Je me rap­pelle que dans les pre­mières années de l’Ob­ser­va­toire zété­tique (un temps que les moins de 15 ans ne peuvent pas connaître), notre cama­rade Édouard Schoene pro­vo­quait des sou­rires gogue­nards en racon­tant être per­sua­dé de l’exis­tence des cirques de puces. C’est fait, il nous a cloué le bec, et bien ! Le mois der­nier, il est par­ti en expé­di­tion à Münich, avec son fis­ton, et il a… vu.

Je lui cède la parole.

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Au tout début des années 2000 il m’a pris une drôle d’idée : retrou­ver traces des « cirques de puces »
Je par­lais de temps en temps à mes amis d’une his­toire qui m’a été contée par mes parents, lorsque j’étais enfant. Ils disaient avoir assis­té à Nice à un spec­tacle où ils avaient vu dans une foire, dans une petite bou­tique, des puces atte­lées à des cha­riots. Ces cha­riots avan­çaient trac­tés par les puces vivantes. À la fin du spec­tacle, les puces avec leurs cha­riots étaient posées sur le bras du « dres­seur de puces » et se nour­ris­saient du sang du maître. Tous mes amis sans excep­tion ne croyaient pas un mot de la véra­ci­té de l’histoire. « Tu es naïf Édouard, c’était un tour de magie ».

La pre­mière étape pour ten­ter de convaincre qu’il s’agissait d’un fait réel, fut d’appeler ma mère et de faire écou­ter le dia­logue à une amie scep­tique, qui a tenu l’écouteur. Voi­ci résu­mé ce qu’a été à peu près le dia­logue :

« Allô maman, tu te sou­viens m’avoir racon­té avoir vu avec papa un spec­tacle de puces, à Nice ?
– Oui c’est loin cela.
Peux-tu me rap­pe­ler ce que tu as vu ?
– Nous étions une ving­taine, der­rière. On ne voyait pas grand-chose ; To père por­tait une cra­vate….
– Qu’as-tu vu des puces atte­lées ?
C’était loin, minus­cule, on ne voyait pas grand-chose. Les cha­riots avan­çaient. À la fin on s’est appro­ché pour voir les puces et leurs cha­riots sur les bras du mon­sieur. »

Le témoi­gnage tenait en peu de mots. Il n’a pas convain­cu mon amie. Alors très vite j’ai cher­ché des traces his­to­riques de ces cirques de puces.

J’ai décou­vert que ces spec­tacles de puces voi­si­naient avec d’autres bou­tiques dénom­mées « entre­sorts ». Le site inter­net belge entresort.skyneblogs.be (qui ne fonc­tionne plus) don­nait à voir des pho­tos et affiches de ces échoppes au début du XXème siècle.

Moi-même, à la foire du trône à Paris j’en ai vu plu­sieurs dans les années 60 quand j’étais ado­les­cent : « le clou du spec­tacle », « Tere­si­na 220 kgs, un mètre vingt de tour de cuisse », des bocaux conte­nant des fœtus mons­trueux… Une archive INA de 1974 montre ici « la femme insen­sible », « la femme sans corps », etc. :

 

Ma quête de témoi­gnages, de docu­ments et sur­tout de cirques exis­tants que je pour­rais voir de mes yeux a été longue. Régu­liè­re­ment j’allais sur inter­net pour recher­cher des cirques de puces. Le pre­mier cirque trou­vé ain­si fut celui de Hans Mathes, pré­sent à la fête de la bière de Munich.
J’hésitais à m’y rendre car la fête de la bière et son immense public ne me ten­tait pas. Le jour où je me déci­dais j’apprenais que la bou­tique de Hans Mathes n’y serait pas. Ce cirque exis­tait depuis 1948 et hélas s’est inter­rom­pu de 2002 à 2004

J’ai décou­vert un autre cirque et appre­nait sa venue à Londres, le cirque de Madame Car­do­so. Hélas, à peine arri­vée à Londres elle a subi une attaque en règle d’une asso­cia­tion pro­tec­trice des ani­maux et elle est repar­tie. J’ai du renon­cer à mon voyage à Londres.

Un jour de juin, je ne me sou­viens plus de l’année (2000–2005), je reçois un appel télé­pho­nique de France 2. Ils m’annoncent leur inten­tion de faire une série d’émissions sur des curio­si­tés, une courte inter­view sui­vie d’un court docu­men­taire. Ils veulent expé­ri­men­ter sur quelques sujets dont celui trou­vé à par­tir d’un de mes cour­riels, « les puces savantes ».

« Accep­te­riez-vous de venir à Paris pour une inter­view ? »

Je réponds favo­ra­ble­ment à une seule condi­tion, que l’émission informe à par­tir d’images d’un cirque de puces exis­tant.

« Oui évi­dem­ment, nous en avons trou­vé un. »

L’été passe, n’ayant aucune nou­velle du pro­jet, je rap­pelle la chaîne télé et j’apprends que la per­sonne qui m’avait appe­lé a quit­té la chaîne. En décembre 2004 je publie un article dans l’hebdomadaire « la Vie Nou­velle » (ici) inti­tu­lé « puces savantes, vrai ou faux » après avoir vu le spec­tacle de M. Pan­za­ni.

Mon appel à témoi­gnage n’a aucun écho.

En 2014 , je découvre un site sur la famille Schmidt :

« À la tête de son… « Théâtre des Puces Savantes » avec plus de 200 « artistes » à l’affiche,  Robert Schmidt par­cou­rait les champs de foire de France et d’Outre Quié­vrain où il col­la­bo­ra un temps au jour­nal pro­fes­sion­nel  « La Comète Belge ».
Dans un article paru à la fin des années 40, L’Inter-Forain rap­pe­lait com­bien notre homme était à son aise der­rière le pla­teau scé­nique de son « Théâtre ».
Après guerre, sur l’affiche de sa baraque, on pou­vait lire : « 200 puces dres­sées, pré­sen­tées par le dres­seur Robert, l’unique dres­seur fran­çais de la famille Schmidt, les créa­teurs du genre. »

Je par­viens à contac­ter au télé­phone, M. Vincent Schmidt, petit-fils de Robert, qui aurait été à Nice avec son cirque et que l’on voit dans le film d’Orson Welles, Mr Arka­din (1955).
Nous échan­geons tous les ans. Il n’obtient pas de sa mère l’autorisation de me prê­ter quelques chars qui ser­vaient à son grand père pour atte­ler aux puces.

2017 : publi­ca­tion de la bande des­si­née « Der­rière la gar­dine, le cirque », de Mau­rice Vigier & Gérard Pon­sing. Quatre planches sont consa­crées au cirque de puces avec mon témoi­gnage.

Le 30 décembre 2018, après une nou­velle mise à jour de mes recherches sur la toile, je découvre l’existence du cirque Birk, en Alle­magne.
J’écris un cour­riel à M. Birk. M. Schmidt est prêt à venir avec moi en Alle­magne pour voir M. Birk. Il est même ten­té de reprendre l’activité de son grand-père.

En 2019 j’écris à M. Birk pour lui deman­der s’il serait prêt à venir en France avec son spec­tacle. Un ami artiste alle­mand appelle M. Birk. Nous pre­nons date pour aller en Alle­magne voir M. Birk mi-mai. Mais la crise sani­taire du coro­na­vi­rus nous oblige à repor­ter ce voyage.

Août 2022 : Hei­ko, à ma demande appelle M. Birk. Nous appre­nons qu’il ouvri­ra son cirque de puces pour la fête de la bière. En toute hâte nous orga­ni­sons avec Sébas­tien, mon fils ; un voyage pour ren­con­trer M. Birk à Munich.

Édouard, en pleine inves­ti­ga­tion

J’y allais avec la cer­ti­tude de voir le spec­tacle encore que j’imaginais un tas d’événements empê­chant que je par­vienne à cette bou­tique de foire.
Mais si M. Birk, le res­pon­sable du lieu, m’attendait, je n’étais pas par­ve­nu à obte­nir une date et une heure pour le ren­con­trer same­di, dimanche ou lun­di.
Nous avions déci­dé d’al­ler voir le spec­tacle tant atten­du, dimanche à l’ou­ver­ture de la fête de la bière.
Puis sur place nous avons conve­nu de pas­ser dès same­di soir faire un repé­rage dans cet immense espace de « l’Oktober Fest ».
A 19h20 envi­ron nous sommes arri­vés devant la baraque du « Floh Zir­kus ». Nous nous sommes pré­sen­tés et avons deman­dé à voir M. Birk.
Il nous a été répon­du qu’il serait là d’i­ci une demi-heure. Alors nous sommes allés voir le spec­tacle, qui dure envi­ron dix minutes.

Edouard et M. Birk, devant le Floh-Cir­cus

Nous en sor­tîmes.… enchan­tés !
Nous pou­vions regar­der de près, avec une loupe, une puce, mon­tée sur un fil de cuivre, qui cir­cu­lait dans le public (une dizaine de pré­sents)
Il était évident que le spec­tacle repo­sait sur des puces vivantes sans le moindre arti­fice de pres­ti­di­gi­ta­tion.
Puis, chance excep­tion­nelle, M. Birk nous a reçus pen­dant plus de deux heures dans sa cara­vane située der­rière sa « bou­tique ».

Nous avons vu :

  • com­ment il liait une puce à un très fin fil de cuivre
  • com­ment il atte­lait la puce à un mini cha­riot
  • com­ment il nour­ris­sait ses puces
  • et élé­ment très drôle, com­ment il sélec­tion­nait une puce qui serait « foot­bal­leur » dans le spec­tacle.

Birk, très sym­pa­trique, nous a dit que nous étions les seuls à qui il a fait une telle démons­tra­tion. Le len­de­main, dimanche, nous sommes retour­nés voir le spec­tacle vers 11h. Cette fois c’é­tait M. Birk qui était le démons­tra­teur.

Puis nous avons encore dis­cu­té : M. Birk aime­rait venir pré­sen­ter son spec­tacle en France. Nous avons rame­né des pho­tos, films. Je n’ai pas l’au­to­ri­sa­tion de tous les trans­mettre tels quels, mais en atten­dant, voi­ci un lien pour voir le spec­tacle de M. Birk.

 

Bien sûr, en bons scep­tiques, nous avons com­men­cé par dou­ter. La scène du spec­tacle de M. Birk est très très modeste. Elle est mini­ma­liste. On pour­rait ima­gi­ner un dis­po­si­tif com­plexe, caché, qui par aiman­ta­tion ferait mou­voir les cha­riots en or. Mais l’or n’est pas aiman­table et nous avons vu le cha­riot avan­cer, tiré par une puce, dans la cara­vane de M. Birk, sur un sup­port dif­fé­rent.
Mais sur­tout, pour­quoi M. Birk uti­li­se­rait il tant de tech­ni­ci­té et d’efforts pour uti­li­ser des puces vivants, si à l’arrivée il fai­sait un tour de magie ?
Il doit se four­nir en puces de chats auprès d’un éle­veur de puces, les nour­rir trois fois par jour, pen­dant une heure, atte­ler les puces.
En outre les puces « foot­bal­leur » inter­viennent sans que le moindre dis­po­si­tif externe puisse mou­voir les « balles » pro­je­tées vers un but, par les puces.

Bref, les cirques de puces existent, je les ai ren­con­trés. 20 ans après je suis en paix.

Pour tout contact : Edouard@Schoene.fr

Adresse du Cirque de M. Birk : www.flohcircus.de contact : info@flohzirkus-birk.de

 

4 réponses

  1. pierre dit :

    Incroyable ! J’ai été tenu en haleine pen­dant toute la lec­ture. À me deman­der si l’ar­ticle ne datait pas du 1e avril, ou si le site de Richard Mon­voi­sin avait été pira­té… Bra­vo pour cette curio­si­té et cette moti­va­tion inusable (20 ans quand même).
    Cha­peau bas.

    • Trans­mis à Edouard Schoene, inoxy­dable. Mer­ci !

    • Edouard Schoene dit :

      Ce der­nier cirque, ves­tige des entre­sorts sera sous peu un sou­ve­nir.
      Les lec­teurs du site de Richard Mon­voi­sin auront pu en avoir un témoi­gnage.
      Ce qui conti­nue à m’in­ter­ro­ger c’est la croyance mas­sive à un nombre énorme d’in­fox, alors que le pré­sent témoi­gnage laisse scep­tique un cer­tain nombre de mes amis, conti­nuant de pen­ser à mon retour de Muniche que le cirque de M. Birk serait un tour de pres­ti­di­gi­ta­tion.

    • Edouard Schoene dit :

      Bon­jour
      Je découvre avec retard votre mes­sage.
      Mer­ci
      J’es­pé­rais la venue en 2024 de M. Birk à la foire du trône mais cela ne se fera pas
      Peut être en 2025…

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