Il n’y a pas besoin d’être un modèle de perfection pour défendre une cause. Par exemple, j’ai beau défendre la cause animale, on me prendra parfois à manger du fromage, ou à porter mes vieilles bottes de cuir. On fait ce qu’on peut, le tout est de reconnaître ses incohérences, de partir de là où on est, et de pousser au max dans la direction choisie.
J’ai signé cette tribune dans Libération le 24 décembre, avec un collectif d’universitaires et de chercheur·ses. Il y a bien sûr des choses que je n’aurais pas écrit tout à fait comme ça, mais le message est là.
Expérimentation animale : les animaux méritent qu’on respecte l’éthique
Une proposition de taxe sur les animaux utilisés en laboratoire afin de financer des alternatives s’est vue opposer de vives critiques. Un collectif de chercheurs affirme pourtant que les bénéfices scientifiques sont loin de contrebalancer la souffrance des animaux concernés. Trois amendements au projet de loi de finances pour 2025, adoptés par l’Assemblée nationale et rejetés par le Sénat, proposaient une taxe sur l’utilisation d’animaux par les laboratoires – à raison de 1 euro ou de 50 euros par animal, notamment pour financer le développement d’alternatives. Dans la lignée de réactions publiées dans la Revue politique et parlementaire ou dans Regards, et de courriers collectifs envoyés aux parlementaires, une tribune récemment publiée dans le Monde dénonce ces tentatives et appelle à « donner la parole aux scientifiques » pour exposer « des faits, toujours des faits, rien que des faits ». Mais elle occulte entièrement la question de fond : en l’occurrence, la fin justifie-t-elle les moyens ?
Ces moyens, qui impliquent de faire souffrir des animaux, ne sont tout simplement pas mentionnés. Peut-être les signataires y voient-ils une « passion » incompatible avec la rationalité nécessaire au débat ? La souffrance animale est pourtant la raison d’être des « 3R », ce mantra répété par les laboratoires : remplacer les animaux quand des alternatives équivalentes existent, réduire leur nombre et raffiner les méthodes de détention et d’utilisation. Si les animaux ne souffraient pas, s’ils n’étaient pas contraints, instrumentalisés et tués, il n’y aurait pas de débat. Il est alors bon de se tourner vers l’histoire. Les mêmes groupes qui s’élèvent aujourd’hui contre l’idée d’une taxe, même minime, prédisaient déjà l’apocalypse et la fin de la recherche quand l’Europe a commencé à s’intéresser aux alternatives il y a plus de cinquante ans. Ils ont résisté au renforcement de la réglementation il y a vingt ans, tout en répétant inlassablement que l’encadrement de l’expérimentation animale est « très strict ».
Un laboratoire sur cinq est en infraction chaque année.
En réalité, aujourd’hui, presque n’importe quelle restriction peut faire l’objet d’une dérogation, les comités chargés d’évaluer les projets ont fonctionné illégalement pendant dix ans et près d’un laboratoire sur cinq est en infraction « moyenne » ou « majeure » chaque année. Ils parlent désormais d’informer correctement le public par la « transparence », tout en contribuant à restreindre autant que possible l’accès aux documents et aux informations sur la réalité concrète des pratiques et de leur impact sur les animaux concernés.
Sans nier la légitimité des scientifiques à parler de leur domaine de spécialité, il semble utile de rappeler que si « la science n’est pas une affaire d’opinion », l’éthique non plus. En d’autres termes, s’il faut bien entendu s’appuyer sur l’état de l’art scientifique pour répondre aux questions scientifiques, l’état de l’art éthique est tout aussi important pour répondre aux questions éthiques. Michael Fox, seul philosophe ayant consacré un livre entier à la défense de l’expérimentation animale (en 1986), a renié le propos de son livre quelques mois plus tard après des discussions approfondies avec ses collègues spécialistes. Et quand The Oxford Center for Animal Ethics s’est penché sur la question en 2018, le résultat a été sans appel : non seulement, l’expérimentation animale repose sur une injustice fondamentale envers les animaux, mais ses bénéfices attendus ne peuvent même pas contrebalancer les souffrances bien réelles qu’elle inflige. Pour un débat « objectif et correctement étayé », reste à écouter les spécialistes de l’éthique.
Signataires
Nicolas Marty (experimentation-animale.info)
Sarah Zanaz Doctorante en philosophie morale à l’université de Strasbourg
François Jaquet Philosophe, enseignant-chercheur en éthique, directeur adjoint du Master Ethique, université de Strasbourg
Valéry Giroux Chercheuse en éthique animale, directrice adjointe du Centre de recherche en éthique, université de Montréal
Martin Gibert Philosophe et chercheur en éthique, université de Montréal
Jérôme Segal Enseignant-chercheur en philosophie des sciences et histoire, Sorbonne-Université
Sam Ducourant Chercheuse post-doctorale en philosophie et histoire des sciences, Käte-Hamburger-Kolleg-Aachen : Cultures of research
Virginie Simoneau-Gilbert Doctorante en philosophie, université d’Oxford
Edwin Louis-Maerten Doctorant en bioéthique et vétérinaire
Vincent Gémin Doctorant en philosophie morale, politique et économique à Paris Panthéon-Sorbonne
Ombre Tarragnat Doctorant·e en philosophie, université Paris-8 Vincennes Saint-Denis
Richard Monvoisin Didacticien des sciences, Labo Timc, université Grenoble-Alpes
Bernard Godelle Professeur de biologie évolutive, université de Montpellier
Roland Cash Médecin, normalien, docteur en pharmacologie, consultant en santé publique
Marie-Claude Marsolier Directrice de recherche en éco-anthropologie et en ethnobiologie CEA-Museum national d’histoire naturelle
Catherine Kerbrat-Orecchioni Professeure honoraire en sciences du langage, université de Lyon-2
Béatrice Canel-Depitre Ex-maître de conférences en sciences de gestion à l’université du Havre
Valérie Croisille Maître de conférences, université de Limoges
Julien Dugnoille Enseignant-chercheur en anthropologie et en études animales, université d’Exeter
Laura Nicolas Enseignante-chercheuse en sciences de l’éducation, université Paris-Est-Créteil
Alexia Renard Doctorante en science politique et enseignante, université de Montréal
Rachel Lapicque Docteure en études américaines, université de Rennes-2
Laure Gisie Docteure en droit, université Autonome de Barcelone
Laure Boniol Doctorante en sociologie, université Paul- Valéry de Montpellier.
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