Dans ma bibliographie sur les barreurs, coupeurs, toucheux, ramancheux, etc. je tombe parfois sur des perles, comme cet immense travail de l’abbé Ernest Sevrin, « Croyances populaires et médecine supranaturelle en Eure-et-Loir au XIXe siècle », paru dans Revue d’histoire de l’Église de France, tome 32, n°121, 1946. pp. 265–308 (que vous pouvez charger là, ou lire ici sur Persée).
Dans sa conclusion, l’abbé indique ceci, d’une très forte actualité. La mise en gras est de moi.
(…) Les rebouteux mis à part avec leur plus ou moins d’habileté manuelle, restent les panseux de secrets, les toucheux, les marcous (Ndmoi-même : le marcou est le septième enfant d’une fratrie « légitime », doté d’un don), tous les guérisseurs enfin qui agissaient par simple attouchement, et par récitation de formules magiques ou de prières en présence du malade. Ici, le caractère superstitieux est net, c’est-à-dire qu’il n’y a aucun rapport ni révélé ni rationnel entre la cause et l’effet. La crédulité, l’ignorance commune, l’absence de contrôle sérieux, parfois aussi le charlatanisme, résolvent à mon avis la plupart des cas. Cependant, il peut y avoir aussi un élément psychologique très important : la suggestion. L’écrivain autrichien Stefan Zweig, dans un ouvrage sur Mesmer et le magnétisme, animal, explique par là la vogue inouïe et les guérisons réelles de cet homme qui, après avoir cru indispensables le baquet et autres éléments magnétiques, finit par s’apercevoir, à sa grande stupeur, que tout émanait de lui-même, du fluide mystérieux ou de la puissance de persuasion dont il était la source (Ndmoi-même : la source indiquée est Stephan Zweig, Mesmer, traduit par Alzir Hella, dans Je suis partout, 29 sept. 1934, mais je pense qu’il s’agit de La Guérison par l’esprit : Mesmer, Mary Baker-Eddy, Freud) Nous avons tous éprouvé ou constaté quelle influence heureuse peut avoir, sur une maladie chronique invétérée, la soudaineté d’un choc psychologique ; et je suis, pour ma part, entièrement convaincu que la science médicale, si bienfaisante déjà, le serait davantage encore si les médecins traitaient le moral de leur malade aussi méthodiquement que son physique, et s’ils savaient lui inspirer cette confiance personnelle qui était peut-être le vrai « secret » des paysans guérisseurs dont je viens de parler. Au reste, il est d’expérience que tels remèdes nouveaux guérissent pendant un temps et perdent ensuite leur efficacité : c’est qu’on y croit d’abord avec ferveur.
Où la question se complique et devient bien obscure, c’est ‑quand il s’agit d’animaux, très indifférents aux méthodes suggestives (Ndmoi-même : ce qui est maintenant démontré comme faux, depuis au moins les travaux de Frank McMillian à la fin du XXe, par exemple F. D. McMillan, « The placebo effect in animals », Journal of the American Veterinary Medical Association, vol. 215, no 7, , p. 992–999). Et ce qui la rend, pour moi, tout à fait inconcevable, c’est que le traitement se fasse à distance, par une prière absurde comme celle des tranchées, avec des renseignements qui n’ont aucun rapport au mal. Observons que les paysans qui, autrefois et aujourd’hui encore, guérissent de loin — à ce qu’on assure — les tranchées des chevaux, ne songent nullement à faire de la radiesthésie, dont ils ignorent et le nom et la chose (Ndmoi-même : l’abbé est prudent sur la question de la radiesthésie, de même que sur le don de double vue, du fait du cas du « rêveux » de Thiville, page 293). Ils n’entrent point en transe, et n’ont point de pendule ni de procédé quelconque. Ils ne s’attribuent même pas de monopole, et passent leur secret à des amis. Simplement ils ont une formule à peu près dépourvue de sens : ils la récitent, et croient dur comme pierre que cela suffit. Or, comment cela peut-il suffire ? La vertu intrinsèque n’y est pas. L’effet étant admis — par hypothèse — à qui l’attribuerons-nous ? L’attribuer à Dieu n’est pas digne de Dieu. « Notre foi est raisonnable » ; il y aurait scandale à admettre que Dieu concède à des prières et à des pratiques superstitieuses une quasi-infailjibilite qu’il refuse aux prières et à la liturgie de son Église. L’attribuer au démon paraît assez gratuit. J’ai des amis, chrétiens pratiquants et intelligents, qui néanmoins employent ou laissent employer pour eux ces formules contre les maladies de gens ou de bêtes, parce que, dans le péril, on se raccroche à tout, et sans négliger toutefois les moyens rationnels ni la vraie prière. Ils vous diront franchement que dans tel cas ils ont réussi et dans tel autre c’est douteux. Mais ils reporteraient la gloire du succès bien plus à Dieu qu’au diable ; et ceux mêmes qui ne pratiquent pas n’ont nulle envie de faire les affaires du Malin. Je crois qu’au fond de leur idée il n’est question en tout cela ni de Dieu ni du diable. L’homme se sent faible, environné de mystère : il trouve peu étrange que les forces de la nature, souvent liguées contre lui, soient quelquefois pour lui ; rappelons-nous les dieux de l’Iliade, partagés entre les deux camps. Telle formule et tel rite sont réputés plus forts que le mal : cela suffit, on n’en cherche pas la cause. En cette matière, du reste, l’échec fait moins d’impression que le succès : l’échec paraît, si je puis dire, un manque à gagner ; le succès est un gain. La vraie question préjudicielle, nullement insoluble, mais jusqu’ici, je crois, non résolue, est de constater scientifiquement les guérisons, — je ne dis pas les préservations, toujours plus discutables. Ce contrôle serait malaisé, à cause de la méfiance paysanne ; et délicat, puisqu’il s’agit de formules et de rites au moins suspects de superstition. Cependant on pourrait concevoir une présence passive, et il est des cultivateurs qui répondraient volontiers à un questionnaire précis. Il faudrait en tout cas, chez l’enquêteur, une formation sérieuse, et autant dire possible qu’il fût lui-même sorti d’un milieu terrien, et familier avec ses mœurs. Il y aurait là un beau sujet de thèse. Pour ma part, chaque fois que j’ai essayé de percer le mystère de ces guérisons, j’ai conclu à la bonne foi certaine et à l’illusion probable. Quelques dires m’ont un peu troublé, venant de confrères que j’estime, qui vivent dans un milieu rural, et qui toutefois ne m’ont pas convaincu : je ne crois pas en effet que leur conviction se fonde sur une enquête vraiment scientifique. (…)
Il n’y a pas à dire. L’abbé Sevrin est bien plus fin que l’abbé Tize.
Je pense que l’on va voir les » toucheux » d’abord par ce que on n’a plus confiance aux médecins ou qu’ils ne nous prodiguent pas l’attention qu’on en attend et que souvent on reste subjugués par des formules magiques qui pourraient nous délivrer de nos maux .
Je suis d’accord avec Guy, et on peut généraliser .. j’ai écrit un texte totalement définitif sur la question 🙂
https://souslarbre.xyz/les-pseudos-medecines/
bonjour, pourriez vous me donner le lien de votre texte s’il vous plait ? celui-ci ne fonctionne plus…
je vous remercie.
cordialement.