Cre­dit :  Pho­to © RMN-Grand Palais (MNAAG, Paris) / Thier­ry Olli­vier Paris, musée Gui­met – musée natio­nal des Arts asia­tiques

Signorini goguenard. Le Canular n'a été révélé qu'en 1988.

Signo­ri­ni gogue­nard. Le Canu­lar n’a été révé­lé qu’en 1988.

On dit par­fois que la Nature a hor­reur du vide. Les théo­lo­giens, eux, ont sou­vent hor­reur des « trous » de la connais­sance, les rem­plis­sant immé­dia­te­ment du dieu qui les motive le plus : c’est pour cela qu’on parle par­fois du « Dieu des lacunes » ou « Dieu bouche-trou » (God of gaps). Les archéo­manes, enfin — enten­dez par archéo­manes des gens qui se pensent archéo­logues sans en avoir les com­pé­tences, pseu­do-archéo­logues « roman­tiques », sortes de Bou­vard et Pécu­chet de l’archéologie (Bou­vard et Pécu­chet étant un roman inache­vé de Flau­bert, paru un an après sa mort en 1881, dans lequel deux lar­rons s’inventent des exper­tises sur à peu près tout. Je recom­mande chau­de­ment le télé­film du même nom du 1989, de Jean-Daniel Verhae­ghe, avec Jean-Pierre Marielle et Jean Car­met dans les rôles titres) ; les archéo­manes, donc, eux, ont hor­reur des énigmes, et les rem­plissent fré­quem­ment d’ex­tra­ter­restres. Les arte­facts archéo­lo­giques qui res­tent inex­pli­qués sont par­fois regrou­pés sous le terme géné­rique d’OO­PART, out-of-place arti­facts, tra­duc­tible par « objets manu­fac­tu­rés incon­grus » ou  « hors contexte »), terme inven­té par le zoo­lo­giste éta­su­nien Ivan T. San­der­son, cama­rade de cryp­to­zoo­lo­gie de Ber­nard Heu­vel­mans et répu­té pour une cer­taine cré­du­li­té lui-même, s’é­tant par­fois four­voyé à gober des canu­lars tout cru (comme celui des traces de Pin­gouin géant sur une plage de Flo­ride, en 1948 – qui se sont révé­lées être un canu­lar d’un cer­tain Tony Signo­ri­ni). Tout cela pour dire ceci : der­rière un objet inex­pli­qué, l’a­lien n’est jamais loin.

Pre­nons par exemple les Dogū (土偶), figu­rines japo­naises de la période Jōmon (de 3000 à vers 300 avant l’Ère Com­mune), à la fonc­tion encore énig­ma­tique. Les contextes de décou­verte laisse sup­po­ser aux archéo­logues qu’elles furent uti­li­sées lors de céré­mo­nies, mais on n’en sait guère plus. L’une d’entre elles, le « dogū aux lunettes de neige », expo­sé au Musée Gui­met, en a fait l’ex­pé­rience.
Un mon­sieur imman­qua­ble­ment pré­sen­té comme « illustre et savant pro­fes­seur phy­si­cien russe » du nom d’A­lexan­der Kazant­sev (2) décré­ta qu’elle repré­sen­tait une com­bi­nai­son spa­tiale avec casque et lunettes avec tant de pré­ci­sion que for­cé­ment, celui ou celle qui l’a sculp­té avait obli­ga­toi­re­ment un modèle devant eux. Cet argu­ment, appe­lé God-of-the-gaps fal­la­cy, est un sous-ensemble de l’appel à l’i­gno­rance, cette stra­té­gie déjà poin­tée par le phi­lo­sophe John Locke en 1690 et qui consiste à décla­rer qu’une pro­po­si­tion est vraie parce qu’elle n’a pas été démon­trée fausse ou inver­se­ment, et qui de fait per­met d’é­vi­ter d’en­dos­ser la charge de la preuve.

Mais il y a plu­sieurs hics.
D’a­bord, comme l’a mon­tré Hen­ri Broch dans Le Para­nor­mal (Seuil, 1985) puis dans Gou­rous, sor­ciers et savants (Odile Jacob 2006), Kazant­sev (1906–2002) n’é­tait ni illustre, ni savant, ni phy­si­cien, ni pro­fes­seur… ni même russe ! Sans aucune for­ma­tion ou diplôme scien­ti­fique, le mon­sieur, Kaza­khe, écri­vait fic­tions et essais très dilet­tantes sur les extra­ter­restres : il voyait des E.T. par­tout. Dans le docu­men­taire de 1970 Erin­ne­run­gen an die Zukunft, de Harald Reinl, connu sous le nom de « Sur les traces de l’é­trange, Pré­sence des extra­trer­restres » et qui est tiré du best-sel­ler de 1966 Cha­riots of the Gods ? Unsol­ved Mys­te­ries of the Past de l’un des plus célèbres archéo­manes du monde, le suisse Erich Von Däni­ken, on l’y voit com­men­ter lui-même sa sup­pu­ta­tion.

Le célèbre Jacques Gri­mault, ou Semir Osma­na­gić (1) ont des aïeux glo­rieux.

Je crois que si j’é­tais extra­ter­restre, je me tape­rais quelques barres de rire par­fois.

Même l’a­lien de Rid­ley Scott rigole.

(1) En réa­li­té, avant Kazant­sev, c’est un cer­tain Vyat­che­slav Zaït­sev, licen­cié en phi­lo­so­phie, qui fit des sta­tuettes une preuve extra­ter­restre. Je dois relire mon « Au coeur de l’ex­tra­or­di­naire », de Hen­ri Broch.

(2) On lira avec pro­fit le livre de la col­lègue Irna, Les pyra­mides de Bos­nie – Faut-il réécrire l’his­toire des civi­li­sa­tions ?, chez Book-e-book (2013).

 

 

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