Je me suis per­mis de repro­duire cet article, car Thi­baut Schep­man bosse bien. Et vu le chiffre d’af­faire du groupe Amau­ry qui pos­sède L’é­quipe ( env. 440 mil­lions d’eu­ros), je ne crois pas les léser.

Gare aux gou­rous, par Thi­baut Schep­man, 3 octobre 2023

https://www.lequipe.fr/explore/wf122-gare-aux-gourous

Ils gra­vitent dans l’en­tou­rage de cer­tains des plus grands ath­lètes comme des spor­tifs ama­teurs et ont déve­lop­pé leur emprise à la faveur de la crise sani­taire. Mi-conseillers, mi-thé­ra­peutes, qui sont ces nou­veaux gou­rous ?Le nombre de signa­le­ments de dérives sec­taires a qua­si­ment dou­blé sur les six der­nières années et cette hausse est en bonne par­tie liée à des agis­se­ments dans le milieu de la san­té, de l’alimentation et du bien-être.

Le sport, à la croi­sée de ces mondes, est au cœur de la tem­pête, parce qu’il peut conduire à des habi­tudes nocives et des situa­tions d’emprises men­tales.

C’est l’un des meilleurs mara­tho­niens ama­teurs fran­çais qui a été hap­pé par des théo­ries extrêmes sur l’alimentation et a fini par tom­ber en dénu­tri­tion.

C’est Novak Djo­ko­vic qui, avant de rem­por­ter à l’US Open son 24e titre du Grand Che­lem, a mis en dan­ger sa car­rière mais aus­si sa san­té et celle des autres au nom de croyances éso­té­riques.

C’est aus­si un thé­ra­peute auto­pro­cla­mé qui mani­pule en France de nom­breux joueurs de foot pro avec des outils occultes.

Enquête sur ces per­son­nages à l’in­fluence gran­dis­sante.

Un gou­rou en toge blanche, des signes éso­té­riques ou des séances de prières mys­tiques col­lec­tives. Dans l’imaginaire col­lec­tif, voi­ci à quoi res­semble une secte. Mais les nou­veaux mou­ve­ments sec­taires prennent des formes mul­tiples et s’éloignent des cli­chés. Aux yeux des auto­ri­tés, un natu­ro­pathe est deve­nu ces der­niers mois l’incarnation de ce genre de muta­tion. Son nom : Thier­ry Casas­no­vas.

Thier­ry Casas­no­vas sur sa chaine You­tube.

En mars 2023, celui qui est désor­mais qua­li­fié de « gou­rou du cru » a été mis en exa­men pour : « abus de confiance »
« abus de fai­blesse »
« faux et usage de faux »
« exer­cice illé­gal de la méde­cine »
« exer­cice illé­gal de la phar­ma­cie »
« pra­tiques com­mer­ciales trom­peuses »
« abus de biens sociaux »
« blan­chi­ment »

Pour l’an­cien chef de la Mivi­ludes (Mis­sion inter­mi­nis­té­rielle de vigi­lance et de lutte contre les dérives sec­taires) Chris­tian Gra­vel, il est même « l’archétype de la nou­velle géné­ra­tion d’entrepreneurs sec­taires, de pré­da­teurs sec­taires ». L’organisme dit avoir reçu depuis 2012 plu­sieurs cen­taines de signa­le­ments le concer­nant. Un record. Thier­ry Casa­no­vas n’est plus auto­ri­sé à s’exprimer en public sur la san­té ou le bien-être, aus­si ses 600 000 abon­nés se conten­te­ront des cen­taines de vidéos déjà publiées sur You­tube. Au milieu des années 2010, alors qu’il était encore peu connu du grand public, Thier­ry Casas­no­vas est par­ve­nu à séduire un pro­fil de per­sonnes bien par­ti­cu­lier : celui des spor­tifs et notam­ment des spé­cia­listes de l’endurance. À l’époque, il se pré­sente comme quelqu’un ayant « pas­sé une bonne par­tie de sa vie à cou­rir de l’ultra-longue dis­tance » et réus­si des per­for­mances spor­tives exceptionnelles.Il laisse entendre qu’il a cou­ru le semi-mara­thon en moins de 1 h 15 – moins de 1% des cou­reurs réfé­ren­cés en France à l’é­poque en étaient capables – voire 1 h 09, soit l’équivalent du record de France fémi­nin de l’époque, ou un niveau per­met­tant de mon­ter sur le podium mas­cu­lin de pas mal de courses natio­nales dans les années 2000.Il n’existe aucune trace de ces chro­nos et ceux-ci paraissent sujet à cau­tion quand on les croise avec d’autres élé­ments de sa bio­gra­phie : il a lui-même témoi­gné d’a­voir eu une très mau­vaise hygiène de vie à l’époque.Contacté par « L’E­quipe », ce der­nier main­tient avoir cou­ru sous les 1 h 15 : « C’est un bon niveau pour des cou­reurs qui s’en­traînent très sérieu­se­ment, ce qui était mon cas », pré­cise-t-il dans un mail dont une copie a été adres­sée à son avo­cat, le très cri­ti­qué Fabrice Di Vizio.‍De même, Casa­no­vas se défend face aux mises en cause dont il fait l’ob­jet et conteste tout agis­se­ment sec­taire : « La notion de secte répond à des cri­tères pré­cis qu’ils (la Mivi­ludes) décrivent eux mêmes fort bien sur leur site inter­net et aucun de ces cri­tères ne s’ap­plique à mon acti­vi­té. »

Mettre en avant ces chro­nos lui a en tout cas per­mis d’approcher cer­tains hauts res­pon­sables du sport fran­çais. En 2015, par exemple, un res­pon­sable du Pôle France de Jiu-Jit­su bré­si­lien l’in­vi­tait à pré­sen­ter un long expo­sé sur « les para­mètres phy­sio­lo­giques de la per­for­mance » à de jeunes ath­lètes pré­sents pour un stage de sélec­tion. L’un des pro­fes­seur de Jiu-Jit­su pré­sents, après avoir jus­te­ment rap­por­té à la presse locale le fameux chro­no de 1 h 09 de Thier­ry Casas­no­vas sur semi-mara­thon, pré­sen­tait ce der­nier comme « spé­cia­liste de la nutri­tion » et com­men­tait : « S’il y a bien une confé­rence qu’il ne vous faut pas man­quer dans un lieu convi­vial, c’est celle-là… »

Ce dis­cours rejoint celui de Casas­no­vas qui, dans une vidéo inti­tu­lée « Le meilleur régime pour cou­rir, du jog­ging à l’ul­tra mara­thon », pré­ten­dait par exemple pou­voir « boos­ter par deux » les per­for­mances en man­geant essen­tiel­le­ment des fruits et légumes crus sous forme de jus. Sa légi­ti­mi­té est remise en ques­tion : en effet, s’il est natu­ro­pathe, il n’a de diplôme recon­nu ni en nutri­tion, ni en méde­cine du sport.S’il a pu œuvrer au plus près des ath­lètes, c’est sur­tout en ligne que ce pré­di­ca­teur pas­sion­né de nour­ri­ture crue et de jeûne a eu le plus d’impact sur la vie de ses suiveurs.Tombé sous l’in­fluence de Thier­ry Casas­no­vas en 2015, le mara­tho­nien ama­teur Maxime Lopes dit avoir repris aujourd’­hui une ali­men­tion équi­li­brée. Deve­nu doc­teur en psy­cho­lo­gie du sport et entraî­neur de course à pied, il témoigne volon­tiers de cette époque révo­lue.

Maxime Lopes pen­dant son entraî­ne­ment au Kénya.

En 2023, il a atteint un niveau excep­tion­nel pour un mara­tho­nien ama­teur, proche de cer­tains pro­fes­sion­nels (2 h 17 en avril à Rot­ter­dam). Quelques jours après notre entre­tien, Maxime Lopes s’envolait pour le Kenya pour deux semaines d’en­traî­ne­ment. Son par­te­naire lors de nom­breuses séances : Mathieu Blan­chard, 2e de l’UTMB 2022 et alors en pleine pré­pa­ra­tion pour le mara­thon de Paris qu’il bou­cle­ra en 2 h 22.

Les résul­tats de Maxime Lopes sont d’autant plus excep­tion­nels qu’il a démar­ré la course tar­di­ve­ment. C’était en 2014, alors qu’il était étu­diant au Qué­bec. Cette année-là, à peine quelques mois d’en­traî­ne­ment lui suf­fisent pour prendre conscience de ses capa­ci­tés. Il se pas­sionne pour ce sport, pro­gresse rapi­de­ment et se convainc très vite d’une chose : il doit chan­ger son ali­men­ta­tion pour perdre du poids et exploi­ter tout son poten­tiel. Il va plu­tôt mettre en grand dan­ger sa san­té men­tale et phy­sique. Début 2015, le cou­reur découvre sur You­tube des méthodes d’alimentation dites alter­na­tives comme le cru­di­vo­risme et le jeûne. Et adhère prin­ci­pa­le­ment selon lui aux idées du natu­ro­pathe Thier­ry Casas­no­vas : « Je me pesais plu­sieurs fois par jour. Je cher­chais l’alimentation par­faite et je réa­lise aujourd’hui que j’étais prêt à croire beau­coup de choses. Je me suis fait avoir par Thier­ry Casas­no­vas, qui est un très bon ora­teur. J’ai pas­sé des heures devant ses vidéos. »

Le récit de Maxime Lopes per­met de com­prendre com­ment cer­taines croyances peuvent se gra­ver dans notre esprit. Il décrit par exemple : « Ces vidéos ont créé chez moi des sché­mas, une idéo­lo­gie de la pure­té, J’ai inté­gré des concepts comme “c’est mal de man­ger tel ou tel pro­duit” ou même “man­ger, ça fait de toi une mau­vaise per­sonne”. Ça crée une culpa­bi­li­té dont il est très dif­fi­cile de se débar­ras­ser ». Pour les adeptes et anciens adeptes, témoi­gner est dif­fi­cile. « C’est très  »émo­tion­nel » pour moi, recon­naît Maxime Lopes. Je suis très irri­té, ça me rap­pelle trop de choses. C’est allé loin, j’ai même convain­cu mes parents d’acheter une machine, un extrac­teur de jus, pour boire les jus comme Thier­ry Casas­no­vas. » Quand on l’in­ter­roge sur l’in­fluence qu’il a pu avoir sur les per­sonnes qui regar­daient ses vidéos et ont eu des com­por­te­ments à risque, le natu­ro­pathe rétorque : « N’a­vez-vous aucun esprit cri­tique ou faites-vous sem­blant d’être bête pour faire des asso­cia­tions faciles et médiocres dans l’ob­jec­tif de m’ac­cu­ser ? À moins que vous puis­siez me dire que je l’ai per­son­nel­le­ment coa­ché (ce qui m’é­ton­ne­rait fort), ou au mini­mum me dire quels conseils il a sui­vis ? Puis d’en­quê­ter en tant qu’ex­pert jour­na­liste s’il a bien com­pris mon mes­sage, ou encore s’il les a réel­le­ment appli­qués (ce qui est impos­sible à véri­fier), ou s’il n’a pas des troubles du com­por­te­ment ali­men­taire ? » ‍Le you­tu­beur invite par ailleurs à s’in­té­res­ser aux cou­reurs qui « suivent son tra­vail », citant entre autres le contro­ver­sé Flo­rian Gomet.

 

Maxime Lopes sur sa chaîne You­tube.

Maxime Lopes, lui, est aujourd’hui auteur d’une chaîne You­tube – appe­lée Run­wise – de réfé­rence sur la course à pied, où il indique ne trans­mettre que des infor­ma­tions basées sur la science. Une démarche de véri­té qu’il consi­dère comme une thé­ra­pie. Et qu’il pour­suit en expli­quant dans le détail les réper­cus­sions qu’ont eues ces croyances sur sa vie.Retour en 2015. Au bout de quelques semaines de jeûnes répé­tés, le mara­tho­nien raconte qu’il dort très mal et souffre de maux de têtes régu­liers. De graves symp­tômes de dénu­tri­tion, même s’il refuse d’a­bord d’admettre ce qui lui appa­raît aujourd’­hui comme une évi­dence : « J’étais tota­le­ment dans le déni jusqu’à ce que ma mère vienne pour un séjour au Cana­da. Dès qu’elle m’a vu, elle m’a trou­vé très, très amai­gri ». « On est par­ti explo­rer le Qué­bec et dès le pre­mier déjeu­ner avec elle, j’ai cra­qué : je me suis rué sur la nour­ri­ture. Et j’ai réa­li­sé à quel point j’étais en sous-nutri­tion depuis des mois. ». Mal­gré cet épi­sode, l’ath­lète dit avoir mis du temps à retrou­ver une ali­men­ta­tion plus saine : « Fin 2015,  parce que mes per­for­mances spor­tives étaient mau­vaises, explique-t-il. Avec le recul, je me dis que c’est le meilleur truc qui me soit arri­vé. Ça a été long d’en sor­tir, j’ai eu des hauts et des bas jusqu’en 2019. Mais j’ai de la chance : je connais des gens qui ont d’abord sur­per­for­mé un bon moment en entrant là-dedans et qui ont beau­coup de mal à s’en déta­cher. »

Ce genre de dérives poten­tielles dépassent le seul cas de Thier­ry Casas­no­vas. Plu­sieurs per­son­na­li­tés du monde spor­tif nous ont dit avoir consta­té la place gran­dis­sante de croyances toxiques en lien avec l’alimentation. Nico­las Sajus, doc­teur en psy­cho­lo­gie qui a accom­pa­gné de nom­breux spor­tifs et clubs, en par­ti­cu­lier en Ligue 2, détaille par exemple : « J’ai vu des coachs don­ner des impé­ra­tifs ali­men­taires très stricts avec une dimen­sion presque spi­ri­tuelle, j’ai trou­vé plu­sieurs jeunes spor­tifs en dan­ger parce qu’ils renoncent à beau­coup trop d’aliments ».

Willy Man­gin, qui est pré­sident de la Socié­té fran­çaise de nutri­tion du sport mais aus­si cein­ture noire et ensei­gnant en arts mar­tiaux chi­nois, confirme et appelle à la modes­tie les pro­fes­sion­nels du sport non for­més à la nutri­tion, à com­men­cer par les entraî­neurs :« Une étude scien­ti­fique aus­tra­lienne a été menée sur des coaches spor­tifs asser­men­tés qui ont l’habitude de conseiller leurs ath­lètes en termes d’alimentation. Elle a mon­tré qu’ils avaient plu­tôt une grande confiance dans leur niveau de connais­sance alors qu’en moyenne, celui-ci est assez faible. ». Ancienne pré­si­dente de l’association « Ethique et sport », la méde­cin du sport et nutri­tion­niste Véro­nique Lebar raconte avoir reçu en consul­ta­tion de nom­breux ath­lètes ayant adop­té des com­por­te­ments extrêmes.Et selon elle, la plu­part des influen­ceurs, coaches et natu­ro­pathes ayant conduit ses patients à une nutri­tion dys­fonc­tion­nelle ont une vision mani­chéenne des ali­ments. Ils laissent entendre que cer­tains ali­ments sont tou­jours mau­vais pour tout le monde et ren­draient même mau­vais les per­sonnes qui les consomment. Avec deux marottes : le lait et le glu­ten.

02 Djokovic, le gourou et le gluten

L’échange de regard est intense, la com­pli­ci­té évi­dente. A gauche de la pho­to prise début jan­vier 2022, celui qui est en train de se bâtir le plus beau pal­ma­rès de l’his­toire du ten­nis : Novak Djo­ko­vic. A droite, un ancien ten­nis­man pro­fes­sion­nel sur­nom­mé Pepe Imaz et dont l’habituel vête­ment blanc est recou­vert d’une dou­doune. Imaz joue le rôle d”« accom­pa­gnant spi­ri­tuel » pour plu­sieurs per­son­na­li­tés espa­gnoles et joueurs de ten­nis, et dirige une école de ten­nis des­ti­née aux enfants appe­lée Amor & Paz et ins­tal­lée à Mar­bel­la, au sein de l’Hô­tel Puente Roma­no.

Novak Djo­ko­vic et Pepe Imaz en jan­vier 2022.

C’est là, sur le court numé­ro 5, que Djo­ko­vic et Pepe Imaz ont été pho­to­gra­phiés. A elle-seule, l’i­mage incarne les tur­pi­tudes du Serbe. Elle fut d’abord l’un des élé­ments à charge contre le joueur de 36 ans dans le conflit qui l’a oppo­sé, début 2022, aux auto­ri­tés aus­tra­liennes et a mené jusqu’à son arres­ta­tion, sa déten­tion et enfin son départ du pays. Elle prouve en effet que le cham­pion a bien séjour­né en Espagne avant de se rendre à Mel­bourne, contrai­re­ment à ce qu’affirmait son ques­tion­naire d’en­trée sur le ter­ri­toire aus­tra­lien. On peut y voir un sym­bole : Pepe Imaz, pré­sen­té encore aujourd’­hui comme le conseiller men­tal du joueur, est au centre de ce cli­ché polé­mique comme il est indis­so­ciable des choix les plus contro­ver­sés de Djo­ko­vic depuis qu’il a adop­té des croyances très per­son­nelles en matière de san­té et d’alimentation. Dans son livre sor­ti en 2014 « Ser­vice gagnant – Une ali­men­ta­tion sans glu­ten pour une par­faite forme phy­sique et men­tale », Novak Djo­ko­vic donne une date qui consti­tue un tour­nant dans sa per­cep­tion de son propre corps et de la san­té humaine en géné­rale : le 27 jan­vier 2010, douze ans avant la pho­to avec Imaz donc.Ce jour-là, il affronte Jo-Wil­fried Tson­ga en quart de finale de l’Open d’Australie. Il tient long­temps tête au Fran­çais, mais se met à souf­frir de dif­fi­cul­tés res­pi­ra­toires. Il s’effondre phy­si­que­ment et perd le match. Quelque chose dans son propre corps semble l’avoir tra­hi.

Novak Djo­ko­vic après sa défaite face à Jo-Wil­fried Tson­ga à Mel­bourne, en 2010.

Peu après cette défaite, explique-t-il, il est contac­té par un nutri­tion­niste serbe appe­lé Igor Ceto­je­vic et qui lui assure avoir vu par hasard la ren­contre à la télé et iden­ti­fié son pro­blème. L’homme se dit en mesure de faire un diag­nos­tic à dis­tance :« Il a devi­né que la réponse rési­dait dans mon ali­men­ta­tion. Il a sup­po­sé plus pré­ci­sé­ment que mes pro­blèmes res­pi­ra­toires étaient la consé­quence d’un dés­équi­libre de mon sys­tème diges­tif qui pro­vo­quait une accu­mu­la­tion de toxines dans mes intes­tins ».

Igor Ceto­je­vic

Celui qui est alors n°3 mon­dial décide de ren­con­trer Igor Ceto­je­vic au mois de juillet sui­vant. Ce der­nier lui pro­pose de tes­ter l’impact que peut avoir une tranche de pain sur son orga­nisme. Pas besoin de machine pour ce faire : le nutri­tion­niste se contente d’appuyer avec la main sur le bras du ten­nis­man pen­dant que ce der­nier contracte le biceps. Le test est réa­li­sé avec et sans tranche de pain, et démontre aux yeux du pra­ti­cien alter­na­tif que le bras du cham­pion est plus puis­sant dans le second cas. Ce qui, selon lui, serait la preuve que son corps « rejette le blé du pain ». Le test est assez connu dans le milieu des thé­ra­pies dites alter­na­tives et appar­tient à un cou­rant de pen­sée appe­lé kiné­sio­lo­gie.

Igor Ceto­je­vic et Novak Djo­ko­vic.

En France, il est par­ti­cu­liè­re­ment sui­vi par les auto­ri­tés depuis 2005. A l’époque, à Quim­per, des parents avaient adop­té au nom de la kiné­sio­lo­gie des pra­tiques ali­men­taires extrêmes pour leur nour­ris­son jusqu’à ce que ce der­nier décède de mal­nu­tri­tion. La Mivi­ludes a, depuis, aler­té à plu­sieurs reprises sur la kiné­sio­lo­gie, qui repose sur des intui­tions à l’utilité non avé­rée et peut conduire à des pra­tiques à risques et des situa­tions d’emprise men­tale.

En 2017, l’Inserm (Ins­ti­tut natio­nal de la san­té et de la recherche médi­cale) a éva­lué la kiné­sio­lo­gie et notam­ment le fameux test mus­cu­laire dont a béné­fi­cié Djo­ko­vic. Elle concluait : « Les études réalisées sur la vali­dité et la fia­bi­lité du test mus­cu­laire manuel ne sont pas convain­cantes et ne per­mettent pas de conclure à une quel­conque vali­dité. »

[NdRi­chard : j’ai fait ce tra­vail en 2007 et 2012, lire ici)

Mais ce cou­rant séduit par­ti­cu­liè­re­ment les spor­tifs : Lio­nel Mes­si consulte régu­liè­re­ment son kiné­sio­logue favo­ri, tan­dis qu’une école de kiné­sio­lo­gie du sport ouverte en 2022 reven­dique de tra­vailler avec de nom­breux clubs pro­fes­sion­nels fran­çais dont l’AS Mona­co, l’Olympique Lyon­nais ou l’Asvel.

Le doc­teur Giu­lia­no Poser, kiné­sio­logue de Lio­nel Mes­si.

Après ce test kiné­sio­lo­gique, Novak Djo­ko­vic va non seule­ment renon­cer au glu­ten mais aus­si au lait et aux excès de sucre. Il se met à boire de l’eau chaude pour, croit-il, « ne pas dévier le sang de (ses) muscles » et prend sys­té­ma­ti­que­ment deux cuillères d’un miel bien spé­ci­fique au réveil. Il va éga­le­ment atta­cher plus d’importance à son som­meil et à la ges­tion de son stress. Des déci­sions dont il se féli­cite : il dit se sen­tir mieux et estime que cela l’a aidé à rem­por­ter des vic­toires impor­tantes (en 2011, il gagne­ra en Aus­tra­lie, à Wim­ble­don et à l’US Open).

Ce qui n’est pas le cas de tous ceux qui ont vou­lu s’inspirer de lui : en 2013, Andy Mur­ray disait ain­si au Tele­graph : « J’ai essayé pen­dant deux ans (de me pas­ser du glu­ten) mais ça n’a pas mar­ché. Je me sen­tais très mal : j’ai per­du du poids et toute mon éner­gie. » Les décon­ve­nues peuvent être bien plus graves. Car aux risques sani­taires s’ajoutent un poten­tiel déni de réa­li­té et un assu­jet­tis­se­ment psy­cho­lo­gique, selon Véro­nique Lebar : « Ce matin-même, j’avais un patient dans cette situa­tion dans mon cabi­net. Un jeune homme qui avait des ana­lyses de sang par­faites mais vou­lait aller tou­jours plus loin, faire d’autres ana­lyses. Il me par­lait de théo­ries far­fe­lues sur la nutri­tion, parce qu’il avait ren­con­tré un natu­ro­pathe très dog­ma­tique qui lui dic­tait sa conduite et lui diag­nos­ti­quait des pro­blèmes tout aus­si far­fe­lus. Pour moi, il était sous emprise. »

Le pro­blème décrit par Véro­nique Lebar est très répan­du, notam­ment, sur les réseaux sociaux, où de célèbres coachs spor­tifs et influen­ceurs orga­nisent des « trans­for­ma­tion chal­lenges », inci­tant sans aucune pru­dence leurs clients à chan­ger leur ali­men­ta­tion ou leur mode de vie. Avec des méthodes de vente très convain­cantes, qui peuvent faire perdre toute luci­di­té ou tout libre arbitre.Véronique Lebar décrit ain­si : « J’ai été frap­pée par le niveau de croyances d’un de ces ath­lètes. Son taux de fer était si éle­vé que son foie aurait pu ces­ser de fonc­tion­ner. C’est poten­tiel­le­ment létal. Mais j’étais face à un mur. J’ai ten­té de lui mon­trer ses ana­lyses et des articles scien­ti­fiques, il ne m’écoutait pas. Le seul avis qui comp­tait pour lui, c’était celui de la per­sonne qui lui avait recom­man­dé les com­plé­ments ali­men­taires. » Qui ne sont pour­tant pas à prendre à la légère.

Ancienne joueuse de ten­nis de haut niveau deve­nue dié­té­ti­cienne du sport et cher­cheuse en nutri­tion, Alice Bel­li­cha alerte éga­le­ment sur les conseils dits alter­na­tifs en matière de nutri­tion : « Les com­plé­ments ali­men­taires ne sont utiles que si l’on n’a pas accès à une ali­men­ta­tion variée ou qu’elle ne couvre pas nos besoins. Il y a une res­pon­sa­bi­li­té très grande de la part des gens qui conseillent ces com­plé­ments sans aucune pru­dence. » Les pré­cau­tions à prendre sont d’au­tant plus essen­tielles qu’il n’est pas rare de trou­ver des com­plé­ments ali­men­taires conta­mi­nés invo­lon­tai­re­ment dans leur pro­duc­tion par des sub­stances nocives et/ou clas­sées comme dopantes. Le cas de Paul Pog­ba, dont le contrôle posi­tif à la tes­to­sté­rone pour­rait être dû à l’ab­sorp­tion d’un com­plé­ment ali­men­taire conte­nant cette hor­mone, l’a rap­pe­lé très récem­ment.

Selon toutes les per­sonnes que nous avons inter­ro­gées, la crise sani­taire a encou­ra­gé de plus en plus d’encadrants du monde spor­tif à empié­ter sur les choix de vie des ath­lètes. De façon par­fois tota­le­ment inap­pro­priée. Ensei­gnant en art mar­tiaux, Willy Man­gin explique par exemple avoir vu cer­tains coachs et ath­lètes de son milieu attri­buer des ver­tus sani­taires non avé­rées à leurs pra­tiques spor­tives : « Croyant sûre­ment bien faire, des pro­fes­seurs ont essayé de déve­lop­per des Chi-gong anti-Covid au début de la pan­dé­mie. Ils ont lais­sé entendre que l’on pou­vait boos­ter notre sys­tème immu­ni­taire et donc se pré­ser­ver du virus en res­pec­tant les bons enchaî­ne­ments de mou­ve­ments. Déjà, ce n’est pas du tout avé­ré, et en plus ça a pu contri­buer à la défiance glo­bale contre des mesures de pro­tec­tion dont l’utilité est prou­vée. »

Là encore, la tra­jec­toire de Novak Djo­ko­vic est éclai­rante. Car ses chan­ge­ments ali­men­taires ont coïn­ci­dé avec l’adoption des croyances spi­ri­tuelles pro­pa­gées par Imaz. Dans ses livres et confé­rences, Pepe Imaz en exprime cer­taines qui semblent tota­le­ment décon­nec­tées de la réa­li­té. Il dit ain­si avoir ren­con­tré une divi­ni­té liba­naise qui lui aurait déli­vré pen­dant 23 jours consé­cu­tifs de nom­breux mes­sages.

De cette révé­la­tion, il tire des théo­ries éso­té­riques, des pro­pos com­plo­tistes (les traî­nées des avions intoxi­que­raient les popu­la­tions, le monde serait diri­gé par treize familles néfastes appe­lées Illu­mi­na­tis) ou des reproches viru­lents à la méde­cine conven­tion­nelle, et notam­ment contre la vac­ci­na­tion. Djo­ko­vic va adop­ter une bonne par­tie de ces points de vue, en par­ti­cu­lier le der­nier.

Selon la Mivi­ludes, « le risque de dérive sec­taire est à craindre » et l’or­ga­nisme alerte sur les textes d’I­maz : « Il y a un risque non négli­geable de rup­ture avec la socié­té et d’enfermement dans ses convic­tions qui peut ame­ner l’individu à par­ti­ci­per à des groupes tou­jours plus extrêmes dans leurs convic­tions ».

Grande connais­seuse des spi­ri­tua­li­tés contem­po­raines et de ses dan­gers, Eli­sa­beth Fey­tit confirme retrou­ver dans les mots et croyances d’Imaz bon nombre de réfé­rences New-Age. Autrice du pod­cast de réfé­rence sur ces sujets, Méta de Choc, elle liste trois cri­tères qui per­mettent d’identifier une situa­tion d’emprise men­tale : « L’exigence d’une ali­men­ta­tion dra­co­nienne, ce qui est à rela­ti­vi­ser ici puisque les spor­tifs pro­fes­sion­nels sont for­cé­ment sou­mis à des régimes stricts ; un voca­bu­laire propre et dif­fi­cile à com­prendre de l’extérieur ; le fait de dési­gner l’extérieur comme le mal. » Pour l’Espagnol Luis San­ta­maría del Río, spé­cia­liste des sectes et co-fon­da­teur d’un Réseau ibé­ro-amé­ri­cain pour l’é­tude des sectes (RIES), Pepe Imaz est bien un « gou­rou New-Age ».

Novak Djo­ko­vic et Boris Becker, son entraî­neur de 2013 à 2016.

Novak Djo­ko­vic a col­la­bo­ré acti­ve­ment avec Pepe Imaz entre 2016 et 2018, au point que ce der­nier affiche de façon répé­tée son adhé­sion au man­tra « Amor y Paz ». Au point, aus­si, que la pré­sence d’Imaz devienne un pro­blème aux yeux de son entou­rage pro­fes­sion­nel. Dès novembre 2016, les obser­va­teurs s’interrogent : pour­quoi est-ce Imaz qui accom­pagne le Serbe lors du Mas­ters 1000 de Ber­cy, et non pas ses coaches Marian Vaj­da et Boris Becker ?

Ces deux der­niers semblent avoir désap­prou­vé la proxi­mi­té de « Djo­ko » avec son guide spi­ri­tuel : c’est l’une des rai­sons qui expli­que­rait la démis­sion de Becker en décembre 2016, tan­dis que Marian Vaj­da a publi­que­ment exi­gé qu’Imaz s’éloigne du joueur (en 2018, à un quo­ti­dien slo­vaque). Ce qui fut fait, même si les deux hommes ont conti­nué à se fré­quen­ter et à s’ap­por­ter un sou­tien public. Jusqu’à la crise sani­taire, au cours de laquelle sa proxi­mi­té spi­ri­tuelle et géo­gra­phique avec Pepe Imaz a donc eu des consé­quences extrêmes.Certains voient dans l’attitude de Djo­ko­vic une fidé­li­té remar­quable en ses convic­tions, qui explique peut-être en par­tie sa car­rière excep­tion­nelle. D’autres y voient un jus­qu’au bou­tisme regret­table, n’oubliant pas que Djo­ko­vic a par­ti­ci­pé sans masque à plu­sieurs évé­ne­ments en public après avoir été tes­té posi­tif au Covid-19, et crai­gnant que le cham­pion ins­pire à une par­tie de ses fans une crainte illé­gi­time de la vac­ci­na­tion et de la méde­cine.

Cer­tains estiment par ailleurs que les croyances du joueur l’ont ren­du cré­dule et à la mer­ci d’extorsions et mani­pu­la­tions. En juillet 2022, Novak Djo­ko­vic a inau­gu­ré des ter­rains de ten­nis au pied de col­lines pré­sen­tées par un entre­pre­neur local contro­ver­sé comme des pyra­mides construites jadis par une socié­té oubliée, et qui auraient des effets béné­fiques pour la san­té des visi­teurs.

[NdRi­chard : les pyra­mides bos­niennes de Viso­ko ! Un grand clas­sique, j’ai tra­vaillé des­sus avec une étu­diante en 2006, ici – et la poin­ture c’est ma col­lègue Irna].

Lors du der­nier Roland-Gar­ros, il arbo­rait sur le torse un patch pré­sen­té comme une tech­no­lo­gie révo­lu­tion­naire lui per­met­tant de per­for­mer. Un patch ven­du plu­sieurs cen­taines d’euros et dont, selon ses concep­teurs, la renom­mée a explo­sé grâce au Serbe. Mais tous les spé­cia­listes consi­dèrent qu’il s’agit d’une arnaque et d’un gad­get inopé­rant, même si Djo­ko­vic a ajou­té à Paris puis New York deux nou­veaux tour­nois du Grand Che­lem à son pal­ma­rès.

03 Le magnétiseur du foot professionnel

Dans le milieu du foot pro­fes­sion­nel fran­çais, l’influence impor­tante sur cer­tains joueurs d’un thé­ra­peute alter­na­tif peu connu du grand public pose de nom­breuses ques­tions. Son nom rap­pel­le­ra peut-être quelque chose aux sup­por­ters de Bas­tia et de Rennes dans les années 1990 : Pierre Maro­sel­li. Après son hono­rable car­rière pro, celui-ci s’est recon­ver­ti dans la magno­thé­ra­pie, l’une des nom­breuses dis­ci­plines alter­na­tives non recon­nues par la méde­cine et à l’efficacité non démon­trée mais qui ambi­tionne de soi­gner grâce aux champs magné­tiques. Plu­sieurs de ses anciens clients le disent très sym­pa­thique et cer­tains estiment que son magné­tisme peut être utile à ceux qui y croient. Une per­sonne exté­rieure au monde du sport et souf­frant d’anorexie assure que Pierre Maro­sel­li a eu, pen­dant un temps, un impact posi­tif sur elle lors de nom­breux échanges télé­pho­niques.

Pierre Maro­sel­li et Hatem Ben Arfa en 2016.

En 2016, une enquête de « L’É­quipe » inter­ro­geait l’influence voire l’emprise du magné­ti­seur sur ses clients. Notam­ment le plus fidèle d’entre eux, le foot­bal­leur fran­çais Hatem Ben Arfa, qui aurait même envi­sa­gé de refu­ser de par­ti­ci­per à l’Eu­ro 2016 si Didier Des­champs n’ac­cep­tait pas la pré­sence de Maro­sel­li à ses côtés pen­dant la com­pé­ti­tion. Contac­té à ce sujet, Hatem Ben Arfa ne nous a pas répon­du. Pierre Maro­sel­li, lui, a accep­té de nous par­ler pen­dant plus de deux heures au télé­phone, à condi­tion que nous ne citions pas ses pro­pos et afin de « sen­tir » s’il devait ou non nous don­ner une inter­view en bonne et due forme. Après plu­sieurs semaines de sus­pense, il a fina­le­ment renon­cé.

Lors de notre entre­tien, il a cer­ti­fié tra­vailler, encore aujourd’hui, avec plu­sieurs joueurs évo­luant en Ligue 1 et prendre par­fois l’avion pour effec­tuer avec eux des séances de thé­ra­pie. Il a aus­si assu­ré être en mesure d’effectuer des diag­nos­tics et des soins à dis­tance. Citant Kylian Mbap­pé ou Ney­mar, il a pré­ci­sé pou­voir res­sen­tir l’état de san­té actuel de joueurs sans même les avoir vus. Il s’est éga­le­ment livré spon­ta­né­ment à un diag­nos­tic à dis­tance sur l’auteur de ses lignes : à plu­sieurs reprises pen­dant l’entretien et mal­gré notre gêne per­cep­tible et nos contes­ta­tions, il a tenu à diag­nos­ti­quer une « rup­ture affec­tive avec la mère » mais aus­si des sou­cis au niveau du pan­créas. Cette ini­tia­tive était pro­ba­ble­ment bien­veillante et a été sui­vie d’une pro­po­si­tion de trai­te­ment par ses soins. Selon lui, beau­coup de spor­tifs auraient aus­si inté­rêt à le suivre, puisqu’il peut les aider à per­for­mer.

Il semble dif­fi­cile de ne pas voir de poten­tiels dan­gers dans ces affir­ma­tions. Elles nous rap­pellent de très près les alertes que nous avait don­nées Eli­sa­beth Fey­tit, ancienne cham­pionne de France sco­laire de judo et pra­ti­quante de rol­ler acro­ba­tique à haut niveau. Elle qui connaît très bien les dérives psy­cho­lo­giques consta­tées dans le milieu du coa­ching expli­quait :« Dans le coa­ching spor­tif comme dans le coa­ching en géné­ral, le risque vient des per­sonnes qui vous disent : “je sais mieux que vous ce dont vous avez besoin” ».Lar­ge­ment ins­pi­ré du déve­lop­pe­ment per­son­nel et du coa­ching, c’est toute la phi­lo­so­phie de Pierre Maro­sel­li qui peut s’avérer alarmante.Lors de notre entre­tien, ce der­nier a reven­di­qué baser ses soins sur une théo­rie dite de la « loi de l’attraction ». Celle-ci consiste à dire que nos pen­sées ont le pou­voir d’influencer le réel. Pour réus­sir sa vie, il faut d’abord la pen­ser de façon positive.Dans un cer­tain contexte, elle peut impré­gner cer­tains ath­lètes d’une culture de la gagne. Mais elle est sou­vent dan­ge­reuse puisqu’elle laisse entendre que les per­sonnes en souf­france sont res­pon­sables de leurs mal­heurs… faute d’avoir suf­fi­sam­ment pen­sé posi­ti­ve­ment.

Il est par­fois dif­fi­cile de faire la part des choses entre de simples choix à contre-cou­rant, tout à fait légi­times, et des conseils néfastes pou­vant mener à des dérives. La fron­tière n’est pas si simple à iden­ti­fier, d’autant plus que les croyances et thé­ra­pies alter­na­tives ne se can­tonnent pas aux réseaux sociaux et à l’entourage éloi­gnés des spor­tifs mais peuvent être dif­fu­sées au cœur même des clubs et ins­tances spor­tives fran­çaises.

Mar­tine Gar­dé­nal.

La très contro­ver­sée doc­teur Mar­tine Gar­dé­nal, par exemple, a exer­cé dans les années 1980 au sein des équipes de France de tir et d’é­qui­ta­tion mais aus­si pen­dant plu­sieurs années et jusqu’en 2012 au sein du pôle médi­cal de l’Insep. Elle s’est spé­cia­li­sée dans des pra­tiques à l’utilité non démon­trée, dont l’homéopathie, a été sus­pen­due par l’Ordre des méde­cins mais aus­si condam­née pour « char­la­ta­nisme » à la suite de pour­suites enga­gées par la Sécu­ri­té sociale en 2007. Contac­té à son sujet, l’Insep indique sim­ple­ment que l’homéopathie n’est « pas ou très peu uti­li­sée aujourd’hui » en son sein.

Depuis son départ de l’INSEP, Mar­tine Gar­dé­nal a publié plu­sieurs ouvrages, notam­ment sur l’homéopathie dans le sport, dif­fu­sé des affir­ma­tions fausses sur la crise sani­taire ou invi­té les spor­tifs à renon­cer à la vac­ci­na­tion. Ses anciennes fonc­tions au sein de l’élite du sport fran­çais sont encore sys­té­ma­ti­que­ment citées comme des attes­ta­tions de sa cré­di­bi­li­té.

Il n’est pas ques­tion ici de tra­cer la limite de la super­sti­tion et de la pen­sée magique dans le sport. Les exemples sont légion et en font sou­vent la beau­té, des neufs tics sys­té­ma­tiques de Nadal avant cha­cun de ses ser­vices aux dis­cours per­for­ma­tifs pro­non­cés par des coachs enflam­més, en pas­sant par ces joueurs de Mont­pel­lier qui, comme on agi­te­rait un gri-gri, se ren­daient en 2020 et 2021 au stade de la Mos­son dans un vieux Sce­nic dont le pot d’échappement tou­chait terre mais qui, à leurs yeux, avait la capa­ci­té de les faire gagner.

Richard Mon­voi­sin est ensei­gnant à l’U­ni­ver­si­té Gre­noble-Alpes et spé­cia­liste de l’a­na­lyse des théo­ries contro­ver­sées. Il a aus­si pra­ti­qué la course à pied à haut niveau puis par­ti­ci­pé à pas mal de courses en mon­tagne. Il confirme que les rituels et la pen­sée magique font par­tie inté­grante de l’histoire du sport et cite deux exemples tirés du livre du méde­cin du sport Jean-Pierre de Mon­dé­nard (Dopage aux Jeux olym­piques, la triche récom­pen­sée).

Spyrí­don Loúis pre­mier cham­pion olym­pique du mara­thon lors des JO de 1896 et Joseph Guille­mot cham­pion olym­pique du 5000 mètres en 1920 à Anvers.

Spyrí­don Loúis, le vain­queur du pre­mier mara­thon des JO modernes à Athènes en 1896, priait pen­dant deux nuits puis jeû­nait un jour entier avant chaque épreuve. L’athlète Joseph Guille­mot a, lui, per­for­mé aux JO d’Anvers en 1920 après avoir bu ce qu’un proche lui avait pré­sen­té comme une bois­son magique. Ce n’était que de l’eau sucrée…

Selon ce défen­seur de la pen­sée cri­tique, ces rituels peuvent tout à fait avoir leur uti­li­té dans le sport en tant que « gain de confiance » : « En se rac­cro­chant à quelque chose, que ce soit le magné­tisme, les graines de chia ou l’arrêt du glu­ten, l’athlète a une illu­sion de contrôle. C’est très ras­su­rant alors que le sport est tout de même un domaine où on manque cruel­le­ment de contrôle ».

Alors com­ment défi­nir et détec­ter ce qui peut rele­ver de l’emprise ? Willy Man­gin appelle les per­sonnes qui entourent les spor­tifs à se for­mer à l’éthique et à la déon­to­lo­gie, pour ques­tion­ner les limites et les devoirs liés à leurs fonc­tions. Richard Mon­voi­sin pro­pose, lui, une solu­tion qui a fait ses preuves dans la recherche médi­cale : le pla­ce­bo ouvert. Car le fait de savoir que l’on a recours un pla­ce­bo ne sup­pri­me­rait pas son effet posi­tif. Libre à chaque spor­tif d’adhérer de façon « ouverte », et donc consciente, à ses propres recettes secrètes voire magiques, sans dérive pos­sible. Et sans glu­ten, si ça leur chante.

Le sport et les sectes, une longue histoire

C’est par des tue­ries de masse que les mou­ve­ments sec­taires ont com­men­cé à atti­rer l’attention dans les années 1980 et 1990. En 1978, plus de 900 per­sonnes se sui­cident au Guya­na, au sein d’une secte diri­gée par le gou­rou amé­ri­cain Jim Jones. Plu­sieurs dizaines d’adeptes de l’Ordre du Temple solaire vont ensuite mou­rir au milieu des années 1990 à la suite d’assassinats et/ou sui­cides col­lec­tifs. Le 23 décembre 1995, la police fran­çaise retrouve les corps immo­lés et dis­po­sés en étoile de seize per­sonnes dans la clai­rière du Puits-de‑l’Enfer, dans le Ver­cors. Par­mi elles, trois jeunes enfants mais aus­si la double cham­pionne de France de ski de des­cente Edith Vuar­net et son fils, membres de la secte.

Ce der­nier drame a secoué l’opinion et conduit les auto­ri­tés fran­çaises à recen­ser les mou­ve­ments inquié­tants et à lut­ter contre les dérives sec­taires en créant une mis­sion dédiée (la Mivi­ludes, Mis­sion inter­mi­nis­té­rielle de vigi­lance et de lutte contre les dérives sec­taires). On découvre à l’époque qu’un mou­ve­ment comme la Scien­to­lo­gie, consi­dé­rée comme une secte en France, reven­dique plu­sieurs dizaines de mil­liers de membres dans notre pays. Dont cer­tains spor­tifs renom­més comme le pilote fran­çais Phi­lippe de Hen­ning, direc­te­ment spon­so­ri­sé par le mou­ve­ment, mais aus­si la cham­pionne de 100 m haies Anne Pique­reau – qui connut de nom­breux déboires à la suite d’accusations de pro­sé­ly­tisme – ou encore l’ancien vain­queur de la Coupe Davis Arnaud Boetsch. « C’é­tait une époque où je vou­lais être mieux dans mon ten­nis et dans ma vie. Qui ne sou­haite pas s’a­mé­lio­rer ? Le ten­nis est un sport stres­sant, je cher­chais des solu­tions comme d’autres vont chez le psy ou font du yoga ».

Ces grands mou­ve­ments conservent aujourd’hui leur poids et cer­tains liens avec le monde du sport. L’É­glise de scien­to­lo­gie, condam­née en 2013 pour escro­que­rie en bande orga­ni­sée, œuvre ain­si à la construc­tion d’un immense centre de for­ma­tion juste en face du Stade de France, dont l’ouverture est pré­vue avant le début des Jeux Olym­piques 2024.Mais les dérives et l’emprise sec­taire se sont beau­coup diver­si­fiées. Son impact sur nos socié­tés et sur le monde spor­tif éga­le­ment. Lon­gue­ment décrié dans le der­nier rap­port de la Mivi­ludes, le mou­ve­ment éso­té­rique de l’anthroposophie a par exemple pro­vo­qué la contro­verse dans le monde du hand­ball en 2021 quand l’entreprise phar­ma­ceu­tique Wele­da, liée à plus égards à ce mou­ve­ment, est deve­nue par­te­naire et « four­nis­seur offi­ciel » de la FFH. Ce qui, aux yeux de plu­sieurs struc­tures lut­tant contre les dérives sec­taires, notam­ment la Ligue des droits de l’homme, donnent une vitrine regret­table à ce mouvement.De même ques­tions se posent sur une autre socié­té, Her­ba­life, qui a noué des liens avec de très nom­breuses per­son­na­li­tés et clubs spor­tifs, de Cris­tia­no Ronal­do à la Fédé­ra­tion fran­çaise de vol­ley-ball en pas­sant par l’Ajax Amster­dam. Pro­blème : Her­ba­life, régu­liè­re­ment accu­sée d’escroquerie, a été condam­née aux Etats-Unis pour vente pyra­mi­dale.

[NdRi­chard : pour une cri­tique de Her­ba­life, voir le docu­men­taire Bet­ting on Zero, de Ted Braun (2016)]

Ses pro­duits ont été mis en cause dans de nom­breux cas de pro­blèmes hépa­tiques. Contac­tée, la Mivi­ludes explique avoir reçu plus de 20 sai­sines au sujet d’Herbalife à la fois en 2022 et en 2023, notam­ment de per­sonnes s’inquiétant pour leurs proches ayant rejoint cette struc­ture.

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