C’est à cause du film de Kevin Macdonald que j’ai regardé hier soir, « The mauritanian » (traduit en un insipide « Désigné coupable », je me demande qui est payé pour faire des traductions pareilles), avec Tahar Rahim dans le rôle éprouvant de Mohamedou Ould Slahi, emprisonné 14 ans sans chef d’inculpation dans différentes prisons, dont Guantánamo.
Rahim, vous l’avez peut être vu dans le fantastique « Un prophète », de Jacques Audiard (2009). Kevin Macdonald, vous avez peut être comme moi déjà rencontré son travail dans « La mort suspendue » (2003), extraordinaire histoire de l’alpiniste Joe Simpson, ou le plus problématique « Le dernier roi d’Écosse » (2006) sur le dictateur ougandais Sidi Amin Dada, qui n’est pas un exemple de rigueur historique.
J’étais doublement circonspect, donc, sur la rigueur, et parce que le casting étant bien « à la mode », avec Cumberbatch, Woodley, Jodie Foster, ça sentait pas très bon pour le scénar. Mais si effectivement ce n’est pas du grand scénario, et que certaines ficelles sont des cordes à nœud, c’est quand même bien foutu, c’est saisissant, c’est je crois assez fidèle au Guantánamo diary, écrit par Slahi lui-même, que j’ai compulsé ici mais n’ai pas lu in extenso – ça a été édité chez Lafon en 2015 sous le nom « Les carnets de Guantánamo ». Surtout, ça dénonce cette prison hors sol hors clous juridique, qu’Obama avait promis juré de fermer, ce qu’il n’a pas fait, tellement contraire aux droits humains fondamentaux que nos enfants la visiteront comme nous visitons le bagne de Cayenne, dans cette base de 117 km² que les États-Unis louent depuis 1903 pour 4085 dollars par an, ce qui Dieu me tripote ne fait pas cher du mètre carré — 0,003 penny, ça fait pas beaucoup. Parait qu’ils payent par chèque, chèque que Fidel Castro s’enorgueillissait de ne pas encaisser, sauf une fois par mégarde en 1959.
Dans mes cours, j’explique que même si la classique expé de psycho sociale dite « de Stanford », de Philip Zimbardo est une imposture et son effet Lucifer bien moisi (cf. travail de Thibault Le Texier, dont j’ai déjà parlé ici, et que vous pouvez regarder en conf là), les conditions de détention créent quoi qu’il en soit un environnement propice à une violence structurelle – ce qui achève de me convaincre si besoin était d’être anti-carcéral. Généralement je montre aux étudiant·es les « réalisations » carcérales de Lynndie England, Charles Graner et d’autres (six au total, je crois) dans la prison d’Abou Ghraib à Bagdad en 2003, en leur expliquant qu’il ne s’agit pas tant de cruauté individuelle que de violence institutionnelle. D’ailleurs, ce sont ces militaires de bas rang qui ont été condamnés, et dont la vie a été broyée, et aucunement leurs officiers supérieurs qui leur intimaient les ordres. Dans toutes les guerres, c’est pareil, aussi bien en Tchétchénie (cf. travaux d’Anna Politkovskaïa) qu’en Algérie avec nos bon Dupont et nos bons Martin bien de chez nous (beaucoup de ressources sur la question de la torture en Algérie : dernière en date pour ma part, l’épisode 2 sur la vie de Gisèle Halimi, dans Les grandes traversées sur France Culture, par Ilana Navaro, réalisé par Véronique Samouiloff, re-ma-rquable !, j’ai englouti les cinq épisodes d’une traite, je vous en reparlerai).
Au fait, dans le casting, il manque celui qui, entre autres méfaits, a signé le plan d’interrogatoire de Slahi, soumis à la torture pendant de longues semaines : l’ancien secrétaire à la défense Donald Rumsfeld, qu’on a perdu il y a à peine un mois et il faudrait me mettre du wasabi en poudre dans les yeux pour qu’on m’en tire la moindre larmiche.
Je pensais mettre un disque, plutôt : j’hésite entre la rappeuse mauritanienne N’dat Bouwaner, et Wyclef Jean dans sa version de Guantanamera.
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