Ce matin, j’écoute une émission sur les Beach Boys, dans « Les séries musicales », France Culture, épisode 1, 17 juillet 2021, ici) et qu’est-ce que je découvre ? Que les trois frères, cousin et pote, qui composent le groupe, viennent de.… Hawthorne, en Californie.
Hawthorne, bon sang de bois… L’effet Hawthorne, cher aux zététicien·nes et aux fanas de psychologie sociale !
J’en donne la définition classique : entre 1924 (ou 1927 selon les sources) et 1932, Elton Mayo, également inventeur présumé de la moutarde, a mené des enquêtes et entretiens ressemblant à de la sociologie du travail dans une usine. Il se serait rendu compte, en regardant la variation du rythme de travail d’ouvrières sur des chaînes de montage en fonction de paramètres contextuels comme la quantité d’éclairage que ce ne sont pas tant les paramètres extérieurs (type la quantité de lumière) qui faisaient varier les cadences, mais le fait que les sujets avaient conscience de participer à une expérience dans laquelle ils étaient testés, ce qui se traduit généralement par une plus grande motivation.En clair, se savoir observé, étudié, et anticiper les attentes du chercheur créait une prédiction auto-réalisatrice. Alors on a appelé ça l’effet Hawthorne. Et ça a rejoint l’ensemble des effets Pygmalion, Rosenthal & Jacobson etc. Je note en passant que Rosenthal est toujours en vie, 88 ans, et Madame Lenore Jacobson aussi ! 99 ans ! La psycho, ça conserve.
Ça c’est la version officielle, que j’ai parfois moi-même racontée, dans une époque pas si lointaine où, boursouflé de suffisance, je pensais que pour parler d’un biais de psychologie, je pouvais me passer d’une revue de littérature spécialisée.
La vraie version ?
D’abord, Elton Mayo n’est pas l’inventeur de la moutarde, mais probablement de la mayo. La moutarde, tout le monde sait que c’est le colonel (voir photo ci-contre).
Puis, comme souvent, Mayo n’était pas seul, et d’ailleurs il n’est pas venu très souvent sur les lieux. C’est son assistant, Fritz Jules Roethlisberger, qui s’est cogné le boulot, avec William J. Dickson qui était du genre DRH de la compagnie. Tout le monde les ignore royalement dans l’histoire.
Ensuite, le nom d’effet Hawthorne n’a pas été inventé par Mayo, mais par Henry A. Landsberger, près de 30 ans plus tard1.
Surtout, l’histoire est plus foireuse que cela : le protocole est… ultra moisi. Il n’y a pas de groupe contrôle, on étudie des groupes de cinq en-dehors d’un réel contexte de travail, en les payant plus cher que les autres, on confond corrélations et causalité, l’expérimentateur qui devait prendre des notes et rester coi a largement communiqué avec les ouvrières, bref c’est la préhistoire de la science psychologique, vous faites ça en TP de Licence 1ère année vous prenez une tôle.
Des gens sourcilleux et au cul bordé de nouilles, en l’occurrence deux économistes, John A. List et Steven Levitt (que vous connaissez peut être pour le livre Freakonomics) ont retrouvé un microfilm avec les données originales de Mayo à l’Université du Wisconsin, et ont regardé celles-ci de près, 80 ans plus tard2. Devant les boulettes que John liste, littéralement Steven lévite : pas d’évidence statistique d’un effet aussi fort, méga-erreurs dans les corrélations : « Tous les changements de l’éclairage se faisaient des dimanches, seul jour de congé des travailleurs. (…) La productivité est plus élevée les lundis que les vendredis et samedis. Le résultat des lundis est aussi élevé, en fait, qu’il y ait eu ou non un changement d’éclairage les lundis concernés. Ainsi, les chercheurs semblent avoir confondu l’effet du jour de la semaine, avec l’effet Hawthorne. » En tout état de cause, l’effet Hawthorne existe, mais les preuves convergent vers un léger effet à long terme, et ne justifient pas la notoriété de l’expérience.
Richard Nisbett, psychologue de l’Université du Michigan, résumait assez bien le propos dans The New York Times en 19983 : l’effet Hawthorne est une « glorified anecdote », une « anecdote glorifiée » : « une fois que vous avez l’anecdote, vous pouvez jeter les données ». C’est une technique efficace
Bon, tout ça pour dire que Mayo a fait son expérience en carton à Hawthorne chez les Beach boys ? Même pas ! Si le quintet habitait bien Hawthorne, Californie, Mayo et ses collègues bossèrent quant à eux dans l’usine Western Electric de Cicero, dans la banlieu de Chicago, à 2809 kilomètres de là. L’usine s’appelait la Hawthorne Works parce que Cicero s’est appelé Hawthorne au XIXe siècle. Hawthorne, qui veut dire en anglais épine d’aubépine, si je ne me trompe pas.
Au fait, Vincent Lemerre, qui mène l’émission, explique que les Beach Boys s’appelaient en fait les Pendletones, du nom de leur chemise en laine adorée, mais que leur première maison de disque les a renommé Beach boys, sans même leur demander leur avis.
Bon je me casse surfer, salut.
Notes
- dans Hawthorne revisited. Management and the worker : its critics, and developments in human relations in industry. 1958
- John List et Steven Levitt, « Was There Really a Hawthorne Effect at the Hawthorne Plant ? An Analysis of the Original Illumination Experiments », American Economic Journal : Applied Economics, vol. 3, janvier 2011. Ici
- Gina Kolata, Scientific Myths That Are Too Good to Die, The New York Times, 6 décembre 1998.
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