Fin juin j’ai répondu à un journaliste sympa de La Croix sur la lithothérapie.
Comme il ne reste plus que deux lignes de ce que je lui ai répondu (et je peux comprendre ça, je ne lui en veux pas) autant vous donner tout. Ce n’est pas long, la consigne était d’être le plus succinct possible. Vous pourrez lire l’article ensuite et constater in situ pourquoi le rapport aux médias est toujours un peu compliqué. C’est compliqué pour le journaliste, et c’est compliqué pour nous. Et encore, là, on ne m’a pas fait dire ce que je n’ai pas dit !
Table des matières
Matériel de départ
[Le journaliste, FR] : Que penser de toutes ces théories d’un point de vue didactique (notamment les effets de pierres sur la santé) ? Quels mécanismes sont à l’œuvre ici ? Pourquoi peut-on considérer ces théories comme dangereuses ?
[Moi] La « théorie » de la llthothérapie n’en est pas vraiment une. Ce qui est le plus tragique c’est qu’il n’y a absolument rien, comme point de départ, il n’y a même pas l’ombre d’une pseudo-théorie, c’est vaguement un ersatz du magnétisme de Maxwell mais mal compris qui est invoqué, quand ce n’est pas carrément les lectures de l’Antiquité sur les pierres qui s’aiment, les atomes crochus, etc.
[FR] Justement le petit ersatz est très intéressant : que vient faire le magnétisme de Maxwell ? En quoi il est mal compris
[Moi] En fait il y a une rupture épistémologique : avant Maxwell, avant Ørsted, magnétisme recouvrait aussi bien l’électricité que le « magnétisme animal » de Frantz Anton Mesmer, les aimants et la boussole autant que les fluides divers plus ou moins fantasmés, les forces curatives… Après 1850 le jargon aurait dû évoluer, mais non, encore aujourd’hui, « magnétisme » désigne les deux domaines. Et comme pour beaucoup de gens il y a des pierres paramagnétiques ou diamagnétiques, alors pour elleux c’est potentiellement curatif, ça fait une sorte de paquet mental, voyez ? [NdR : ceci fut l’objet d’un de mes premiers articles, « le magnétisme, de Thalès au magnétisme animal », en 2004, il y a près de 20 ans https://zetetique.fr/magnetisme-i-histoire-de-lelectromagnetisme/]
Les associations entre les pierres et leurs soi-disant propriétés ont été décrétées, sans jamais avoir fait l’objet d’études les démontrant. Or en science on dit que la preuve revient à celui qui prétend. Mais même lorsqu’on se donne la peine de tenter quand même des expériences et de laisser une chance au « phénomène », on se rend compte que les prétentions sont tellement floues, tellement subjectives, que tout le monde pourrait penser les ressentir même en l’absence de pierre. les seuls effets des pierres dont on ait une certitude sont des effets plutôt inquiétants : certains cailloux sont toxiques, d’autres radioactifs. J’ai étudié récemment les effets des colliers d’ambre sur les douleurs dentaires des enfants, et le seul effet de ces colliers, c’est … un risque accru d’étranglement ! (et c’est arrivé…)
[FR] Ce qui m’intéresse aussi c’est le business qu’il y a derrière toutes ces théories. A la fin de chaque article, il est ainsi possible d’acheter, moyennant parfois une centaine d’euros, des pierres et autre pendentif… Est ce que la dimension commerciale liée à une discipline disqualifie obligatoirement cette dernière ?
[Moi] La dimension commerciale n’est pas propre aux pseudo-thérapies : le business fait aussi des ravages dans des techniques qui ont une efficacité prouvée. Là ce qui est dramatique, c’est qu’on vous prend votre argent, au nom d’un espoir thérapeutique qui ne sera même pas rempli. Double déception, donc. Qu’on aime porter des pierres, les collectionner, c’est tout à fait le droit de chacun. Mais là on nous vante un soin, on reçoit une pacotille
[FR] Ce qui est aussi « tragique » comme vous dites, c’est la présence d’articles vantant la litho dans les médias, l’absence d’avertissement dans les bourses aux minéraux, etc.
[Moi] Des fois ça confine au comique : les lampes à sel qui émettraient des ions négatifs (des Cl- donc ? Qui flotteraient dans les airs ? Non seulement c’est quasi impossible mais ce n’est surtout pas souhaitable !)
[FR]Hier j’étais toute l’après-midi à la bourse aux minéraux de Sainte-Marie-aux-Mines, qui n’est autre que la deuxième plus grande bourse du monde. Au milieu de toutes les transactions de minéraux, cristaux, pierres précieuses, il y a un espace dédié à la santé, avec des conférences où l’on apprend que telle pierre peut aider à battre le cancer, une autre contre les allergies, etc. Comment peut-on expliquer cette connivence de cette pseudo-science avec le monde du business et parfois des médias ?
[Moi] La question est pour moi mal troussée, parce que c’est le cas de TOUTES les thérapies alternatives et complémentaires, de représenter un business. Le nœud à mon avis c’est : les gens cherchent de l’espoir et de l’auto-détermination en dehors des soins classiques, des margoulins l’ont compris, et en profitent. L’histoire du capitalisme :).
Je vous mets ici pour le fun une plaquette co-créée avec Thomas Dubois l’an passé.
L’article
Pseudo-science contestée, la lithothérapie s’invite dans les bourses aux minéraux
Par Félicien Rondel (à Sainte-Marie-aux-Mines), le 24/6/2023
La lithothérapie, pseudo-science fondée sur la croyance en un pouvoir de certains cristaux de bijouterie, suscite un certain engouement en France. Sur la bourse Mineral & Gem à Sainte-Marie-aux-Mines (Haut-
Rhin), un espace lui est dédié.
« Et pour lutter contre le cancer, vous avez dit quoi ? », s’assure une dame à la coupe carrée, attablée dans une salle de classe d’un lycée de Sainte-Marie-aux-Mines (Haut-Rhin). Debout, à la place du professeur, Marie I. lui répond : « Du shungite et de la charoïte », du nom de deux minéraux. Marie I. est lithothérapeute : elle prodigue des conseils pour « booster sa santé au quotidien au travers du monde minéral », mis en contact ou à proximité du corps humain.
Ce « cours » a lieu dans le cadre de Mineral & Gem, proclamée « deuxième plus grande bourse aux minéraux du monde » et située à Sainte-Marie-aux-Mines, petite ville industrielle aux portes des Vosges. Au milieu des grossistes, des gemmologues et bijoutiers venus d’Inde, du Brésil ou de Madagascar pour faire des affaires, se trouve un espace dédié au bien-être et au traitement par les minéraux.
Des théories « vieilles comme le monde »
Des conférences, dont celles de Marie I., y sont organisées. Pendant une heure, cette dame aux lunettes teintées et cheveux courts, passe en revue des pierres et leurs prétendues vertus à une audience attentive,
carnet sur la table et stylo à la main. Il est question de l’aigue-marine, « efficace contre les allergies », de l’améthyste, un quartz violet, qui « travaille sur tout le système nerveux » ou encore de la citrine, jaune, qui
agit, elle, sur « le système biliaire ».
Accorder des vertus médicinales aux pierres « est vieux comme le monde », explique Jean-Claude Boulliard, enseignant retraité et ancien directeur de la collection des minéraux de l’université de la Sorbonne. Ces
théories ont voyagé depuis la Mésopotamie, en passant par la minéralogie chrétienne du Moyen Âge, pour trouver un nouveau souffle dans les années 1970, porté par la mouvance New Age.
Aujourd’hui, des centaines de sites compilent différentes théories sur les « pouvoirs » de ces pierres. Souvent gérés par des lithothérapeutes, à l’image de Marie I., ces plateformes proposent aussi des formations à
hauteur de plusieurs centaines d’euros et vendent des minéraux, sous la forme de pendentifs, de colliers.
Le scepticisme des scientifiques
« Les gens cherchent de l’espoir et de l’auto-détermination en dehors des soins classiques, des margoulins l’ont compris, et en profitent », analyse Richard Monvoisin, didacticien des sciences à l’université Grenoble-Alpes.
À la sortie du cours de Marie I., Anne-Cécile, venue du Nord, se cherche. Tombée gravement malade, elle n’a pas été convaincue par son traitement et par sa prise en charge et cherche des alternatives pour se soigner.
Selon elle, « la société tend vers plus de spiritualité et de naturel », en réponse à « un modernisme exagéré ». Toutefois, cette adepte du magnétisme indique ne pas « encore avoir ressenti les effets » des pierres sur sa
santé. Et pour cause, plusieurs scientifiques détaillent à La Croix leur scepticisme face à ces théories. « Le fait de porter sur soi un minéral ou une roche ne peut créer aucune interaction avec l’organisme, tant que la roche ou le minéral n’est pas radioactif », explique Christian Chopin, minéralogiste et géologue au laboratoire de géologie de l’ENS. Par ailleurs, « certains cailloux sont toxiques, d’autres radioactifs », poursuit Richard Monvoisin. Le spécialiste a étudié les effets des colliers d’ambre sur les douleurs dentaires des enfants. « Le seul effet de ces colliers, est un risque accru d’étranglement ! »
Un marché porteur
Malgré ces avertissements, comment une pseudo-science a‑t-elle pu faire son entrée dans les bourses aux minéraux ? « Nous avons la volonté de traiter tous les aspects de la minéralogie », répond Thomas Bellicam,
directeur général de la bourse Mineral & Gem. S’il se dit « vigilant concernant les excès de certains propos », il conçoit également que « ce marché est porteur ». L’espace bien-être ne représente que quelques stands épars, enclavés autour de 950 exposants. Toutefois, « les particuliers nous demandent souvent les bienfaits de nos pierres », relate Sylvain, vendeur de minéraux, établi dans le sud de la France. Pour lui, lithothérapeute, « c’est un autre métier que le sien ». « Libre à chacun de faire son business à son image ». Cet aspect commercial suscite cependant l’inquiétude des chercheurs. « La lithothérapie est surtout l’occasion
de juteuses affaires, quand ce n’est pas plus grave, avec l’abus de faiblesse et l’emprise de gourous prétendument guérisseurs, réagit Christian Chopin. On peut apprécier les minéraux pour leur grande beauté. Inutile de les parer d’autres prétendus pouvoirs ».
Félicien Rondel (à Sainte-Marie-aux-Mines)
Dans le serpentin de la queue d’une immense pharmacie, des colliers de petites pierres avec quelques lignes expliquant les « bienfaits ». A quand un encadrement de la profession ? Ça fait beaucoup de pseudomedecines vendues à côté de vraies médicaments.
Eh oui. Mais la profession est encadrée, c’est ça, le pire. La paraphamarcie c’est un mélange d’épicerie et de farces et attrapes