Une amie des réseaux m’a posé une ques­tion que je trouve très riche. La voi­ci.
« Y a‑t-il un inté­rêt social et poli­tique à ensei­gner / apprendre / com­prendre la théo­rie de l’é­vo­lu­tion ? »

Je réponds sans détour oui.

De même que com­prendre que l’arc-en-ciel n’est pas un pont menant à Åsgard, ou que l’u­ni­vers n’est pas fine-tuné (fine­ment ajus­té) comme aimaient à le dire les frères Bog­da­noff (1), mon­trer aux élèves que l’é­vo­lu­tion est un pro­ces­sus aveugle fait qu’on coupe l’herbe sous le pied d’une des « néces­si­tés » des spi­ri­tua­li­tés. L’hy­po­thèse Dieu ou l’hy­po­thèse d’une volon­té pro­gram­mante n’est pas néces­saire pour com­prendre ce qu’il se passe. Donc si elle n’est pas néces­saire, inutile de s’en ser­vir au moins dans ce cas-là, sachant que choi­sir des enti­tés dif­fé­rentes créé ou attise des conflits. [On pour­rait ajou­ter, comme me le fai­sait remar­quer Sté­phane, un inter­naute, que l’é­vo­lu­tion des espèces ruine l’i­dée d’une nature par­faite et immuable, donc savonne l’i­dée de Créa­tion.]

 

Par ailleurs, en aban­don­nant le prin­cipe de créa­tion divine, on aban­donne le cadre moral inclus dans le lot, l’or­di­na­tion morale Homme / femme / ani­mal, etc. On est obli­gé de réin­ven­ter une « méta­phy­sique » non clé­ri­cale, si tu veux. Michel Rio disait dans un de ses romans (je ne sais plus lequel) qu’il a du res­pect pour les ques­tions méta­phy­siques ; ce sont les réponses qui l’emmerdent. Pour ma part, plu­tôt que d’al­ler en quête de sens dans les reli­gions scrip­tu­raires ou les spi­ri­tua­li­tés Nou­vel Âge, je trouve pré­fé­rable de construire un sens col­lec­tif, et si pos­sible dans ce monde-ci (réel), pas dans l’au-delà (seule­ment pos­sible). Ce sens de vie en col­lec­tif, c’est ce que j’ai envie de résu­mer par la poli­tique, au sens éty­mo­lo­gique grec.

Et puis retra­cer l’his­toire de l’é­vo­lu­tion par rap­port aux reli­gions, les trois « pro­cès du singe », les pro­cès à répé­ti­tion des créa­tion­nistes contre l’aus­tra­lien Ian Ruther­ford Pli­mer, le « flying spagh mons­ter », les ten­ta­tives dites « Intel­li­gent desi­gn », et autres, cela per­met d’ob­ser­ver de près un cer­tain pou­voir de nui­sance des reli­gions sur le savoir col­lec­tif.

Enfin, mon­trer que l’arbre n’est pas diri­gé vers l’hu­main (donc que celui-ci n’a pas de sta­tut supé­rieur lui confé­rant des droits sur les autres) fait le corps des argu­ments moraux en faveur des ani­maux non humains, quand bien même il peut y avoir plu­sieurs modèles concur­rents d’é­thique ani­male. C’est fina­le­ment un pro­ces­sus d’é­lar­gis­se­ment du cercle de la consi­dé­ra­tion morale (for­mule qu’on doit de mémoire à Peter Sin­ger) qu’on voit depuis des siècles, et auquel on peut par­ti­ci­per.

J’y vois donc quatre enjeux poli­tiques et sociaux, au moins. Et j’a­jou­te­rais qu’en connais­sant mieux les pro­ces­sus bio­lo­giques, les sub­strats céré­braux de la morale (même chez des non-humains), le déve­lop­pe­ment cor­ti­cal, on se rend compte que la sexua­li­té des grands singes s’est pro­gres­si­ve­ment déta­chée de sa gangue « instinctive/réflexe pour abou­tir chez les Humains à une sexua­li­té cultu­relle éro­tique : donc au fond, peu importe les sub­strats bio­lo­giques qui pré­dis­posent à cer­taines formes de com­por­te­ments moi­sis, on peut envi­sa­ger de les contre­car­rer par l’é­du­ca­tion, comme on tente de le faire pour l’é­goïsme, la xéno­pho­bie, et autres com­por­te­ments « ves­ti­giaux ».

N’hé­si­tez pas à me dire si vous n’êtes pas d’ac­cord. J’es­saie­rai de répondre.

 

(1) Gri­sh­ka Bog­da­noff, jour­nal télé­vi­sé de France 2, 11 juin 2010 :

« Pour nous, l’univers n’est abso­lu­ment pas né par hasard, quand on constate toutes ces constantes, quand on constate que ces gran­deurs quan­ti­fiées, chif­frées, pré­cises, com­plè­te­ment ajus­tées,
qu’elles sont là, et que si elles avaient été détra­quées ici et là à la ving­tième déci­male, ou au cen­tième rang, un chiffre à la place d’un autre, l’univers serait res­té chao­tique. »

J’en cau­sais ici, dans mon article « L’u­ni­vers conte­nait-il en germe les frères Bog­da­noff ? ».

4 réponses

  1. Crise en Thème dit :

    « Com­por­te­ments ves­ti­giaux » : j’a­dore ce terme. Je vais vous l’emprunter, si j’ar­rive à m’en sou­ve­nir.

  2. Tofu Kush dit :

    La pre­miere fois ou j’ai enten­du cette expres­sion d” « élar­gis­se­ment du cercle de la consi­dé­ra­tion morale » c’é­tait sur ce site meme !
    Dans un inter­view de Chom­sky par Jacques Bou­vresse que vous aviez pos­té lorsque ce der­nier est décé­dé. Coin­ci­dence ? Je ne crois pas 😉

    Sinon le corps de l’ar­ticle me convient mais je pense que beau­coup de militant.es ne voient pas l’im­por­tance de cette théo­rie. Voir pire, la consi­dèrent comme une menace par crainte d’un usage en tant que jus­ti­fi­ca­tion des domi­na­tions. Tzit­zi­mitl en parle très bien dans une de ses video. Pour ma part c’est ce qui me choque le plus quand je m’es­saie a lire des sciences sociales, cette obs­ti­na­tion à vou­loir faire dis­pa­raître la bio­lo­gie. A se sen­tir mena­cé par elle. Mer­ci de faire le pont entre tout ça.

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