Ce matin j’écoutais Laurent Richard (Forbidden stories) rappeler en septembre 2024 (chez Thinkerview, ici) l’argumentaire de l’entreprise du tabac Philip Morris auprès des états pour qu’ils taxent moins le tabac : pensez aux économies que vous faites, les fumeurs en général meurent exactement à l’âge où ils devraient toucher leur pension.
Ça m’a rappelé ce passage de notre bouquin « La Sécu, les vautours et moi » avec Nicolas Pinsault (éditions du Détour), chapitre 3, pages 54–56. Je vous le mets ci-dessous en vidéo et en texte. Bien sûr, il faudrait actualiser les montants pour 2024 – si quelqu’un·e s’y colle, je prends.
(…) Si le financement ne reposait que sur les cotisations issues des salaires, il n’y aurait pas assez d’argent pour faire fonctionner la protection sociale. Alors les gouvernements successifs ont progressivement fiscalisé le financement de la Sécu, c’est-à-dire qu’ils ont prélevé une part grandissante dans les impôts. Généralement ça passe par la création de nouvelles taxes, et là-dessus la créativité ne manque pas : taxes sur le tabac, l’alcool, etc. Attends : regarde mon paquet de clopes. Quand j’en achète un, je finance donc la Sécu ? Les fumeurs sont donc de braves gens. Oui, mais quand tu tombes malade du fait de la clope, tu coûtes aussi à la Sécu. Il faut nécessairement regarder les choses de manière un peu plus globale. D’un côté, tu as les dépenses directement liées aux soins nécessaires pour les fumeurs. Une des dernières études disponibles, réalisée en 2015 par Pierre Kopp pour l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies et basée sur la situation en France en 2010, fait état d’un coût annuel des soins des pathologies engendrées par le tabagisme actif et passif de 25,9 milliards d’euros. De l’autre côté, tu as les taxes récoltées sur la vente de cigarettes, de 10,4 milliards d’euros, TVA comprise, ainsi que — c’est assez sordide — les économies réalisées par l’État sur les retraites non versées du fait de la mortalité précoce des fumeurs, soit autour de 1,8 milliard d’euros, toujours selon Kopp. Au final, si on met aussi dans la balance les 182 millions d’euros pour la prévention et la répression, les finances publiques prennent un plomb de 13,9 milliards d’euros par an du seul fait du tabac. Et encore, si on ne regarde pas le coût social du tabac… Le coût social ? Oui, c’est encore un peu plus global. Tu intègres dans l’équation des trucs difficiles à quantifier mais qu’il faut pourtant bien appréhender : — le coût des années de vie perdues, estimé à 65,1 milliards d’euros pour le tabac. Ce coût se mesure par la valeur de l’année de vie perdue (115 000 euros) qu’il est recommandé d’utiliser en France dans les calculs socio-économiques, multipliée par les années écourtées des 78 966 décès annuels liés au tabac ; — le coût lié à la dégradation de la qualité de vie des malades du tabac (31,7 milliards) ; — le coût des pertes de production (8,6 milliards). Bien sûr ce n’est pas parfait, ce calcul : savoir si on attribue au tabac ou à l’alcool une année de vie perdue chez quelqu’un qui fume et boit, ce n’est pas simple. Idem pour donner le même coût à une année de vie perdue, pour une personne jeune ou vieille, qualifiée ou non, etc. Et surtout, à qui cela coûte ? Tu veux dire, à qui cela coûte 115 000 euros de perdre un an de vie : au propriétaire de cette vie, à l’entreprise qui l’emploie, à la société qui le soigne ? Je présume que c’est pour les deux derniers, car le compteur du propriétaire, de fait, s’est arrêté avec son existence. Au total le coût social du tabac est de 122 milliards d’euros par an. Même si on n’intègre pas les coûts liés à la vie ou la qualité de vie des fumeurs, les dépenses publiques et pertes de productivité nous amènent à un coût estimé pour la collectivité de 22,5 milliards. Si on voulait compenser ces pertes financières et équilibrer les comptes, il aurait fallu en 2010 (54,8 milliards de cigarettes vendues) un prix du paquet à 8,20 euros, alors qu’il n’était que de 5,65 euros. Bien sûr, il serait trop simple de faire une règle de trois pour connaître le prix qu’il faudrait en 2017 alors que le paquet moyen est à 7 euros, puisque plusieurs taxes se sont greffées à l’augmentation du prix de la matière première, mais pour se faire une idée on serait sûrement à un peu plus de 10 euros le paquet en moyenne. |
Si vous voulez occuper votre cerveau pour mieux comprendre la Sécu, la plus belle invention de l’humanité après le fil à couper la roue et qu’on est en train de bousiller, nous avons tout mis en boite en format vidéo (ici) ou podcast (là), avec David Laumet et Julien Ammar. C’est du service public, servez-vous. Vous pouvez aussi trouver le bouquin aux éditions du Détour.
Salut Richard !
Je dois avouer que j’avais fait une petite pause dans la lecture de ton blog, faute de temps. En y revenant aujourd’hui, je me rends compte que tes contenus, toujours aussi drôles et intelligents, restent à plaisir à lire (et à regarder ici). Non seulement divertissants, mais aussi instructifs.
Je me sens presque naïf, mais je n’avais jamais envisagé que les campagnes anti-tabac (comme Tabac Info Service ou le Mois Sans Tabac) puissent être autant, voire plus, liées à une logique de réduction du déficit public qu’à la santé publique. Ton billet m’éclaire sur cet aspect financier.
L’argument des marchands de tabac, prétendant que les fumeurs permettent des économies en mourant avant de toucher leur retraite, est franchement… saisissant.
Pour l’anecdote personnelle, après 30 ans d’addiction au tabac, je lis ceci alors que je célèbre ma première année sans cigarette. Je ne l’avais pas prévu dans ce but, mais suis ravi de contribuer, à ma manière, à alléger les les impôts de mes concitoyens !
Merci à toi et bravo. Après, le but n’est pas tant de réduire les impôts, que de les déplacer aux bons endroits, notamment dans la prev, l’éducation, le care. Sacré challenge. Merci et au plaisir de te lire
« Après, le but n’est pas tant de réduire les impôts, que de les déplacer aux bons endroits, notamment dans la prev, l’éducation, le care. »
En disant que je suis ravi d’alléger les impôts de mes concitoyens, c’était pour terminer sur une note d’humour, mais nous sommes d’accord. C’est pourquoi, je pensais qu’il s’agissait de santé publique avant tout, et non seulement de finances.
Désolé pour l’anecdote très personnelle, je fêtais mes 1 an le jour même où j’ai lu ton blog, et je n’ai pas pu m’empêcher… 😉
A ce sujet cependant, mon exemple personnel souligne comme la prévention et le care sont en effet importants. Bien que je n’y ai pas toujours cru avant d’essayer.
Contre toute mes attentes, une dame dénommée Irène, que je remercie publiquement où qu’elle soit, addictologue à Tabac Info-Service (le numéro inscrit sur les paquets), a été d’un important soutien pour moi, en m’appelant régulièrement, quand je luttais et ne trouvais pas de soutien ailleurs.
J’avais originellement composé ce numéro en n’en attendant pas grand-chose, mais au delà d’une volonté propre, ses appels réguliers m’ont réellement importé dans les premiers mois, les plus difficiles. Je te rejoins donc totalement sur la réinjection des finances dans la prévention et le care. De ce qu’elle m’a dit, ils ne sont cependant qu’un trop petit nombre dans leur cellule pour passer tous les appels. Un indice de répartition budgétaire ?
Bon weekend et à bientôt !
PS : En écrivant trop vite, deux coquilles se sont glissées dans mon précédent commentaire :
– […] tes contenus restent UN plaisir à lire
– […] LES impôts de mes concitoyens (une seule fois « les » suffit)
merci Rod !
Bonjour Richard,
dans sa petite encyclopédie Critique : Pourquoi fumer est de droite, Olivier Milleron soutient que le paquet devrait être à 40€ pour que le bilan s’équilibre entre revenus fiscaux et le coût du tabac à la collectivité.
Il s’appuie sur cet article https://www.liberation.fr/france/2019/05/08/tabac-le-lobby-des-ramasse-magot_1725739/.
L’association Action contre le tabac dit avoir vérifié les chiffres.
https://acrobat.adobe.com/id/urn:aaid:sc:EU:f
9cf6f73-b1bc-4a12-a737-a5cca6015582
Je n’ai pas creusé le sujet. juste lu ces quelques lignes.
Bonne journée.
merci beaucoup Johann, je n’avais pas vu passer ça !
J’espère que l’info n’est pas trop pétée.
Je la balance volontiers à mes patients fumeurs lorsque la discussion tourne vers les impôts générés par la vente du tabac.
Le chiffre de 40€ est donné sans détail de son calcul.
Merci à toi, Je prends toujours plaisir à lire ou écouter tes productions. J’en profite pour demander des nouvelles de l’état d’avancement du livre sur le Placebo. je l’attends avec impatience.
ah ah il rame ce livre – mais il arrive (faut dire que l’actu du placebo est foisonnante)
j’espère l’an prochain
Ah oui, j’attends ça aussi avec impatience. Sujet fascinant.
Bon courage pour le produire d’ici là ! 🙂
De Kindia à France Culture, 23 ans après, je te retrouve par hasard en écoutant les épisodes de Mon Cerveau – fort intéressants d’ailleurs… Pour constater que 1) tu aimes toujours autant parler – je me rappelle encore de toi en train d’enchainer salutations et blagues dans le champs, en Soussou ? 2) que tes conversations sont toujours aussi passionantes, maintenant en plus comme figure publique ! Pas un grande découverte scientifique, mais c’est toujours surprenant : on ne change pas beaucoup avec le temps. Un abrazo depuis La Paz, Basse Californie. Loin des chimpanzés mais face à l’aquarium du monde.
Ah Laura, je me rappelle bien de toi ! Heureux de te lire – tu me donnes des nouvelles ? à Richard.Monvoisn@univ-grenoble-alpes.fr, ou un vocal sur Signal (j’adore les vocaux, c’est mieux qu’un podcast). Très curieux de savoir ce que tu as fabriqué et fabriques encore !!!!!