En mai 2024, un groupe de macaques des­ti­nés à la recherche au centre de pri­ma­to­lo­gie de l’u­ni­ver­si­té de Stras­bourg, lequel est dans le viseur de défen­seurs des ani­maux. (Sébas­tien Bozon /AFP)

Il n’y a pas besoin d’être un modèle de per­fec­tion pour défendre une cause. Par exemple, j’ai beau défendre la cause ani­male, on me pren­dra par­fois à man­ger du fro­mage, ou à por­ter mes vieilles bottes de cuir. On fait ce qu’on peut, le tout est de recon­naître ses inco­hé­rences, de par­tir de là où on est, et de pous­ser au max dans la direc­tion choi­sie.

J’ai signé cette tri­bune dans Libé­ra­tion le 24 décembre, avec un col­lec­tif d’u­ni­ver­si­taires et de chercheur·ses. Il y a bien sûr des choses que je n’au­rais pas écrit tout à fait comme ça, mais le mes­sage est là.

Expérimentation animale : les animaux méritent qu’on respecte l’éthique

Une pro­po­si­tion de taxe sur les ani­maux uti­li­sés en labo­ra­toire afin de finan­cer des alter­na­tives s’est vue oppo­ser de vives cri­tiques. Un col­lec­tif de cher­cheurs affirme pour­tant que les béné­fices scien­ti­fiques sont loin de contre­ba­lan­cer la souf­france des ani­maux concer­nés.  Trois amen­de­ments au pro­jet de loi de finances pour 2025, adop­tés par l’Assemblée natio­nale et reje­tés par le Sénat, pro­po­saient une taxe sur l’utilisation d’animaux par les labo­ra­toires à rai­son de 1 euro ou de 50 euros par ani­mal, notam­ment pour financer le déve­lop­pe­ment d’alternatives. Dans la lignée de réac­tions publiées dans la Revue poli­tique et par­le­men­taire ou dans Regards, et de cour­riers col­lec­tifs envoyés aux par­le­men­taires, une tri­bune récem­ment publiée dans le Monde dénonce ces ten­ta­tives et appelle à « don­ner la parole aux scien­ti­fiques » pour expo­ser « des faits, tou­jours des faits, rien que des faits ». Mais elle occulte entiè­re­ment la ques­tion de fond : en l’occurrence, la fin jus­ti­fie-t-elle les moyens ?

Ces moyens, qui impliquent de faire souf­frir des ani­maux, ne sont tout sim­ple­ment pas men­tion­nés. Peut-être les signa­taires y voient-ils une « pas­sion » incom­pa­tible avec la ratio­na­li­té néces­saire au débat ? La souf­france ani­male est pour­tant la rai­son d’être des « 3R », ce man­tra répé­té par les labo­ra­toires : rem­pla­cer les ani­maux quand des alter­na­tives équi­va­lentes existent, réduire leur nombre et raf­fi­ner les méthodes de détention et d’utilisation. Si les ani­maux ne souf­fraient pas, s’ils n’étaient pas contraints, ins­tru­men­ta­li­sés et tués, il n’y aurait pas de débat. Il est alors bon de se tour­ner vers l’histoire. Les mêmes groupes qui s’élèvent aujourd’hui contre l’idée d’une taxe, même minime, pré­di­saient déjà l’apocalypse et la fin de la recherche quand l’Europe a com­men­cé à s’intéresser aux alter­na­tives il y a plus de cin­quante ans. Ils ont résis­té au ren­for­ce­ment de la régle­men­ta­tion il y a vingt ans, tout en répé­tant inlas­sa­ble­ment que l’encadrement de l’expérimentation ani­male est « très strict ».

Un labo­ra­toire sur cinq est en infrac­tion chaque année.

En réa­li­té, aujourd’hui, presque n’importe quelle res­tric­tion peut faire l’objet d’une déro­ga­tion, les comi­tés char­gés d’évaluer les pro­jets ont fonc­tion­né illé­ga­le­ment pen­dant dix ans et près d’un labo­ra­toire sur cinq est en infrac­tion « moyenne » ou « majeure » chaque année. Ils parlent désor­mais d’informer cor­rec­te­ment le public par la « trans­pa­rence », tout en contri­buant à res­treindre autant que pos­sible l’accès aux docu­ments et aux infor­ma­tions sur la réa­li­té concrète des pra­tiques et de leur impact sur les ani­maux concer­nés.
Sans nier la légi­ti­mi­té des scien­ti­fiques à par­ler de leur domaine de
spé­cia­li­té, il semble utile de rap­pe­ler que si « la science n’est pas une affaire d’opinion », l’éthique non plus. En d’autres termes, s’il faut bien enten­du s’appuyer sur l’état de l’art scien­ti­fique pour répondre aux ques­tions scien­ti­fiques, l’état de l’art éthique est tout aus­si impor­tant pour répondre aux ques­tions éthiques. Michael Fox, seul philo­sophe ayant consa­cré un livre entier à la défense de l’expérimentation ani­male (en 1986), a renié le pro­pos de son livre quelques mois plus tard après des dis­cus­sions appro­fon­dies avec ses col­lègues spé­cia­listes. Et quand The Oxford Cen­ter for Ani­mal Ethics s’est pen­ché sur la ques­tion en 2018, le résul­tat a été sans appel : non seule­ment, l’expérimentation ani­male repose sur une injus­tice fon­da­men­tale envers les ani­maux, mais ses béné­fices atten­dus ne peuvent même pas contre­ba­lan­cer les souf­frances bien réelles qu’elle inflige. Pour un débat « objec­tif et cor­rec­te­ment étayé », reste à écou­ter les spé­cia­listes de l’éthique.

Signa­taires

Nico­las Mar­ty (expe­ri­men­ta­tion-animale.info)

Sarah Zanaz Doc­to­rante en phi­lo­so­phie morale à l’université de Stras­bourg

Fran­çois Jaquet Phi­lo­sophe, ensei­gnant-cher­cheur en éthique, direc­teur adjoint du Mas­ter Ethique, uni­ver­si­té de Stras­bourg

Valé­ry Giroux Cher­cheuse en éthique ani­male, direc­trice adjointe du Centre de recherche en éthique, uni­ver­si­té de Mont­réal

Mar­tin Gibert Phi­lo­sophe et cher­cheur en éthique, uni­ver­si­té de Mont­réal

Jérôme Segal Ensei­gnant-cher­cheur en phi­lo­so­phie des sciences et his­toire, Sor­bonne-Uni­ver­si­té

Sam Ducou­rant Cher­cheuse post-doc­torale en phi­lo­so­phie et his­toire des sciences, Käte-Ham­bur­ger-Kol­leg-Aachen : Cultures of research

Vir­gi­nie Simo­neau-Gil­bert Doc­to­rante en phi­lo­so­phie, uni­ver­si­té d’Oxford

Edwin Louis-Maer­ten Doc­to­rant en bioé­thique et vété­ri­naire

Vincent Gémin Doc­to­rant en phi­lo­so­phie morale, poli­tique et éco­no­mique à Paris Pan­théon-Sor­bonne

Ombre Tar­ra­gnat Doctorant·e en phi­lo­so­phie, uni­ver­si­té Paris-8 Vin­cennes Saint-Denis

Richard Mon­voi­sin Didac­ti­cien des sciences, Labo Timc, uni­ver­si­té Gre­noble-Alpes

Ber­nard Godelle Profes­seur de bio­lo­gie évo­lu­tive, uni­ver­si­té de Mont­pel­lier

Roland Cash Méde­cin, nor­ma­lien, doc­teur en phar­ma­co­lo­gie, consul­tant en san­té publique

Marie-Claude Mar­so­lier Direc­trice de recherche en éco-anthro­po­lo­gie et en eth­no­bio­lo­gie CEA-Museum natio­nal d’histoire natu­relle

Cathe­rine Ker­brat-Orec­chio­ni Pro­fes­seure hono­raire en sciences du lan­gage, uni­ver­si­té de Lyon-2

Béa­trice Canel-Depitre Ex-maître de confé­rences en sciences de ges­tion à l’université du Havre

Valé­rie Croi­sille Maître de confé­rences, uni­versité de Limoges

Julien Dugnoille Ensei­gnant-cher­cheur en anthro­po­lo­gie et en études ani­males, uni­ver­si­té d’Exeter

Lau­ra Nico­las Ensei­gnante-cher­cheuse en sciences de l’éducation, uni­ver­si­té Paris-Est-Cré­teil

Alexia Renard Doc­to­rante en science poli­tique et ensei­gnante, uni­ver­si­té de Mont­réal

Rachel Lapicque Doc­teure en études amé­ri­caines, uni­ver­si­té de Rennes-2

Laure Gisie Doc­teure en droit, uni­ver­si­té Auto­nome de Bar­ce­lone

Laure Boniol Doc­to­rante en socio­lo­gie, uni­ver­si­té Paul- Valé­ry de Mont­pel­lier.

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