Je suis ému. Ému car la personne qui répond à mes questions n’est autre que MON thérapeute. Celui qui reboutait mes entorses quand je faisais beaucoup de course à pied, celui qui m’a initié aux moxas, à la chromatothérapie, dans le début des années 1990. Liant gentillesse infinie et soins à consonance ésotérique, mes copains copines et moi, courant dans les vallons de la forêt de Fontainebleau, avons eu recours à ses services dans son cabinet près de la gare. Nous colportions différentes rumeurs sur lui, toujours à voix basse, avec un air mystérieux et pénétré, l’une d’elle disant en substance que Didier un jour, en se piquant un point d’acupuncture dans l’oreille, avait réussi à stopper la pousse de sa barbe ! Un jour, des années plus tard, devenu « sceptique professionnel », j’ai repris contact avec lui, et nous avons échangé quelques liens. Et puis m’est arrivé un des messages les plus bouleversants que j’aie pu recevoir. Ce message laconique disait en substance « J’ai bien pris note des travaux sceptiques, et je me rends compte que l’essentiel de ma pratique autour de la podologie n’a pas de base solide ». Imaginez-vous : quelqu’un dont la réputation n’est plus à faire, qui a passé sa vie professionnelle sur un domaine, et qui a le courage d’une phrase pareille… Serais-je capable d’une telle réflexion critique sur moi-même ? Rien n’est moins sûr.
Alors je lui ai demandé de me raconter un peu tout ça.
Monsieur Richard, vous faites partie des très rares personnes qui ont creusé un domaine médical dit « alternatif » et qui en sont revenues, par réflexion. C’est tellement peu fréquent qu’on souhaite rendre hommage à votre probité, et comprendre votre cheminement.
Vous avez exploré des chemins un peu ésotériques dans votre parcours professionnel. Vous rappelez-vous quand vous avez pour la première fois, peut être avant même votre vie d’adulte, rencontré des thèses étranges, paranormales, surnaturelles ? Quelles étaient-elles ?
Mis à part les années de lycée et d’études, j’ai passé mes vingt premières années à la campagne et jusqu’à mon premier stage, vers la trentaine, je ne m’interrogeais pas trop sur ces questions. J’ai le souvenir très lointain d’avoir « consulté », dans l’enfance, un rebouteux pour un poignet ; il a appliqué du vinaigre – c’est un souvenir olfactif, le visuel et le tact restant flous.
Par contre à l’école, beaucoup d’élèves étaient fils et filles de cultivateurs. Quand leur père cherchait une source il convoquait l’hydrogéologue, mais il ne commençait jamais à creuser avant d’avoir fait venir le sourcier. Nous avons joué au sourcier avec mes copains, eux « trouvaient » des excavations en sous-sol… Personnellement je n’ai jamais obtenu le moindre résultat.
Adolescent, j’ai entendu mon père hurler de douleur, torturé par un cancer du pancréas ; un jour, quelqu’un lui a indiqué de consulter dans un village voisin un médecin acupuncteur qu’il a revu régulièrement, peut être une fois par semaine : je ne l’ai plus entendu crier. Au tout dernier stade, la morphine en hôpital a permis une fin de vie d’une quinzaine de jours indolore.En fait, rien ne m’étonnait vraiment.
Vous avez fait une formation professionnelle de podologue. Certains regrettent que la formation soit assez peu scientifique, et que la discipline soit un peu flottante. Êtes-vous d’accord avec ça ?
Un podologue, ou pédicure-podologue, (à distinguer du podiatre, médecin-chirurgien spécialiste du pied et de la cheville, au Canada) traite les affections épidermiques et unguéales du pied ainsi que ses troubles statiques et dynamiques. Cela lui donne une double casquette :
- les soins de pédicurie, en vue de prévenir, à déceler et à traiter les pathologies congénitales ou acquises entraînant des affections épidermiques et unguéales ;
- la podologie, soit la conception et d’adaptation d’orthèses sur mesure (orthèses plantaires fonctionnelles ou de confort (semelles orthopédiques), orthèses d’orteils (orthoplasties), orthèses unguéales (orthonyxies) et prothèses unguéales (onychoplasties).
Depuis la rentrée 2012, les études pour devenir podologue se font dans des instituts de formation paramédicale ayant une convention avec une université. Au terme de trois ans, elles sont sanctionnées par le diplôme d’État de pédicure-podologue.
Comme toutes les disciplines médicales et paramédicales, la podologie rencontre des difficultés à se rapprocher de l’exactitude scientifique. Isolément, on peut définir un pied sain, mais les lois élémentaires de la physique sont là : le pied sert à quelque chose, à des personnes différentes morphologiquement et se livrant à des activités variées. Il faudrait un pied… sans le reste, et de plus immobile pour le définir sain. Imaginons même dans ce cas les polémiques esthétiques, ethniques, fonctionnelles même à propos de son propre équilibre… Ajoutons à cela le contenant, chaussure et ses variantes, semelles…
Laissons le débat ouvert.
Vous avez greffé à votre pratique des méthodes considérées comme « alternatives ». Dans quelle ordre ? Quelle fut la première dont vous avez fait l’usage ?
La première fut la podothérapie, proposant des chaînes mécaniques et musculaires ascendantes.
En quoi est-ce une méthode « alternative » ?
A l’époque, pour nous ce n’était pas alternatif. Nous apprenions des postures nouvelles dépendantes de la position du pied. officiellement nous avions accès à l’anatomie des pieds au bassin ; là, nous montions jusqu’à la tête. La formation comprenait la conception de semelles qui lançaient un mouvement ascendant devant rétablir un problème articulaire ou autre.
L’accueil de telles semelles fût très tiède de la part de la profession en général. celle-ci reprochait leur manque d’épaisseur.
Est-ce que l’inventeur de la podothérapie est Vincent Boland, dans Logiques de pathologies orthopédiques en chaînes ascendantes et descendantes et la méthode exploratoire du Delta Pondéral, paru aux Éditions Frison-Roche (1996) » ?
Non, il s’agissait de Denis Bensussan et de Jacques Nicolas.
Au passage, qu’est-ce que le Delta ponderal (qui semble être une marque déposée)?
J’ignore ce qu’est le Delta pondéral. Un triangle constitué de trois repères anatomiques ?
Je suis intervenu en podologie du sport à Bobigny sur la podothérapie, seulement je ne devais pas communiquer sur les « chaînes ascendantes ».
Vous voulez dire que ceux qui vous invitaient distinguaient bien la podologie de la podothérapie des chaînes mécaniques et musculaires ascendantes ? Est-ce l’objet de recommandation de votre Ordre ?
Oui, bien qu’enseignée aux élèves de l’école de pédicurie-podologie de Rennes, la podothérapie se distinguait des semelles Lelièvre et Ledos, seules agréées par la Sécurité Sociale à l’époque. Les créateurs formateurs de cette méthode étaient très brillants par leur savoir sur l’anatomie, la physiologie, la neurologie et la mécanique ostéo-musculaire. Nous pensions posséder un outil essentiel.
Et la deuxième ?
Les semelles dites proprioceptives que j’ai utilisées jusqu’à la fin de mon exercice (avec les thermoformées apparues plus tard). Elles étaient conçues dans le but d’influencer le système neurovégétatif qui lui-même aurait influé sur la posture.
Avec ces orthèses, j’ai eu de très bons résultats ; l’absence de tests pour les évaluer m’oblige à ne pas me prononcer quant à leur vraie valeur thérapeutique et même sur leur effet antalgique.
N’étant pas porté sur le massage surtout celui des pieds, je me suis orienté, avec deux confrères rencontrés dès le premier stage à Rennes vers les travaux de René Bourdiol (« Le livre Pied et statique », Maisonneuve, 1980) ; l’influence de ce dernier s’est manifestée jusque dans les années 90 avec l’édition de livres très chers. Par les semelles dites proprioceptives, il a ouvert aux podologues l’accès à une anatomie et à une physiologie beaucoup plus complètes. Il disait pouvoir agir sur le système nerveux autonome par les chaînes archéo et paléocérébelleuses. Nous avions, croyions-nous des possibilités d’action énormes. Un médecin du sport, Philippe Malafosse, de la même équipe que René Bourdiol puisque responsable des recherches au Gemmer, le Groupe d’enseignement en médecine manuelle et réflexe dirigé par le même Bourdiol, publie « Le trépied de la statique : les yeux, les mâchoires et les pieds » traitant des chaînes cérébelleuses et des semelles correspondantes dans la revue Kinésithérapie scientifique (n°328, 1993).
Ambigu, ce Monsieur Malafosse. Il a quelques papiers dans des revues un peu sérieuses comme Kiné scientifique, mais néanmoins il a publié des livres entiers de réflexologie, comme en 2020 chez Dunod. Et la troisième ?
Oui, c’est l’héritier de Bourdiol, avec toute la part pseudoscientifique qui va avec. D’ailleurs la réflexologie métamérique de René Bourdiol est ma troisième influence. Sa réflexologie s’étend à tout le corps par les trois feuillets et le découpage métamérique. On connaît bien l’illustration classique des zones réflexes du pied de Bourdiol (ci-contre), et nombreux sont les auteurs qui ont contribué à ce champ, comme le lyonnais Henri Jarricot (1903–1989) médecin, ostéopathe et acupuncteur, qui parla de dermalgies réflexes – mais sans jamais publier sur le sujet de travaux sérieux.
On trouve aussi une carte des projections des zones cérébrales à la surface du crâne et du visage. René Bourdiol parlait de douleur ligamentaire, améliorée à chaud et de douleur mécanique améliorée au repos. Selon lui, par les plis de flexion on peut agir sur des régions de la circulation sanguine.
À la plante des pieds figureraient la projection des plexus et sur les bords interne et externe la colonne vertébrale. Il fallait trouver un « cristal réflexe » (petite induration de la peau plantaire) et le dissoudre par massage. Un pilote de ligne dont le genou gauche enflait, venait systématiquement juste avant chaque visite médicale professionnelle afin de le faire désenfler par cette méthode.
J’ai passé du temps à étudier différentes réflexologies, et je ne peux que constater la pauvreté des preuves produites en termes d’efficacité. Et comme beaucoup de thérapies qui se prennent pour acquises avant d’avoir montré leur bien fondé, elles germent dans l’esprit de thérapeutes très souvent religieux. C’est le cas de Monsieur Bourdiol (dont la bibliographie est faite de livres et non d’études publiées) qui a défendu pêle-mêle aussi bien l’iridologie que la communication avec les personnes défuntes (voir ici). Voici ce qu’avec Nicolas Pinsault nous avions écrit dans « Tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur les thérapies manuelles », pp. 99–100.
Difficile de déterminer avec précision le premier ouvrage dédié à la réflexologie. Si l’on en croit les ouvrages et sites Web consacrés à cette discipline et se recopiant les uns les autres, le premier livre s’intéressant spécifiquement à la réflexologie serait l’œuvre de médecins « italiens », les docteurs Adamus et A’tatis, en 1582. Une recherche minutieuse de ce document nous a pourtant conduits dans une impasse : aucune trace d’un quelconque A’tatis (ou Atatis) sur cette période. Le docteur Adamus, quant à lui, pourrait être Adamus Lonicerus, alias Adam Lonitzer (1528–1586), botaniste non italien mais allemand, effectivement diplômé de médecine en 1554 et auteur d’ouvrages de botanique. Plantes, ergot de seigle, procédés de distillation, mais aucune trace cependant d’écrits traitant de Zone therapy. Le deuxième ouvrage prétendument paru en 1583 sur la thérapie serait l’œuvre d’un médecin de Leipzig, le docteur Ball (ou Bell, selon les sources), dont nous ne pûmes non plus trouver trace. Le premier livre disponible concernant des massages visant à traiter un organe à distance fut, selon nos recherches, publié en 1902 sous le titre de Druckpunkte, ihre Entstehung, Bedeutung bei Neuralgien, Nervosität, Neurasthenie, Hysterie, Epilepsie und Geisteskrankheiten sowie ihre Behandlung durch Nervenmassage (Points de pression, leur émergence, signification pour les névralgies, la nervosité, la neurasthénie, l’hystérie, l’épilepsie et la maladie mentale, ainsi que leur traitement par massage des nerfs) par le Dr Alfons Cornelius (1902). Quelques années plus tard, en 1911, un de ses confrères allemands, Bernard Barczewski, rédigea un livre intitulé Hand und Lehrbuch meiner Reflex massage für den Arzt portant sur les thérapeutiques par massage réflexe. L’histoire, pourtant, consacre le médecin spécialiste oto-rhino-laryngologiste étasunien William Hope Fitzgerald comme fondateur de la théorie de la Zone therapy. Le premier article émanant de ses travaux fut l’œuvre d’Edwin F. Bowers, médecin et journaliste, qui publia en 1915 un article dans un magazine grand public intitulé To stop that toothache, squeeze your toe (Pour arrêter cette rage de dents, pressez votre orteil) (Bowers, 1915). C’est en 1917 que le livre considéré comme fondateur, Zone therapy, or relieving pain at home vit le jour (Fitzgerald et al., 1917). Coécrit par Fitzgerald, Bowers et George S. White, cet ouvrage évoque notamment l’épisode de découverte de la thérapie par W. Fitzgerald qui en 1911 « découvri[t] accidentellement qu’une pression à l’aide d’une sonde recouverte de coton sur une partie de la membrane muqueuse du nez produisit un effet anesthésiant similaire à celui d’une injection de cocaïne ». Cette découverte l’amena à établir une carte des régions « reliées » du corps, le divisant en dix zones. Mais si la théorie de Fitzgerald ne trouva guère d’écho chez ses confrères, le couple de chiropracteurs Elizabeth Ann et Joe Shelby Riley entreprit une simplification de la théorie tout en enrichissant les zones situées au niveau des mains et des pieds. Ils publièrent leur travail dès 1918, dans un livre intitulé Zone therapy simplified : all its applications made plain and simple for use by any one, reconnu comme étant le premier ouvrage publiant une cartographie de réflexologie plantaire et palmaire (Riley, 1918). La « branche » plantaire des travaux de Riley sera remaniée par Eunice D. Ingham Stopfel (1889–1974), une kinésithérapeute qu’il engagea comme assistante dans son cabinet en 1926. Selon ses propres travaux, Ingham constata une efficacité supérieure des séances de réflexologie lors de la stimulation des zones du pied que celles du reste du corps. Elle remarqua en outre que les stimulations manuelles étaient plus efficaces que les stimulations à l’aide d’instruments et que le type de stimulations, alternées ou constantes, avait également une influence. Elle compila ses trouvailles dans plusieurs livres dont le premier est Stories the feet can tell : ‘‘stepping to better health’’ (Ingham Stopfel, 1938). Hélas, aucune étude scientifique moderne ne vient étayer la thérapie. (…) |
La réflexologie Ingham était effectivement celle que je rencontrai le plus souvent, et diffusée par Monique Gély, que l’on disait titulaire d’une chaire de réflexologie à la Sorbonne.
Je connais un peu cette histoire. Monique Gély n’a bien entendu pas de chaire à la Sorbonne, encore moins de réflexologie. Elle était présidente de l’INERP, l’Institut national pour l’étude de la réflexologie du pied, ce qui est très ronflant, mais n’engage… que celui qui avale tout cru l‘argument d’autorité. Car institut n’est pas un terme protégé, n’importe qui peut fonder un institut dans sa salle de bain. J’ai d’ailleurs remarqué que Madame Gély, qui a fait une partie de sa notoriété avec des soins en Inde, brandit un diplôme de docteur dont je n’ai aucune trace.
Autre chose ?
Pêle-mêle : les postures et chaînes descendantes de Godelieve Struyf-Denys, qui complétaient naturellement les chaînes ascendantes. Elles adaptent le tronc selon l’endroit de sa ou ses lignes de force dominantes : antérieure ou postérieure médiane, antérieure ou postérieure latérale, profonde… Ces lignes de force donnent une forme particulière au tronc ; la nécessité de maintenir l’équilibre oblige le bassin de se placer idéalement par rapport aux appuis, ce qui influe sur la position du centre de poussée. Ces postures correspondent aux chaînes cérébelleuses du Gemmer et sont cohérentes avec les travaux de Raymond Sohier. Struyf-Denys était la continuatrice de Françoise Mézières (1909–1991) Elle a écrit dans les années 90 Le manuel du méziériste, Paris, Frison-Roche, « Précis pratiques de rééducation », en deux volumes.
Extrait à nouveau de « Tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur les thérapies manuelles », pp. 102 et 103.
Masseur-kinésithérapeute diplômée puis enseignante de l’École française d’orthopédie et de massage (EFOM), Françoise Mézières publia en 1947 un ouvrage classique intitulé La gymnastique statique. C’est également à cette période que la thérapeute fit ce qu’elle nommera par la suite son observation princeps, celle d’une patiente pour qui la correction d’une courbure vertébrale entraînait systématiquement une modification des deux autres. C’est l’observation de cette patiente qui marque le début de son intérêt pour l’effet des postures sur les réactions musculaires. À compter de cette date, Mézières élabora une théorie reposant sur deux principes de base, à savoir que ce sont les muscles qui caractérisent la forme du corps comme les ficelles animent une marionnette et que certains muscles sont en lien au sein de chaînes musculaires sur lesquelles il est possible d’agir dans le but d’améliorer l’état de santé des patients. Le principe théorique non étayé ? Il y aurait un lien entre les symptômes ressentis par le patient et sa tension musculaire, que des étirements du muscle au moyen de postures pourraient résoudre. Mais il n’y a pas d’étude scientifique corroborant la chose. Contrairement à la majorité des « découvreurs » de thérapie, Françoise Mézières n’a pas développé de structure officielle de formation. Cela conduisit, après son décès en 1991, à l’émergence de techniques dérivées de sa méthode, comme la Rééducation posturale globale (RPG) de Philippe Emmanuel Souchard ou la Reconstruction posturale de Michaël Nisand, tous deux anciens élèves de Mme Mézières. À l’heure actuelle, la méthode RPG est enseignée dans une société anonyme à conseil d’administration portant le nom ronflant d’Université internationale permanente de thérapie manuelle de Saint-Mont, dans le Gers. La Reconstruction posturale fait quant à elle l’objet d’un (semble-t-il unique) diplôme universitaire à l’université Louis- Pasteur de Strasbourg. |
Il y a encore d’autres influences.
- La kinésithérapie analytique de Raymond Sohier, qui parlait lui de deux marches identifiées selon la position antérieure ou postérieure de la projection du centre de gravité par rapport à la l’axe transcoxo-fémorale.L’adaptation au sol par les membres leur donne une forme correspondante et des appuis particuliers. (Raymond Sohier, « Du Concept Sohier à la biologie mécanogène : les fondements de la kinésithérapie analytique », Kinésithérapie Scientifique n°407, janvier 2001).Dans cet article je note la présence d’Alain Lavigne bien connu des podologues et que j’avais oublié alors qu’en fait mon premier changement de cap a fait suite à son ouvrage sur l’orthostatisme. Avec Daniel Noviel il a publié cette formation sous forme de feuilles volantes. Alain Lavigne a participé à de nombreux tests en laboratoire ; il est enseignant à l’I.N.P., Institut national de podologie (qui n’a rien de national).
- La formation à la médecine traditionnelle chinoise et à ce qu’elle désigne comme les mouvements et mécanismes énergétiques. Avec une formation en acupuncture avec étude des « méridiens », des « énergies » endogènes, exogènes, de pulsologie (!) proposé par le Centre d’acupuncture d’Asie (qui est un cabinet médical) dans les locaux de la faculté de médecine de Bichat,. Étude des méridiens attachés aux organes (Inn), aux viscères (Yang), des tendino-musculaires, des vaisseaux Lo, des « merveilleux vaisseaux », des méridiens distincts, de chrono et chromo- acupuncture, des rythmes biologiques circadiens… Utilisation des niveaux, des saisons, du cycle Ko, des points héraut, des points shu, des points lo, conséquences sur la santé du tempérament et du comportement. La loi midi-minuit. Je n’ai jamais inséré une aiguille : j’utilisais la moxibustion (les cigares d’armoise incandescents) et le laser (Girelase, voir plus loin).
- La kinésiologie et le livre « Touch for health » de John Thie, qui m’a amené au magnétisme (les muscles « attachés » aux cinq loges saisonnières de l’acupuncture chinoise) ; Il était conseillé de suivre à distance le trajet du méridien pour renforcer la loge énergétique et ainsi agir sur les muscles liés au méridien (selon les auteurs).
- La chromatothérapie du Dr Agrapart.
Je connais cette histoire. Christian Agrapart, docteur en médecine (Lyon), neuropsychiatre et acupuncteur, est possesseur de la marque déposée « chromatothérapie ». Il a fondé et dirige le CEREC, Centre d’Étude et de Recherche sur l’Énergétique et la Couleur à Melun, qui fait office d’établissement de formation en chromatothérapie en deux ans à sa « chromatothérapie » réalisée par ses soins et ceux de sa femme Michèle Delmas-Agrapart. Mon camarade journaliste Olivier Hertel avait dénoncé la chose dans Sciences & Avenir d’avril 2012 : « La couleur ne fait pas la santé ».
J’ai validé surtout la méthode d’examen et d’établissement d’un diagnostic (propre à la “médecine chinoise“). Bon souvenir de discussions avec un vétérinaire qui utilisait comme moi ce qu’il appelait les « grands points ».
À nouveau, extrait de notre ouvrage, pp 104–105.
La Kinésiologie ou Kinésiologie Appliquée (Applied Kinesiology ou AK) est une thérapie dite alternative créée par le chiropracteur George J. Goodheart en 1964 et basée sur un mélange de principes empruntés à la chiropraxie (manipulation manuelle le long du système osseux) et de concepts énergétiques empruntés à la médecine traditionnelle chinoise (particulièrement les méridiens et la notion de Qi, ou Chi). Le postulat de départ est un des grands classiques vitalistes : le corps est en permanence traversé d’un flux d’énergie curative, et ce sont les blocages lors du passage de ce flux qui seraient la cause des maladies. Ces blocages proviendraient essentiellement de traumatismes physiques, « psychiques », ou les deux, traumatismes s’« engrammant », c’est-à-dire s’incrustant dans toutes les cellules de notre corps et créant en quelque sorte une mémoire. Une palpation des diverses chaînes musculaires permettrait de non seulement mettre en évidence ces blocages, mais également de les résoudre. Le test principal, le fameux TM (Test Musculaire) consiste à questionner un muscle, généralement le deltoïde, sur une question donnée, en exerçant une force dessus. S’il s’agit de savoir si une substance est allergène, nocive, ou une pensée néfaste, le bras s’abaisse, comme pris de faiblesse. La thérapie s’est ensuite divisée en de nombreuses branches, de l’élève de Goodheart nommé John Thie (1933–2005), qui en fit une méthode de bien-être, le Touch for health, au couple Dennison qui a construit une méthode pédagogique appelée Brain Gym, en passant par David Hawkins qui, ayant reçu son don en 1965 directement d’un archange, s’est battu jusqu’à sa mort (2012) pour faire de la kinésiologie appliquée une méthode de détection des mensonges. En France, les deux écoles principales sont à Grenoble (l’Institut de formation de kinésiologie appliquée de Freddy Potschka) et à Paris (l’École de kinésiologie et méthodes associées de Jean-Claude Guyard). Nous ne connaissons aucune étude scientifique publiée par le fondateur [ni ses continuateurs, d’ailleurs]. |
Comment aviez-vous eu vent de chacune d’entre elle ? Fréquentiez-vous un cercle, un cénacle, ou lisiez-vous de la presse « alternative » ?
Pour la première, la podothérapie, après dix années d’exercice conforme au diplôme d’État, un ennui profond à faire du « calage de meuble » : quand le pied était supinateur il fallait mettre un élément sous le bord externe et inversement, ou encore mettre une talonnette sous la jambe la plus courte, etc. Ajoutez à cela une perspective de durée de travail de 30 ans dans ces conditions, j’ai appelé un confrère formé à la même école de pédicurie-podologie et que je savais très investi dans son métier. Il m’a seulement dit : « va voir Nicolas à Rennes ». Jacques Nicolas était alors directeur de l’école de pédicurie podologie de Rennes.
Pas de cercle. Pas de cénacle.
Pas de lecture de la presse « alternative » mais une patiente m’apportait les conférences de Jacques Donnars (de l’association « Le corps à vivre »).
Jacques Donnars, décédé en 2018, qui fut le président de la société française de sophrologie ? Sur la sophrologie d’Alfonso Caycédo, avec mes collègues G. Demazure et A. Guillaud, nous avons travaillé il y a quelques années. Il nous a fallu reconnaître la vacuité de cette méthode, pourtant tellement plébiscitée (voir ici :Les fondements de la sophrologie : entre conte New Age et pseudo-science, Science et pseudoscience, 2018).
Circulaient aussi des articles comme : les causalités métaphysiques des maladies ; Celles-ci m’ont fait apparaître comme doté d’un pouvoir surnaturel. Pour moi je donnais une piste à la personne pour résoudre son problème. J’étais très déçu quand on ne me croyait pas par exemple qu’il suffisait de changer de chaussure tout simplement…
Pour chacune, comment vous êtes-vous formé ? Seul ? En stage ? Quels contenus, quel tarif ?
Ma formation s’est faite avec deux confrères rencontrés dès le premier stage. Eux étaient déjà passés chez Stroef-Denys en Belgique et chez Bourdiol à Paris. Ensuite j’ai continué en stage pour la podothérapie, la « médecine » chinoise et la chromatothérapie. Les autres formations se sont faites par un travail commun avec mes deux confrères.
Les contenus ? D’abord la podothérapie, les semelles dites proprioceptives, les postures Stroef-Denys, la réflexologie Bourdiol et ses deux chaînes musculaires : orthosympathique et parasympathique (des muscles oculomoteurs aux muscles plantaires), toutes ces « disciplines » étaient très exigeantes en anatomie, physiologie et neurophysiologie (réflexe myotatique, boucle gamma, système proprioceptif, cervelet…). À cela s’ajoutaient des principes d’hypertonie musculaire et des propositions de solutions comme en podothérapie, il fallait mettre une zone de pression sous le corps des muscles plantaires pour les tonifier grâce aux fuseaux neuromusculaires et sous les zones tendineuses pour les inhiber.
Puis la « médecine » chinoise, dont les principes sont : le Yin, le Yang, les cinq éléments, les saisons, les énergies exogènes, endogènes, les méridiens attachés aux organes et aux viscères, les vaisseaux lo, tendino-musculaires, distincts, merveilleux, la chrono-acupuncture, la pulsologie chinoise, le cycle circadien, les notions de vide plénitude, de profondeur superficie, d’harmonisation.
S’ajoute la chromatothérapie : des notions de régulation de la température et de l’hydratation corporelles, les signes d’excès de froid de chaleur de sécheresse d’humidité, l’action des couleurs sur la zone éclairée, des opérations effectuées au moyen de trigrammes représentant des particules et des énergies les unes et les autres étant plus ou moins présentes en surface, superficie ou profondeur.
Les tarifs, pour les stages étaient ceux en vigueur pour les autres stages y compris ceux organisés par la Fédération des pédicures-podologues et ses syndicats régionaux. Je ne me souviens pas du montant. De plus ces stages se sont étalés sur une dizaine d’années et se chevauchaient dans le temps. Ne pas oublier le travail personnel d’apprentissage effectué la nuit ; je tenais à avoir bien assimilé le contenu précédant avant le prochain séminaire.
Y avait-il compatibilité entre toutes ces théories ?
Comme ma pratique évoluait, la plage de la demande de soins s’est étendue ; en effet, je ne m’occupais plus uniquement des pieds. De fait je séparais aisément les unes des autres méthodes et adaptais le choix de la discipline à la pathologie en présence. D’autre part mes collègues et moi n’ignorions pas les progrès officiels et les ouvrages sur tout ce qui pourrait intéresser la podologie comme la marche humaine, les avancées des matériaux, la posturologie du Dr Gagey pour laquelle mes deux compères étaient en formation.
Pierre-Marie Gagey, le médecin du travail dans le bâtiment qui bossa avec l’ophtalmologue Jean-Bernard Baron, le fondateur de la posturologie, dans les années 60 ? Je n’ai jamais étudié ça de près, je vais demander à mes collègues pointu·es.
Aviez-vous déjà écarté d’autres théories qui vous paraissaient scabreuses ?
En podologie, j’avais du mal avec les purs et durs aussi bien en « classique » qu’en « alternatif » ; j’ai eu du mal, sans jugement, avec l’homéopathie. Des gros doutes aussi avec la kinésiologie et la cinésiologie du Dr Bourdiol ; avec cette dernière, si j’ai eu un résultat positif je ne l’ai jamais su. La cinésiologie consiste à faire faire à une zone du pied une flexion, une extension ou une rotation contre résistance et relâcher celle-ci après quelques secondes.
En fait, j’ai plutôt écarté le côté scabreux des disciplines comme la circulation d’énergie dans des méridiens en acupuncture plutôt que la discipline. D’ailleurs une vraie définition de l’énergie comme elle existe en physique et même en médecine (?) m’aurait simplifié la compréhension.
Comment étiez-vous perçu socialement ? J’ai souvenir d’un podologue qui soignait un peu les âmes, mais aussi qui avait des côtés « sorciers ».
J’avoue qu’à cette époque je ne m’en rendais pas compte. Après quelques années certains athlètes me saluaient d’un « grand sorcier blanc ou grand guru blanc », je prenais cela à la plaisanterie.
Dans mon groupe d’adolescent·es sportif/ves, on répétait à qui mieux mieux que vous testiez vos points de pulsologie et votre chromatothérapie sur vous-mêmes, avec un certain nombre de « dégâts ». De mémoire, j’ai entendu dire que vous vous étiez rendu sourd d’une oreille, et aviez dû batailler pour que ça revienne ; et que vous étiez parvenu à arrêter de faire pousser votre barbe ! Le saviez-vous ?
J’ignorais la propagation de ces récits d’expériences. Pour ce qui est de la barbe, j’étais certainement victime d’une illusion : la barbe pousse sûrement de façon inégale comme se fait d’ailleurs la taille : mes observations manquaient de rigueur. En revanche certains essais de couleur sur des points provoquaient des névralgies très douloureuses de l’oreille à la joue et ce régulièrement. Avec certaines bases encore il m’arrive de fermer le conduit auditif au point de ne pouvoir entrer un coton tige. Ce signe disparaît avec la base induisant le mouvement inverse.
Quelle fut la première brèche dans l’édifice ?
Les chaînes musculaires : je pensais que je pouvais agir directement d’un muscle du pied sur un muscle de la même chaîne. D’autres chaînes ont été « inventées » toutes parfaitement étayées et justifiées par leur auteur… c’était trop beau ; par contre mécaniquement, après quelques tâtonnements je n’ai jamais abandonné.
J’ai assez tôt acquis le podomètre relié à un PC qui proposait : « C:\ » quand on appuyait sur« on » ; c’est vous dire l’époque ! Cela m’a permis de faire mes propres relevés, sur le terrain, quant à la disposition et l’intensité des appuis selon la posture. Certaines théories sur les appuis dominants, l’entésophite plantaire et cette obsession du valgus calcanéen datant du diplôme se sont vues remises en question. L’imagerie, enrichie d’un statokinésimètre a commencé à mettre en évidence certaines réalités. J’ai pu objectiver le non-effet (en tous cas immédiat) d’éléments de semelles, de mobilisation articulaire, d’application d’aimants et de « réglage fréquentiel » au Girelase de points que je pensais importants pour l’équilibration.
Le Girelase, c’est un objet laser, fabriqué par Sedatelec, dans le Rhône, diffusant les fréquences A (orange), B (rouge), C (jaune), D (rouge tango), E (bleu pétrole), F (bleu foncé), G (magenta) et destiné à remplacer les aiguilles en acupuncture et en auriculo-médecine de Paul Nogier, inventeur de l’auriculothérapie.
En acupuncture, par exemple, j’avais du mal à clarifier les notions d’excès ou de carence en acidité, les deux pouvant être la cause de dérèglement des fonctions hépatique et vésiculaire.
Je ris très facilement de moi-même et quand en kinésiologie je « tonifiais un méridien » je me voyais brasser de l’air. Même si je faisais un acte qui pour le patient et moi était réel.
Puis arrivent les années 1990. Petit à petit je fais le tri parmi toutes ces méthodes sans abandonner la pratique podologique dite classique ou officielle ; je m’initie aux semelles thermoformées et utilise une acupuncture définie par moi comme « occidentale », malgré la moxibustion mais avec le laser. Je pratique également la chromato et la chromato-puncture. J’assiste toujours à différents stages ou conférences. Je mobilise le pied et essaie la cinésio sans beaucoup de succès (après son homéopathie : deuxième déception Bourdiol). En acupuncture je ne m’accorde qu’un point, rarement deux. Je cesse tout ce qui ressemble de près ou de loin à du magnétisme. Un passage à l’institution Caravelle où je n’ai fait que de la chromato oculaire m’a beaucoup intéressé.
Avec une kiné athlète pratiquant l’ostéo crânienne nous devions examiner des jeunes diagnostiqués autiste ou hyper-actif. Il y a eu de bonnes réaction de leur part.
Pour les personnes curieuses, nous avons rendu il y a quelques années un topo complet sur l’ostéopathie cranio-sacrée, dans un rapport pour le Conseil de l’Ordre des masso-knésithérapeutes, ainsi qu’une publication dans la revue PlOs1 (ici).
Le livre de Raymond Sohier « Deux marches pour la machine humaine : celle « qui vient d’en haut » et celle « qui vient d’en bas » » (Michel Haye, 1989). et les travaux du Dr Pierre-Marie Gagey (rapportés par mes deux confrères) m’ont beaucoup orienté vers ce que j’ai fait ensuite ne serait-ce que parce que dans les deux cas, le pied y est. Il y a dans la méthode des enregistrements du système postural fin qui permet un comparatif sans, avec, après le port des orthèses.
Ce qui m’intéresse particulièrement c’est le travail de comparaison : appuis-posture ; cinématique du centre de poussée-dynamique de marche ; et les enregistrements du système postural fin. Je reste pourtant critique pour tout en m’opposant à la position “forcée“ du pied dans des sports comme le tennis ou le foot. À part la course à pied sur piste ou sur route il est impossible de fixer un pied dans une position dite idéale ; je défends, à peine perdue, un pied articulé et musclé qui doit donc être considéré comme tel. Dans le bien fondé des soins de pédicurie sur des pieds dont la pathologie ne vient que des chaussures (les conseils donnés ne sont pas considérés comme un travail et systématiquement contredits); les soit-disant progrès podologiques qui ne résultent que dans l’apparition de matériaux nouveaux mais non d’une connaissance plus approfondie de l’implication du pied dans ce qui se passe au dessus et inversement. De plus je reproche à la posturologie ce que je reproche à la chromatothérapie entre autres : l’obligation de suivre chaque stage de 1 à x, en tous cas à l’époque, alors que les praticiens formés pratiquent finalement à leur idée. Par la suite, des stages de posturologie Gagey ont été proposés par la fédération. La posturologie Bricot (de Bernard Bricot, auteur sur la RPG) avec application d’un filtre polarisant dans des semelles ne m’a pas intéressé.
J’ajoute ne m’être jamais attaqué à des maladies graves (hormis une dépression, mais contre ma volonté) : seulement aux effets secondaires, comme par exemple des brûlures après traitement.
Mon langage évolue vers celui des sciences ouvertes en opposition à occultes qui ont peut-être mené à quelques dérives sectaires… Cela déroute ma clientèle et provoque une fracture avec mes deux confrères.
En 1999, je réponds à l’annonce d’une maison médicale recherchant un pédicure-podologue. J’essaie ainsi, aidé de l’éloignement (380 km) de revenir à la pratique officielle. Au début : Lundi, mardi, vendredi à Avon ou je diminue doucement le nombre de mes patients ; mercredi, jeudi, où je crée une nouvelle clientèle.
Si je comprends bien, vous avez exercé votre métier pendant 17 années, en y greffant diverses techniques « alternatives », et c’est au bout de quelques temps que les fissures se firent.
Qu’avez-vous fait alors ? En avez-vous parlé à vos proches
J’ai exercé jusqu’au bout selon différentes méthodes et à partir de 2008 avec celle que je mettais au point ; la première faille s’est produite au bout de 15 ans parce que je n’étais pas à l’aise d’exercer une activité qui ne correspondait pas à l’annonce figurant sur ma plaque professionnelle (ça me travaillait certainement depuis pas mal de temps).J’en ai parlé à mes proches car je désirais me délocaliser, changer de lieu à un endroit où on me demanderait des soins de pure pédicurie-podologie. Sur place, ma réputation était trop spécifique.
En avez-vous parlé à vos collègues ?
Non. Cependant, j’ai cessé d’aller en stage avec mes deux collègues pour divergence de vues ; l’un s’attachant en plus à la numérologie, l’autre à l’anthroposophie ! Je n’y voyais aucune application professionnelle.
À vos enseignants desdites techniques ?
Non.
À quel moment avez-vous rencontré le scepticisme / le rationalisme / la zététique ?
De nature confiant et assez dépourvu de méfiance je voulais répondre à la demande de mes patients. Suite à un certain appel téléphonique proposant une rencontre autour d’une chope avec toi, j’ai consulté un site du nom de zététique : ça s’est installé petit à petit. Bien sûr ça ne s’est pas fait spontanément ; voici quelques faits qui m’ont interpellé :
- une catastrophe humanitaire suite à un séisme ou une inondation qui m’a fait dire : « on aurait l’air fin avec nos points d’acupuncture »,
- la propagation de l’EPO (érythropoïétine) qui rendait mes méthodes de préparation physique ridicules,
- il m’arrivait de me servir uniquement du diagnostic du médecin,
- j’entendais les personnes pratiquant le même genre de méthode que moi parler d’énergies sans les mettre en évidence, sans mesures et j’étais conscient de la différence de niveau à ce sujet avec les disciplines scientifiques.
Quel impact cela a eu ensuite sur vous, sur votre pratique ?
Le réveil et le désir d’être un « podologue normal » en travaillant classiquement dans une maison médicale. Mal m’en a pris hélas !
Pourquoi mal vous en a pris ?
Des gros frais inattendus (entre autres de voiture) m’ont contraint à renoncer et il a fallu des années pour remonter un petit peu.
Mais aussi un grand nettoyage de l’esprit et ça tombe bien, je suis un défenseur de l’hygiène mentale et corporelle (bien sûr sans excès ni fanatisme, ce qui s’auto-contredirait).
En fait je suis revenu aux explications anatomiques, physiologiques, neurologiques telles qu’on les apprend dans les écoles ; agrémentées toutefois d’une bonne dose de régulation comme je la vois sur l’équilibration et les réactions à certains dysfonctionnements (tout de même !).
Désormais, comment voyez-vous toute cette période ? Comment percevez-vous ces pratiques ? Comment comprenez-vous la soif des thérapeutes, et surtout la soif du public pour ces chemins de traverse, même si pour la plupart ils ne mènent nulle part ?
Cette période faisait suite à mes premières années d’exercice pendant lesquelles je me suis très vite ennuyé. La pédicurie-podologie de l’époque se pratiquait d’un côté « en grattant de la corne » principalement et de l’autre à exécuter des ordonnances de semelles : découper, râper, coller. Les semelles par éléments étaient les semelles officielles ; les semelles monoblocs des orthopédistes étaient des « thermoformées » avant l’heure et pourtant décriées par notre profession.
Après mon premier stage à Rennes, je ne m’ennuyais plus au travail grâce à la grande ouverture proposée par un neurologue s’adressant à différents professionnels de santé et ainsi proposait un outil multidisciplinaire faisant de chacun un maillon utile au traitement du patient. Les podologues ayant travaillé avec ce spécialiste avaient de gros cabinet avec prothésiste à domicile. Normal, ils étaient très efficaces et pour certains, partageaient volontiers leurs connaissances.
Le recyclage facile est apparu ; une surenchère de propositions nous donnait la possibilité d’acquérir des certificats, voire des diplômes plus ou moins « factices « . Ajouter « du sport » à sa spécialité rassurait quant à la compétence du praticien. La statique, puis la posture, l’ostéo et autre étiopathie ouvraient la vue sur un champ tellement étendu de magie thérapeutique. Les gadgets comme les aimants, les filtres, les huiles essentielles appliqués directement sur les pieds ou sur des semelles lesquelles avaient « soigné » telle star du sport rendaient bien pâle une pratique professionnelle dite classique. Ces méthodes comme celle que j’ai élaborée semblent complètes présentées en kit clé en main. Elles permettent d’apporter au praticien un plus auquel la clientèle est sensible ; elles sont censées à minima être préventives… ?.
Il fallait se distinguer pour exister ou être l’élément d’un cercle de professionnels de santé qui se comprenaient. Avec la venue des chaussures de sport pronatrices ou supinatrices, l’auto-correction à l’image de l’auto-médication rendait incompétent le podologue qui n’en favorisait pas l’acquisition. Nous devions pour être reconnu, prononcer un des mots connus du monde du sport : supination, pronateur, valgus calcanéen, cycle postérieur. Un père m’ayant amené son fils « sportif » a nuit beaucoup à ma réputation en me disant incapable de détecter le valgus calcanéen de celui-ci ; j‘ai eu le tort de ne pas lui dire : « oui il y a un valgus calcanéen mais il est trop peu important pour être réduit ». En fait je n’en parlais pas car pour moi corriger ses valgus aurait eu tendance à aggraver sa posture. Il fallait au professionnel parler comme dans les magazines ou ce qui circule sur les sites spécialisés. Pourtant je trouve très utiles ces sites si peu que l’on soit formé à l’auto-défense…
Il est vrai aussi que j’étais très surpris quand je voyais diagnostiquer une tendinite à un endroit où il n’y a aucun tendon.
Le public qui cherche à en remontrer au professionnel, et celui-ci, qui est aussi public échappent difficilement à l’activité marketing.
Ce qui me reste principalement c’est une course à la compétence, une recherche de réponses aux problèmes posés par la patientèle ; mais aussi en ce qui concerne « l’acupuncture » que j’écris entre guillemets car je n’ai jamais implanté une aiguille (je me servais de moxa pour chauffer les points), une attention plus fine en clinique ; en posture, marche, orthèses, une connaissance plus approfondie et plus étendue en neuro-physiologie, systèmes proprioceptif, sensitif, etc. Je discutais beaucoup avec un vétérinaire acupuncteur et pourtant dirigeant un laboratoire d’analyse. Nous parlions des grands points, les mêmes efficaces chez les animaux comme chez les humains… ; mais jamais de circulation d’énergie.
Très peu bavard de nature, j’ai par contre subi et participé à des discussions creuses agrémentées de : « forcément ça fonctionne, les ondes, les vibrations, les Chinois » . Le lendemain d’émissions sur les « médecines » alternatives chaque tenant d’une méthode avait trouvé que celle qu’il pratiquait avait le mieux convaincu. Ce sont les tenant de l’ésotérisme (science obscure) qui accusent les tenant de la science ouverte d’être fermés. Dommage qu’il y ait aussi les : « je crois que ce que je vois » et les « si ça marchait, ça se saurait »
Je me suis rendu compte d’avoir vécu dans un monde idéal où tout pourrait se résoudre facilement. La prise de conscience fut brutale…
Que conseilleriez-vous à des jeunes professionnels de santé qui voudraient partir sur de tels sentiers ?
Si on se sent bien dans sa profession comme ça a été le cas pour un confrère maintenant retraité, pas de raison de chercher ailleurs ; Il a pratiqué comme son diplôme le lui a permis et a suivi les stages proposés par la fédération. Seule une formation pour les réseaux « diabète » l’a distingué.
Il semble que les matières multi-disciplinaires soient aujourd’hui les plus suivies par les pédicures-podologues ; elles enrichissent en connaissances et bénéficient d’une réputation de sérieux grâce aux médecins qui les représentent. Ce sont la posturologie du docteur Gagey (& Weber, & Villeneuve) et les réseaux « diabète ». Elles situent et maintiennent chaque professionnel de santé dans son créneau. Ajoutons à cela l’inscription sur une liste de praticiens ayant suivi l’enseignement…
Pour ceux qui se cherchent une autre voie, dès le début il faut afficher clairement le changement et ne pas se comporter contre la médecine, les prescriptions et leurs prescripteurs ; ceux-ci engagent leur signature.
Il faut savoir dire « non » quand on sort de son domaine de compétence.
Je me faisais prendre au piège quand mes patients prenaient rendez-vous pour une « technique » précise alors qu’après examen clinique je voyais une autre solution. je n’ai pas osé et en définitive pas su répondre à un chirurgien qui me consultait pour son épaule. Ce que je pensais le mieux pour lui aurait été un travail de kinésithérapie. J’ai travaillé pratiquement seulement par expérience et il m’avait convoqué pour de la chromato.
Mes deux confrères (ceux avec lesquels je suivais les stages) et moi-même avons eu des « carrières » complètement différentes. À chercher à résoudre tout et n’importe quoi, l’un a été déconventionné, l’autre a brillé puis s’est éteint, le troisième a fini péniblement, dans l’oubli et la critique. Pourtant tous les trois étions férus d’anatomie, physiologie, pathologie, neurologie, biomécanique, posture, dynamique de la marche, cinématique, etc. L’impossibilité pour nous de faire pratiquer des analyses et l’urgence des soins à apporter nous ont poussé à chercher « ailleurs ». Les podomètres permettant l’étude du déplacement du centre de poussée pendant la station ou la marche, les statokinésimètres et l’imagerie produite nous fournissaient des sujets d’étude.
Cependant chaque courant d’idées y trouvait et y trouve encore de quoi conforter ses convictions…
Avez-vous un regret quelconque ?
Mon manque de fondamentaux.
Vous voulez dire : « pas de regret » pour ces dizaines d’années passées sur des techniques pas ou peu solides ?
Je veux dire : pas de regret pour le temps est passé à répondre à la demande d’une patientèle qui m’a fait utiliser ce pour quoi j’ai été formé, mais aussi apprendre, apprécier les moments professionnels que je passais avec, VIVRE ; pas de regret pour le temps à répondre à un grand besoin d’absolu que seule une petite partie de la science peut permettre d’approcher.
L’acquisition tardive des outils nécessaires au discernement a cependant profité à la recherche menée avec un confrère contradicteur, Franck Perraux, sur un outil permettant l’étude des effets éventuels d’un échelonnement de points d’appui physiologiques sur 2 ou 3 niveaux. Les essais ont débuté en 2008, mais n’ont pas abouti, mon collègue étant brutalement décédé.
J’ai essayé, il y a plus d’un an, de répondre à la fiche « évaluation – Zététique & autodéfense intellectuelle – R. Monvoisin » de votre enseignement de licence, je me suis trouvé devant le regret que j’évoquais.
Didier, vous forcez mon admiration, et je vous remercie d’avoir raconté tout cela. J’ai rarement rencontré une telle probité intellectuelle. Je suis fier de vous connaître.
Cet article, dont l’élaboration s’est étalée sur quelques années, a reçu le concours amical d’Albin Guillaud (auteur de la thèse sur le recours aux thérapies alternatives et complémentaires, 2020). Tout commentaire, toute question peut être postée dans les commentaires ci-dessous et nous tâcherons d’y répondre au mieux.
Bonjour,
Je viens de finir la lecture de votre article « Histoire d ‘une probité intellectuelle – entrevue avec mon thérapeute alternatif, Didier Richard » publié le 11 novembre 21. Je suis tombé dessus en cherchant « zététique posturologie » dans Google …
Cet article m’a fait beaucoup de bien et beaucoup de peine.
Je suis pédicure-podologue et depuis que j’ai obtenu mon diplôme je me rends compte de jour en jour des lacunes scientifiques qui entourent l’exercice de ma profession. Je constate également l’incroyable propension de mes confrères à s’orienter vers des formations continues pseudo-scientifiques, vers des thérapies non éprouvées par la science et vers des concepts douteux.
J’ai croisé de nombreux professionnels de santé défendant des pseudo-sciences. Parfois avec les meilleures volontés du monde, mais parfois avec un lien d’intérêt notable (exerçants en tant que formateur au sein d’un organisme dispensant ladite formation). Il arrive que ces formations soient prises en charge par les organismes de financement des formations continues (ANDPC et FIFPL)…
Cet article m’a fait beaucoup de bien car il rappelle que certains ont la tête sur les épaules. Mais il m’a fait beaucoup de peine car le problème semble exister depuis longtemps et rien n’a vraiment changé. Peut-être suis-je pessimiste, mais cela me semble même être de pire en pire.
La pédicurie-podologie manque de bases scientifiques solides, c’est un fait. Et il est rude de pratiquer une profession en tâtonnant et en se fiant à son expérience (d’autant plus quand on est au fait de ses propres biais). Mais il existe des solutions (méthode, publication, vérifications, … ) et cela pourrait avancer si la profession s’y mettait. Mais au-delà de cela, la perméabilité aux pseudo-sciences jette un discrédit sur la profession.
Nombre de mes confrères se font avoir par manque de temps, d’esprit critique, de formation et d’envie. Cela laisse la porte ouverte à ceux pour qui l’argent prévaut sur la méthode et la prise en charge des patients.
Ce témoignage n’est qu’un exposé préalable à quelques questions :
– Dans l’article vous écriviez « Pierre-Marie Gagey, le médecin du travail dans le bâtiment qui bossa avec l‘ophtalmologue Jean-Bernard Baron, le fondateur de la posturologie, dans les années 60 ? Je n’ai jamais étudié ça de près, je vais demander à mes collègues pointu.es » ; auriez-vous des données supplémentaires ou avez-vous eu un retour de vos collègues sur ce sujet ?
- Auriez-vous un article ou un protocole qui permet de « mettre à l’épreuve du feu » méthodiquement une formation ou un concept de santé ? Je me trouve notamment en difficulté sur certains concepts qui sont étayés par des publications scientifiques dont je suis incapable de vérifier la qualité scientifique (je ne sais pas comment m’y prendre).
Je vous remercie par avance
XXX (la personne souhaite rester anonyme)
Ma réponse à XXX fut plus fournie. Mais sur le point « P‑M Gagey », hélas non je n’ai pas eu de retour sur le sujet, je le dis ici au cas où qq’un·e tombe sur ce commentaire.