Le site de L’Ex­press consacre un article sur mon ensei­gne­ment à l’u­ni­ver­si­té, sous la plume du sym­pa­thique Vic­tor Gar­cia.
Bien sûr, chaque média a sa sub­jec­ti­vi­té – le jour­nal a été un fier arti­san de l’ex­trême cen­trisme, et a contri­bué à pro­pul­ser Emma­nuel Macron au pou­voir –, et ses liens d’in­té­rêt – son pro­prié­taire était ces der­nières années Alain Weill, à l’é­poque patron de SFR deve­nu Altice. Ce n’est certes pas ma sub­jec­ti­vi­té à moi, mais j’ai accep­té de répondre 1. J’ai éga­le­ment répon­du pour leur pod­cast « La louche »,  j’a­jou­te­rai le lien quand ce sera en ligne. Le texte est ici en PDF, ou ci-des­sous. J’a­joute le PDF de l’ar­ticle papier paru en même temps : Homéo­pa­thie, biodynamie…Comment les zété­ti­ciens bataillent contre les pseu­dos­ciences

Zététique : « Face aux pseudosciences, il faut prendre le problème à la racine »

La zété­tique ambi­tionne de lut­ter contre les fake­med et autre fake­news grâce au scep­ti­cisme et la méthode scien­ti­fique… Non sans heurts. Inter­view avec Richard Mon­voi­sin, ensei­gnant à l’u­ni­ver­si­té de Gre­noble.

Com­ment dou­ter sai­ne­ment de tout afin de trou­ver la véri­té, du moins s’en rap­pro­cher ? Qui croire, pour­quoi, et sur quelles bases ? A l’heure de l’in­fo­dé­mie, des fake­news, de la popu­la­ri­té des pseu­do-méde­cines, des théo­ries du com­plot et de la défiance envers les ins­ti­tu­tions – poli­tiques, média­tiques, sani­taires, éco­no­miques -, la ques­tion n’a jamais été aus­si vitale. La réponse pour­rait-elle être appor­tée par la zété­tique, qui entend étu­dier ration­nel­le­ment les pseu­dos­ciences et autres phé­no­mènes para­nor­maux en leur oppo­sant la méthode scien­ti­fique ? Cette approche basée sur le doute, le scep­ti­cisme et la recherche des faits en oppo­si­tion à la croyance et à l’i­déo­lo­gie ren­contre un suc­cès cer­tain sur Inter­net depuis quelques années. Là, des vul­ga­ri­sa­teurs scien­ti­fiques nou­velle géné­ra­tion tran­chant avec les racines aca­dé­miques de la dis­ci­pline se livrent à des batailles pour la véri­té et la dif­fu­sion de la culture scien­ti­fique et l’es­prit cri­tique.

Les accu­sa­tions de dog­ma­tisme, de fausse objec­ti­vi­té, de poro­si­té avec l’in­dus­trie ou la pen­sée ultra­li­bé­rale, ne sont pas rares. Au sein de cette com­mu­nau­té, les débats sur le gly­pho­sate, le fémi­nisme ou encore l’é­cri­ture inclu­sive ont lais­sé des traces, menant par­fois à des scis­sions. Pour­tant, l a zété­tique consti­tue une arme utile sinon indis­pen­sable pour ren­for­cer l’es­prit cri­tique, dévoi­ler des men­songes, des mani­pu­la­tions et des arnaques… A condi­tion de la pra­ti­quer avec tact et hon­nê­te­té, comme l’ex­plique Richard Mon­voi­sin, doc­teur en didac­tique des sciences en charge d’un cours sur la zété­tique à l’u­ni­ver­si­té Gre­noble-Alpes.

L’Ex­press : En quoi consiste l’en­sei­gne­ment de la zété­tique ?

Richard Mon­voi­sin : Mon tra­vail est d’é­tu­dier les théo­ries « étranges », d’exer­cer une pen­sée cri­tique des­sus et d’en­sei­gner cette pen­sée aux étu­diants de mon cam­pus. Mon objec­tif est de faire en sorte que la géné­ra­tion qui vient soit plus cri­tique que la mienne, et n’a­vale pas les mêmes cou­leuvres. C’est pour ça que je pri­vi­lé­gie les étu­diants de pre­mière année : une par­tie d’entre eux quit­te­ra vite la fac, et j’ai­me­rais qu’ils aient ce petit bagage en par­tant.

Pour­quoi se battre contre les pseu­dos­ciences ?

Je constate que les théo­ries et les spi­ri­tua­lismes restreignent notre rap­port au réel. En nous fai­sant croire des choses, elles les figent. Deux exemples : faire croire aux femmes qu’elles ne sont pas bonnes en maths est une res­tric­tion de leur hori­zon tout comme faire croire qu’on va gué­rir un can­cer par un jeûne de 42 jours. Et faire croire aux maraî­chers qu’il faut suivre la Lune pour plan­ter les légumes-racines est une perte de temps, pour un mer­veilleux métier déjà bien dif­fi­cile.

Comme le dit l’a­dage scep­tique : « ne sois pas un connard », car per­sonne n’a jamais chan­gé d’a­vis en se fai­sant toi­ser ou humi­lier

Mais il ne s’a­git pas tant de me battre contre quelque chose. C’est plu­tôt : don­ner les meilleurs outils intel­lec­tuels pour que cha­cun puisse faire ses choix – quels qu’ils soient, même faire le jeûne en cas de can­cer -, mais en connais­sance de cause.

Ce com­bat vous semble-t-il utile ? Avez-vous réus­si, par exemple à tra­vers votre livre sur les Fleurs de Bach – des « élixirs natu­rels » dont les pré­ten­tions de soins n’ont jamais été prou­vées – à convaincre « d’ex-croyants » de pseu­dos­ciences ?

J’ai quelques exemples, oui, en par­ti­cu­lier parce que je crois être assez doux dans ma façon de faire. Mais je me méfie de mon appré­cia­tion sur la base d’exemples : il y en a pro­ba­ble­ment bien plus qui n’ont pas été convain­cus et ne sont pas venus me le dire. Donc je ne peux rien conclure d’exemples épars. Par contre je constate que si mes cours cri­tiques arrivent assez tôt dans la vie d’un indi­vi­du, et avant qu’il ou elle ne com­mence à adhé­rer à un choix thé­ra­peu­tique, alors l’exi­gence est plus grande. On en revient à la ques­tion pré­cé­dente : on maxi­mise les chances d’a­me­ner à une cri­tique métho­dique si le public est jeune, si on est soi-même doux, et si on est res­pec­tueux du choix des autres. Comme le dit l’a­dage scep­tique : « ne sois pas un connard », car per­sonne n’a jamais chan­gé d’a­vis en se fai­sant toi­ser ou humi­lier.

Sans cette bien­veillance, l’es­prit cri­tique et de la ratio­na­li­té comme outils pour lut­ter contre mes croyances ne peuvent-ils pas jus­te­ment conduire à un dur­cis­se­ment des posi­tions, à pola­ri­ser le débat plu­tôt qu’à l’é­clai­rer ?

La zété­tique dans sa méthode ne fait rien d’autre qu’a­na­ly­ser. Par contre, celui qui l’u­ti­lise peut être gen­til, per­ti­nent, sym­pa, ou tout l’in­verse. Or, ce qui pola­rise, ce n’est pas tant la trame argu­men­ta­tive que la façon de la ser­vir. Et puis cela dépend vrai­ment d’où ça se passe. Il n’y a pas grand-chose à voir entre un cours d’am­phi­théâtre à l’u­ni­ver­si­té et une dis­cus­sion avi­née en famille le soir de Noël. Je dis par­fois aux étu­diants que la zété­tique « aimable », c’est aus­si l’art de fer­mer sa gueule au moment oppor­tun, et lais­ser le temps à l’in­ter­lo­cu­teur d’a­voir envie d’en savoir plus, d’é­veiller sa « curio­si­té épis­té­mique ».

Le nombre de per­sonnes qui croient en une ou plu­sieurs pseu­dos­ciences reste impor­tant, ces croyances res­tent très pré­sentes sur Inter­net et même dans les médias. N’a­vez-vous pas l’im­pres­sion de vous battre contre des mou­lins à vent ?

A court terme, c’est par­fois déses­pé­rant. A long terme, les choses avancent. L’in­fé­rio­ri­té des Noirs, la Terre créée en sept jours, les purges et les sai­gnées, etc., ces idées font fort heu­reu­se­ment moins recette aujourd’­hui. La bonne nou­velle, c’est que si les pseu­dos­ciences changent de forme, le coeur du pro­blème reste à peu près tou­jours le même. Donc s’at­ta­quer au coeur du pro­blème – à mon avis l’en­sei­gne­ment de l’es­prit cri­tique très tôt à l’é­cole – pro­met un ave­nir plus sou­riant.

Je prends un exemple : au niveau zéro, si je vois quel­qu’un qui se soigne avec des lave­ments rec­taux au café (c’est la mode !), je peux me conten­ter de railler, ou de décor­ti­quer. Au niveau plus « méta », je regarde pour­quoi un tel choix. Et la réponse se loge en grande par­tie dans notre modèle de san­té publique. Que sont deve­nus nos ser­vices publics, quelles sont les sus­pi­cions envers les pro­ces­sus de déci­sion, Haute auto­ri­té de san­té, minis­tère de la San­té, etc., qui amènent nos contem­po­rains à pré­fé­rer renon­cer à une méde­cine basée sur les preuves pour retrou­ver une prise en charge, certes peu effi­cace, mais agréable, indi­vi­dua­li­sée, et moins dépen­dante d’of­fi­cines qu’on ne com­prend pas. Je fais l’hy­po­thèse forte que le meilleur moyen de frei­ner les pseu­do-méde­cines, ce n’est pas de les cri­ti­quer,
c’est de redo­ter nos ser­vices de san­té en moyens humains cor­rects.

Le degré de croyance en des pseu­dos­ciences serait donc lié au degré de défiance envers les ins­ti­tu­tions ?

Oui, car la plu­part des gens qui se tournent vers des pseu­do-méde­cines le font soit parce qu’ils sont écœu­rés de leur prise en charge aux urgences ou par la ges­tion publique de la crise Covid par exemple, soit parce qu’ils ont des patho­lo­gies chro­niques qu’on ne sait pas trai­ter, soit parce qu’ils sont las des scan­dales tech­nos poli­tiques, Media­tor, Vioxx. De fait, en jetant l’eau du bain, à rai­son, ils laissent par­tir le bébé : les thé­ra­pies basées sur des faits.

Cela explique-t-il que les par­ti­sans des pseu­dos­ciences accusent sou­vent les cri­tiques et débun­kages de « ser­vir le sys­tème » ?

Bien sûr, c’est la grille auto­ma­tique qui est appli­quée. Le seul moyen de sor­tir de cela est d’u­ti­li­ser un cri­tère très simple, appe­lé cri­tère de Pop­per : une théo­rie doit pou­voir être poten­tiel­le­ment réfu­table selon les faits nou­veaux. Si ma théo­rie n’est jamais réfu­table, alors c’est un scé­na­rio, un sto­ry­tel­ling, pas une théo­rie : ce sera tou­jours vrai et immu­ni­sé contre tout nou­vel argu­ment… Donc on n’est plus en science, mais dans la foi. Si tout argu­ment cri­tique est qua­li­fié de pro-sys­tème, alors il est inutile d’ar­gu­men­ter. Mon conseil ? Expli­quer le cri­tère de Pop­per AVANT la dis­cus­sion.

La zété­tique ren­contre une popu­la­ri­té crois­sante depuis quelques années, et notam­ment sur Inter­net avec l’ap­pa­ri­tion de nom­breux vidéastes et blo­gueurs. La pro­blé­ma­tique de la légi­ti­mi­té et du manque de bagage scien­ti­fique solide ne se pose-t-elle pas ?

Le milieu de la zété­tique est très hété­ro­gène, avec des sas un peu étanches. Il y a des ensei­gnants comme moi, il y a des gens qui font de l’en­quête de ter­rain, il y a des asso­cia­tions, des pod­cas­teurs, des vidéastes et des com­mu­nau­tés sur les réseaux sociaux. Au début des années 2000, je rêvais d’un tel enthou­siasme envers le scep­ti­cisme métho­do­lo­gique. Je me disais que ce serait l’é­tape sui­vante : après Ni Dieu, ni maître, nous ajou­te­rions « ni cha­kra ».

Main­te­nant je suis plus réser­vé. La démarche zété­tique est pié­geuse car elle donne l’illu­sion qua­si-immé­diate d’être deve­nu un héraut de la pen­sée cri­tique après deux ou trois vidéos. Ce qui fait qu’une plé­thore de gens plus ou moins bien for­més s’est empa­rée du terme, avec heurs et mal­heurs. D’ailleurs il est fré­quent que moi qui creuse la ques­tion depuis plus de 20 ans et n’ai pas fini d’en faire le tour, je doive jus­ti­fier de tel ou tel agis­se­ment en ligne de quel­qu’un dit « de ma com­mu­nau­té ». Il suf­fit qu’un zété­ti­cien s’en­rhume pour que moi je tousse.

Quelles sont les prin­ci­pales limites de l’exer­cice de la zété­tique sur Inter­net et « dans la vraie vie » ?

Le pre­mier écueil est l’illu­sion de com­pé­tence. C’est ce qui fait dire à pas mal de cher­cheurs en sciences humaines et sociales que les zété­ti­ciens en moyenne ne sont pas au fait des résul­tats sur les sujets qu’ils traitent. A mon niveau, c’est une erreur pro­fes­sion­nelle. Mais pour une per­sonne sur Twit­ter, peut-on lui en vou­loir ? Le deuxième est selon la par­tia­li­té : si on se pré­tend pen­seur cri­tique, on ne peut pas sys­té­ma­ti­que­ment creu­ser tel ou tel sujet et en lais­ser d’autres ouver­te­ment en jachère – à moins de le jus­ti­fier. Le troi­sième : avoir un sta­tut d’in­fluen­ceur posant des « labels qua­li­té scien­ti­fique » entraîne des convoi­tises. Il va fal­loir veiller à ce que nous ne deve­nions pas l’ins­tru­ment d’in­té­rêts pri­vés, notam­ment indus­triels.

Quelles sont les cri­tiques les plus récur­rentes que vous rece­vez ? Viennent-elles d’un camp poli­tique, ou phi­lo­so­phique en par­ti­cu­lier ?

Fran­che­ment, c’est assez bien répar­ti. Éton­nam­ment, ce ne sont pas les milieux reli­gieux qui sont repré­sen­tés. Fut un temps, c’é­tait à pro­pos de la défense de la liber­té d’ex­pres­sion : si vous décla­rez défendre la liber­té d’ex­pres­sion, on vous dira que vous faites le jeu des néga­tion­nistes, des popu­listes, d’E­ric Zem­mour, etc. Der­niè­re­ment, j’ai reçu beau­coup de cri­tiques lorsque j’ai dit que la menace de voir la zété­tique deve­nir « la pou­pée de chif­fon » d’in­té­rêts éco­no­miques et poli­tiques indus­triels était à prendre au sérieux. Cet enjeu est suf­fi­sam­ment grave pour qu’on s’en empare.

D’ailleurs, cer­tains craignent que la mou­vance zété­tique puisse être infil­trée par des liber­ta­riens ou des per­sonnes trop proches de l’in­dus­trie. Plus glo­ba­le­ment, l’une des cari­ca­tures récur­rentes consiste à dire que défendre la ratio­na­li­té et le scep­ti­cisme serait « de droite ». Com­ment expli­quer cette cri­tique ?

Du moment que vous cri­ti­quez la bio­dy­na­mie de Stei­ner par exemple, on vous tom­be­ra des­sus avec le sophisme de la double faute : « c’est parce que tu es pour le lob­by des vins de Bor­deaux ». On m’a à peu près tout ser­vi : quand je cri­tique les men­songes médi­ca­men­teux, on m’ac­cuse de mar­xisme, quand je cri­tique les fleurs de Bach on m’ac­cuse d’être dili­gen­té par Sano­fi.

Mais c’est aus­si la ran­çon d’un manque d’exi­gence. Je milite pour que qui­conque parle de zété­tique indique ses reve­nus et ses liens d’in­té­rêts d’emblée. Pour moi c’est facile : je n’en ai pas. Je ne reçois que mon salaire public, vos impôts. Quant à pen­ser que les zété­ti­ciens soient les ner­vis des indus­triels, je ne le pense pas du tout, ou alors je ne vois pas du tout où vont les fonds sou­ter­rains… M’au­rait-on oublié ?! Ce qui est sûr, c’est que mes liens d’in­té­rêt, quand ils existent, doivent être décla­rés. On l’exige bien des méde­cins fran­çais, dans Trans­pa­rence-San­té.

D’autres encore rétorquent aux zété­ti­ciens que la science n’est pas toute-puis­sante, qu’elle se trompe et ne peut pas tout expli­quer…

L’es­sence même de la science est de se trom­per, puis de s’au­to­cor­ri­ger. Mais quand j’en­tends la cri­tique « la science n’ex­plique pas tout », cela vient sou­vent de per­sonnes qui n’ont jamais étu­dié la science. Si la science est défi­nie comme « méthode qui vise à dire col­lec­ti­ve­ment le moins grand nombre de conne­ries sur le monde qui nous entoure, et en tire des pré­vi­sions », dans ce cas ça fonc­tionne pas mal. Main­te­nant ce que le public veut sou­vent dire c’est que la science n’ap­porte pas le « pour­quoi » des choses, comme le sens de l’exis­tence. Ça c’est vrai. Je vais vous don­ner un scoop que j’ai mis vingt ans à com­prendre : pour cher­cher le pour­quoi, il y a deux sources pos­sibles. La pre­mière est d’al­ler prendre le « pré­mâ­ché » et bien for­ma­té chez les clercs, prêtres, imams, rab­bins etc. La seconde est de l’in­ven­ter soi-même.

Vic­tor Gar­cia

Notes

  1. Est-ce un crime ? Aga­tha Chris­tie dirait que c’est le crime de l’o­rien­té express… ok ok…

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