Pascal, et bien d’autres choses. Le plus épatant est que Chasles a gobé (et payé rubis sur ongle) à Vrain-Lucas des lettres d’Alexandre le Grand à Aristote, de Jules César à Vercingétorix, de Cléopâtre à Jules César, de Lazare le ressuscité à Saint Pierre, de Charles Martel, de Charlemagne, etc.… en faux « vieux français » !
Si l’escroquerie (plus précisément la forgerie) s’est arrêtée, c’est que Vrain-Lucas tardant à livrer une nouvelle commande, Chasles se mit à craindre qu’il ne les vende à la Perfide Albion (surnom classique de l’Angleterre depuis un poème par Augustin Louis, marquis de Ximénès écrit en octobre 1793) et le fit suivre par le préfet de police son ami. Procès en 1870, bien sûr, qui rendra hilare l’auditoire devant la naïveté du mathématicien, et enverra le faussaire en prison deux ans.
Ô, joie ! Les Nuits de France Culture ont repassé il y a quelques jours la causerie de 2015 avec Gérard Coulon, conservateur en chef du Patrimoine, auteur de Vrain Lucas. Histoire d’un incroyable faussaire. Nouvelle édition revue, corrigée et augmentée. Éditions Errance, Arles, 2022. Je la capture ici pour la joie de vos oreilles pleines de cérumen.
J’oubliais : l’auteur replace dans l’émission une citation qu’on prête à Alexandre Dumas : « Il est permis de violer l’histoire, à condition de lui faire de beaux enfants ». Cela m’a laissé nauséeux, devant un abîme de perplexité.
Quelques références en plus que j’emprunte à France Culture
- Les 180 faux de Vrain-Lucas conservés au département des manuscrits de la Bibliothèque nationale de France, sur le site Gallica
- Faux Autographes, affaire Vrain-Lucas, étude sur la collection vendue à M. Michel Chasles par Étienne Charavay (1848–1899) sur le site Gallica
- L’affaire Chasles, ou l’arnaque Vrain-Lucas. Comment escroquer un membre de l’Institut de France par G. Lenôtre sur le site Le droit criminel
- Vrain-Lucas, l’intrépide, article de Michel Braudeau paru dans le journal Le Monde (12.07.2005) et repris dans son ouvrage Faussaires éminents (Gallimard, collection Blanche, 2006) (que je n’ai pas lu).
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