Je viens de me faire une ses­sion LSD, la série docu­men­taire, sur France Culture, en quatre épi­sodes, sur des domaines un peu mor­bides que je connais bien. C’est l’œuvre d’É­lise Gruau, réa­li­sé par Anna Szmuc.

Si vous n’a­vez pas le temps, je viens par­ta­ger avec vous quelques petites décou­vertes. J’ai beau bien connaître ces thèmes, j’ai encore appris plein de choses

 

Épi­sode 1 : J’irai fouiller dans vos tombes

On se pro­mène à Noi­sy-le-Grand près de Paris, car les fouilles d’archéologie pré­ven­tive ont per­mis de mettre à jour une immense nécro­pole. Cyrille Le Fores­tier, archéo-anthro­po­logue de l’IN­RAP, dont on ne me dit que du bien, m’ap­prend qu”  »au XVe siècle, le cime­tière est un vrai lieu de vie, où on fait des échanges, où il y a du com­merce, du mar­ché, où on s’assoit sur les tombes. Il  y a une vraie vie dans le cime­tière ». Une gen­tille voix me souffle qu’à ce sujet, on peut lire le magni­fique livre de Phi­lippe Ariès, Essais sur l’his­toire de la mort en Occi­dent, du Moyen-Âge à nos jours, (1975, édi­tions Seuil 2014).

J’ai éga­le­ment com­pris par Hen­ri Duday, archéo­logue, direc­teur de Recherche au CNRS, labo­ra­toire d’An­thro­po­lo­gie des Popu­la­tions du Pas­sé de l’Université de Bor­deaux que l’ar­chéo­lo­gie de la mort dépasse de loin l’ar­chéo­lo­gie funé­raire. Et mon amie Mathilde Dau­mas me pré­cise ceci :

« Sur les pro­blé­ma­tiques de ges­tion des fouilles de grande ampleur (quand le nombre de sque­lettes « sor­tis » est beau­coup plus impor­tant que celui que l’on a esti­mé, alors que le bud­get de fouilles a été pré-éta­bli, il faut ratio­na­li­ser les fouilles, car on peut fouiller 200 sque­lettes dans le mêmes temps que 100. Tu devrais lire la publi­ca­tion sur ce sujet par le GAAF »,

me dit-elle. Alors comme un bour­reau sui­ci­daire, je m’exé­cute.

De même je ne savais pas qu’on pou­vait som­mai­re­ment dis­tin­guer une tombe typique de méro­vin­gien d’une tombe caro­lin­gienne, et Mathilde me pré­cise ça : une tombe méro­vin­gienne est moins catho­lique, donc dotée de beau­coup plus de maté­riel (cou­teau, boucle de ceinture/chaussure…), avec des construc­tions archi­tec­tu­rales au niveau de la tombe (sar­co­phage, cof­frage, pierre ou simple cou­vrage), tan­dis qu’une tombe de caro­lin­gien suit plus les direc­tives chré­tiennes. Elle est plus sobre, plus pudique (voile, calage assez fré­quent de la man­di­bule, ain­si que de la tête pour l’o­rien­ter vers Jéru­sa­lem) avec moins de construc­tion, pri­vi­lé­gient les inhu­ma­tions en lin­ceul et en terre pleine, bien avant le déve­lop­pe­ment des « cof­frages en bois » mobiles ou non. Le mot de cer­cueil, du vieux fran­çais cofin, est lui-même est inven­té plus tard, autour du XIIe siècle.

La des­crip­tion que le docu­men­taire fait entre un corps qui se décom­pose dans un espace vide où il peut donc bou­ger au grès de la décom­po­si­tion, et un espace col­ma­té dans lequel la terre tombe direc­te­ment dans le corps pen­dant la décom­po­si­tion est exac­te­ment basée sur la tech­nique de Hen­ry Duday, Duday qui a fait chan­ger beau­coup de men­ta­li­tés dans l’an­thro­po­lo­gie moderne, me souffle-t-on dans l’o­reillette. Et Mathilde me recom­mande de lire ça, L’An­thro­po­lo­gie « de ter­rain » : recon­nais­sance et inter­pré­ta­tion des gestes funé­raires, dans Bul­le­tins et Mémoires de la Socié­té d’An­thro­po­lo­gie de Paris, 1990,  2–3‑4  pp. 29–49, ain­si que les cours dudit Dudey dans ce livre « Ses cours mis en livre « The Archaeo­lo­gy of the Dead : Lec­tures in Archaeo­tha­na­to­lo­gy ».

J’ap­prends aus­si par Valé­rie Delattre, archéo-anthro­po­logue de l’In­rap que le site de Dis­ney­Land Paris est sur un immense cime­tière caro­lin­gien. Or ce site a le même sta­tut qu’une ambas­sade amé­ri­caine ! C’est une enclave amé­ri­caine ! Cela a valu à l’é­quipe de fouilles de voir débar­quer le patron de Dis­ney­Land, qui venait récla­mer des crânes et osse­ments pour équi­per le châ­teau han­té, ce qu’il n’a fort heu­reu­se­ment pas pu obte­nir. Cette his­toire est tel­le­ment cocasse que j’ai­me­rais bien une réfé­rence.

J’ai été très tou­ché de l’in­ves­ti­ga­tion d’os­se­ments de fœtus, for­mi­dable accès aux sub­jec­ti­vi­tés de ces époques. Si je connais­sais le pro­ces­sus de bap­tême « arti­fi­ciel« pour évi­ter le lim­bus pue­ro­rum, limbe des enfants, où par­taient les enfants morts non bap­ti­sés qui certes n’a­vaient pas péché, mais étaient affu­blés du péché ori­gi­nel, je ne savais pas qu’il y a avait une vague soluce un peu mor­bide pour les enfants morts-nés. Pour évi­ter d’être condam­nés à errer pri­vés de la vue de Dieu et avoir le droit à une sépul­ture chré­tienne, on emme­nait les petits corps dans des sanc­tuaires à répit, sur un autel très fré­quem­ment dédié à la Vierge, et là, on veillait le petit corps, jus­qu’au pre­mier bruit, ou mou­ve­ment, je vous passe les détails, et hop ! On bap­ti­sait à l’ar­rache.

À ce sujet, Mathilde me donne des devoirs : les sépul­tures de nou­veaux-nés au Moyen-Âge, l’hy­po­thèse d’un sanc­tuaire à répit pré­coce à Blan­dy-lès-Tours (France, Seine-et-Marne), signé Delattre jus­te­ment, dans Sèrie de Pre­his­to­ria i arqueo­lo­gia, SIAP, pp. 183–210. Ici, cadeau ser­vice public.

Enfin, une phrase de Cyrille Le Fores­tier fait écho à la « sté­pha­ne­Ber­ni­sa­tion » de l’his­toire : les archéo-anthro­po­logues tra­vaillent sur la ges­tion des morts « com­muns » par leur sem­blables au lieu de se concen­trer sur les « morts célèbres » et l’his­toire des têtes cou­ron­nées. Je ne peux qu’ap­plau­dir.

 

  • Épi­sode 2 : Zom­bie or not zom­bie

Je suis tou­jours ennuyé quand j’en­tends Phi­lippe Char­lier. Méde­cin légiste, anthropologue,historien, embryo­lo­giste (?), direc­teur de recherches au Musée du quai Bran­ly – Jacques Chi­rac, il est un peu trop… et un peu trop par­tout, sur tous les sujets liés à la mort, et sou­vent impré­cis. Je l’ai déjà sur­pris en train de « sur­vo­ler » de manière approxi­ma­tive une affaire, aus­si main­te­nant je n’ar­rive pas à me dépar­tir de mes doutes. Mais quel talent de conteur, c’est indé­niable. Et il explique tout à fait bien la nuance entre le zom­bie haï­tien (héri­té du Bénin) et le zom­bie hollywoodien.On retrouve les ques­tions bio­chi­miques de l’u­sage de tétra­do­toxine, pré­sente dans les foie, ovaires, intes­tins et peau des pois­sons du genre Taki­fu­gu,

J’ai été très content d’en­tendre Laën­nec Hur­bon, anthro­po­logue, direc­teur de recherches au CNRS, pro­fes­seur à l’université d’État de Port-au-Prince. J’ai été frap­pé d’en­tendre ce mon­sieur, Jacques Ravix, auteur de Temps de cer­ti­tudes, et ex-zom­bie. J’ai retrou­vé son entre­vue ici, dans l’é­mis­sion Kis­keya, l’ïle mys­té­rieuse, sur Canal bleu, télé­vi­sion haï­tienne (15 novembre 2011).

On enten­dra Pas­cal Pin­teau, spé­cia­liste des effets spé­ciaux, don­ner des recettes pour faire de faux membres à man­ger ou du faux sang à par­tir de sirop d’é­rable ou de miel – moi je m’en sors très bien avec huile et car­min de coche­nille, recette tes­tée fré­quem­ment lors de « chi­rur­gies psy­chiques à mains nues », comme ci-des­sous.

James Ran­di tri­bute – chi­rur­gie à mains nues

 

Épi­sode 3 : faire par­ler les fan­tômes

Il y a du maté­riel, dans cet épi­sode. D’a­bord une séance de divi­na­tion par table tour­nante, sorte de busi­ness orches­tré au châ­teau de Fou­ge­ret, dans la Vienne, et qui montre que si les pratiquant·es connais­saient l’ef­fet idéo­mo­teur1, ils/elles seraient plus cir­cons­pectes dans leurs conclu­sions. De même pour les « trans­com­mu­ni­ca­tions » ins­tru­men­tales de Manu Del­peche, sujet que je traite en cours en pro­po­sant la paréi­do­lie audi­tive comme alter­na­tive beau­coup moins coû­teuse.

Phi­lippe Bau­douin, je ne sais pas quoi pen­ser de son tra­vail. Je l’ai écou­té plu­sieurs fois, je trouve qu’il bosse assez bien, mal­gré une croyance évi­dente dans les phé­no­mènes qu’il pré­sente. J’aime bien le tra­vail de Gré­go­ry Dela­place, anthro­po­logue, maître de confé­rences à l’université Paris 10-Nan­terre. Il bosse entre autres sur les socié­tés spi­rites anglaises (j’ai pos­té une pun­chline de Hux­ley sur le sujet il y a quelques semaines, ici).

 

Épi­sode 4 : Obses­sion vam­pire

Cap­ture d’écran du film « Only lovers left alive » de Jim Jar­musch avec Til­da Swin­ton (2013)• Cré­dits : Jim Jar­musch

Il y a tant à dire sur les vam­pires. J’a­vais fait un article assez dense sur le sujet, il y a une quin­zaine d’an­nées : De l’art de mâcher son lin­ceul : enquête sur le vam­pire mas­ti­ca­teur (ici). Et je fais régu­liè­re­ment tra­vailler des étudiant·es sur des sépul­tures dites « déviantes ».

Je regrette un peu que ce soit encore Phi­lippe Char­lier qui parle (certes, tou­jours aus­si bien). Il se goure sur le titre, mais il cite l’in­con­tour­nable « De la Mort appa­rente et des enter­re­ments pré­ci­pi­tés », de Maxi­mi­lien Kauf­mann, pro­fes­seur de méde­cine à Paris (1851, Vic­tor Mas­son, je vous le mets ici). Il raconte ensuite l’his­toire de Ger­bert d’Au­rillac, deve­nu pape sous le nom de Syl­vestre II, enter­ré mal­heu­reu­se­ment vivant en 1003 à Saint-Jean du Latran. Lors­qu’on ouvri­ra le cer­cueil, raconte P. Char­lier, son corps s’é­tait retour­né et il s’é­tait man­gé les mains. Mais si Ger­bert d’Au­rillac a ali­men­té beau­coup de légendes – comme celle de son sar­co­phage de marbre qui soi-disant ruis­se­lait exté­rieu­re­ment chaque fois qu’un car­di­nal allait mou­rir, et inon­dait le sol d’eau lorsque c’é­tait le tour d’un pape –  je ne trouve pas trace de cette his­toire. 650 ans plus tard, en 1648, lors de la recons­truc­tion de la basi­lique sous le pon­ti­fi­cat d’Inno­cent X, son tom­beau est certes rou­vert, mais pour véri­fier s’il ne repo­sait pas « près du diable ». Dans le livre (que je n’ai pas lu) de P. F. Laus­ser, Ger­bert. Étude his­to­rique sur le dixième siècle (Slat­kine, , p. 349), il est dit qu’à peine expo­sé à l’air, le cadavre, bien conser­vé jusque-là, se rédui­sit en cendres. Je suis curieux de connaître la source de Mon­sieur Char­lier. Il raconte d’ailleurs un autre truc étrange : il dit qu’un matin nei­geux, il arrive dans un cime­tière de Cluj-Napo­ca, en Rou­ma­nie, et tombe c’est le cas de le dire sur une tombe éven­trée avec le corps sor­ti. Je demande une réfé­rence fiable, car Cluj-Napo­ca, je connais, c’est une ville plus grande que Gre­noble, et les cas de pro­fa­na­tion vam­pi­rique de sépul­ture, c’est arri­vé encore récem­ment en Rou­ma­nie mais plu­tôt dans des zones rurales recu­lées. J’ai du mal à ava­ler tout cru cette his­toire où comme par hasard, un matin, « il neige », il se pro­mène et tombe pile sur un cas rare. C’est cou­su, et à mon avis avec du fil blanc.

On entend avec plai­sir Jean Mari­gny, pro­fes­seur émé­rite de lit­té­ra­ture anglaise à l’Université Sten­dhal à Gre­noble, et Jacques Sirgent, « vam­pi­ro­logue », direc­teur du micro-musée des vam­pires et monstres de l’imaginaire, 10 ave­nue du Père Lachaise à Paris. Au pas­sage Mon­sieur Sirgent pro­pose une défi­ni­tion du « mal » qu’il emprunte à l’an­thro­po­logue Jef­frey Bur­ton Rus­sell : « c’est la dou­leur qu’on inflige volon­tai­re­ment à quel­qu’un », défi­ni­tion qui me parait dou­teuse et fort par­cel­laire, sur­tout dans le champ médi­cal, mais qu’im­porte. J’au­rais bien aimé qu’on convoque Matei Caza­cu, auteur d’un livre for­mi­dable, « Dra­cu­la, de l’empereur Vlad III à l’empereur des vam­pires », édi­tions Tex­to, dont j’ai déjà par­lé.

Mathilde Dau­mas, mon ange gar­dien de l’ar­chéo-anthro­po­lo­gie, me souffle de regar­der la vidéo « Vam­pires et archéo­lo­gie | Mini docu­men­taire » de Tho­mas Laurent

En espé­rant vous avoir don­né envie d’é­cou­ter tout ça.

Des mon­ceaux de fleurs dépo­sés aux pieds de Mathilde Dau­mas, que j’ai eu comme étu­diante et dont je suis main­te­nant l’é­tu­diant. Elle est en doc­to­rat d’an­thro­po­lo­gie bio­lo­gique à l’U­ni­ver­si­té Libre de Bruxelles, et adore tri­po­ter les cadavres.

Notes

  1. À ce sujet, je recom­mande l’ex­cellent livre The illu­sion of free will, de Daniel Wegner, 2002, que m’a refi­lé mon col­lègue Domi­nique Mul­ler.

3 réponses

  1. Crise en Thème dit :

    Pas­sion­nant, je vais me faire cette série de LSD.
    Mer­ci beau­coup pour le par­tage

  2. Crise en Thème dit :

    J’ai dévo­ré ces quatre épi­sodes de LSD. Je trouve la réa­li­sa­tion tou­jours excel­lente mais comme pour la série « Vivre sans sexua­li­té » et « A l’ère de la sur­veillance numé­rique » les épi­sodes sont très inégaux entre eux.
    C’est très per­son­nel mais typi­que­ment pour la série « La mort vivante », les épi­sodes 1 et 2 sont très supé­rieurs aux épi­sodes 3 et 4. Pire encore et sans reprendre ce qui a été dit dans votre article, l’é­pi­sode 3 ne dis­pose pas d’ex­pli­ca­tion cri­tique des phé­no­mènes. Pour­tant pour les TCI, il aurait été « facile » d’ex­pli­quer les paréi­do­lies audi­tives. Hors là, le public n’a que l’hy­po­thèse para­nor­male d’un sapeurs pom­piers pro­fes­sion­nel, sûre­ment de bonne foi, pour expli­quer les TCI. Dom­mage.

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