Moi qui croyais que les premiers ethnomusicologues US étaient John Lomax et son fils Alan ! Certes, ils n’avaient pas chômé, entre l’anthologie Cowboy Songs and Other Frontier Ballads, publiée en 1910 par Alan le père, et les enregistrements en famille dans les comtés ruraux du Deep South et les pénitenciers à partir de 1933, avec un phonographe enregistreur de 150kg dans le coffre de la berline. L’histoire dit que cette équipée progressiste a valu à Alan sa place à l’Université du Texas, mais c’est comme ça que dans le pénitencier d’État d’Angola, en Louisiane, ils dénichèrent Huddie W. Ledbetter (1880 ? – 1949), qui deviendra Leadbelly, si c’est pas la classe ! Vous ne connaissez pas Leadbelly et sa guitare à 12 codes ?
Leadbelly
Je parie que vous connaissez certaines de ses chansons, écoutez voir par exemple« Where did you sleep last night »
ou « House of the rising sun »
Bref..
La légendaire Mel
Mais j’ignorais qu’il y avait déjà un type vener qui collectait aussi des chansons d’esclaves, et 40 ans avant ! Et pas du style blanc plein de commisération, non. Le type, du nom de William Francis Allen avait par exemple codirigé pendant la guerre civile (1863–64) avec sa femme Mary une école pour ce qu’on appelait à l’époque des « Free Negros » ou des « Free Blacks » (ce sont les termes de l’époque), des esclaves nouvellement émancipés, sur les îles maritimes de Caroline du Sud. Puis il avait taffé comme agent sanitaire parmi les réfugiés de guerre noirs dans l’Arkansas. Le recueil est sorti en 1867, et il fallait quand même un sacré culot. Mon amie la pianiste Mélanie Favre Petit-Mermet me l’a mis entre les mains (en anglais, je ne crois pas qu’il soit traduit) et c’est une sacrée baffe, avec les partoches, et les paroles retranscrites en créole anglais ou même français quand les chants viennent de Louisiane (comme « Belle layotte », « Rémon », « Musieu Bainjo », etc.).
Juste pour vous donner un exemple.
Vous savez peut être qu’Ethan, l’un des frères Cohen, a sorti un documentaire l’an passé sur Jerry Lee Lewis, appelé « Trouble in Mind ».
Cela vient d’une chanson que Jerry le « bad boy » interprétait, ici en 1986
A peu près au même moment, Arno en faisait une version, en 1988
Nina Simone la jouait en concert depuis au moins 1960,
En 1964, Lightning Hopkins itou
Big Billy Broonzy aussi, en 1957
Et je l’avais entendue dans une version avant-guerre par ma chouchoute à moi que j’aime, Sister Rosetta Tharpe, si ça ne vous met pas le feu je ne sais pas quoi faire pour vous, c’est la mamie de mes rêves
Tout ça pour dire : c’est une reprise de la version de Bertha « Chippie » Hill, accompagnée entre autres par un certain Louis Armstrong en 1926
Qui elle-même a été mis en musique par Richard M. Jones en 1924 et enregistrée avec la chanteuse Thelma La Vizzo
Eh bien je découvre dans le bouquin la racine ultime de cette chanson, ramassée quelque part par William Allen il y a 150 ans de la bouche d’un·e ancien·ne esclave anonyme.
« I am a‑trouble in de mind, O I am a‑trouble in de mind ; I ask my Lord what shall I do, I am a‑trouble in de mind. I’m a‑trouble in de mind, What you doubt for ? I’m a‑trouble in de mind ».
150 ans de vague à l’âme et de déprime. Moi, ça me secoue, ça me fait un truc voyez ? Alors je partage.
Allez, une dernière pour la route, on sait jamais écoutez ça, elle s’appelle « Lay Down Body », c’est chanté par The Moving Star Hall Singers, et ça arrache le coeur
Au fait, un super bouquin sur Alan Lomax, « Le pays où naquit le blues », édité par Les fondeurs de briqueen 2012. Je l’ai, de même que j’ai presque tous les enregistrements de la bibliothèque du Congrès des Lomax père et fils. Bon bon délire.
Et il y a un an, je vous ai causé ici de ce bouquin génial, Blues in the Mississipi Night, d’Alan Lomax, avec Big Billy Bronzy, Memphis Slim, Sonny Boy Willamson, éditions du bout de la ville 2020. Une bombe.
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