Mec qui prend en pho­to un mec qui prend en pho­to un mec qui lit le jour­nal. Drôle d’é­poque.

Le saviez-vous ? À la fin des années 1930, un anar­chiste cam­brio­lait les gre­niers gre­no­blois pour finan­cer notam­ment les révo­lu­tion­naires espa­gnols. Une his­toire que le Dau­phi­né Libé­ré, notre presse quo­ti­dienne régio­nale, a failli racon­ter… Mais que Le Pos­tillon, lui, raconte, dans ses pages du numé­ro de prin­temps 2021, en kiosque. Cette enquête est signée col­lec­ti­ve­ment pages 18 et 19, et je ne peux pas révé­ler publi­que­ment que c’est Nico­las Vivant qui l’a écrit.

Hein ? Non je ne l’ai pas dit.

- Ben si.

– Non, j’en suis sûr j’ai rien lâché.


« Le Maré­chal est là. Il va prendre pos­ses­sion de notre ville et de nos cœurs. »

Nous sommes le jeu­di 20 mars 1941 et Jean Fan­geat, rédac­teur en chef du Petit Dau­phi­nois, par­tage avec ses lec­teurs, lors de la visite de Pétain, la joie qui est la sienne.

Trois ans plus tard, son jour­nal n’existe plus. Le résis­tant est ran­cu­nier, c’est ain­si. En 1945, un nou­veau jour­nal est por­té sur les fonts bap­tis­maux. On le nomme Dau­phi­né Libé­ré, et tout est oublié. Ou presque.

75 ans plus tard, une jour­na­liste dés­œu­vrée cherche une idée. On est en plein confi­ne­ment, et l’ambiance n’est pas folle-folle à Veu­rey-Voroize. Sou­dain, c’est l’illumination : dans les archives, des mil­liers d’articles du Petit Dau­phi­nois som­meillent, qui n’attendent que sa main fébrile pour connaître une nou­velle vie. « L’histoire du dimanche » est née. Chaque semaine, un article his­to­rique est res­sus­ci­té. Et comme, au Dau­phi­né Libé­ré, on aime les faits divers, les vieilles pho­tos et les belles his­toires, c’est plu­tôt dans ce tas-là qu’on pioche. À « Meurtre à Valence : si même les jeunes filles tuent comme les gar­çons… », suc­cèdent « Lagrange et Cot : deux ministres coin­cés par une ava­lanche », puis « Saca­rot­ti, le prince des voleurs de Gre­noble ».

Le prince des voleurs

Le prince des voleurs

Or, ce « prince des voleurs » n’est pas n’importe qui, et son his­toire est loin d’être réduc­tible à un fait divers. Il ne s’appelle pas Saca­rot­ti, ni Sac­ca­rot­ti mais Sac­co­rot­ti. Le Dau­phi­né a réim­pri­mé, sans les cor­ri­ger, les erreurs et approxi­ma­tions du pas­sé.

C’est à Rome, le 29 juin 1900, que Raoul voit le jour. Dès l’âge de 15 ans, livré à lui-même après la mort de son père et le départ pour le front de ses deux frères aînés, il com­met des lar­cins à Gênes, ou sa mère s’est ins­tal­lée. Le début d’une vie qui le conduit, dès 1916, en pri­son. Il y retour­ne­ra à maintes reprises.

Appe­lé sous les dra­peaux en 1918, il ne se pré­sente pas et est arrê­té. L’encadrement mili­taire ne le change pas : les vols conti­nuent et lui valent de nou­veaux ennuis.

En 1930, à peine libé­ré de la pri­son Maras­si de Gênes, il passe la fron­tière. À Mar­seille, un ex-dépu­té socia­liste ita­lien lui trouve du tra­vail au bar­rage de Sau­tet, alors en construc­tion. À Corps, que Raoul rejoint en com­pa­gnie d’autres exi­lés ita­liens, il se mue sou­dai­ne­ment en mili­tant anti­fas­ciste et fonde une sec­tion socia­liste. Le voi­ci dans la région gre­no­bloise.

Rapi­de­ment, les socia­listes ita­liens de Gre­noble se méfient de lui. D’où vient cet argent qu’il brasse et dis­tri­bue ? Soup­çon­né d’être un agent pro­vo­ca­teur, il est expul­sé du PSI, le par­ti socia­liste ita­lien, et se rap­proche des liber­taires, moins regar­dants sur ses acti­vi­tés.

Réa­li­sant qu’à Gre­noble, caves et gre­niers sont pleins des pos­ses­sions dont les bour­geois de la ville n’ont pas l’usage,

Source : Bol­le­ti­no n°29, Centre d’é­tudes liber­taire ita­lien.

il a choi­si de pra­ti­quer l’« expro­pria­tion indi­vi­duelle » et s’est mué en cam­brio­leur, redis­tri­buant une par­tie de ses butins à ceux qui en ont besoin. Ita­liens immi­grés et ins­ti­tu­tions béné­fi­cient de ses largesses.La mai­rie de Gières, par exemple, a béné­fi­cié d’une col­lec­tion com­plète de dic­tion­naires volés à Gre­noble peu de temps aupa­ra­vant. Le reste est ven­du, et lui per­met d’alimenter les anar­chistes espa­gnols en maté­riel et armes diverses.

Il a épou­sé la fille d’un riche tailleur qui ignore tout de ses acti­vi­tés, s’est mué en gendre idéal et pour­suit dis­crè­te­ment ses actions sub­ver­sives. 300 a 400 cam­brio­lages lui sont attri­bués dans la période.

C’est l’histoire d’une ten­ta­tive d’arrestation que raconte, en 1938, le Petit Dau­phi­nois (et donc le Dau­phi­né Libé­ré, ce 28 février 2021), en fai­sant l’impasse sur les redis­tri­bu­tions, le tra­fic d’arme et les autres acti­vi­tés poli­tiques, pour­tant connues, de Raoul Sac­co­rot­ti. Ne demeure, sous la plume des jour­na­listes, qu’une sorte d’Arsène Lupin, monte-en‑l’air pit­to­resque qui écume la ville en bon­dis­sant de toit en toit.

Accu­lé dans un gre­nier du 3 ave­nue Alsace Lor­raine, où il demeure, Raoul menace de faire sau­ter l’immeuble et finit par s’enfuir par les toits, au prix de folles acro­ba­ties.

Les jour­naux natio­naux, qui rendent compte quo­ti­dien­ne­ment des rebon­dis­se­ments de l’affaire, évoquent à peine, ou pas du tout, l’engagement mili­tant de Sac­co­rot­ti. Pour­tant lors de la ten­ta­tive d’arrestation on a retrou­vé, dans le gre­nier dans lequel il a trou­vé refuge, des lettres en pro­ve­nance d’Espagne.

Dans l’une de celles-ci : « Mon cher et grand ami, nous vous remer­cions beau­coup de votre envoi d’armes de guerre qui est bien par­ve­nu à temps… ». Dans une autre : « Quand nous ferez-vous par­ve­nir les colis que nous atten­dons avec impa­tience ?… Phi­lip­po Cado­je­ro fait main­te­nant silence. Il n’écrit plus. Nous atten­dons de lui ce qu’il avait pro­mis. »

Seule La Liber­té, quo­ti­dien d’extrême-droite diri­gé par Jacques Doriot (futur col­la­bo­ra­tion­niste zélé), tente de mettre en avant l’aspect poli­tique de l’histoire, quitte à en rajou­ter dans le délire anti­com­mu­niste. Dans un article du 8 mars 1938, on lit :

« Il semble bien qu’il ait été char­gé de contrô­ler cer­taines ten­ta­tives de sabo­tage. C’est ain­si qu’il serait très inté­res­sant de savoir pour quelles rai­sons Sac­ca­rot­ti — alors intel­lec­tuel — s’en­ga­gea par­mi les quelque 7 000 ouvriers qui tra­vaillèrent aux chan­tiers du for­mi­dable bar­rage de Sau­tet. On sait que ces extra­or­di­naires tra­vaux d’art, les plus impor­tants des Alpes, furent inau­gu­rés en 1937 par le pré­sident Albert Lebrun.

Une impor­tante ten­ta­tive de sabo­tage ne fut-elle pas déjouée en 1934 ? Quel rôle exact joua Sac­ca­rot­ti ?

Pen­dant cinq ans, il ne ces­sa de mener une grande acti­vi­té SECRÈTE dans la région. Et c’est fort pro­ba­ble­ment en s’in­tro­dui­sant chez cer­taines per­son­na­li­tés mili­taires, poli­tiques, judi­ciaires, pour ren­sei­gner les ser­vices d’espionnage anti-fas­cistes, que Sac­ca­rot­ti prit goût au métier de cam­brio­leur. »

Après sa fuite spec­ta­cu­laire, Raoul Sac­co­rot­ti se réfu­gie à Paris. Si les Fran­çais le recherchent en vain, les ser­vices de ren­sei­gne­ment fas­cistes n’ignorent rien de sa situa­tion et notent qu’il est « aidé et secrè­te­ment pro­té­gé par quelques cama­rades anar­chistes ». Charles Ridel alias Louis Mer­cier Vega, et Lucien Feuillade sont de ceux-là.

À Mar­seille, cinq mois plus tard, un poli­cier gre­no­blois l’aperçoit par hasard et l’interpelle. Il est les­té d’une valise pleine de bronzes chi­nois pro­ba­ble­ment « expro­priés » par les liber­taires de Bar­ce­lone, ville dont il rentre à peine. Sur lui, de faux papiers au nom d’Olivero. Condam­né à quatre ans, (le Dau­phi­né Libé­ré parle de 6 mois !), il rejoint la pri­son Saint-Joseph de Gre­noble, puis le camp de concen­tra­tion du Ver­net d’Ariège, d’où il obtient son rapa­trie­ment en Ita­lie en 1943.

À son arri­vée, il est immé­dia­te­ment arrê­té et empri­son­né à Gênes. Pré­tex­tant qu’il a infil­tré les milieux socia­listes et com­mu­nistes à la demande du comte Staf­fe­ti, vice-consul ita­lien de Gre­noble, il assure avoir fait du tra­fic d’arme au nom d’un mou­ve­ment natio­na­liste fran­çais, et cache la réa­li­té de ses liens avec les anar­chistes espa­gnols.

Placement de produit.

Pla­ce­ment de pro­duit.

Après la guerre, ajou­tant au mys­tère d’un par­cours tou­jours plus aven­tu­reux, il vit à Milan au bras d’une prin­cesse russe : Olga Eris­toff. Vous connais­sez son nom : sa famille, anti­com­mu­niste achar­née, est à l’origine d’une marque de vod­ka mon­dia­le­ment connue.

Sac­co­rot­ti décède en 1977.

 

Phil Casoar est jour­na­liste. Il a col­la­bo­ré à Actuel, Libé, Char­lie, Fluide Gla­cial et à tout un tas d’autres choses res­pec­tables. Depuis 14 ans, il se pas­sionne pour l’histoire de Raoul Sac­co­rot­ti, a écrit plu­sieurs articles sur le sujet, et est en train de mettre la der­nière main à un livre qui lui est consa­cré. La plu­part des infor­ma­tions conte­nues dans cet article, qu’il a accep­té de relire, sont issues de ce tra­vail. Qu’il soit mille fois remer­cié.

 

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