Je chante souvent les louanges d’Ambroise Paré, mais il faut bien le remettre dans son époque. Je lis dans De l’anatomie (1575) :
« Ce que l’homme a au-dehors, la femme l’a au-dedans, tant par la providence de la nature, que de l’imbécillité d’icelle, qui n’a pu expeller et jeter dehors lesdites parties, comme à l’homme ».
Eh bé… Il est un homme de son temps !
Confronté à un cas étonnant, celui de Germain « Marie » Garnier alias « Marie la barbue », il raconte :
Extrait de Des Monstres et Prodiges ([1580], éd. J. Céard, Genève, Droz, 1971, chap. VII, p. 24) :
« Aussi estant à la suite du roy, à Vitry le François en Champagne, j’y vis un certain personnage nommé Germain Garnier : aucuns le nommoient Germain Marie, par-ce qu’estant fille estoit appellé Marie ; jeune homme de taille moyenne, trappe, et bien amassé, portant barbe rousse assez espaisse, lequel jusqu’au quinziéme de son aage avoit esté tenu pour fille, attendu qu’en luy ne se monstroit aucune marque de virilité, et mesme qu’il se tenoit avec les filles en habit de femme. Or ayant atteint l’aage susdit, comme il estoit aux chams, et poursuivoit assez vivement ses pourceaux qui alloient dedans un blé, trouvant un fossé le voulut affranchir : et l’ayant sauté, à l’instant se viennent à luy developper les genitoires et la verge virile, s’estans rompus les ligamens par lesquels au-paravant estoient tenus enclos et enserrés (ce qui ne luy advint sans douleur) et s’en retourna larmoyant en la maison de sa mere, disant que ses trippes luy estoient sorties hors du ventre : laquelle fut fort estonnée de ce spectacle. Et ayant asemblé des Medecins et Chirurgiens, pour là-dessus avoir advis, on trouva qu’elle estoit homme, et non plus fille : et tantost apres avoir rapporté à l’Evesque, qui estoit le defunt Cardinal de Lenoncourt, par son autorité et assemblée du peuple, il receut le nom d’homme : et au lieu de Marie (car il estoit ainsi nommé au-paravant) il fut appellé Germain, et luy fut baillé habit d’homme : et croy que luy et sa mere sont encore vivans. »
Paré classe ce cas dans le l’hermaphrodisme, ce qui est une belle boulette, puisque l’individu n’est pas porteur des deux configurations sexuelles « standard ».
Montaigne, qui raconte lui aussi l’histoire vers 1580, (dans Essais, I, 21, éd. cit., t. I, p. 182.) rapporte que cela servit d’ailleurs d’avertissement pour les filles de ne point trop sauter, de peur que ça « dégénère ».
Faisant, dict-il (Germain), quelque effort en sautant, ses membres virils se produisirent ; et est encore en usage entre les filles de là une chanson par laquelle elles s’entradvertissent de ne faire point de grandes enjambées, de peur de devenir garçons comme Marie Germain. »
Paré y voit-il un désaveu des catégories sexuées ? Pas du tout. Son cadre théorique lui en tripote une sans faire bouger l’autre, si vous me passez l’expression.
« La raison pourquoy les femmes se peuvent degenerer en hommes, c’est que les femmes ont autant de caché dedans le corps, que les hommes descouvrent dehors, reste seulement qu’elles n’ont pas tant de chaleur ny suffisance pour pousser dehors ce que par la froidure de leur temperature est tenu comme lié au dedans. Parquoy, si, avec le temps l’humidité de l’enfance qui empeschoit la chaleur de faire son plein devoir estant pour la plus part exhalee, la chaleur est rendue plus robuste, acre et active, ce n’est chose incredible qu’icelle, principalement aidee de quelque mouvement violent, ne puisse pousser dehors ce qui estoit caché dedans. Or, comme telle metamorphose a lieu en Nature pour les raisons et exemples alleguees, aussi nous ne trouvons jamais en histoire veritable que d’homme aucun soit devenu femme, pour-ce que Nature tend tousjours à ce qui est le plus parfaict, et non au contraire faire que ce qui est parfaict devienne imparfaict. » (ouv.cit., p. 30)
Parfaict ? Comme tout finit en chanson, me vient celle de Renaud,
« Palestiniens et Arméniens
témoignent du fond de leur tombeau
Qu’un génocide c’est masculin,
comme un SS, un torero. » (Miss Maggie, 1989)
Au fait, Montaigne dans son Journal de voyage (éd. F. Garavini, Paris, Gallimard, « Folio », 1983, p. 77) raconte ceci :
« L’autre, que depuis peu de jours il avait été pendu à un lieu nommé Montier-en-Der, voisin de là, pour telle occasion : sept ou huit filles d’autour de Chaumont en Bassigny complotèrent, il y a quelques années, de se vêtir en mâles et continuer ainsi leur vie par le monde. Entre les autres, l’une vint en ce lieu de Vitry sous le nom de Mary, gagnant sa vie à être tisserand, jeune homme bien conditionné et qui se rendait, à un chacun, ami. Il fiança audit Vitry une femme qui est encore vivante ; mais pour quelque désaccord qui survint entre eux, leur marché ne passa plus outre. Depuis étant allé audit Montier-en-Der, gagnant toujours sa vie audit métier, il devint amoureux d’une femme laquelle il avait épousée, et vécut quatre ou cinq mois avec elle avec son contentement, à ce qu’on dit ; mais ayant été reconnu par quelqu’un dudit Chaumont, et la chose mise en avant à la justice, elle avait été condamnée à être pendue : ce qu’elle disait aimer mieux souffrir que de se remettre en état de fille. Et fut pendue pour des inventions illicites à supplir au défaut de son sexe ».
My Goodness…
S’agit-il de la même Mary ? J’ai un doute, mais c’est peu probable, même si quelques dizaines de kilomètres séparent Montier-en-Der de Vitry-le-François. Car Germain Marie ne s’est semble-t-il pas marié, ne se travestissait pas, habillé en fille avant 15 ans, en garçon après) et de fait, n’a pas eu un sort si funeste. A l’époque, il ne faisait pas bon désobéir à son assignation. 450 ans plus tard, les choses ont bougé, certes, mais pas tant que ça.
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